'^'^-m l v-^^^ Y l/^ Le Mouvement littéraire 1912 DU MÊME AUTEUR Le Mouvement littéraire — 1904. Préface de M. Paul Hervieu^ de l'Académie française. Le Mouvement littéraire — 1905. Préface de M. Henry Roujon, de l'Académie française. Le Mouvement littéraire — 1906. Préface de M. Jules Claretie, de lAcadémie française. Le Mouvement littéraire — 1907. Le Mouvement littéraire — 1908. Préface de M. Anatole France, de l'Académie française. Le Mouvement littéraire — 1909. Préface de M. Marcel Prévost, de l'Académie française. Le Mouvement littéraire — 1910. Préface de M. Henri Lavedan, de l'Académie française. Le Mouvement littéraire — 1911. Préface de M. Maurice Donnay, de l'Académie française. Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, j compris la Suède, la Norvège^ la Hollande et le Danemark. S'adresser, pour traiter, à la librairie Paul Ollendorff, 50, Chausséç-d' Antin, Paris. UV. Il PH. -EMMANUEL GLASER Le Mouvement Littéraire (petite chronique des lettres) ->I9^2- Préface de M. Maurice BARRÉS, de l'Académie française PARIS \^^\ Société d'Éditions Littéraires et Artistiques IvIBRAIRlE PAUL OLLENDORFF 50, CHAUSSÉE d'ANTIN, 50 SEEN BY PRESERVATION SEfiVIŒS Ily A ÉTÉ TIRÉ A PART Cinq exemplaires sur papier du Japon (i i 5). Cinq exemplaires sur papier de Hollande (6 à 10) NUMÉROTÉS A I,A PRESSE 11 (T6- +.9 PREFACE Cher Monsieur Glaser, Votre fonction consiste à passer chaque semaine la revue de toutes les formes de l'esprit français. Vous rendez compte à peu près de tous les livres qui parais- sent, surtout des ouvrages d'agrément. Pour suivre le mouvement de notre librairie, ou mieux de la mode littéraire au jour le jour, il faut lire vos chroniques du Figaro. Et si l'on cherche à se faire une idée d'ensem- ble, on doit consulter vos recueils, dont voici le tome neuvième. Où en est la pensée française? Je me le demandais en vous feuilletant. Il me semble qu'on méprise l'anarchie; elle a cessé de satisfaire les âmes, en même temps que les idées élevées et les grandes œuvres retrouvent de la popularité. Il est passé, le temps où des êtres inférieuis pouvaient tirer gloire de se révolter contre les chefs-d'œuvre de notre race. Certes, chacun de nous possède au fond de son être quelque instinct qui l'empêche de vivre, tout d'abord, avec les hautes œuvres. Il nous faut nous surmonter. Par exemple, il nous faut de la volonté pour vivre auprès d'un Pascal. Que chacun de nous refasse en esprit le chemin par lequel il est parvenu à s'appro- cher de la pensée de ses maîtres. C'est une suite de véritables efforts, l'effet d'une amélioration morale, VI PRÉFACE un vrai mouvement de vertu, car il y a en nous des puissances qui nous détournent vers le vulgaiie. On doit prendre comme un signe des temps, comme une preuve entre mille des grandes disciplines restaurées, le fait que le public distingue et met au premier irang les ouvrages qui traitent des questions éter- nelles, et dans lesquels une idée générale supporte et lie les faits du récit. « A quoi sert un roman, s'il n'est pas amusant? » C'est un mot que j'ai encore dans l'oreille avec l'accent dont il m'était dit, il y a des années, à l'enter- rement d'Alphonse Daudet, quand nous suivions le cortège du grand romancier le long du boulevard Saint-Germain. Pourquoi certains mots qui n'ont rien d'extraordinaire vont-ils ainsi se loger dans notre esprit et n'en sortent plus? Je ne pus rien répondre à mon aimable voisin de rang, aujourd'hui mon con- frère, M. Henry Roujon, qui venait, s'en souvient-il? de conclure par cet aphorisme quelques réflexions sur l'art du roman, toutes naturelles en la circons- tance. Je ne pus rien lui répondre parce que, dans le même moment, un scandale éclata. Du haut d'un tramway, un homme passionné se mit à interpeller et à injurier Zola (qui tenait un des coins du poêle avec Edouard Drumont). En voilà un, mon cher Roujon, ce protestataire du tramway, qui avait été intéressé, ému au plus haut point par des romans et qui ne les avait pas trouvés le moins du monde amusants. Amuser, amusant, amusement, je ne connais pas de mots plus suspects. Qu'est-ce que cela veut dire PRÉFACE VII exactement? A l'usage, j'ai toujours vu que derrière des promesses d'amusement on cachait d'insipides corvées. Dieu vous préserve des journaux amusants, des petits jeux amusants, et en général de toutes les journées d'amusement ! J'aime mieux un large et reposant ennui. Pour moi, un récit romanesque, un roman, c'est l'impression reçue par une conscience, par une imagi- nation, par un être humain, et que celui-ci me com- munique; c'est une âme qui pense, qui me donne l'émotion, le sentiment qu'elle a reçu d'un fait. Il s'agit que vous ayez une émotion, et puis de me la faire ressentir; il s'agit de me mettre dans la disposi- tion où vous êtes vous-même, de me faire participer de votre âme, de votre état de génie, oui, de me faire partager votre génie. Prenez le moyen que vous vou- drez, il faut vous emparer de mon cœur ou de mon imagination pour les hausser jusqu'où vous êtes capa- bles d'aller. Il y a mille sortes de romans : les uns nous peignent les mœurs d'une société ou bien quelque type d'excep- tion; d'autres nous mettent au courant d'une doc- trine; d'autres encore nous enflamment d'amour ou de haine pour un idéal. Toutes les natures d'esprit, toutes les ambitions d'écrivains ont trouvé dans le roman un incomparable moyen d'expression. Pour moi, je lui demande de ne pas se faire avec ma seule raison, mais d'être l'étincelle qui jaillit au contact de ma sen- sibihté profonde et de mon expérience la plus clair- voyante. Je ne su^s satisfait qu'autant qu'une pensée que j'ai contrôlée, que je vois être une vérité, se mue VIII PREFACE dans la chaleur de mon être, sous de longs soins de moi-même inconnus, et m'arrive au cœur comme un sentiment tout prêt à devenir un chant. Mais, quelque conception que l'on ait du roman, le but reste toujours le même, c'est d'élargir l'âme. Les romans russes ou ceux d'un Dickens m'attendrissent, m'apprennent qu'il y a d'autres êtres, m'obligent à les comprendre, à tenir compte des autres. Gœthe me donne un enseignement de sagesse, m'invite à con- sidérer qu'il faut être prudent envers la vie, qu'elle est une rude suite de leçons. Benjamin Constant, Sten- dhal et tous nos analystes français nous dressent à voir clair, à dégager du fatras des événements et des discours certains petits faits, vrais et révélateurs. Ces esprits, trop nets peut-être, se chargent de nous déniai- ser. Mais qu'ils appuient un peu trop et nous voilà désenchantés, déveloutés, je n'ose dire flétris. Balzac nous hausse jusqu'à distinguer qu'il y a de grandes lois pour l'individu et pour la société. On pourrait multi- plier les exemples : l'art du roman est d'infinie sou- plesse; il n'est pas de force plus agissante sur l'âme. En tenant le compte annuel des œuvres d'imagina- tion, parmi lesquelles je range naturellement les Mémoires et tous les Uvres d'histoire que le public con- somme, vous nous aidez à nous tenir au courant des mouvements de l'opinion en France et à nous faire une idée vivante des mœurs de la classe poUe, comme on disait jadis. Je vous en félicite et remercie, mon cher confrère, et je vous serre la main. Maurice Barrés. JANVIER LES ROMANS GASTON RAGEOT La Renommée. Œuvi'e émouvante, forte, et — rare mérite — origi- nale. Cette pensée, que la gloire ne fait pas le bonheur et surtout ne crée pas du bonheur autour d'elle, pensée aussi vieille que le monde et que la gloire, s'y trouve développée avec nouveauté, dans un drame très poi- gnant et humain. La renommée ! C'est elle la grande coupable de tant de chagrins et de tristesses évoqués dans ce livre, c'est elle qui éblouit Laurence, la charmante jeune fille de vingt ans, subjuguée par la gloire de Lucien Mirar, le grand dramaturge qui, à quarante-cinq ans, est dans la plénitude de sa gloire littéraire et de ses triomphes amoureux. Il a épousé la jeune fille, l'a aimée quelque temps, — le temps de faire une pièce sur elle : « le Mariage de Suzanne », — et puis, il est retourné à d'autres amours, à toutes les amours. Présentement, il est éperdûment épris de Nelly Belly, la belle comé- dienne de la Comédie-Française qui sera l'héroïne et la créatrice de sa nouvelle œuvre : « La Belle Mai> tresse ». 2 LE MOUVEMENT LITTERAIRE Et Laurence, qui s'^st longtemps résignée, souffre et se désespère; Antoine Bellème, un ami de la maison, richissime métallurgiste, se trouve à point pour la consoler : elle se donne à lui. Et, lorsque, au lendemain du triomphe de « la Belle Maîtresse », Lucien Mirar meurt subitement en pleine victoire, en pleine apo- théose, Laurence épousera tout naturellement Antoine. Mais Mirar mort, sa renommée subsiste et grandit : elle enveloppe, elle opprime le jeune ménage; jamais le grand dramaturge ne fut plus présent, plus obsédant, et cette guerre entre la gloire du mort et l'amour du vivant s'incarne le plus douloureusement du monde en deux enfants : Lucien, le fils de Mirar, et Laurent, celui que Laurence eut de son second mari. Elle devient si âpre, si pénible; les préférences de Laurence pour son aîné, héritier de toutes les grâces physiques et intellectuelles de son père, s'affirment si douloureuse- ment pour son mari et pour son second fils, qu'une séparation doit intervenir entre les deux époux : ils s'en vont douloureusement chacun de son côté, cha- cun avec son enfant. Ce drame très humain et très vrai, M. Gaston Rageot l'a évoqué en, des pages vivantes, animées de figures, pittoresques et qui semblent parfois très réelles, écrites en une langue excellente que je serais tenté parfois, de trouver un peu trop sage et raisonnable. OCTAVE AUBRY Sœur Anne. Toute la mufflerie de l'homme qui n'aime pas ou qui n'aime plus, toute l'abnégation tendre de la femme, de la « brebis », pour l'homme qu'elle chérit, toute sa JANVIER. — LES ROMANS rf Cruauté naïve, désinvolte et inconsciente pour celui qu'elle n'aime pas sont évoqués par M. Octave Aubry avec une grande puissance de vérité et de vie, avec aussi une mesure et un agrément dans l'expression qui atténuent un peu le caractère pénible de cette analyse et nous aident à tolérer ce miroir implacable, posé devant nos yeux. L'héroïne du roman, Anne Thiercelin -Tellière, Sœur Anne comme l'appellent ses amies, est une jeune veuve qui fut courtisée par Jean de Chandé, le très psychologue romancier, et par Jacques Fontane, son ami; Jean de Chandé repoussé, trouva spirituel et galant de favoriser les amours de Jacques, il y réussit trop bien : Anne et Jacques se sont aimés follement pendant huit mois; Anne a continué; mais ce délai a épuisé les réserves de fidélité de Jacques : il en a eu assez de ces amours et il a rompu assez brutalement. La jeune femme, pour le reconquérir, a joué le jeu habituel : elle a flirté avec Jean, lequel, aveugle comme la plupart des romanciers psychologues et vaniteux comme tous les hommes, n'a rien compris à ce jeu et s'est laissé reprendre, et Jacques, pas très élégant, a encouragé son ami, pensant se débarrasser ainsi définitivement de sa maîtresse. Il n'en a rien été, et le lendemain de la nouvelle chute d'Anne — car la jeune femme conduit jusqu'au bout la dangereuse expérience — Jean a dû se rendre compte que, malgré tout, il n'était pas aimé, et Jacques piqué enfin par la jalousie est revenu pour quelque temps à son amie, pas pour longtemps, car il l'aban- donne de nouveau, et Anne, lasse de tant d'outrages, se réfugie dans la mort. Et désormais un cadavre sera entre ces deux hommes, brisant pour toujours leur amitié. Cette analyse ne peut vous donner qu'une idée très lointaine du livre qui est tout à fait émouvant, ingé- nieux, humain, et dont les épisodes se déroulent dans 4 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE des milieux parlementaires et politiques observés avec infiniment de justesse et de vérité. CHARLES GÉNIAUX Les deux Châtelaines. J'ai beaucoup aimé le roman que M. Charles Gé- niaux a publié sous le titre : les deux Châtelaines. On n'a pas oublié peut-être que, lors de l'apparition de son roman, les Forces de la vie, j'avais, tout en rendant hommage à l'incontestable talent de cet écrivain, regretté certaines obscurités dont il s'était plu à héris- ser son livre. M. Charles Géniaux a toujours autant de talent, je crois même qu'il en a plus; et, en outre, j'ai la satisfaction de comprendre parfaitement toutes les pages de son roman; cela m'enchante, car j'aime à comprendre, au contraire d'un certain nombre de mes contemporains qui ne goûtent pleinement que les pages dont ils n'ont pu parvenir à percevoir le sens. Celui du roman de M. Géniaux, tout à fait délicat et subtil, est fort clair : Les deux Châtelaines, dont les jolis visages égayent le manoir de Loqueltas, et dont Philippe Darlette, le spirituel artiste, est épris, ce sont : Anne-Marie de Pompery, une très jolie dame, morte il y a quelque deux cents ans, mais dont un pastel déli- cieux a pour toujours gardé le sourire et la jeunesse; et sa très moderne descendante, Monique de Xerver, une jeune dame très vingtième siècle, fervente de l'au- tomobile et même de l'aéroplane et dont les goûts ne séduisent qu'à moitié Philippe. Mais à force d'admirer et de chérir l'aïeule disparue, il s'est pris à aimer son joli souvenir vivant dans sa petite-fille, et, à la faveur d'un accident d'automobile, causé par Monique et qui met Philippe à deux doigts de la mort, ces amoureux JANVIER. — LES ROMANS se réuniront : Monique toujours très moderne, tempé- rera un peu ses ardeurs sportives, et tous deux seront heureux sous les yeux; bienveillants et malicieux de la gracieuse aïeule. PIERRE REY Jacques Tissier, marsouin. « Ce mince volume, nous dit Tauteur, n'a pas la pré- tention d'être un livre à thèse ». Je crois bien ! Il vaut singulièrement mieux que cela : c'est un livre vivant et humain où s'évoquent très simplement l'âme d'un petit soldat colonial, la vie de ces « broussards » magni- fiques qui ont tant fait pour la gloire, le prestige, la force de notre pays. Si une thèse se dégage de ce livre; si, après l'avoir lu, vous êtes un peu mieux fixé sur le sens de ce grand mot : la vocation, dont on se sert un peu à tortf et à travers, c'est tout naturellement, sans que l'auteur ait voulu vous donner une leçon, ni prétendre vous faire un cours; c'est parce que Jacques Tissier est un être réel, qu'il incarne à merveille ces types héroïques des soldats de la « division bleue » de Bazeilles qui vou- lut, il y a quarante ans, garder ses provinces à la France et qui aujourd'hui lui gagne, au delà des mers, d'immenses territoires. Et l'aventure de Jacques Tissier qui, après avoir tant lutté, tant souffert dans la brousse, retourne au pays, trouve le bonheur calme et tendre dont il a jadis rêvé et ne peut s'empêcher de songer dans ce repos et dans cette joie, auprès de la femme aimée et de la mère tendi^ement chérie, aux nouveaux départs, aux nouveuax exils, c'est l'aventure commune de tous ces héros, et elle est émouvante, et belle, et réconfor- fante... 6 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE GYP La bonne fortune de Toto. Le nom de Gyp, ce joli nom sonore et bref qui résonne comme un défi et comme un soufflet — oh ! un gentil soufflet, appliqué par une petite main finement gantée — et que de savoureux dialogues ont rendu fameux dans le monde, apparaît une fois de plus sur la couver- ture d'un livre : la Bonne fortune de Toto. Il est char- mant, ce roman dialogué, étincelant de cette verve si particulière, de cet esprit endiablé, de cette crânerîe qui sont la marque du talent de Gyp ; il est animé de la seule haine qui puisse trouver définitivement place dans le cœur de l'écrivain : celle du ridicule. Contre ce ridicule, Gyp a conservé toute l'ardeur cavalière du temps où il tuait en France — ce temps est passé, hélas ! car nous connaissons tous, en notre beau pays, quelques personnes fort ridicules et qui se portent le mieux du monde. Du moins, elles n'échap- pent pas à la verve de Gyp, et c'est déjà quelque chose : cette fois, le spirituel écrivain a pris à partie les jeunes fêtards, épaves d'un inaccessible bachot, fort empê- chés de choisir une carrière et qui, entre deux bambo- cheSjS'occupent à sauver la France et à transformer la société; et c'est amusant, cruel et bon enfant. LÉON THÉVENIN Laurence Bontemps. Animé d'un très pur idéalisme, le roman que M. Léon Thévenin a publié sous le titre : Laurence Bon- JANVIER. — LES ROMANS 7 temps, nous raconte un épisode émouvant du drame éternel qui met aux prises la passion du devoir et celle de Tamour. Le devoir de Laurence Bontemps, elle se l'est imposé à elle-même : cette pure et belle jeune fille a assumé avec toute la ferveur de sq^ âme et toutes les forces de son être la tâche autrefois entreprise par sa mère, celle du sauvetage des enfants. Elle a entendu que, sa mère morte, la « maison des enfants » continuât de prospérer et de gi'andir. Et d'abord elle a magnifiquement réussi dans sa tâche charitable; mais les difficultés sont venues; elle a dû frapper à bien des portes qui se sont fermées devant elle; et puis enfin, elle a rencontré Michel Fer- gan, un jeune homme riche, au cœur sentimental et mélancolique qui a compris, qui lui a promis son con- cours matériel et moral pour sauver l'œuvre. C'était le salut... Ce fut le désastre, car Laurence, touchée de tant de générosité, a tout de suite aimé Michel, et Michel s'est épris éperdument de Laurence, et bientôt les événements ont fait comprendre à la jeune fille que l'amour et la charité ne pourraient pas rester ensemble dans son cœur, que sa tendresse pour Michel ferait tort à son dévouement pour l'œuvre, et, ilésespérée, meurtrie, mais rayonnante de foi en sa mission, elle s'est arrachée aux bras du bien-aimé et elle est retournée toute seule à la « maison des enfants ». Ce drame de conscience que nous sommes parfois tenté de trouver un peu étrange, car l'amour et la cha- rité ne nous paraissent pas si incompatibles, est raconté par M. Léon Thévenin avec des accents émouvants, en une langue simple et facile, sans vaine déclamation. 8 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ALEXANDRE ARNOUX Didier Flaboche. Didier Flaboche est un roman assez difficile à juger : il contient des pages tout à fait remarquables, émou- vantes, d'une haute inspiration et d'un sens profond; et d'autres, où, pour donner l'impression de je ne sais quel réalisme, l'auteur s'est abaissé aux plus déplai- santes trivialités. Il est également fort difficile — pour ne pas dire impossible — à raconter, car il y a dans les aventures de Didier Flaboche, ce grand garçon de Pro- vence qui a quitté ses paysages ensoleillés pour échouer, misérable cabot efflanqué et amaigri, dans une sombre et humide mansarde de Montmartre, tels accidents qui relèvent plutôt du bulletin médical que de la chro- nique littéraire. Quel dommage, vraiment, d'être arrêté ainsi à chaque pas dans le récit que je voudrais vous faire de cette histoire très humaine et souvent très belle, qui se termine par la mort pathétique de Nellie la jeune fille — la vraie jeune fille — qu'aima Didier Flaboche; et par la fin de ce dernier, qui « continuera de respirer, de marcher, de manger, de dormir, mais qui s'agitera désormais dans l'immobile. Nellie seule sera vivante en lui par la tendresse, la certitude et le mystère : il est plus mort qu'elle. Et l'herbe poussera sur lui... » Aussi gênant qu'il soit à raconter, ce roman est l'œuvre d'un écrivain très doué, et je suis bien tranquille, nous aurons à reparler de lui. JANVIER. — LES ROMANS MARGUERITE LEJEUiNE La première blessure. Œuvre délicate, d'une psychologie raffinée, un peu trop tourmentée peut-être et tarabiscotée, mais qui témoigne d'une très rare faculté d'observation. Colette Le Bel, l'héroïne du livre, est 'une jeune femme gracieuse, honnête certes, mais qui, malgré le souci d'un enfant qu'elle aime tendrement, est assez sujette à s'ennuyer et à s'attendrir sur son sort. Lors- qu'une femme de ce genre a pour mari un enseigne de vaisseau en croisière sur les côtes du Maroc, et qu'elle- même habite Le Havre, les pires dangers sont à craindre. Colette les côtoie; elle va, en compagnie de Mi- chel Lorrain, jusqu'à l'extrême bord du précipice, mais l'arrivée opportune de son mari la sauve pour le présent sinon pour l'avenir. Il l'emmènera désormais avec lui, ce qui sera, je pense, une utile précaution; et et c'est la « première blessure », une blessure qui n'est pas mortelle et qui laisse pour l'avenir quelque espoir de guérison avec quelques chances de rechute. En tout cas, l'enseigne de vaisseau n'a, je pense, plus rien à craindre de Michel Lorrain, puisque, ainsi que le dit le délicat poète Charles Dumas dans des vers cités par l'auteur : Puisque nous partirons, puisque sans nous connaître Nous oublierons nos voix, nos yeux et nos regards. 1. HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS FRÉDÉRIC MASSON Petites Histoires. C'est la deuxième série des études historiques que M. Frédéric Masson intitule modestement Petites Histoires^ ce titre est d'ailleurs parfaitement choisi, et il convient beaucoup mieux à ces vingt chapitres que celui d'études historiques employé par moi. Sans doute, il n'est pas une de ces pages captivantes, pit- toresques et nerveuses qui ne porte la trace d'une longue et patiente étude, où n'apparaisse cette science historique admirable que possède M. Frédéric Masson; seulement il a mis sa coquetterie à nous prouver une fois de plus. qu'il n'était pas seulement un historien très érudit, mais aussi un conteur très agréable; il a, si j'ose dire, déposé ses lauriers et ses palmes vertes au seuil de son livre, pour venir nous entretenir familliè- rement des choses du passé, au hasard d'un anniver- saire, d'une actualité, d'une polémique; et c'est palpi- tant d'intérêt et de vie. La poussière qui depuis un siècle recouvre les docu- ments est dispersée aux quatre vents : ils prennent un air de pièces à convictions dans des procès dont nous vivons les péripéties; et, sous la plume ardente de l'his- torien, la journée du 10 août 1792, la conspiration des gardes d'honneur, le pillage et la destruction de Chan- tilly (1789-1799), tant d'autres petits événements de la grande histoire nous apparaissent comme des faits contemporains dont nous serions les témoins émus, JANVIER. HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 11 passionnés ou exaspérés, — et toujours prodigieuse- ment amusés. C'est l'art de M. Frédéric Masson de savoir ainsi galvaniser l'histoire, et faire jouer à ses lecteurs un rôle dans les drames et dans les comédies qu'il évoque. Il n'est pas, tant s'en faut, un historien impartial — et il se vante à juste titre de ne l'être pas — comment ( oncilierait-il une froide impartialité avec les géné- reuses et ardentes passions dont il est animé? mais il reste toujours un historien sincère et prodigieusement instruit; il défend avec une combative ardeur ses opi- nions et ses convictions, mais il respecte toujours scrupuleusement ses documents, et cela lui donne • [uelque droit à traiter tantôt avec dédain, tantôt avec colère les contradicteurs qui, non contents de contes- ter ses conclusions — ce qui leur est évidemment per- mis — mettent en doute sa bonne foi et la sûreté de ses informations. Et je vous prie de croire qu'il use de ce droit dans la préface de son livre où il répond avec verdeur à ses adversaires, et dans tels de ses chapitres, celui notam- ment du général Lecourbe où ce « héros républicain » passe un assez mauvais quart d'heure, et celui de l'af- faire Naundorfî à laquelle il semble bien que sa dis- cussion si lumineuse devrait mettre le point final; mais n'en croyons rien : l'affaire Naundorfî ne sera jamais finie et, toute la vie, j'aurai à vous parler des défenseurs de la survivance auxquels, inlassablement, |ps historiens voudront répondre... LIEUTENANT-COLONEL ERNEST PICARD Sedan. Le lieutenant-colonel d'artillerie breveté Ernest Picard, qui a entrepris en des pages tout à la fois 12 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE si froides, si savantes et d'une si émouvante éloquence, l'histoire de 1870, arrive aujourd'hui au fait capital de cette douloureuse histoire, à « Sedan ». Sedan ! Ce nom tragique s'étale sur deux volumes : il n'en a pas fallu moins à M. Ernest Picard pour refaire l'historique de cette inoubliable catastrophe, pour essayer d'en démêler les causes obscures, d'expliquer tant de choses inexplicables. Cette défaite est, sans doute, la plus humiliante qu'ait jamais subie l'armée française, et c'est pour cela que nous ne devons jamais l'oublier, ne fût-ce que pour éviter le retour d'un pareil malheur. Avec la même impartialité, la même rigueur que dans ses précédents volumes, l'auteur s'est efforcé d'étudier les causes du désastre, de faire ressortir les enseignements de la défaite, et aussi de déterminer les responsabilités qui incombent, à des degrés divers, selon lui, à l'Impératrice, au maréchal Mac-Mahon, au général Wimpfîen. Après tant d'amertumes évoquées, tant de fautes dénoncées, le lieutenant-colonel fait appel à notre optimisme. « Cessons, dit-il, d'avoir l'âme de vaincus, n'oublions pas surtout qu'une des causes essentielles de nos défaites résida dans la méconnaissance de la valeur matérielle et morale de l'offensive : faire la guerre, c'est, suivant la tradition française, non point se défendre, mais attaquer. » G. NOËL Au temps des Volontaires (1792). M. G. Noël a réuni les Lettres d'un volontaire de 1792 : Gabriel Noël, né le 28 mai 1770 à Nancy, rue Neuve-Sainte-Catherine. C'est, sur cette magnifique et JANVIER. HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 13 dramatique époque, sur cette épopée militaire, qui va de 1792 à 1796, si exploitée par les historiens et par les éditeurs de Mémoires, — un document d'un intérêt tout à fait nouveau. En effet, les lettres du volontaire Noël retrouvées par son descendant ne sont pas les lettres « d'un personnage officiel, même secondaire, toujours discret sur certains points, obscur sur d'autres, muet sur le côté vivant, réel et pittoresque des évé- nements », mais les lettres familières d'un simple sol- dat qui raconte une bataille le soir où elle a eu lieu, une marche le jour où elle s'est faite. Et, chose admirable, ce soldat si bien placé pour tout voir, assez humble pour être sincère, est un homme instruit, libre de sa pensée et de son jugement. Et voilà pourquoi ce document est singulièrement précieux et fait pour nous donner une impression tout à fait nouvelle et vivante ; nous avons eu des mémoires de généraux et de diplomates, on nous a offert des arrangements, des adaptations de carnets de route rédigés par des soldats illettrés, mais nous n'avons presque jamais encore lu un récit direct, écrit par un soldat, et pour cause, « très peu de simples soldats en ce temps-là, comme en tous les temps, ont eu le goût d'observer, le talent de rédiger, le courage et l'éner- gie physique, même d'écrire chaque jour ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont éprouvé. » EMILE BERGERAT Souvenirs d'un Enfant de Paris « La^phase criticLue de la critique » (1972-1880). M. Emile Bergerat poursuit la publication des Sou- venirs d'un Enfant de Paris. Vous n'avez pas oublié le volume paru l'an dernier, où l'écrivain évoquait avec 14 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE tant de verve « les Années de Bohème ». Le second volume, qui porte ce sous-titre : « la Phase critique de la critique », nous raconte neuf années de cette existence d'un Parisien et de la vie de Paris, de 1782 à 1880. Il est étincelant ce livre, et j'ai pris à sa lecture un plai- sir que je voudrais savoir vous exprimer, dont je vou- drais pouvoir vous donner un avant-goût : c'est émouvant, c'est instructif et, par-dessus tout, c'est si amusant ! Emile Bergerat est un merveilleux journa- liste : il a le don de la jeunesse éternelle, il vivifie tout ce qu'il touche; et, avec une bonhomie souriante, il nous rend les boulevards, les cafés, les théâtres, tout le Paris d'autrefois; il ressuscite les grands morts : les Paul Arène, les Glatigny, les Armand Silvestre, les Rops, les Monselet, les Vallès; d'un coup de baguette magique, il rajeunit les grands vivants, comme Ana- tole France, et les replace dans le cadre de leurs pre- mières années, de leurs premiers succès. C'est un document vivant, l'œuvre, je le répète, d'un grand journaliste qui se donne le luxe, en même temps, d'être un parfait écrivain; car ces pages si prestes, si alertes, qui semblent avoir été composées sur un coin de table, au hasard du souvenir, sont déli- cieusement écrites, les mots y sont rangés avec un art délicat et c'est vraiment un pur régal de lettré. Les hommes de ma génération qui ont entrevu la plupart des figures évoquées par Emile Bergerat, de ses illustres « compagnons d'armes »; qui, dans leur jeunesse, ont écouté avidement à la table de famille quelques-unes de ces mille anecdotes, les retrouvent dans ce livre avec de la joie, de l'émotion et un peu de mélancolie; et les autres, les jeunes, qui nous suivent, ceux de la petite classe, apprendront à y connaître le Paris littéraire et artistique d'autrefois, qui possédait, peut-être — on peut bien le dire sans être un laudator temporis acti — quelques qualités de race, d'allure, et de générosité assez peu fréquentes aujourd'hui. JANVIER. HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 15 VICOMTE EUGÈNE MELGHIOR DE VOGUE Pages choisies. Au lendemain de cette triomphale séance acadé- mique où M. le comte de Mun évoqua, en un si magni- fique langage, la noble figure du vicomte Eugène Mel- chior de Vogiié, le plus précis et le plus utile hom- mage fut apporté à ce probe et grand écrivain, la publication des Pages choisies de son œuvre. Et ces pages sont choisies avec un si heureux discernement qu'elles donnent une impression très vivante, très complète, très synthétique, de l'homme et de Técrivain. Toute son œuvre, si considérable, si ample, si variée; toute sa vie si noble, et si pleine, passent dans ces quatre cents pages; rien d'essentiel n'y est omis, et les g«ms pressés de notre génération, qui ne savent plus lire et qui n'auront pas eu le loisir ni la joie de dégus- ter les vingt volumes de Vogiié, pourront tout de même ' "nnaitre ce grand écrivain : ils retrouveront dans - pages « l'enfant et l'adolescent, le voyageur et le )lomate, le philosophe et l'historien, le critique, le !i lancier et le sociologue, et l'orateur académique ». Ils comprendront ainsi le sens de l'œuvre à laquelle M. Paul Bourget consacre, en préface, une étude émou- iite et profonde où il exalte la « probité de Vogiié », épigraphe qui convient à toute l'œuvre d'Eugène- Alelchior de Vogiié, qui en ramasse, dans une définition intime, toutes les vertus de conscience, qui sont vrai- ment, toute l'âme de son œuvre et l'éloge que son cœur fier eût souhaité par-dessus tous les autres ». 16 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE JULIEN DE NARFON La Séparation des Églises et de l'État. Lecteurs frivoles, ne vous arrêtez pas à la sévérité de ce titre, ni à l'austérité de la « Bii)liothèque géné- rale des sciences sociales » dont se réclame le livre; c'est une œuvre palpitante de vie, d'émotion et de vérité, qui vous intéressera passionnément de la première page à la dernière, et qui, chemin faisant, vous aura édifiés complètement sur l'événement moral et social le plus important, le plus gros de conséquences, de notre histoire contemporaine. Ce n'est pas aux lecteurs du Figaro qu'il pouvait être nécessaire de vanter la science religieuse, la foi et la bonne foi de M. Julien de Narfon : ils l'apprécient chaque jour dans ce journal où notre collaborateur met un si beau talent littéraire au service de ses idées. Jamais cependant toutes ses qualités ne se sont manifestées plus brillamment que dans le livre où l'écrivain étudie les origines, rappelle les étapes, établit le bilan de la séparation. Cette triple tâche d'historien, de journaliste et de philosophe, M. Julien de Narfon s'en est acquitté magistralement; avec un constant souci de la vérité, avec une impartialité qu'il est impossible de contester, il a évoqué le passé, raconté les événements que nous avons vécus, analysé leurs conséquences immédiates, et tenté de prévoir leurs conséquences lointaines. Et cela est très émouvant, et très instructif. Ses jugements, très modérés dans la forme, très nets dans le fond, sont animés d'un grand esprit de libé- ralisme et d'une foi profonde. Avec Une belle loyauté, une vaillante indépendance, il a su dans ce livre, comme il le fait dans ce journal, concilier ces deux MÉMENTO DU MOIS DE JANVIER 17 sentiments, et comme jadis Montalembert, il a « servi avec une foi invincible et un inlassable dévouement Dieu et la liberté ». Il lui a souvent fallu pour cela beaucoup de courage, mais on sait de reste qu'il n'en manque pas, non plus que de confiance dans l'avenir : «nous devons, dit-il, attendre qu'il plaise à la Provi- dence de relever l'Eglise de France, l'heure du relève- ment viendra ! » MÉMENTO DU MOIS DE JANVIER ROMANS Barrière (Maurice). — Le Maître de VOmhre. Béarn (Andrée). — Jean Darette. Blanc (Yves). — Histoire de la Maison de VEspine. Blech (Aimée). — Ombres et Lumières, « contes et nouvelles théosophiques ». Elles sont émouvantes et jolies, ces his- toires mystiques, immatérielles, où la sagesse, la bonté, la vertu se révèlent aux hommes en des songes et des visions. Et c'est, à la faveur d'une touchante nouvelle, une subtile distinction entre la robe d'innocence et la robe de pureté ; c'est, dans un dialogue entre deux petits orphelins, la révé- lation, par un rêve, que la Maman perdue est toujours présente, et bien d'autres choses encore toutes pleines de sagesse et de divinité. Bonmariage (Sylvain). — Le Cœur et la Vie. Boucher (D'"). — Nouvelles et Contes de Bêtes. Brydon (Joseph). — Dans VOmhre d'un Cœur. Buxy (B. de.). — Le Lys en otage. Cathlin (Léon). — Un Prêtre. Dacre (Ferdinand). — L^ Heure critique. — L'auteur dont j'ai salué jadis un très beau livre, la Race, et plus récemment un roman qui constitue un émouvant plaidoyer, Traîneurs de sabre, nous offre aujourd'hui un recueil de nouvelles réunies sous le titre de la première, V Heure critique ; his- toire émouvante d'une rupture, évocation d'une belle figure de femme qui se résigne noblement à l'inévitable déchirement et favorise elle-même l'union de celui qu'elle aime avec une jeime fille qui fera son bonheur. Une ving- taine d'autres nouvelles lui font suite, tour à tour émou- vantes, verveuses et dramatiques, où évoluent souvent 18 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE des officiers dont M. Ferdinand Dacre connaît très bien l'âme et les sentiments, et c'est un livre intéressant et d'une fort af^éable lecture. Dervieu (Robert). — Les Petites Filles d'une grande nuit. Ce sont des nouvelles tout à fait jolies et délicates, où l'on retrouve souvent un peu de cette grâce mystique qui m'avait tant séduit dans le premier roman de l'écrivain : le Couvent des Orfèvres. Ces petites histoires, rapidement contées en un prose légère, et si différentes l'une de l'autre, affirment très joliment la souplesse du talent de M. Dervieu. '■'] Labeur (François). — Jean Klein, légionnaire. Lafage (Léon). — Le Bel Ecu de Jean Clochepin. Laurent (Charles). — UEtnpereur s''amuse. Mareil (Maurice). — Mytilène, île d'amour. Mimande (Paul). — Les Chemins tortueux. Perrault (Pierre). — L'Histoire d'un jour. Stratz (Rodolphe). — La Mort blanche, roman traduit de l'alle- mand par M. E.-B. Lang. HISTOIRE. — LITTERATURE THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS Avancourt (Comtesse Jean d'). — Le Poème du Silence. Banville (Théodore de). — Choix de poésies. Après avoir relu ces choses exquises, d'un art si français, si spontané, si délicat, on se prend à regretter que ce choix, pourtant si copieux, ne le soit pas davantage. Telle qu'elle est, cette anthologie peut cependant apparaître assez complète : elle a nécessairement laissé de côté bien des jolies choses, elle nous offre tout de même ce qu'il y a de plus pur, de plus charmant, de plus spirituel et de plus parfait, dans les Odelettes, les Odes funambulesques, les Cariatides, les Rondelles, les Occidentales, etc. Barre (André). — Le Symbolisme. « Essai historique sur le mou- vement poétique en France de 1885 à 1890 », suivi d'une bibliographie de la poésie contemporaine. Bouchor (Maurice). — Nouveaux Contes populaires, transcrits et rimes selon la tradition. Cauzons (Th. de). — Histoire de la Magie et de la Sorcellerie en France. 4°^^ et dernier volume. Collas (Georges). — Un Poète protecteur des lettres au XVII^ siè- cle : Jean Chapelain. 1595-1674. Cornaz (Roger). — Le Trianon de porcelaine, poésies. Danan (Alexis). — Le Berger de Bagdad. Deperrois (Marie-Louise). — Bruines et Rosées, poésies. Desbordes -Valmore (Marceline). — Lettres inédites. Edition publiée par M. Boyer d'Agen des lettres réunies par Hippolyte Valmore, fils de l'auteur. ; Desbruyères (Marie). — Sous les Pins, poèmes. MÉMENTO DU MOIS DE JANVIER 19 Doublet (Greorges). — Godeau, évêque de Grasse et de Vence. (1605-1672.) Dromart (^larie-Louise). — Le Front voilé, poèmes. Dumont (Victor). — Les Joyaux sous la lampe, poésies. Dureng (Jean). — Le Duc de Bourbon et l'Angleterre (1723-1726) d'après des documents inédits. — La Mission de Théodore Chevignard de Chavigny en Allema- gne, septembre 1726-octobre 1731, d'après des documents inédits et sa correspondance conservée aux archives du ministère des affaires étrangères. Dutil (Léon). — Lettres inédites de M"^® de Mondonville, fonda- trice de l'Institut de l'Enfance, suivies de fragments de ses mémoires (1655-1697). En épigraphe, l'auteur a inscrit ces sages paroles de E. Lavisse : « Négliger les choses reli- gieuses du x\^I® siècle ou les estimer petitement, c'est ne pas comprendre l'histoire de ce siècle, c'est ne pas le sen- tir. » Êtat-Major général de l'Armée. — La Guerre Russo-Japonaise. Du début des opérations à la bataille de Wafong Kéou. (Suite.) Eyris (Marcelle). — La Merveilleuse Tristesse, poésies. Flammarion (Camile). — Annuaire astronomique et météoro- logique pour 1912. Franklin (Alfred). — Christine de Suède et V assassinat de Monal- deschi au Château de Fontainebleau, d'après trois relations contemporaines. Fresnay (G. du). — Empreintes, poésies. Gaubert Saint-Martial (Raoul), — Les Trains qu'a pris Jean Plomb, poésies. Geffroy (Gustave). — Florence. Giraud (Victor). — Nouvelles études sur Chateaubriand, «essais d'histoire morale et littéraire ». ' lignet (Manuel). — Saint Grégoire de Naziance, orateur et épis- tolier. ' linot (Henri). — Au détour du Chemin, poésies. Havard (Oscar). — Toulon, le premier volume très copieux, très documenté, d'une « Histoire de la Pvévolution dans les ports de guerre ». M' (Y. d'). — Un prince contemporain : Ferdinand Philippe d'Orléans, un volume préfacé par M. Paul Bourget. iiionon (Ernest). — Naples et son golfe, des pages pittores- ques, illustrées de magnifiques gravures. Je vous ai signalé naguère un volume du même écrivain où Naples était étu- diée au point de vue social, et voilà qui nous démontre que les sociologues eux-mêmes ont aussi des yeux pour voir et pour admirer les merveilles de la nature et de l'art. Lieutier (Paul). — Le Beau Jardin, poèmes. Lucas (Wilfrid). — Les Roses s'ouvrent, poésies. Marmottan (Paul). — M^^ de Genlis et la grande-duchesse Misa (1811-1813). Série de lettres inédites fort curieuses éclairant la figure si discutée de M™« de Genlis. L'auteur fait pré- céder ces lettres d'une étude tout à fait attrayante et ori- ginale. 20 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Michel (André). — Histoire de VArt depuis les premiers temps chrétiens jusqu'à nos jours, IV™^ volume : La Renaissance. Motey (Vicomte du). — Un héros de la Grande Armée : Jean- Gaspard Hulot de Collart, officier supérieur d'artillerie (1780-1854), d'après ses lettres de service, notes, corr' pondance. Pasolini (Pier-Desiderio). — Une héroïne de la Renaissan'^ italienne : Catherine Sforza (1463-1509). Ouvrage traduit par M. Marc Hélys. Pellissier (G.). — Le XVII I^ siècle par les textes, des « morceaux choisis » fort bien choisis. Philippe (Charles-Louis). — Lettres de jeunesse de Charles- Louis Philippe à Henri Vandeputte. Elles sont admirables, ces lettres, d'émotion profonde, de puissance, de fraîcheur, et de simplicité, avec des envolées sublimes, des mélanco- lies et des désespérances déchirantes, et, lorsqu'on sonpo qu'elles furent écrites à un ami intime, pour lui seul, on se rend compte mieux encore combien l'œuvre écrite par Charles-Louis Philippe poiir le public fut sincère, combien son génie fut direct, immédiat, spontané. Quentin-Bauchart. — Les Musées municipaux. Un bel ouvrage où sont décrits ce Petit Palais, ce musée Galliera, ce musée Carnavalet, ce musée Cernuschi, ce musée Victor-Hugo et ce dépôt d'Auteuil qui constituent les inappréciables richesses de notre Ville de Paris. Renard (Commandant Paul). — Le Vol mécanique et les Aéro- planes. Sabatier (Paul). — L'Orientation religieuse de la France actuelle. Ce livre, d'une sérieuse documentation, est écrit dans un esprit très philosophique : l'auteur recherche, nous dit-on, « dans l'attitude de l'Eglise et dans celle de l'antireligion qui a suivi en France la guerre de 1870, les circonstances déterminantes de l'orientation religieuse actuelle. Il con- fronte cette orientation avec la philosophie contemporaine, en établit le caractère essentiellement français; il en suit les manifestations dans l'art et dans la littérature, puis dans le catholicisme, dans le protestantisme et dans la libre-pensée. Il la montre enfin s'incarnant dans la créa- tion de l'école laïqvie, dans l'effort laïque vers une morale efficace et solidement constituée ». Saint-Foix (de). — Voir de Wyzewa. Skouffo (Aler). — Les Olympiennes. Des poèmes offerts aux mânes chéris du pof'te harmonieux que la Terreur déca- pita, à André Chénier. Thomas. — Correspondance générale de Chateaubriand, avec une introduction et des notes. Tort (Jean-Paul). — La Veillée solitaire, poèmes. Ulrich (Albert). — Guillaume Tell (traduction en vers des cinq actes de Schiller). Valléry-Radot (René). — Le Docteur Jean Binot, chef de labora- toire à V Institut Pasteur. Très simplement, l'auteur raconte cette belle vie de^travail, de dévouement,'de modestie ; il en note chaque étape jusqu'à la dernière, si douloureuse. MEMENTO DU MOIS DE JANVIER 21 si soudaine, « lorsque nous le vîmes pour la dernière fois, couché par la mort, les yeux demi clos, le visage calme, les mains, ses mains si adroites et si cordiales, pour toujours inertes. » Et c'est très doucement, très noblement émou- vant). Wilde (Oscar). — Poèmes en proses (traduction de M. Greor- _ ges BazUe). Wyzewa (de) et de Saint-Foix. — W.-A. Mozart, sa vie musi- cale et son œuvre, « de l'enfance à la pleine maturité, 1756 à 1777 », essai de biographie critique, suivi d'un nouveau catalogue chronologique de l'œuvre complète du maître. FEVRIER LES ROMANS VICTOR MARGUERITTE Les Frontières du Cœur. Le sentiment national qui, en ces derniers temps, s'est affirmé dans notre pays avec une si simple, si émouvante et si noble intensité, se manifeste de plus en plus vigoureusement dans notre littérature. Réveil nécessaire ! Sans avoir jamais complètement failli à sa tâche française, notre littérature ne la poursuivait plus avec une suffisante vigueur; elle s'était trop laissée pénétrer par les poisons mortels du pacifisme à tout prix, de je ne sais quelle fallacieuse fraternité. Elle s'est reprise depuis quelque temps et il n'est presque pas de semaine où je n'aie à signaler ici quelque œuvre : histoire, roman, philosophie, où s'affirment les droits, les traditions, les devoirs français. Celle qui parait aujourd'hui, les Frontières du cœur, mérite un grand retentissement. Son auteur, M. Vic- tor Margueritte, peut se rendre le témoignage qu'il n'a pas attendu le mouvement actuel : en collaboration avec son frère, Paul Margueritte, il a publié ce beau roman : le Désastre, où palpite l'âme de la Patrie mutilée et meurtrie, où sont évoquées impitoyable- FÉVRIER. — LÉS ROMANS 23 ment toutes les étapes de TAnnée terrible. Evocation douloureuse et nécessaire : n'est-ce pas en revivant, en étudiant sans cesse la défaite que nous appren- drons, selon la forte parole du lieutenant -colonel Picard, « à n'avoir plus des âmes de vaincus »? Dans son nouveau roman, IM. Victor Margueritte traite le même sujet, il peint avec les mêmes couleurs le tableau du désastre ; mais ce ne sont plus de grands personnages collectifs : l'armée et la ville de Metz ; c'est un homme et une femme, c'est le drame d'un foyer. Enfermée dans ce cadre restreint, la tragédie n'est pas moins formidable; elle est plus directe, plus poignante, plus significative encore. Marthe Ellangé, fille du pro- cureur impérial Ellangé, petite-fille du vieux grognard Jean-Pierre, qui suivit le tondu sur toutes les routes d'Europe, a, malgré les conseils de son père, malgré la réprobation de ses frères Jacques, le lieutenant, et Louis, l'étudiant en droit, épousé, en 1687, Otto Rud- heimer, un brave et excellent médecin hessois qu'elle aime très tendrement et qui, par toutes ses qualités morales et intellectuelles, mérite son amour. Elle est partie avec lui à Marbourg, et là, dans la petite ville allemande, en compagnie de son institu- trice Frida Lehmann, enchantée de ramener chez elle la petite Française, elle a vécu des jours heureux, elle s'est adaptée au milieu, elle a négligé, presque oublié les siens, laissés à Amiens. Ce calme bonheur dure depuis trois ans; il atteindra bientôt à son comble par la venue d'un enfant qui, déjà, palpite dans ses flancs. Au printemps de 1870, le jeune ménage a décidé, après un voyage en Italie, de faire un séjour à Amiens pour revoir les parents si longtemps délaissés. Et les événements se précipitent : la guerre est N'clarée. Marthe, toute pleine d'angoisse, assiste au part de son frère Jacques, à celui de son mari, appe- ^ dans les deux armées ennemies; elle sent peser sur le, sur eux, la tragique fatalité. Et c'est le désastre, 24 LE MOUVEMENT tltT^RAittË les nouvelles terribles qui se succèdent avec rapidité; c'est son frère aîné tué, son frère cadet dangereusement blessé, son grand-père foudroyé par la nouvelle de Sedan, cependant que, Téchéance arrivée, elle met au monde le petit Hermann. Marthe alors comprend toute Tiiorreur de sa situa- tion, mais elle n'hésite pas : Française elle est née, Française elle restera et son petit ne sera pas un Prus- sien, il sera le petit Français Jean-Pierre. Elle com- prend l'impiété du hideux sophisme : ubi bene ibi Patria. Son mari qu'elle a tant aimé, elle se sent inca- pable désormais de vivre auprès de lui, elle le lui dit durement, inexorablement, et tout en songeant que cet homme généreux et bon ne mérite pas un si dur trai- tement, nous éprouvons un grand soulagement. Bravo, la petite Française ! Vous êtes peut-être injuste envers un homme, mais vous faites votre devoir envers la race, envers la Patrie. Et Otto s'incline douloureusement, rageusement; il sent que jamais, jamais plus, cette Française ne lui appartiendra. Il lui rend sa liberté, il lui laisse même, pour les premières années, l'enfant né de leur amour; après, on verra. Il essaiera de le reprendre, et ces êtres qui s'aimèrent si tendrement sont désormais « inexo- rablement séparés, il y a entre eux des murs invisibles; il y a les frontières du cœur, et plus fort que l'amour, le sentiment de la race et de la patrie, au souffle de la guerre, a balayé le passé. Devant eux s'étend, ainsi qu'une terre disputée, le lointain avenir de leur fils ». Et c'est un drame pathétique et terrible, un drame vrai, un drame humain. M. Victor Margueritte l'a évoqué avec loyauté, avec rigueur, avec sincérité, et la grande leçon qui s'en dégage, il n'a pas besoin de nous la dire : elle s'impose à nous. FÉVRIER. — - LÈS ROMANS 25 LUCIE DELARUE-MARDRUS La monnaie de Singe. La Monnaie de Singe que M^^e Lucie Delarue-Mar- drus dénonce à notre mépris, cette monnaie illusoire et fallacieuse qui n'a pas cours, c'est la seule que dis- tribuent aux pauvres assoiffés de tendresse et de sin- cérité, les personnes civilisées et bien élevées. Ce n'est pas une nouveauté, cette dénonciation; mais M"^® Lu- cie Delarue-Mardrus a trouvé une formule nouvelle, créé une figure d'une intense originalité pour nous montrer ce contraste émouvant de la nature franche, loyale, spontanée et de la sournoise civilisation. La petite Alfreda Stewil, sur la naissance de qui pèse un tragique mystère, fille d'un anglais d'origine française et d'une musulmane du Sahara, a grandi dans l'extrême sud de la Tunisie, en pleine liberté, en pleine indépendance, sauvageonne éprise de l'Islam et qui s'en va à travers les forêts de la Kroumirie au galop de son petit cheval arabe. Elle est délicieuse, cette jeune fille avec sa peau bistrée, ses prunelles fauves et ses cheveux ardents, elle a l'air d'une petite idole de la nature, tout en or; elle se croit très laide. Georges Ménissier, un garçon de seize ans, fils d'un des rares Français installés là-bas, le lui a dit entre lutres aménités, car ils se détestent : les parents de Ménissier très européens, très rigides, méprisent cette petite « arabicote » et la petite Alfreda a horreur de <^es ennemis de l'Islam. A force de se détester ils se -ont mis à s'adorer et c'est un déchirement pour Georges lorsque Alfreda, son père mort, doit partir pour la France, chez sa tante M^^e Antin. La voilà brusquement, la petite sauvage, jetée en pleine civilisation, en plein monde, à "Saint-Germain 26 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE d'abord, à Paris ensuite; sa beauté, sa jeunesse, sa spontanéité, lui font des ennemis innombrables. Ce petit être qui ne voudrait qu'aimer et se confier, ne rencontre que de l'envie et de l'hypocrisie; ses parents, ses amis, ceux qui l'admirent, ceux qui la désirent, la payent « en monnaie de singe ». Elle est venue à eux avenante et timide, prête à recevoir leurs sourires ; elle leur a apporté tout ce qu'elle avait : sa jeunesse, sa beauté, sa grâce, sa loyauté, son passé d'enfant riche de liberté, d'innocence, de grand air, de beaux aspects, riche de tendresse, riche d'amour. En échange, qu'a- t-elle reçu? Les femmes lui ont jeté leur jalousie à la face comme un venin de vipère, et, dès qu'elle est apparue parmi les hommes, ils l'ont enveloppée de leurs désirs bas, autre forme d'outrage. Elle a pris l'horreur de la civilisation qu'elle voyait si belle autre- fois là-bas, dans ses songes de bédouine, elle a pris l'épouvante du monde, et elle repartira au loin, vers le désert, pour retrouver Georges, dont elle n'est plus très sûre d'être digne, pour revivre la vie libre, res- pirer un air pur; et une lueur passe « dans ses yeux de félin, un regard de petit chef arabe en route pour le nomadisme. » GEORGES OHNET La Serre de l'Aigle. M. Georges Ohnet, dont le roman historique : Pour tuer Bonaparte, obtint l'an dernier un si vif succès, publie le second volume de cette série qu'il a intitulée : « La Légende et l'Histoire. » C'est là suite et la fm de l'aventure héroïque vécue par les ennemis de l'Empe- reur; Georges Cadoudal et ses amis sont pris dans la serre de l'aigle et ils meurent, non sans noblesse, en FÉVRIER. LES ROMANS 27 criant : « Vive le Roi ! », mais après quelles péripéties, quelles batailles ! où bien des fois les conspirateurs ont failli tenir la victoire. Elles sont palpitantes ces péripéties. M. Georges Ohnet les a, pour la plupart, empruntées à la réalité. Il a, comme dans son précédent volume, scrupuleuseemnt suivi rhistoire dans l'évocation des héros consacrés tels que : l'Empereur, Gadoudal, Pichegru, Moreau, M"e George, Fouché, le duc d'Engbien. Et puis, avec infiniment d'adresse, avec une très heureuse imagina- tion, il a mêlé la légende à l'histoire, campé des per- sonnages très vraisemblables qui sont tout à fait dans la note et dans le ton, et dont les aventures person- nelles rentrent à merveille dans le cadre historique, ot c'est la perfide comtesse de Montmoran, l'amie de Gadoudal, victime finalement de ses trahisons, et Georgeret, le munitionnaire aux armées de Bonaparte, et aussi nos vieilles connaissances : le bonnetier Lere- bourg et le policier Braconneau. C'est au plus haut point amusant et vivant, c'est du très bon roman historique, et c'est, à mon sens, bien supérieur à ces Batailles de la vie qui valurent à M. Georges Ohnet une si grande popularité. HENRY BORDEAUX La neige sur les pas. M. Henry Bordeaux exalte dans ce roman la noble loi du pardon et de l'oubli qui permet de reconstruire sur des ruines. Seulement ce pardon, selon l'auteur doit, pour n'avilir personne, être d'inspiration divine. L'histoire est très simple : Marc Romenay, le célèbre architecte, a été trompé par sa femme, Thérèse, qui ^'est enfuie en Suisse avec son amant, et puis, un jour, 28 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE une dépêche l'a appelé au Grand Saint-Bernard : Thérèse, victime d'un accident de montagne, agonisait à l'hospice. Avec sa petite fille, Marc s'est rendu auprès de la blessée que des soins ont pu rappeler à la vie et sauver, et, après une lutte pathétique, il s*est décidé à pardonner : sa femme rentre au foyer ranimé. C'est après le « triomphe de l'amour », le « triomphe de la vie ». Cette histoire dont je ne vous ai donné qu'une informe et schématique impression, est très belle; j'en ai beaucoup aimé la généreuse inspiration : en même temps qu'elle proclame la divine nécessité du pardon, la noblesse des paroles qui suppriment l'irréparable, qui « effacent comme la neige tombée sur les empreintes des pas »; elle affirme la victoire de la vie, de « la vie sans cesse agissante, dure et volontaire comme une troupe en marche, et qui du passé même se sert comme de matériaux pour reconstruire, la vie avec son besoin d'ordre et son éloignement naturel pour tout ce qui bouleverse cet ordre, ses possibilités de grandeur et de perfection, son éternelle poursuite de la paix à travers la guerre. » ALBERT BOISSIÈRE Le Jeu de flèches. Le Jeu de flèches, dont M. Albert Boissière nous conte les émouvantes péripéties, c'est le jeu cruel et vieux comme le monde auquel se livre un certain petit dieu nommé Eros avec, comme partenaires, — ou plutôt comme adversaires — les belles dames qui passent et les hommes qui les regardent sans penser à mal. Les facéties burlesques ou terribles du dieu malin ont tant de fois, et depuis si longtemps, sollicité la FÉVRIER. — LES ROMANS 29 verve et rimagination des romanciers qu'il est assez difficile d'éviter la banalité dans le récit de ses méfaits. Ce péril, M. Albert Boissière nous a très finement indiqué qu'il le connaissait en plaçant au prologue et à l'épilogue de son roman, une gentille statuette en biscuit de Sèvres où le mauvais petit garçon est repré- senté avec tous ses attributs traditionnels : ses ailes dans le dos, son sourire aux lèvres, ses flèches mena- çantes dans sa menotte, et il nous a prouvé une fois de plus que, malgi'é son apparente banalité, cette statue recelait tout le sens de notre pauvre humanité, toutes ses douleurs, toutes ses colères, toutes ses joies. Il nous a émus au récit des aventures d'Arsène Res- sencourt, qui aime Gisèle Gallais et n'est pas aimé d'elle, qui est aimé de Claire Trefouél et la dédaigne, et qui épouse sans amour Alice Amiot; et ce sont encore, mêlés au drame, Bourgueil, le peintre, et Roger Parot, fantoches très humains que l'amour fait mouvoir et gesticuler douloureusement. Tous et toutes ont reçu leur flèche, mais le tireur maladroit et méchant s'est chaque fois diverti à viser de travers, à percer et à meurtrir des cœurs qu'il eût, avec un peu plus de justesse ou de bienveillance, si délicieusement bles- sés. C'est l'éternelle histoire que nous détestons, et que toujours nous voulons revivre. M. Albert Bois- sière l'a évoquée en un roman où il y a de la passion, de la douceur et de la résignation, écrit dans une langue agréable et familière. PIERRE GOURDON Les Courtagré. Le roman de M. Pierre Gourdon est un de ces livres où, très simplement, les traditions de la famille, de la 2. 30 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE race, de la terre, sont exaltées. On peut différer d'opi- nion sur les moyens, on peut ne point admirer com- plètement la fidélité à des traditions d'autrefois, et revendiquer pour les fils le droit à des convictions qui ne furent pas celles de leur père, mais le principe lui- même, le culte de la famille et de la terre ancestrale est, entre tous, respectable et sacré. Ce culte, il domine tout le roman de M. Gourdon : les épisodes, émouvants d'ailleurs, qui l'animent; les soufi'rances de Marguerite de Courtagré, jalouse de Delphine de Scrmaise qu'elle croit éprise de son mari Henri, les aventures d'Hubert, toutes ces histoires de famille provinciale évoquées avec beaucoup de couleur et de pittoresque, ne sont que l'accessoire; le drame est tout entier dans cette question angoissante : le domaine de Courtagré s'en ira-t-il en lambeaux ou bien cette terre restera-t-elle unie, solide, autour du chef de la famille, du gardien du nom? C'est la dernière hypothèse qui prévaut après des péripéties drama- tiques, contées très simplement et c'est, au dénoue- ment, la victoire du domaine, le salut de la famille. MADAME BOUYER-KARR Pauvres diables. M "^6 Bouyer-Karr, dont j'ai loué, à plusieurs reprises, le robuste et copieux talent, la fruste originalité, publie, un roman : Pauvres diables, où je retrouve les qualités et aussi le très intéressant défaut qui constituent sa personnalité ; ce défaut — trop rare défaut ! — c'est une étonnante abondance d'imagination qui entraîne l'auteur dans l'invention d'une foule de péripéties parmi lesquelles il n'a pas le souci de choisir. La plupart de ces incidents, de ces dramatiques FÉVRIER. LES ROMANS 31 épisodes, sont fort palpitants, mais il y en a trop vrai- ment, et l'intérêt du lecteur sans cesse sollicité, risque à la longue d'être déconcerté. Je l'ai déjà dit, c'est là un beau défaut que je souhaiterais à bien des roman- ciers, mais tout de même, M^^^ Bouyer-Karr aurait intérêt à s'en méfier, et à discipliner un peu sa riche imagination. Tel qu'il est, ce roman, fort intéressant à lire, pré- sente pour moi l'inconvénient majeur d'être à peu près impossible à analyser ; comment pourrais-je, en effet, me débrouiller au milieu de cette théorie de « pauvres diables » que M^^ Bouyer-Karr a fait recueillir et sauver par sa généreuse et noble héroïne M"^ Isabeau Roux? Elle a fort à faire, cette noble femme, au I Milieu de tous ces déshérités qui ne sont pas tous très if'commandables. Quelques-uns ont d'assez fâcheuses actions sur la conscience, la plupart ont dans leur vie des aventures dramatiques et même mélodramatiques ; mais tous sont sacrés par l'infortune. Et, à force de persévérance et de charité intelligente, Isabeau par- vient, sous le ciel clément de la douce Provence, à mettre un peu de bonheur et de paix dans toute cette détresse et à conquérir un inestimable trésor : la « joie mise par elle dans tant de pauvres yeux ». Et cette belle figure de femme, qui domine tout le roman, qui lui donne le sens d'un hymne à la bonté souveraine, suffirait — s'il en était besoin — à plaider et à gagner sa cause. RENÉ PERROUT Goëry Coquart, Bourgeois d'Épinal. La course éperdue que le chroniqueur doit fournir chaque semaine à la poursuite des livres nouveaux qui 32 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE sont si nombreux et qui vont si vite, cette course sans gloire et sans trêve est bien fatigante, plus que n'ima- gine le lecteur bénévole et qui lit pour son plaisir; elle manque parfois d'agrément et il m'arrive d'être tenté de la maudire, mais elle m'apporte, de loin en loin, — de très loin en très loin ! — une joie qui rachète tous les petits ennuis et toutes les grandes fatigues, celle de découvrir une œuvre qui me parait belle, sous un nom inconnu, tout neuf, et d'être le premier à parler de cette œuvre et à prononcer ce nom. Cette joie, je l'ai éprouvée en lisant Goëry Coquart, Bourgeois d'Épinal. L'auteur, M. René Perrout, m'est tout à fait inconnu; je crois bien, malgré les titr< mentionnés d'ouvrages antérieurs, qu'il est également ignoré du public. Le volume qu'il vient de publier doit le mettre en pleine lumière : c'est une œuvre délicieuse d'une pensée subtile, délicate et saine, et d'une rare perfection littéraire. Le sujet du livre, c'est l'histoire d'Épinal aux derniers temps de son indépendance, vers le milieu du xvii^ siècle, lorsque la France s'em- para d'Épinal. L'auteur est animé d'un grand patrio- tisme spinalien : il ne croit pas manquer, en ce ving- tième siècle, à son devoir de français, en nous disant les tristesses et les inquiétudes d'un bourgeois spinalien en 1625; il pense comme Renan « que tous les siècles d'une nation sont les feuillets d'un même livre, que les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé. » Ce respect du passé apparaît tout plein de douceur et d'attendrissement dans l'évocation de Goëry Co- quart, l'enraciné d'Épinal, fils de maître Guillaume Co- quart, pâtissier -rôtisseur et bourgeois, et de son maître le chanoine Le Pelletier. Les entretiens du maître et de l'élève, pendant ces longues heures où ils devisaient à la manière des philosophes de l'Académie, sont des choses exquises et nous prenons un plaisir infini à l'évocation de « cette vie intérieure, douce et magni- FÉVRIER. — LES ROMANS 33 fique que menaient Goëry Coquart et son maître : « Ils cultivaient leur jardin et ils Tornaient de plantes délicates et rares. Ils connaissaient que là est le secret du bonheur. Ils savaient qu'il suffit de peu de choses pour contenter le sage et lui donner la volupté : la vue d'un bel arbre et des pensées sereines ». FÉLICIEN GHAMPSAUR Poupée Japonaise. La Poupée Japonaise, dont M. Félicien Ghampsaur nous conte les curieuses aventures, est une délicieuse personne qui répond au doux nom de Sameyama; elle est menue, troublante, imprévue; elle est exquise, et nous l'aimons même quand elle scandalise un peu nos pudeurs européennes; nous l'aimons parce qu'elle évoque si joliment à nos yeux le Japon d'autrefois, celui des kimonos, des papillons diaprés, des parterres de roses, de dalhias, de tulipes et de chrysanthèmes, celui d'il y a deux mille ans, celui d'hier aussi, — il y a un demi-siècle à peine ! — et qui était plus gentil vrai- ment que le Japon d'aujourd'hui avec ses cuirassés, ses torpilleurs et ses redingotes. M. Henri Lavedan nous dit dans un « Kakémono liminaire » sa prédilection pour le livre de Félicien Ghampsaur, qui semble écrit avec des pinceaux, par la main à grands ongles d'un lettré de Yeddo, et dans lequel il a particulièrement goûté la prestigieuse variété des descriptions, l'évocation de ces matins, de ces, soirs, de ces aubes, de ces crépuscules « rendus par Félicien Ghampsaur, avec un rare bonheur de vision et de perception ». L'éditeur a fait de ce livre un joyau de bibliophilie; avec une prodigalité inouïe il a semé presque à chaque 34 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE page de délicates images, des tableaux d'une couleur exquise, petits chefs-d'œuvre d'un art très japonais et suggestif. CHARLES DE POMAIROLS Repentir. M. Charles de Pomairols qui, dans un précédent roman, dont j'ai parlé, nous avait conté l'émouvanto Ascension d'une âme vers les hautes régions de la foi épurée, nous dit aujourd'hui, le Repentir, sa noblesse, sa grandeur, sa nécessité. Et sans doute, Maurice Gé- nies a grand besoin de ce repentir; il aurait même droit au remords, car son péché, péché d'intention, est le plus abominable qui soit : il a, certain jour, souhaité la mort de sa mère, parce qu'il désirait, pour continuer sa vie de dissipation, avoir la libre disposition de sa fortune. Comme Maurice, malgré cette détestable pensée, n'est point foncièrement mauvais, son péché, depuis lors, lui fait horreur : il empoisonne sa vie, et, s'étant épris d'Elise de Florac, il ne se sent pas digne d'épouser cette belle jeune fille et lui fait la pénible confidence. Elise alors le repousse avec indignation et tristesse. Cette jeune fille, qui aima jadis Abel de Sauvenas, auquel elle a dû renoncer parce qu'une vocation impé- rieuse appelait Abel à l'apostolat, ne saurait devenir la femme d'un tel homme. Et c'est ici qu'interviennent la puissance et la vertu du repentir. Maurice Génies a perdu sa mère : il est toujours dévoré par le remords et ne songe qu'à se racheter. Une heureuse circons- tance lui permet d'accomplir une action héroïque et de sauver la vie du petit-neveu d'Elise; et la jeune fille, convaincue enfin, accorde son pardon à celui qui FÉVRIER. — LES IlOMANâ 35 Taime, qui l'épouse et qui, désormais, vivra sa vie auprès d'elle dans la douceur et dans le repentir. Cette histoire d'édification est racontée par M. de Pomairols en une langue harmonieuse, pure, unie comme un lac. SYLVIAG Marchandes de Chichis. jV|me Sylviac, comédienne de talent, femme résolue que ses démêlés téléphoniques ont rendu fameuse, débute dans la littérature avec un recueil de dialogues • m'elle a intitulé : Marchandes de Chichis. Marchandes de chichis ! Je ne songe pas à défendre ce titre contre les ennemis des néologismes audacieux, mais il est rtain qu'il exprime à merveille la pensée de l'auteur que sans nul commentaire vous savez, dès l'abord, a qui vous avez à faire. Ces dames que M ^^ Sylviac met en scène et qui tien- nent commerce de chichis sont des personnes, en géné- ral, assez peu recommandables, mais si amusantes, et ^jme Sylviac les fait parler et agir avec tant de vérité : c'est vous dire que leurs gestes et leurs propos sont souvent attristants. Derrière toute cette gaieté, tout cet amusement, il y a beaucoup d'amertume et le sou- rire du lecteur a parfois quelque chose de contraint, parce qu'il se souvient d'avoir trop bien connu quel- qu'une de ces héroines. Ce livre témoigne d'ailleurs d'un très réel talent et d'une vive personnalité : M°^6 Sylviac a, au plus haut point, le sens du théâtre ; ses bonshommes et ses bonnes femmes sont vraiment vivants, et pour tout dire, j'ai trouvé dans son livre un ou deux dialogues qui m'ont fait penser à la tant regrettée Jeanne Marni : et ce n'est pas là un banal compliment. 36 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE THOMAS HARDY Deux yeux bleus. n est bien joli ce roman, d'une émotion poignante, profonde subtile, et puis, il est si anglais; il évoque avec une si amusante réalité des milieux, des physio- nomies, des mœurs très différentes des nôtres et qui nous apparaissent pourtant si familières. Positivement, nous vivons chez M. Swancourt, le vicaire de la paroisse d'Endelstow, nous connaissons dans tous ses détails son humble demeure et ceux qui y fréquentèrent : ce jeune homme autrefois mort de consomption, et Stephen Smith, le jeune architecte, fils d'un maçon, et que dévorent les plus nobles amxbi- tions, et aussi Henri Knight, le grand journaliste, • — tous ces hommes parmi lesquels deux « yeux bleus )> viennent le plus innocemment du monde apporter la dévastation et le désespoir, les yeux d'Elfride, la fille du vicaire, « ces yeux bleus comme la brume d'au- tomne dans le lointain, lorsqu'elle se recule au-dessus des bois par un matin ensoleillé de septembre, d'un bleu indécis qui ne s'arrête pas à la surface mais sem- blait se prolonger au-dedans ». Une jeune fille de dix-neuf ans qui possède de tels yeux doit être une bien troublante personne, et Elfride trouble, en effet, et désespère ceux qui l'approchent : l'amour naît sous ses pieds menus le plus naturelle- ment du monde et c'est, malgré elle, l'innocente, un amour qtii sème la souffrance et la mort. Elle est, elle- même, la victime de cette fatalité qui s'acharne autour d'elle, et après avoir, par résignation, épousé le vieux lord Luxellian, elle meurt de désespoir toute jeune, toute jolie, laissant le souvenir douloureux et enchan- teur d'une belle dame qui a passé en suivant son des- FÉVRIER. — LES ROMANS 37 , lequel était de faire souffrir sans y penser les uvres hommes épris de sa beauté. LÉON DE TINSEAU Du Mouron pour les petits Oiseaux. Voilà un titre au moins qui prévient son monde : en r inscrivant sur la couverture de son recueil de nou- velles, M. Léon de Tinseau a, sans nul doute, voulu nous avertir que c'étaient là des historiettes sans con- séquence, jeux d'un homme d'esprit désireux seule- ment d'amuser son lecteur et nullement soucieux de proposer à son esprit des méditations profondes. Ainsi prévenus, vous n'aurez aucune déception; bien au contraire, vous aurez d'agréables surprises en découvrant, dans telles de ces histoires, lestement contées, mieux que du « mouron pour les petits oiseaux », parfois un petit, un tout petit grain de mil philosophique et, toujours, de l'agrément, de la verve, et une heureuse invention qui va, sans effort, du comique — un comique discret, non pas le rire grossier, mais le sourire délicat — au tragique — un tragique sans larmes. HISTOIRE, LITTÉRATURE, SCIENCI DIVERS MAXIMIN DELOGHE La Maison du Cardinal de Richelieu. M. Maximin Deloche ayant eu la bonne fortune d recueillir un bien curieux document intitulé : « L compte pour Tannée 1639 de la despense de la maiso; de monseigneur le Cardinal duc de Richelieu », a s? tirer de ce registre in-folio de soixante-quatre feuillet- de papier fort, reliés en parchemin, un gros livre trè copieux et d'un captivant intérêt : La Maison du Car dinal de Richelieu. A Taide de ce carnet de dépenses il a patiemment, sûrement, reconstitué la vie, évoqu l'entourage familier du grand Cardinal : c'est « Riche lieu intime »; une assez vaste intimité, car le Cardina avait autour de lui un fort nombreux personnel : m maître de chambre et un confesseur, des secrétaire réguliers et des secrétaires de nuit; un départemen spécial était réservé aux aumônes, dons et pensions avec des aumôniers et administrateurs; toute une hié rarchie de médecins, apothicaires et de chirurgien- était attachée à sa personne, et puis c'était l'arméi des valets de chambre et maîtres d'hôtel, et les con trôleurs, et l'argentier, et aussi les musiciens, ca Richelieu aimait la musique. Et voici maintenant, le ministère de la bouche FÉVRIER. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 39 I portant, car on mangeait bien et beaucoup chez le Cardinal; celui des écuries avec son impressionnante cavalerie, ses carrosses, ses cochers, ses valets de pied; lui des pages et la maison militaire; et les fournis- iirs — que de fournisseurs ! — le drapier Poquelin, mercier Sanson, le passementier Le Vasseur, les tailleurs, le brodeur Saint-Anne, les cordonniers, l'or- fèvre de Launay avec sa vaisselle d'argent, sa vais- selle d'étain, et son argenterie, et encore les tapissiers, et tous ceux qui fournissaient la batterie de cuisine, le linge, les coffres, les malles, les bahuts. Tout cela est d'un vivant intérêt, et ce gros volume amusant nous fournit en outre des éléments d'ap- tjciation assez nouveaux sur le Cardinal, en nous vêlant ses procédés de travail et les idées qu'il appli- 1 liait dans sa propre maison. F. CASTANÏÉ Reine et Favorites (( Le Règne de l'Amour. » Louis XV, qui ne passe pas pour avoir été un très • rtueux souverain, eut cependant, après une adoles- uce fort sage, éprise seulement de chasse et de sports, - débuts d'un très bon mari; et ce monarque serait, lis nul doute, devenu dans l'histoire le modèle des époux austères et fidèles si le cardinal Fleury, « tar- tufe cardinal et premier ministre », n'avait entrepris, iir son bénéfice personnel, de lui donner le goût des I limes et des plaisirs défendus. Il eut du mal, car la \ 'Ttu du jeune roi était tenace, mais on sait de reste que, le premier pas une fois franchi, le résultat dépassa toutes les espérances permises. C'est l'histoire de ce premier pas que nous raconte \l p r.cf ;,,,{♦•. Rion n'o^jf plus curieux, — l'auteur a 40 LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE l)i(Mi raison de le; dire — rien n'est plus passionnant, plus joliment suranné, que ces premières armes en amour du Bien-Aimé. C'est la période de la jeunesse, celle qui précède l'avènement de la marquise de Pom- padour. C'est l'histoire de la comtesse de Mailly et de ses quatre sœurs qui régnèrent tour à tour ou simulta- ment sur le cœur de Louis XV, de 1732 à 1744. M. Castanié a trouvé les éléments de son récit alerte, vivant et preste, illustré de belles images du xviii^ siècle, dans des mémoires ou correspondances de femmes (La Palatine, la duchesse de Brancas), dans des mémoires d'auteurs qui ont reçu des confidences de femmes, tels le marquis d'Argenson, le duc de Luy- nes, mari de la dame d'honneur de la Reine, Soulavie, bibliothécaire du duc de Richelieu, renseigné par Mme (Je Flavacourt, l'une des quatre sœurs, etc. Et voilà pourquoi cette histoire d'un roi peut figurer dans la collection : « La Française racontée par elle-même. Mémoires de la Femme. » EUGÈNE WELWERT En feuilletant de vieux Papiers. Ces vieux papiers, M. Eugène Welwert les a trouvés pour la plupart en compulsant la série FM. II des Archives nationales. La série F^d. II ! Cela ne vous dit rien, et cela ne dit pas grand-chose non plus à la plu- part des chercheurs qui dédaignent la série en ques- tion : injuste dédain ! M. Welwert a trouvé, dans ces cartons remplis de demandes adressées par des parti- culiers aux chefs de l'État, aux ministres, aux prin- cipaux dépositaires de l'autorité, dispensateurs des grâces, des faveurs, des emplois, depuis un siècle et demi ; — une foule de choses curieuses., amusantes et FÉVRIER. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 41 aussi ignorées, et pour cause... Il nous les raconte dans son livre, nous fait connaître sous un jour nouveau Louis XVI serrurier et son ami Gamain, évoque les tribulations de Brillât-Savarin, l'affaire Favras, que sais-je encore ! redressant de-ci, de-là, des erreurs accep- tées, revisant des procès jugés. C'est de la petite his- toire bien captivante. K. WALISZEWSKI Le Fils de la Grande Catherine : Paul F^, Empereur de Russie. « Sa vie; son règne; sa mort. » 1754-1801. Parmi ces revisions de procès si fréquentes en notre temps, il n'en est pas sans doute de plus extraordinaire ni de plus inattendue que celle dont Paul I^^, empereur de Russie, est depuis quelques années le bénéficiaire "u Russie. Paul I^^ ! Vous savez! Ce fou couronné, •dieux, terrible et ridicule; il paraît que non seulement il n'était pas fou, mais qu'il était un grand homme ! On ne se borne pas à vanter les hautes qualités et les talents brillants qu'il aurait possédés, on incline à lui découvrir du génie. Loin d'avoir été pour ses sujets, une suite de cruelles épreuves, son règne aurait marqué, dans leur existence, une période d'activité particulièrement bienfaisante et féconde. M. K. Waliszewski, le savant historien de la Russie, qui ne voit pas en Paul I^^ le fou légendaire, trouve tout de même cette apologie un peu excessive; il remet les choses au point. Son livre bourré de documents soumis à une sévère critique, semé d'anecdotes curieu- ses, palpitant comme un roman, semble bien épuiser la question et mettre Paul l^r à sa vraie place, qui n'est ni le pil(ji'i ni le Panthéon. 42 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE CHARLES SAMARAN D'Artagnan, capitaine des Mousquetaires du Roi. « Histoire véridique d'un héços de roman. » En lisant ce titre, j*ai éprouvé quelque inquiétude : « Allons, bon, me disais-je, voilà encore un gêneur qui va se mêler de démolir une légende et de nous raconter de froides et grises vérités. » Mes craintes n'étaient pas tout à fait justifiées : la vérité patiemment reconstituée par M. Samaran n'est ni froide ni grise : Charles de Batz-Castelmore, dit d'Artagnan, fut un fort joli officier, un brillant Cadet de Gascogne plein de ressources, un officier d'élite de Tancienne France; et ses véridiques aventures, ses débuts aux gardes, ses premières campagnes, son pas- sage aux mousquetaires, ses histoires de ménage, ses relations avec Fouquet, ses exploits comme gouver- neur de Lille, et sa mort héroïque au siège de Maes- tricht, ne manquent ni de grandeur, ni de panache. Leur récit emplit un volume qui vaut mieux qu'un livre d'histoire, qui serait digne presque d'être un un roman. Et puis, — M. Samaran le sait bien et il a le bon esprit de ne point s'en fâcher, — son livre une fois lu et soigneusement placé sur le rayon des études his- toriques que nous avons plaisir à conserver, nous retournerons bien vite à nos chers Mousquetaires ; nous reverrons ces héros familiers qui ne s'appellent ni Armand de Sillègue d'Athos d'Autevielle, ni Isaac de Portau, ni Henri d'Aramitz, mais bien réellement, éternellement, Athos, Porthos et Aramis, et nous retrouverons notre d'Artagnan national, le seul, le vai, celui de notre jeunesse ravie et transportée, celui d'Alexandre Dumas le père. FÉVRIER. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 43 LÉO MOUTON Bussy d'Amboise et Madame de Montsoreau. Après d'Artagnan, voici la Dame de Montsoreau qui sort du roman pour entrer dans Thistoire. Un à un, sans doute, tous les héros d'Alexandre Dumas vont y passer : les historiens sont des gens décidément bien exigeants. Dans son livre sur Bussy d'Amboise et Madame de Montsoreau, l'impitoyable M. Léo Mouton démolit une à une toutes les belles histoires créées par la prestigieuse imagination du romancier. Bussy d'Amboise et la Dame de Montsoreau appa- raissent dans son livre, fort intéressant d'ailleurs, avec toutes les marques de la triste vérité; et c'est bien pénible, je vous assure,*de découvrir dans le ténébreux Montsoreau le modèle des époux, et dans l'ardente et belle dame dont nous fûmes tous un peu amoureux, une jeune veuve huguenote, prudente, coquette et avisée. Rien ne nous empêche d'ailleurs, même contre l'évidence, de rester fidèles à la légende du bon Dumas, et nous n'y manquerons pas. MAURICE BARRÉS Un Homme libre. (Nouvelle édition). Une nouvelle édition, l'édition définitive, de Un Homme libre vient d'être publiée, et j'ai relu avec infiniment de joie le livre fameux de M. Maurice Bar- rés; avec, aussi, un peu de mélancolie, car j'étais, en 1890, un de ces rhétoriciens qui lisaient Verlaine et qui lisaient Barrés, au grand chagrin de M. Gréard, et je 44 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE songe combien toutes ces choses sont loin déjà : nos enthousiasmes, nos colères et mon adolescence. Pas si loin cependant, puisque M. Maurice Barrés est encore là, encore jeune, puisque, si ingénieusement, si forte- ment, dans des gloses d'une infinie séduction, il relie le passé au présent, la culture du moi au culte de la race. C'est un régal, en vérité, cette préface de 1904 et cette réponse à M. Doumic : on ne saurait être plus délicieu- sement persuasif que M. Maurice Barrés, affirmant que les Déracinés sont la suite logique, fatale, néces- saire, de V Homme libre. Vous connaissez l'argument : dans VHomme libre, l'auteur adore son moi et le pare de sensations nou- velles ; dans les Déracinés, l'homme libre distingue et accepte son déterminisme, il éprouve le néant du moi jusqu'à prendre le sens social, car « nous sommes le prolongement et la continuité -de nos pères et mères, car c'est peu de dire que les morts pensent et parlent par nous : toute la suite des descendants ne fait qu'un même être ». Et si, malgré toute la séduction de l'écrivain, vous n'êtes point absolument persuadés, si vous persistez à voir quelque différence entre r« égotiste » de jadis et le nationaliste d'aujourd'hui, vous demeurerez d'accord, en tous cas, que nos enthousiasmes d'étudiants furent justifiés, que M. Maurice Barrés est un beau cerveau, et que VHomme libre est un magnifique livre. BATISTO BONNET Le « Bafle » Alphonse Daudet. (Traduction de M. Joseph Loubet.) Vous connaissez Batisto Bonnet, ce paysan du Midi en qui Alphonse Daudet découvrit un écrivain dont, FÉVRIER. HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 45 pour nous, il traduisit les œuvres et qu'il imposa à notre admiration. Vous saurez, après avoir lu ce livre, ce que c'est qu'un Baïle : c'est, nous dit Mistral, le bailli, c'est aussi le régent, le directeur, le père nourricier. C'est dans ce dernier sens, tendre et familial, qu'il convient de prendre le mot employé par Batisto Bon- net qui, dans son livre, apporte un hommage émou- vant et filial à la mémoire de son grand patron, de son bienfaiteur. Cet hommage, ce sont ses souvenirs : l'histoire de leur première rencontre, de leur amitié, de leurs tra- vaux, de la mort du grand écrivain; et c'est joli, dou- cement émouvant, baigné de lumière et de tendresse. Et je ne dois pas savoir encore à quel point ces pages sont attendrissantes et belles, car je ne peux les lire que dans la traduction, excellente d'ailleurs, de M. Joseph Loubet. En face de ces pages, le texte pro- vençal est imprimé, et je suis sûr que c'est bien supé- » rieur, et jamais je n'ai eu autant de regret de ne point pouvoir lire cette belle et somptueuse langue si colorée, si vibrante, toute pleine de soleil et de joie. CORNÉLIS DE WITT En pensant au Pays. M. Cornélis de Witt réunit, sous le titre : En pen- sant au Pays, des « notes, des impressions se rapportant à la vie morale de la France, à ses habitudes, à ses tendances, à ses transformations, depuis la grande secousse de 1870 ». Pendant ces quarante années, l'au- teur a passé dans l'armée, dans la politique, aux affaires; il a vu et observé beaucoup, et aujourd'hui, revenant eu arrière, « il interroge sa vie et celle de ses contemporains; il rappelle les milieux et les circons- 46 LE MOUVEMENT LITTERAIRE tances ; il cherche la raison d'être des états d'âme et le mobile des actions ». Ces souvenirs sont intéressants, ces réflexions sont utiles parce qu'elles sont dominées par un ardent patriotisme, parce que sans cesse M. Cornélis de Witt « pense au pays » et parce qu'il est sincère envers lui- même et envers ses amis; ayant dans l'arène politique, notamment, donné et reçu des coups, il a acquis cette conviction « qu'il existe chez nous des possibilités, des nécessités d'entente et de groupement entre citoyens venus de tous les points de l'horizon, et c'est peut-être, nous dit-il, parce que sa génération ne l'a pas assez compris qu'elle a médiocrement servi le pays ». HENRI DAGAN L'art de gouverner d'après les Philosophes et les grands Hommes d'État. Conseils pour l'histoire de demain : M. Henri Dagan, en un gros volume, nous enseigne : L'art de gouverner, d'après les Philosophes et les grands Hommes d'État. Dans ces entretiens sur le gouvernement des peuples, il a mis à profit la sagesse de Platon et celle d'Aristote, les formules de Machiavel, les principes de Solon, les idées de Napoléon, et encore celles de Montesquieu, de Voltaire, de Mazarin, de Chateaubriand. « Y a-t-il de meilleurs conseillers que les morts? Outre l'expé- rience, ils ont une discrétion, un désintéressement, une franchise inégalables. Voilà pourquoi la lecture atten- tive du présent volume pourra être utile aux hommes de gouvernement. » L'auteur, d'ailleurs, ne prétend pas qu'il suffise de « posséder son ouvrage pour se maintenir au pouvoir et conduire l'État vers de hautes destinées ». H a bien FÉVRIER. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 47 raison d'avoir tant de modestie, et aussi d'ajouter prudemment : que pour être vraiment précieux, « il faut que son livre tombe en de bonnes mains, car un mauvais esprit en fera toujours un mauvais usage; on sait qu'il n'y a ni art, ni science, dont les fripons ne sachent faire abus. » XAVIER PAOLI Leurs Majestés. C'est l'évocation de tous les grands de la terre qui, pendant près d'un demi-siècle, foulèrent l'asphalte de nos boulevards, racontés par un homme qui les vit de très près, alors que nous devions nous contenter de les regarder passer du haut d'une fenêtre où nous n'aper- cevions, dans le fracas des escortes guerrières, que leur apparence royale. Pour lui, pour ce grand Chambellan de la République, ces Empereurs, ces Rois, ces Princes et ces Reines furent des hommes et des femmes; il les connut inti- mement, fut souvent leur ami. L'impératrice Eli- sabeth d'Autriche, Alphonse XÏII, le Shah de Perse, Nicolas II, le roi et la reine d'Italie, Edouard VII, la reine Wilhelmine de Hollande, Léopold II, Georges 1^^ de Grèce, le roi du Cambodge, la reine Victoria d'An- gleterre, dont nous n'avons entendu que les harangues officielles, dont nous n'avons su que les promenades et les visites protocolaires, s'entretinrent familière- ment avec lui, ne dédaignant pas de lui faire leurs confidences et de se livrer même, parfois, en sa pré- sence, à des facéties de simples mortels. ^ Quelle mine d'anecdotes, que de traits curieux, divertissants et émouvants, quelle magnifique et savoureuse contribution à la petite histoire ! Je vou- 48 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE drais vous conter quelques-uns de ces épisodes, vous redire quelques-uns de ces mots, mais, si je m'embar- quais dans des citations, je n'en sortirais plus, et les trois cent-cinquante pages de ce livre captivant y passeraient. Ajoutez qu'il est semé d'images amusantes, photo- graphies prises souvent par des kodacs royaux et qu'il est écrit en une langue délicieuse, preste, alerte, colo- rée, et précédé d'une préface infiniment spirituelle de notre ami René Lara, écrivain excellent et fin jour- naliste qui, dans ces lignes liminaires, trace de M. Paoli un bien joli portrait; il oublie seulement un peu trop, dans cette préface, de nous parler du collaborateur de M. Paoli, et cette omission, dictée par le scrupule d'une modestie excessive, est tout de même trop injuste pour que je n'essaye pas de la réparer et de restituer ici à René Lara sa part, sa grande part, dans le mérite de ce volume. OSTWALD Grands Hommes. (Traduction de M. Marcel Dufour.) M. Marcel Dufour, professeur à la Faculté de méde- cine de Nancy, traduit un bien curieux et troublant travail de M. Ostwald, professeur à l'Université de Leipzig sur les Grands Hommes. L'idée de cet ouvrage fut suggérée au savant par une question que lui posait un étudiant japonais au nom du ministre de l'Instruc- tion publique de son pays : « A quoi peut-on recon- naître de bonne heure les gens qui se distingueront plus tard? » Cette question avait un but éminemment pratique; le gouvernement japonais ayant l'intention de consa- FÉVRIER. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 49 crer des sommes importantes à Téducation et au déve- loppement de jeunes gens qui pussent, plus tard, exécu- ter des travaux marquants et utiles au pays, voulait avoir une méthode aussi sûre que possible pour choisir ses sujets. Une méthode pour découvrir dans Tenfant, le grand homme de demain ! M. Ostwald, après réflexion, offrit la formule que lui suggérait son expérience de profes- seur, à savoir que, en principe, « les écoliers bien doués ne sont jamais satisfaits de ce que leur offre renseigne- ment ordinaire », et puis il s'adonna à cette passion- nante étude des grands hommes, de leurs origines et de leurs lendemains. Et c'est le résultat de cette étude à la fois scienti- fique et historique qu'il nous donne dans son ouvrage : il fait d'abord une très complète biographie de six savants-types : Davy, Mayer, Faraday, Liebig, Ger- hardt et Helmholtz et, ayant ainsi établi ses docu- ments, il essaie d'en tirer des conclusions pratiques, et de nous exposer comment il faut instruire les enfants pour que ceux dont le cerveau est prêt aux grandes choses, ne voient pas leur intelligence étouffée et banalisée. Et c'est d'un intérêt passionnant; c'est cruel aussi pour le savant devenu vieux et pour sa descendance, c'est cruel pour l'individu. Mais qu'importe, puisque l'espèce a profité du grand homme, lequel n'est qu'une résultante. Car l'ensemble de ses facultés existaient en puissance chez ses ancêtres; en choisissant donc à volonté les conditions préliminaires favorables chez les parents, on n'est pas sûr de produire un génie, mais on peut certainement augmenter ou diminuer dans de notables proportions les possibilités de sa production. 50 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE MÉMENTO DU MOIS DE FÉVRIER ROMANS Applin. — Le Collier de perles. Beaume (Georges). — Les Vendantes. Cassot (Cécile). — Dompteuse. Chesterton (K.-G.). — Le Nommé Jeudi, un bien curieux et remarquable roman traduit de l'anglais par Jean Florence. Coupey (Auguste). — Imato rex Dei, un livre curieux et pitto- resque sur le roi des Tziganes. Danrit (Capitaine). — Alerte! Franc-Nohain. — Robin des Bois. Gâchons (Jacques des). — La Maison des Dames Renoir, une édition nouvelle illustrée avec beaucoup de talent par M. S. Macchiati. Gaubert (Léo). — Héloîse Bion. Gisors (Paul de). — Myrto dansante, « tablettes d'une amou- reuse ». Green (A.-K.). — Une étrange Disparition, roman mystérieux adapté de l'anglais par Hey worod. Hornung (E. W.). — Rafles, cambrioleur pour le bon motif, roman traduit de l'anglais par M. Henry Evie. Laftfn (André). — L'JËlève Gilles. Martin (Gabriel), r— Voilà la Femme, «gammes sur tons savou- reux et amers ». Morrison (Arthur). — Les Enquêtes du prestigieux Hewitt,Tomai.n adapté de l'anglais par MM. SaVine et Georges Michel. Orczy (E.). — Le Meurtre de Miss Helliot, roman adapté de l'anglais par M. J. Joseph-Renaud. Saint-Edme (Georges et Reine). — Sillage d'azur. Sales (Pierre). — Coqueluche I^^. Steele (Jack). — Un Mari par procuration, roman traduit par M. Robert d'Agés. Trilby. — La Transfuge. Val (Charles). — L'Essai, « De l'amour au mariage ». Wells (H. G.). — Anne Véronique, roman traduit de l'anglais par MM. Davray et Kozalaewicz. Willy et Colette Willy. — Claudine s'en va (édition définitive). ÉMENTO DU MOIS DE FÉVRIER 51 HISTOIRE. — LITTERATURE THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS Baldensperger (F.). — Alfred de Vigny. Ce livre n'est pas une biographie du poète, une de ces études qu'on intitule : « la vie et les œuvres » ; c'est une contribution à sa biographie intellectuelle, c'est la recherche ingénieuse et patiente du sens véritable de ses œuvres. H a semblé à M. Baldensper- ger « que plusieurs coupes transversales, si l'on peut dire, pouvaient aider à cette connaissance plus précise de l'œu- vre de Vigny : elles procèdent de méthodes assez diverses, qui vont de la recherche des influences littéraires à l'essai de synthèse sur un sujet donné ». B^chet (Jacques). — La Peinture flamande. Braille (Frédéric). — Pages d'automne, poésies. Baye (Baron de). — U Épopée de Smolenak en 1812. La véné- rable cité russe méritait cette évocation. Outre le prestige qu'elle doit à la nature, au cadre magnifique qui l'entoure, aux somptueux monuments qui la parent, elle a, dans l'his- toire du monde, une destinée bien curieuse et bien émou- vante : par deux fois, à deux siècles de distance, en 1611, puis en 1812, elle a joué dans l'histoire de la Russie, et dans celle de l'Europe tout entière, un rôle prépondérant. Et c'est ainsi qu'en évoquant cet héroïque siège de 1611 qui permit au peuple russe de prendre conscience de son vmité, et cette bataille de Smolensk de 1812, défaite annon- ciatrice de la victoire et de la délivrance, M. le baron de Baye n'a pas seulement fait de l'histoire locale, il a écrit une page émouvante de l'histoire du monde. Bellet et W. Darvillé. — Les plus grandes Entreprises du Monde, un livre orné de fort belles et passionnantes images où notre temps avec ses grands travaux modernes n'appa- raît point indigne de l'antiquité avec ses plus vastes entreprises. Berteval (W.). — Le Théâtre d'Ibsen, une étude profonde, savante et passionnée. Binet-Sanglé (D'). — La Folie de Jésus, un livre où l'auteiir continue de soutenir sa thèse fameuse : il affirme notam- ment que les juges de Jésus ne furent ni des criminels, ni des déicides, mais qu'ils ont tout bonnement commis une erreur judiciaire fréquemment encore commise de nos jours. Comme c'est simple ! Bloy (Léon). — Vie de Mélanie, bergère de Salette, écrite par elle-même en 1900; son enfance (1831-1846). Bonnefon (Jean de), — Dans les Débris et sur les Ruines. Bouchaud (Pierre de). — Les Poésies de Michel-Ange Buonar- roti et de Vittoria Colonna, un fort savant « essai sur la lyrique italienne du xvi® siècle », étude fort remarquable, résultat du labeur de longues années. Brégand (Georges). — La Route d'azur, poésies. 52 LE MOUVEMENT LITTERAIRE Cantacuzène (Charles- Adolphe). — Les Adorables Coïncidences. Chantavoine. — Pages romantiques de Liszt. Colomb (Félix). — UAme éparse. Cromieux (M^^e Mathilde G.). — Lettres choisies de Robert Schu- mann (traduction du second recueil.) Croze (Austin de). — La Chanson populaire de l'île de Corse, un folk-lore ignoré jusqu'ici, l'un des plus émouvants, des plus colorés, des plus originaux qui soient. Cruck (Eugène). — L'Eternel Ephémère, poésies. Darvillé (W.). — Voir Bellet. Delahache (Georges). — Un Ennemi du Cardinal « Collier ». L'auteur qui a publié naguère cette Carte au liseré vert, document si émouvant, si instructif, sur les origines de la Guerre de 1870, apporte aujourd'hui une bien précieuse contribution à l'Histoire de la Révolution en Alsace, en nous racontant les luttes soutenues à Saverne par un maire ardent et tenace contre le cardinal de Rohan, que l'affaire du collier avait rendu si fâcheusement célèbre. C'est tm livre du plus vif intérêt, un chapitre palpitant de cette histoire locale qui, bien souvent, éclaire la grande histoire ; c'est aussi une évocation émouvante et tendre de la terre d'Alsace. Delattre. — Robert Herrick et la poésie lyrique en Angleterre au XVII^ siècle. Derieux (Florent). — Sur le tombeau de Chateaubriand, des vers enflammés, écrits pour consoler « René » des appréciations de M. Jules Lemaitre. Faguet (Emile). — La Tragédie française au XVI^ siècle, une évocation éloquente et magistrale de cette tragédie fran- çaise, « œuvre ingénieuse et forte d'une peuple plus sensé que passionné, plus épris de logique, de clarté et d'ordre que d'imagination, qui compose plus qu'il n'invente; du peuple enfin, qui, tout en étant très artiste, a mis le plus de raison dans son art ». Félix (capitaine Pierre). — La Concentration nationale. Frémeaux (Paul). — Les derniers jours de V Empereur (nouvelle édition). Girod (J.-B.). — Petits poèmes doux et cruels. Guinot (Henri), — Au détour du Chemin, poésies. Hachet-Souplet (P. ). — La Genèse des Instincts. Hallays (André). — En flânant à travers la France, une évoca- tion délicieuse et ensoleillée de la Provence. Henriot (Emile). — Vignettes romantiques et Turqueries. Hesse (Raymond). — Les Criminels peints par eux-mém^es. L'au- teur se propose, dans son étude, de faire connaître la psy- chologie des criminels à l'aide des documents qu'ils nous ont laissés. Ces documents, vers, prose, lettres intimes, sont d'un bien curieux intérêt : le détestable et l'ignoble n'y dominent pas toujours; on y cultive la petite fleur bleue, on s'y attendrit — sur son sort généralement ! — et c'est tour à tour : Anastay, Peugnez, l'assassin de Charen- ton; Pranzini, Prado, Vacher, le tueur de bergères; Soleil- land, Ravachol, Eyraud, que sais-je encore ! M. Raymond MÉMENTO DU MOIS DE FÉVRIER 53 Hesse, à l'aide de ces documents, range ses criminels par catégories; en des commentaires lumineux, il les explique et il nous donne le sens social de son travail : « Pour bien soigner un malade, dit-il, il faut commencer par le bien connaître; pour lutter contre le crime, il faut, avant tout, en chercher l'origine. » Joussain (André). — La Pensée et le Désir, poésies. Ladurelle (Paul). — Au Pays lorrain, poèmes. Latour (François). — Les Grèves et leur réglementation. Lautrec (Vicomtesse de). — La Révolte, poésies féministes. Lecîercq (Jules). — Voyage à Vîle Majorque. Ce n'est point seu- lement un récit de voyage, c'est une page captivante d'his- toire littéraire, car M. Jules Lecîercq ne s'est point contenté d'évoquer, en des pages colorées, vivantes et lumineuses, la perle de la Méditerranée, la reine des Baléares, ses mer- veilleux paysages, ses sites enchanteurs ; il a su également nous raconter, chemin faisant, tout liaturellement, sans nulle pédanterie, son histoire ; il a retrouvé là l'impérissable souvenir de George Sand et de Chopin, et il nous raconte en des pages d'un bien vif intérêt le séjour de Notre Dame de Nohaijt et du divin musicien à la chartreuse de Val demosa. Lémonon (Ernest). — L'Europe et la politique britannique (1882-1911), une nouvelle édition de ce savant ouvrage pré- cédée d'ime préface de M. Paul Deschanel. Letalle (Abel). — Palettes d'Artistes. On peut apprendre bien des choses, en regardant la palette d'un peintre ; on peut pénétrer le secret de quelques belles couleurs, en découvrir la composition, en discerner les mélanges. C'est un noble travail de suivre ainsi les différentes manifestations de cette chimie, et on apprend à mieux connaître des maîtres tels Sue : Bonnat, Chaplin, Corot, Chéret, Détaille, Gustave >oré, Puvis de Chavannes, Stevens, Ziem et tant d'autres, en regardant leur palette, dont M. Abel Letalle nous offre la plus minutieuse et la plus pittoresque description. Lourdelet (Ernest). — Vers la Rive inconnue, poésies. Lubac (Jean). — La Valeur du spiritualisme, un volume qui atteindra son but si ceux qui le lisent sont incités à regar- der au plus profond d'eux-mêmes : l'euteur est prêt à se contenter de ce succès : « Une bonne action, dit-il, vaut mieux qu'un beavi livre. » Magne (Emile). — Voiture et les Années de gloire de l'Hôtel de Rambouillet. Marichal (Jean). — Le Verger d'amour, poésies. Maiie (Charles). — Odes. Matte (Louis). — En marge du Baedeker, des notes pittoresques et coloriées écrites en Italie, en Grèce, en Norvège, en Orient. Maurel (André). — Quinze jours à Naples, un bien joli volume édité avec beaucoup do goût, orné de ravissantes images. Et c'est en même temps "qu'un ouvrage charmant et litté- raire, un guide bien précieux qui permet de se retrouver dans Naples et de retrouver toutes les Naples abolies, si 54 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE nombreuses et si diverses, « et la Naples d'hier et celle d'au- jourd'hui, ses églises, ses musées ». Mélia (Jean). — Stendhal et ses Contemporains. Michel (Dr Évariste). — Chateaubriand, « interprétation n édico- psychologique ». Nansouty (Max de). — Actualités scientifiques, un de ces livres où l'auteur sait si bien mettre la science à notre portée, la rendre désirable et facile ; grâce à lui, nous nous promenons à l'aise parmi les mystères de l'aviation, de la physique et de la chimie ; nous devenons, tour à toiu-, et tout à la fois, constructeur et mécanicien, maîtres de forges, nous pre- nons beaucoup de plaisir et, en dépit de notre frivolité, nous finissons bien par apprendre quelque chose. Nesselrode (A. de). — Vers à chanter, Rimes à dire. Niichter (D^" Friedrich). — Albert Durer (traduction de M'"^ Tauber-Rossignol). M. Salomon Reinach présente ce livre, orné de magnifiques images, en une préface où il nous dit combien il est précieux d'étudier l'œuvre de Durer: « elle ne doit pas seulement instruire mais édifier, elle doit servir d'antidote à nos penchants fâcheux, à la paresse, au relâchement, à la fausse élégance. Celui qui s'en spra péné- tré de bonne heure ne sera p^s nécessairement un artiste, mais il aura fait provision de force et de santé dans la lutte toujours ouverte contre les causes et les symptômes de dégénérescence : la veulerie et la mièvrerie ». Pailhès (G.). — La Duchesse de Duras et Chateaubriand, « d'après des documents inédits ». Pellissier (Georges). — Le Réalisme du romantisme. Cette étude possède, entre autres, l'originalité de ne point attaquer ce pauvre romantisme si durement malmené et chargé de tous les péchés d'Israël; son auteur estime que les roman- tiques peuvent, sans méprise, mvoquer la nature contre leurs adversaires, non seulement contre les pseudo-clas- siques, mais contre les classiques du xvii^ siècle. Perceval (Ch.). — Mélanges poétiques. Pereire (Alfred). — Autour de Saint-Simon. Perier (Joseph). — La Danseuse tragique, poème antique en six chants. Perréoux (Roger). — Les Ombres, poésies. Reboul (Lieutenant-Colonel F.). — Les préliminaires de la Campagne de 1813 : le commandement du Prince Eugène (16 janvier-28 février). Ripert (Emile). — La Terre des Lauriers, poèmes. Rives (Pierre). — Contes et légendes des plus jolis pays de France ; et c'est La légende des grottes de La Balme, recueillie aux environs de Grenoble et de Lyon ; celle des Sabots de Vénus trouvée entre Uriage et la Grande-Chartreuse. Rivière (Jacques). — Etudes, consacrées à Baudelaire, Paul Cladel, André Gide, Ingres, Cézanne, etc. Saint-Maurice (Comte de). — Les Instruments modernes de la Politique étrangère : les Emprunts d^Etat. L'auteur offre son livre à M. Poincaré qui, dans sa récente déclaration, affir- mait l'importance de notre puissance financière aussi utile MÉMENTO DU MOIS DE FÉVRIER 55 à notre défense dans le monde que notre armée et notre marine. Le comte de Saint-Maurice développe magistra- lement cette thèse incontestable dans son livre où il exa- mine le rôle de la France comme banquier du monde, et où il se propose d'étudier tour à tour les garanties financières qu'offrent chacun des Etats qui ont recours aux capitaux français. Dans le premier volume, qui vient de paraître, il étudie à ce point de vue la Russie, le Danemark, la Fin- lande, la Norvège et la Suède. Sangnier (Georges). — Lettres inédites de Sainte-Beuve à Char- les Labitte (1834-1845). Staffe (Baronne). — Développement des facultés morales pour jeunes gens et jeunes filles (nouvelle édition). Wyzewa (T. de). — Un dernier Amour de René avec la marquise de F... MARS LES ROMANS J.-H. ROSNY aîné La Mort de la Terre. Cest une merveilleuse et terrifiante histoire, la plus belle, la plus profonde, la plus poignante que nous ait donnée encore cet écrivain. Elle se passe fort en avant de nous, dans quelques milliers de siècles : c'est une « anticipation », mais très différente de celles de Wells, plus proches de nous, plus joviales, où les hommes nous ressemblent comme des frères. Celle de M. J.-H. Rosny aîné nous transporte bien plus loin, à quelques milliers de siècles, en un temps où depuis cinq cents siècles les eaux se sont presque entiè- rement retirées de la surface planétaire, où les hommes, les « derniers hommes » n'occupent plus que des îlots dérisoires, des oasis. Ces oasis elles-mêmes disparais- sent peu à peu dans des secousses sismiques qui taris- sent les dernières sources. Il n'en reste plus que trois : les « terres rouges », les « hautes sources » et'« dévasta- tion », et, dans ces trois oasis les derniers hommes sont réunis, attendant la fin du monde avec une tristesse farouche et calme. MARS. LES ROMANS 57 Après trente mille ans de luttes, leurs ancêtres ont compris que le minéral vaincu pendant des milliers d'années par la plante et la bête prenait une revanche défmitivp. Ils ont compris que l'humanité devait périr par la sécheresse, et tous ils se sont résignés, tous, sauf un, Targ, qui aime la belle Éré et qui voudrait vivre. Il accomplit des prodiges surhumains pour retrouver l'eau souveraine ; mais ses efforts, un instant couronnés de succès, demeurent vains : il voit disparaître ses der- niers compagnons, sa bien-aimée, et enfin il n'y a plus qu'un seul homme sur la terre, et cet homme, las de lutter, s'étend dans l'oasis; c'est la fin, et c'est la « mort de la terre ». Je ne puis vous exprimer tout ce qu'il y a de noblesse, de grandeur dans ce roman rapide, poignant, formi- dable, où les hommes et les choses sont si fantastiques, si prodigieux, si différents de nous, évoqués cependant, décrits par M. J.-H. Rosny aîné avec une minutie scru- puleuse, inflexible; on ne saurait mettre plus de vérité dans l'imagination : c'est du merveilleux scientifique, et c'est vraiment une très belle chose. LÉON DAUDET Ceux qui montent. Dans ce « roman contemporain », M. Léon Daudet évoque le grand drame encore secret, et cependant visible, latent, et pourtant formidable qui vaut non seulement pour Montmartre, mais encore pour Paris tout entier, les principales villes et les grands bourgs de France, et qui pourrait s'intituler : « l'Irruption de la génération nouvelle. » Cette génération, M. Léon Daudet la voit accomplissant la même évolution que lui, gagnée aux idées qui sont les siennes. 58 LÉ MOUVEMENT LITTÉRAIRE Ce n'est pas ici le lieu de discuter s'il a raison ou tort; dans cette rubrique ignorante — heureusement pour elle ! — de la politique et de ses luttes, c'est seu- lement le livre en soi, dépouillé de toute signification polémique qui importe; or, il est très intéressant : l'aventure de Jean Fahin, le fils du terrassier socialiste, et de Marie Aulnier, sa voisine de la place du Tertre, aventure qui commence dans l'idylle et finit dans le drame tragique de la Révolution, est tout à fait atta- chante ; elle évoque sous nos yeux des tableaux grouil- lants de vie, où s'agite la jeunesse des faubourgs, ivre de passion, de colère, d'enthousiasme, et qui sont sou- vent fort impressionnants, telle l'exécution de certain mouchard condamné par les jeunes royalistes qui appli- quent à ce jugement sommaire, rapidement suivi d'une pendaison, les procédés habituels aux terroristes de l'anarchie. '■' 1 M. Léon Daudet a fait là, je l'ai dit, un roman de teudance : il a volontiers prêté toutes les vertus aux personnages qui représentent ses idées, et imputé toutes sortes de vilenies et de crimes à ses adversaires, mais du moins, il ne nomme pas ces derniers : ce sont des entités qu'il malmène, et j'aime joliment mieux cela, car je crois toujours qu'il y a place, même au plus fort de la bataille des idées, pour le respect des personnes, la tolérance, et autres vieilles guitares répudiées pai' nos jeunes gardes, mais qui ne seraient peut-être pas inutiles au bien-être et à la renommée de notre pays. RENÉ BAZIN Davidée Birot. Daçidée Birot est un livre bien pensant, et j'emploie cette épithète sans aucune arrière-pensée, comme MARS. LES ROMANS 59 j'avais employé jadis, à propos d'un roman du même auteur, celle d'édifiant, qu'il prit, à juste titre, pour un compliment, se félicitant d'édifier en une époque où tant de gens s'occupent à démolir. Donc M. René Bazin poursuit dans son nouveau livre un véritable apostolat; il exalte l'idéal chrétien en butte aux persécutions laïques, et ceux-là mêmes qui ne partagent point ses idées devront s'incliner devant son ardente et simple sincérité. Ils apprécieront aussi l'intérêt de ce roman aux lignes harmonieuses, à l'allure intime et familière. M. René Bazin a situé le conflit dans le cadre où il se poursuit le plus âprement, le plus douloureusement, sur le dos — sur l'âme — des pauvres innocents : à l'école. Davidée Birot est une jeune institutrice adjointe, fille d'un penseur libre, farouche, ancien tail- leur de pierres qui est devenu riche et qui exerce une redoutable influence politique. Elle a donc, vous voyez, tout ce qu'il faut pour réus- sir; seulement, l'éducation reçue a produit des effets inattendus : cette institutrice laïque est chrétienne pro- fondément, et elle se signale à la vindicte par une fré- quentation assidue à l'église et par son dévouement à certaine petite déshéritée de sa classe, la pauvre Anna Le Floch, qui se meurt de sa situation douloureuse entre sa mère Phrosine et un homme qui n'est pas son père, Maïeul Jacquet. Davidée ne parvient pas, malgré ses efforts, à sauver cette enfant, mais du moins, courageu- sement, bravant tous les périls, elle aura sauvé une âme, celle de Maïeul Jacquet, ramenée par elle à la foi et elle aura aussi, à la suite de péripéties émouvantes, assuré leur bonheur à tous les deux, car il l'aime et ils s'épouseront. 60 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE CHARLES GÉNIAUX Le Choc des Races. M. Charles Géniaux est un écrivain tout à fait inté- ressant, un de ces romanciers manieurs de foules qui, à la faveur d'une histoire particulière, d'une anecdote attachante, savent évoquer de grands drames collec- tifs, des conflits de yaces. Le roman qu'il vient de publier est d'une grande envergure : sur la terre tuni- sienne où se mêlent et se heurtent les religions et les peuples, il a illustré le Choc des Races par une histoire dont les héros sont des Français, des Italiens, des Espa- gnols, des mahométans ; et, dans un conflit d'amour vio- lent, dramatique, qui surgit entre une chrétienne et un mahométan, entourés de colons français, d'ouvriers siciliens, il a synthétisé cette guerre sourde qui, par- fois, comme en novembre dernier, éclate terriblement. C'est dramatique, poignant, inquiétant : je ne suis pas assez au courant de ces questions pour savoir si M. Charles Géniaux voit juste; mais, ce dont je suis sûr, c'est qu'il a raison de croire que les tendances de son livre ne satisferont complètement aucune des races en contact dans l'Afrique française : il ne sera sans doute approuvé par personne; il est juste de noter en passant que c'est le sort commun de ceux qui préten- dent dire la vérité à tous. En tout cas, il nous aura donné un fort remarquable roman. MATILDE SERAO Le Songe d'une Nuit d'Amour. (Traduction). La traduction des nouvelles de Matilde Serao, grou- pée sous ce titre, est pittoresque, heurtée, d'une forme MARS. LES ROMANS 61 parfois un peu étrange, mais qui a le mérite de laisser .1 ces pages leur intense et puissante originalité. Je les ii lues avec une émotion profonde, ces histoires d'amour, qui se déroulent souvent dans Tardent soleil de Naples ou sous le doux ciel- de Venise, J'y ai retrouvé co mélange de poésie frénétique et passionnée et do léalité grise et résignée qui est la marque si curieuse, i personnelle du talent de M"^^ Matilde Serao. Et ce sont des rêves ardents, des espoirs merveilleux, dos ascensions magnifiques vers des régions de gloire et de passion, et puis des chutes dans de décevantes et mornes réalités. Et c'est « le songe d'une nuit d'amour » qui entraîne certain jour Jean et Marie vers la haute mer, en une promenade ardente et langoureuse, sans lendemain, car, malgré l'amour avoué de Marie, Jean retournera tristement vers l'infidèle dont il est le mar- tyr et le jouet. Et c'est « l'Amour manqué » de Chec- < hina pour le beau marquis d'Aragon dont jamais elle n'osera franchir le seuil. Et c'est « le Pèlerin passionné » Vttilio Franco, qui retrouve Rosina, l'aimée d'autre- fois, mariée à un homme qu'elle n'aime pas, mais per- due pour lui qu'elle n'aime plus. Et tant d'autres his- toires d'amour et de déception, enivrées, ardentes et mélancoliques, d'une magnifique et généreuse poésie, d'une psychologie pessimiste et impitoyable. ANDRÉ LIGHTENBERGER Petite Madame. M. André Lichtenberger qui nous avait charmés naguère avec les visages du « Petit Trott », de la « Petite Une » et de « notre Minnie », petits garçons et petites filles évoqués avec infiniment de gentillesse et de pers- picacité, nous présente aujourd'hui la Petite Madame. Lo jeune Trott, ou quelqu'un de ses camarades, a 62 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE poussé : il est devenu un beau garçon de vingt-cinq ans avec, au-dessus de la lèvre, une ombre de mous- tache qui ne demande pas mieux que de devenir triom- phante; il s'appelle Jacques Darlaud, et il est chef adjoint de service à la Banque Lyonnaise, la plus pari- sienne de nos institutions de crédit. De son côté, notre Minnie, à moins que ce soit la petite Line, a grandi en taille, en sagesse et en beauté : elle est devenue une ravissante jeune fille de vingt ans, elle s'appelle Geor- gette Gannet. Ces deux jeunes gens se sont mariés, et M. André Lichtenberger nous raconte les premiers pas dans la vie de Jacques et de Jotte — c'est le nom familier de Geor- ge tte — les deux gentils époux qui se tiennent tendre- ment enlacés. Et c'est le retour du traditionnel voyage aux lacs italiens, le premier contact un peu rude avec la belle-maman revêche et le beau-père résigné, l'entrée en ménage, les débuts de Jotte comme maîtresse de maison, le premier dîner, les premières discussions — de toutes petites discussions sans larmes et qui se résolvent vite en un baiser — et puis enfin, la naissance d'un bébé qui, despotiquement, va mettre le point final au premier chapitre de l'existence de Jacques et de Jotte, au chapitre de « l'insouciance fringante et de la jeune fantaisie ». Et c'est tout à fait gracieux et joli, d'une puérilité charmante, doucement, légèrement émouvant, et Jotte est vraiment une bien mignonne petite Madame, toute gentille, toute candide et très vraie. PIERRE GUITET-VAUQUELIN La Force du Doute. M. Pierre Guitet-Vauquelin évoque, dans son roman, une tragédie latente: il met à nu la genèse «de souf- MARS. LES ROMANS 63 frances pudiques qui minent un être », et, malgré les craintes qu'il exprime dans sa préface, « cette œuvre patiente et triste de dissection » passionnera, je crois, le lecteur. C'est qu'il est en réalité peu de drame plus poignant que celui du doute s'infiltrant sournoisement dans un cœur; à ce mal il n'y a pas de remède; lorsqu'il a pénétré dans la place, la place est perdue et tout doit s'écrouler. L'histoire de Jacques Elbeuse, le grand écrivain, et de sa femme Daisy, est un de ces drames du doute, né d'un hasard, d'une circonstance malheureuse, et que rien désormais n'arrêtera plus dans son œuvre de des- truction. Je ne vous raconterai pas ce drame tout en nuances : il vous paraîtrait, dans cette rapide analyse, trop simple et même artificiellement combiné en vue d'une thèse, alors qu'en réalité rien n'est plus vrai, plus humain que cette tragédie intime. JEAN BERTHEROY Le Frisson sacré. Le nouveau livre de M"^^ Jean Bertheroy est un (( roman moderne »; ses héros ne portent ni l'ample toge des Latins ni les robes somptueuses de l'antiquité orien- tale; ils sont vêtus comme de simples bourgeois de nos jours. Vous trouverez cependant parmi eux une jeune fille tout à fait digne des héros antiques de Jean Ber- theroy : elle n'a pas l'habit d'une Romaine, mais elle i n a l'âme. C'est Hélène Nortillet, l'une- des filles du \ ioux professeur à la Faculté des lettres d'Aix, qui fut, ' omme ses sœurs, élevée très pratiquement, très bour- geoisement. Ses parents savent ce qu'il en coûte d'être un artiste : le grand-père, sculpteur au génie incompris, ;f fait vivre à sa fille, M'"^ Nortillet, une vie de misère, (raniroissf's et de privations.'' 64 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE La sœur aînée d'Hélène s'est mariée sagement avec Gustave Ducroc, Hélène est aimée de son beau-frère, Georges Ducroc, qui ne lui déplaît pas et Tépousera sans doute bientôt. Mais la visite d'un sculpteur célè- bre, Laurent Cerisier, ami du grand-père, éveille tout à coup en elle la vocation héréditaire : elle suit Laurent à Rome, le « frisson sacré » l'a saisie. Elle va travailler avec acharnement, non sans garder, fervent, le souvenir de Georges à qui elle promet d'appartenir lorsqu'elle sera devenue une grande artiste. Et elle y réussit au bout de quelques années : elle expose un chef-d'œuvre qui la rend célèbre, mais ce « frisson sacré » qui lui a donné la gloire va lui prendre la vie; ce frisson sacré, il est devenu, plus prosaïque- ment, la fièvre paludéenne, dont elle meurt en pleine jeunesse, en pleine apothéose. « Elle a cueilli le laurier noir de la Parque, en même temps que le laurier vert du triomphe », et l'on inscrit sur sa tombe, dans le cime- tière de Rome, cette épitaphe : « Ne dérangez pas son dernier sommeil : elle avait l'âme d'une jeune Romaine et ses mânes ont retrouvé ici leur véritable patrie. » EMILE HENRIOT L'Instant et le Souvenir. « Ce livre est le premier roman du jeune écrivain dont j'ai salué naguère les délicats poèmes. J'étais bien assuré d'avance que ce ne pouvait pas être une œuvre indifférente, je me doutais aussi que je trouverais dans ce livre, non seulement des raisons de me réjouir et de louer, mais aussi quelque sujet d'irritation : la délica- tesse, la subtilité de M. Emile Henriot vont souvent dans ses poèmes jusqu'à l'afféterie, et il était bien pro- bable que nous retrouverions dans son roman ces qua- lités et aussi ces défauts aggravés par la prose. MARS. — LES ROMANS 65 Mon attente n'a pas été trompée : le roman de M. Emile Henriot est une œuvre charmante, toute pleine de talent, où l'auteur nous conte l'aventure de Georges Varieux, un jeune homme qui aurait été, il y a cinquante ans, un romantique, mais qui, étant du vingtième siècle, cultive l'égotisme et se penche éper- dument sur soi-même. Sa destinée est d'ailleurs déplo- rable : il frôle le bonheur avec Marie-Rose, avec Célia; il l'atteint, semble-t-il, en épousant enfin Suzanne Chatel, mais pour le perdre presque aussitôt et voir disparaître en même temps sa jeune femme et l'espoir de sa postérité. Ses aventures pourraient être émouvantes, elles le sont même; seulement, il ne nous est pas possible de le plaindre du fond du cœur, et la raison c'est, je vous le dis tout bas, que ce garçon trop souvent nous porte sur les nerfs : il se regarde trop, il s'intéresse tellement à lui-même que nous nous demandons s'il est bien utile que nous aussi nous nous intéressions à lui. M. Emile Henriot a d'ailleurs jugé lui-même son héros avec beaucoup de finesse et d'esprit : il dit, à M. Jacques Boulenger, dans sa dédicace : « Si vous jugez un peu sévèrement, comme je le crains, le mal- heureux garçon qui se raconte ici, songez, je vous prie, qu'il serait à plaindre, si la pitié n'était pas détestable et vaine. » Et nous prenons l'auteur au mot : son héros nous paraît pitoyable et intéressant, seulement, nous ne le plaignons pas : il a trouvé d'ailleurs, en M. Emile Henriot, un historiographe plein de talent, qui écrit une langue excellente et dont il est permis d'espérer beaucoup. 66 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRÇ M^e j. DELORME-JULES-SIMON Plutôt souffrir. M^^ J. Delorme- Jules-Simon pose ici un problème de conscience depuis longtemps résolu par l'unanimité des praticiens, mais qui ne cesse pas de passionner et d'inquiéter l'humanité souffrante : un médecin, en face d'un malade en proie à des souffrances abominables, et condamné sans recours, a-t-il le droit d'abréger son martyre? L'humanité répond : oui! Les médecins répondent : non ! Leur rôle est de défendre jusqu'au bout, contre tout espoir, la vie de leur malade, car la nature a des mystères insondables, et le médecin le plus savant, le plus sûr de lui, doit compter avec le miracle. Et pourtant, le docteur Chenove, tendrement épris de sa femme Madeleine, ne peut supporter le spectacle de ses souffrances. Après avoir tout fait pour la sauver, certain de son impuissance devant un cancer inopé- rable, il a obéi à ses déchirantes supplications : il a doublé, il a triplé les doses de morphine secourable et mortelle... Quelques années plus tard, à la suite de circons- tances romanesques, il s'est fiancé à une belle et noble femme, Denise, qui, elle aussi, a été atteinte du terrible mal; mais consciente de sa misère, courageuse, résolue, elle lui a demandé tout de suite de ne pas écouter ses plaintes, de lui laisser vivre sa vie douloureuse jusqu'au bout. Et contre tout espoir, contre toute vraisemblance, le diagnostic des médecins et des chirurgiens se trouve en défaut, et Denise, miraculeusement, est sauvée. Alors, Chenove, est épouvanté à l'idée que jadis il a peut-être commjs un crime; il se désespère et il se don- nerait la mort si le propre père de Madeleine n'inter- MARS. — LES ROMANS 67 venait pour lui donner rabsolutioii et pour le jeter dans les bras de Denise. GEORGES- SOULIÉ Lotus d'or. C'est un roman chinois fort célèbre, dont M. Georges Soulié nous offre la très curieuse adaptation. L'auteur a, de son mieux, francisé son roman : il a réduit à un volume le texte huit ou dix fois plus considérable; il a supprimé des passages un peu trop licencieux, il a remanié les chapitres, et il a su, malgré tous ces arran- gements, conserver au livre une saveur, une couleur extraordinaire. Il nous avertit en outre que, depuis le XVII® siècle, pendant lequel fut écrit ce roman célèbre, les mœurs, les caractères et les hommes n'ont guère changé en Chine; ainsi, c'est la vie chinoise tout entière d'aujourd'hui, qui passe devant nos yeux; à chaque page, on croit reconnaître une personne que l'on a rencontrée, on entend une phrase que l'on a déjà écoutée, à condition, bien entendu, d'être allé faire un tour dans le « pays charmant ». J'ai pris un vif plaisir à ce récit dramatique et pitto- resque des aventures de Cœur de Chêne, le valeureux Chinois que ses exploits désignèrent à l'attention en l'année « rectitude et concorde ». Et je me serais même volontiers laissé aller à l'émotion, mais j'ai été arrêté par les noms des héros. Allez donc en vouloir à une personne de mauvaise vie qui s'appelle Lotus d'or, prendre au sérieux une douce et vertueuse dame qui a nom « Sœur cadette de la Lune », et plaindre un mari trompé répondant à celui de « Trois Pouces »; je ne par- viens pas à m'émouvoir sérieusement devant des héros baptisés de la sorte, non plus que devant « Secours res- 68 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE pectueux », « Orchidée », la pauvre petite veuve déses- pérée, « Prune de Printemps » et « Harmonieuse » : je me contente d'être amusé et charmé, ce qui est bien quelque chose. PIERRE DE TREVIÈRES L'amour aux Bas bleus. Ce fort aimable roman, écrit sans prétention, est très vivant, très mouvementé, animé de silhouettes amusantes. C'est l'histoire de Claire Sermèze, la poé- tesse mal mariée à un homme qui la délaisse et la trompe, et de Renée de Gesvres, un jeune homme très fin, plein de scrupules et de timidité. René est épris de Claire, et Claire aimerait à être consolée par René, seu- lement elle l'intimide, il n'ose pas : des scrupules l'arrê- tent, si bien que lorsque l'heure psychologique sonnera pour Claire c'est un autre, c'est Pontcroix qui en profi- tera par surprise, et Claire aura beau s'indigner, le mal sera fait et même définitivement, car son ménage une fois rétabli par René, qui est décidément un garçon bien scrupuleux, elle le gardera comme ami, un ami très tendre, celui qui n'ose rien demander et qui n'a rien reçu, cependant que les joies précises seront à l'autre, à d'autres ! C'est le beau ténébreux que les femmes adorent et persécutent, tout en réservant à d'autres les satisfactions définitives; type très vrai et fort bien observé. Mme PIERRE DE BOUCHAUD (CARDELINE) L'Impossible Aveu. Fort douloureuse histoire d'amour tendre et d'or- gueil implacable qui se termine terriblement dans un MARS. — LES ROMANS 69 dénouement tragique. Malgré les préjugés nobiliaires de sa famille, parce qu'elle aimait, Gatrielle d'Eurté a épousé le roturier Cyrille Matheau et le malentendu de caste, un instant désarmé par Tamour, est apparu terri- blement entre les deux époux aux caractères orgueil- leux, implacables. Ils s'adorent pourtant, il suffirait qu'ils se le disent, mais c'est « l'impossible aveu » et lorsque, après des aventures fort dramatiques, Gabrielle se décide à cet aveu, il est trop tard, son mari ne peut supporter un tel choc : il tombe aux pieds de sa femme, foudroyé par l'émotion. MAURICE MONTÉGUT Petites Gens et grands Cœurs. Petites Gens et grands Cœurs, le dernier roman de Maurice Montégut était en cours de publication lorsque la mort surprit ce romancier excellent, si remarquable- ment doué, et qui n'a pas donné toute sa mesure parce qu'il a trop produit. On retrouve dans cette dernière œuvre les qualités qui firent la réputation de Maurice Montégut et par-dessus tout, ce culte, cette exaltation de la bonté, non pas de cette bonté négative, pleurarde et moutonnière qui gémit sur les malheurs de l'huma- nité, mais d'une bonté forte, agissante, virile, qui sauve et qui répare. C'est l'histoire très romanesque, très mouvementée, de deux braves gens, commerçants retirés, qui, pour charmer les loisirs de leur retraite, ont recueilli une petite fille abandonnée et se sont acharnés, contre des forces ennemies coalisées, à la rendre heureuse. Ils ont eu fort à faire, et jamais sans doute leur vie ne fut si occupée et si mouvementée que depuis leur retraite; mais après maintes péripéties, ils parviennent à leur 70 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE but, et la pauvre petite Gisèle, la fille abandonnée de la chanteuse, épousera, malgré une douloureuse esca- pade due à une vocation héréditaire, celui qui l'aime, le jeune Vincent. MAXIME FORMONT La Louve. M. Maxime Forment termine avec la Louche cette tri- logie romanesque où il voulut nous apporter les « reflets du passé italien ». Après la Princesse de Venise » et « la Florentine », c'est la Louve romaine, non pas celle de Romulus, mais celle que Dante a vue dans l'âpre forêt, la Louve maigre, celle qui s'accouple avec tous les monstres de l'Enfer, celle enfin de la Rome des Papes, celle d'Alexandre VI, de César Borgia, en qui se résume la renaissance italienne, sa force, sa grâce et aussi sa perfidie. Beau sujet, dramatique à souhait, fécond en épisodes passionnés et sanglants ! M. Maxime Formont a retrouvé pour le traiter ces accents lyriques, cette cou- leur qui nous avaient intéressés dans ses précédents volumes. Son roman témoigne d'une très remarquable science historique et aussi d'une fort généreuse imagi- nation qui a mêlé le plus ingénieusement du monde la fiction à l'histoire. HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, DIVERS. FRÉDÉRIC MASSON Autour de Sainte- Hélène. {3^ série). M. Frédéric Masson poursuit ses recherches émou- vantes, ses travaux passionnés Autour de Sainte- Hélène. C'est la troisième série des études consacrées par l'historien de Napoléon au dernier chapitre de la sublima épopée, et il s'en faut que le sujet soit épuisé, car rien n'est plus obscur, plus controversé que ce dou- loureux épilogue d'un drame magnifique : « On ne tou- che pas à un personnage accessoire, on n'évoque pas un fait, si minime soit-il, qu'on ne rencontre un mys- tère sur lequel il ne faille pas instituer une enquête, et très souvent le mystère est imperçable, très souvent l'enquête n'aboutit pas. » Il n'est aussi rien de plus beau, rien de plus poignant dans l'histoire du monde que le spectacle de cette longue agonie du Grand Empe- reur. Ce spectacle dont M. Paul Frémeaux nous a donné naguère une si vive et si forte impression, M. Frédéric Masson nous le restitue, heure par heure : avec une minutie passionnée, il étudie tous les personnages de ce dernier acte, il entend dénoncer les ennemis qui furent bas et cruels, démasquer les faux amis. Il nous p^rle aujourd'hui du père de la comtesse Bertrand, 72 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Arthur Dillon, et nous révèle en ce grand seigneur anglais d'une si belle tenue en face de Tennemi, un des défenseurs les plus utiles de la France envahie pendant la Révolution; il évoque les médecins qui soignèrent — si l'on peut dire ! — Napoléon, à Sainte-Hélène : « Individus sans études, sans pratique, à peine diplômés et dont le savoir médical ne dépassait pas celui d'un officier de santé dans un village de France; » il nous raconte, en des pages magnifiques, le retour des cen- dres en 1848, et, dans un chapitre enfin d'une brûlante actualité politique, il salue, avec une sorte de joie irri- tée, la « fin d'un monde » : l'Angleterre, dont, selon lui, la puissance s'est écroulée l'été dernier, en ce même mois de juillet où le capitaine Maitland offrait au vaincu de Waterloo l'hospitalité meiisongère du BelléropJwn. Et en faisant figurer dans son livre ces pages qu'on jugera peut-être excessives, il nous donne une preuve évidente de sa bonne foi et de sa sincérité, car on sent bien, à travers tous ses raisonnements de politique et d'histoire, que la vraie raison de la haine tenace de M. Frédéric Masson contre l'Angleterre, ce qu'il ne saurait jamais lui pardonner, c'est Sainte-Hélène... HENRI WELSGHINGER Bismarck 1815-1898. J'ai lu avec passion cette étude magistrale. La lon- gue carrière du chancelier de fer est racontée dans ce livre par un historien qui a tout lu, tout étudié, par un philosophe qui raisonne, discute, explique, par un patriote qui veut faire servir l'étude de ce grand ennemi à la nation qu'il a abattue. M. Welschinger n'est pas impartial — un Français rie peut pas être impartial à l'égard de cet homme qui MARS. — HISTOIRE, LlTTERAtURE, ETC. 73 nous a fait tant de mal, et qui pour nous le faire a employé les armes les plus grossières et les plus détes- tables — mais il sait faire l'effort nécessaire pour lui rendre l'hommage qui lui est dû, pour signaler en lui le ministre et le diplomate de premier ordre qui a vail- lamment et magnifiquement servi son pays; qui, pour construire l'Empire uni et fort, a brisé les résistances, enchaîné les volontés, franchi les obstacles, méprisé les dangers, osé des audaces inouïes. « Sa vie tout entière est de celles que nous devons le plus approfondir, car ce n'est pas seulement l'histoire de la Prusse et de l'Allemagne qu'elle retrace devant nous, c'est notre propre histoire. » Oublions pour un instant une haine et un ressentiment légitimes, appre- nons avec passion l'histoire de cet homme : nous y trouverons maintes indications utiles, nécessaires, réconfortantes; nous saurons choisir parmi les exem- ples qu'il nous laisse; nous nous souviendrons notam- ment, en face de cet apôtre brutal et convaincu de la force, que la France doit être puissante, mais qu'elle ne serait plus la France si elle ne s'appuyait que sur la force et non sur la conscience, l'honneur et le culte du devoir. GASTON MAUGRAS ET LE COMTE P. DE GROZE- LExMERGIER Delphine de Sabran, marquise de Custine. (1770-1826.) M. Gaston Maugras, à qui nous devons de si pim- pantes, si profondes, si gi-acieuses études sur les per- sonnages et les belles dames du dix-huitième siècle, a entrepris, avec la collaboration du comte P. de Groze- Lemercier, un ouvrage consacré à une bien séduisante et bien touchante héroïne : Delphine de Sabran, mar- 5 74 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE qiiise de Custine (1770-1826). Le livre est tout à fait délicieux; avec cette bonne grâce familière, ce don de la vie qu'il possède à un si haut degré, l'auteur évoque, en des pages palpitantes, cette existence si étrangement romanesque, commencée avec l'espoir d'un bonheur durable, puis troublée par des drames sans nom, ter- minée enfin dans la souffrance et dans le désespoir. C'est l'image définitive, complète, émouvante, de cette amie, de cette victime de Chateaubriand, lequel, pas- sant deux ans après sa mort dans la ville où elle s'était éteinte, ne trouva pas d'autre pensée que celle-ci : « C'est ici qu'a disparu la marquise de Custine qui m'avait voulu du bien. » L'auteur a cru que le récit de cette existence tour- mentée offrirait à nos contemporains une utile leçon de philosophie, « qu'ils se complairont, peut-être, moins volontiers à gémir sur les malheurs de notre temps lorsqu'ils connaîtront ce qu'a été l'existence d'une femme pendant et après la tempête révolutionnaire, et jusqu'à quel degré de misère morale a pu tomber une créature délicieusement jolie, d'un naturel charmant, qui se croyait destinée à toutes les joies de ce monde, et qui, moins par sa faute que par celle des événements, n'a guère connu de la vie que les pires détresses. » CHARLES MERKI La marauise de Verneuil (Henriette de Balzac d'Entragues) et la mort d'Henri IV. Ce volume, rédigé d'après les mémoires du temps et des documents manuscrits, a tout l'attrait, tout l'agré- ment, d'un roman palpitant d'amour et de politique. Il est dominé par cette figure si française, si amusante^ du Vert Galant, qui, même après le jugement sévèr MAÎIS. — HiSTÔiRË, LITTÉRATURE, ÊTC. 75 de M. Merki, garde tout son prestige; ce huguenot converti, trousseur de cottes, coureur de guilledou, tempérament de chat maigre, garçon remuant, actif, toujours par voies et chemins, toujours en affaire, et toujours en intrigues de femmes, nous reste — que voulez-vous? — éminemment sympathique. Son aventure avec Henriette de Balzac d'Entragues, qui succéda dans la faveur royale à la Belle Gabrielle après la mort mystérieuse de cette dernière, est tout à fait curieuse; et c'est, je vous l'ai dit, un véritable roman que l'histoire de sa présentation à la cour de Marie de JMédicis, des complots qui la visèrent, de ses intrigues, de ses maternités hasardeuses, de ses démêlés avec Sully, avec la Reine, de sa part dans la conspira- tion de sa famille et du déclin de son influence. Histoire romanesque jusqu'au bout, jusqu'à l'assassinat dra- matique de la rue de la Ferronnerie, où la marquise de Verneuil pourrait bien avoir trempé. GABRIEL HANOTAUX La Politique de l'Équilibre (1907-1911). C'est l'histoii'e, écrite par un homme admirable- ment renseigné, par un historien et par un philosophe, des faits importants qui se sont produits dans la situa- tion internationale depuis quatre ans : l'entente cor- diale, l'encerclement, les affaires turques, l'affaire de Bosnie-Herzégovine, l'affaii-e marocaine. Après avoir ( xposé les faits, après les avoir précisés, sans récrimi- nations inutiles, M. Gabriel Hanotaux veut en tirer seulement la leçon nécessaire : cette leçon c'est que la diplomatie française ne doit pas être subordonnée à des influences et à des directions étrangères. Le rôle de la France est tout tracé : elle est un agent d'équilibre. % LE MOUVEMENT LITTERAIRE « Appuyée sur ralliance russe, elle n'a qu'à laisser les événements se dérouler pour que son heure sonne. Le retour à une politique libérée et véritablement natio- nale, telle doit être la leçon des derniers événements. » Cette leçon, M. Gabriel Hanotaux ne prétend pas la donner lui-même, les faits sont plus éloquents que les paroles : ce sont eux qui ont rendu le verdict et qui for- ment la véritable conclusion de son livre. COMTE D'HAUSSONVILLE Femmes d' autrefois. Hommes d'aujourd'hui. Dans ce captivant volume, le comte d'Hausson- ville fait revivre en des pages très vivantes, très nobles, très documentées, quelques figures de femmes célèbres ou qui mériteraient de l'être, celle notamment de cette mademoiselle d'Aumale qui fut la dernière secrétaire de M°^® de Maintenon, silhouette charmante, émou- vante et simple dont le souvenir a été obscurci par la renommée de sa maîtresse. Elle méritait cet hommage que lui apporte le comte d'Haussonville, et l'histoire de sa vie de noblesse et de simplicité est émouvante et belle. Toujours à côté de M"^^ de Maintenon, voici mainte- nant M^^® de Caylus, sa nièce, dont l'historien évoque les dernières années en de bien jolies pages; puis c'est M^i^ Clairon et l'histoire de ses relations avec le baron de Staël; la baronne de Staël et la duchesse de Duras; la ravissante baronne Cottu, l'amie de Lamennais, la noble femme qui sut concilier jusqu'au bout une double fidélité : celle de l'amitié et celle de la foi; et enfin, ]\|me Ackermann. Les hommes d'aujourd'hui, ce sont : Prévost-Para- dol dont la charmante et brillante figure passa si vite MARS. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 77 et disparut si tragiquement, Gréard et Schérer, et enfin, notre grand et noble ami : Eugène Melchior de Vogué. Livre émouvant, et d'un bien beau langage. ARTHUR MEYER Ce que je peux dire. M. Arthur Meyer, dont les souvenirs publiés Tan dernier sous le titre : Ce que mes yeux ont vu avaient eu un si prodigieux succès, continue ses confidences et ses causeries en un nouveau volume : Ce que je peux dire, et c'est le livre du jour, celui dont tout le monde parle, celui que tout le monde a lu, celui autou^ duquel les vieux Parisiens aiment à égrener des commentaires sans fin, remuant des souvenirs, évoquant, dans des conversations sans conséquences, à propos des anec- dotes évoquées, d'autres anecdotes, que peut-être l'au- teur n'a « pas pu dire ». Je me contente volontiers, pour mon compte, de « ce qu'il peut dire » : j'ai retrouvé, dans son livre d'aujourd'hui, « offert à ses deux petites filles chéries, que Dieu les garde ! » le même extraordinaire agrément du précédent : j'ai lu avec infiniment de plaisir ces pages où défilent tant de choses et tant de gens, où revit un Paris que nous nous souvenons bien avoir entrevu et qui est aujourd'hui aboli. Le plan du livre de M. Arthur Meyer est très solide- ment établi, son sujet est très précis : c'est l'évocation de la comtesse de Loynes, « la dame aux violettes », mais il suffit d'un mot, d'une date, d'un nom, pour que l'auteur semble abandonner ce plan et se distraire de son sujet, et cela donne à son livre l'allure vivante et amusante d'une causerie à bâtons rompus : par exem- ple, il nous raconte l'amitié de son héroïne avec Marc 78 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Fournier, directeur de la Porte-Saint-Martin, et le voici tout à coup parti dans une longue et pittoresque pro- menade à travers le boulevard du Crime; plus loin, il va nous introduire dans le salon de la comtesse de Loynes, mais, avant d'en franchir le seuil, il pense aux salons d'autrefois, et c'est une évocation bien amusante des fameux salons où l'on fit de la littérature et de la politique depuis deux siècles, de M"^^ Geoffrin à M "^6 Aubernon de Neuville. Et c'est ainsi, tout le long du livre, une suite de digressions où se trouve évoquée la vie mondaine, artistique, littéraire, politique de la France depuis cinquante ans; les souvenirs, les anec- dotes y font leur entrée comme dans une revue, une revue causée, par un homme qui a tout vu, tout entendu, qui a été mêlé à tout, et qui est un causeur charmant; et, dominant tout cela, donnant au livre son harmonie et son unité, une pensive et jolie figure de femme, celle de la dame aux violettes qui, pendant toute sa vie, et jusque dans la mort, avait fait preuve de cette qualité qui fut toujours précieuse et qui — nous le constatons chaque jour ! — est devenue raris- sime : le tact. WLADIMIR KARÉNINE George Sand; sa vie et ses œuvres. (Troisième volume 1838-1848). M. Wladimir Karénine poursuit sa magistrale étude sur George Sand, sa vie et ses œuvres. C'est le troisième volume do cette œuvre considérable, et qui peut appa- raître comme définitive, sur la Bonne Dame de Nohant; il embrasse dix années de sa vie, de 1838 à 1848, dix années passées en un commerce ininterrompu avec le génial Chopin et dans l'intimité de Pierre Leroux, dix MARS. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 79 années remplies de rencontres et de relations avec les hommes les plus divers et les plus éminents dans le domaine de la politique, de la pensée sociale, dans les sciences et les arts; et c'est ainsi qu'on voit passer dans ce livre les figures de Liszt, de Lamennais, de Balzac, de Delacroix, de Henri Heine, de Béranger, de Louis Blanc, d'Alexandre Dumas père et fils, et de tant d'autres. En ce qui concerne George Sand elle-même, ces dix années sont aussi les plus belles et les plus passion- nantes de sa vie,^ ce sont les années de Consuelo, de la Comtesse de Riidolstadt, du Péché de M. Antoine, de la Mare au Diable, et aussi des admirables récits rus- tiques. On juge, dès lors, de l'intérêt que peut présen- ter ce volume rédigé par un historien si averti, si cons- ciencieux, si documenté et qui, non sans un peu de raison, se plaint dans un nerveux avant-propos d'avoir été quelque peu exploité par un certain nombre d'his- toriens de George Sand qui ne le nommèrent pas, ou mieux encore, attaquèrent une documentation dont ils se servirent copieusement. PIERRE LOTI Un Pèlerin d'Angkor. Un Pèlerin d'Angkor affecte dans ses dernières pages les allures d'un testament littéraire et spirituel : ce serait donc — et une lettre reçue récemment semble le confirmer — la dernière œuvre de ce grand écrivain; mais je ne veux pas le croire, je ne veux pas supposer qu'en pleine possession d'un magnifique talent, en pleine puissance créatrice, Pierre Loti songe à nous pri- ver désormais des chefs-d'œuvre dont il peut, dont il doit encore enrichir le trésor de la littérature française. 80 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Ce livre, en tous cas, comptera sans nul doute parmi les plus beaux, les plus parfaits, les plus émouvants dont il nous ait donné la joie. Le récit de ce voyage médité dès l'enfance, accompli il y a dix ans, est d'une extraordinaire précision : les impressions, les visions de l'auteur sont notées heure par heure, avec la noble simplicité d'un voyageur qui voit avec une parfaite lucidité, qui ressent profondé- ment, et qui, en se rappelant les merveilles aperçues, les émotions ressenties, atteint, sans le chercher, sans le vouloir, semble-t-il, au plus magnifique lyrisme. Quelle splendeur, quelle beauté dans le récit de ce voyage de Saigon à Angkor, avec l'arrêt à Pnom-Penh, les femmes poupées, les femmes bibelots entrevues, et la contemplation des ramures pliant sous le poids des graves marabouts. Et l'arrivée à Angkor ! la ville qui fut une des splen- deurs du monde, aperçue sous le suaire des arbres, ensevelie depuis des siècles, avec l'ombre et la souve- raine oppression de la forêt; — et l'émotion poignante devant le temple colossal et prestigieux, où les hommes ont entassé tant de pierres, accumulé tant de sculptures, prison aérienne du haut de laquelle on domine l'infini de la forêt mouillée. Dans ce sanctuaire immense, effrayant, prodigieux, le Ramayama s'évoque, l'épopée si ancienne et si nébu- leuse qui continue de planer sur l'imagination de l'Asie et de guider son rêve; la nuit venue, les chauves-souris sèment dans ces solitudes l'épouvante et l'oppression, ce pendant que continue de sourire un Bouddah très gigantesque, dominateur et doux, « la grande Paix obtenue par le grand Renoncement et la grande Pitié ». La Pitié ! C'est l'ultime leçon de ce pèlerinage, et de toute la carrière du marin et de l'écrivain. « L'heure venue, l'heure crépusculaire où toutes les choses terres- tres s'éloignent, diminuent, s'estompent en grisaille MARS. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 81 — il songe à tant de lieux d'adoration éperdue, à tant de pagodes, de mosquées, de cathédrales où la même prière s'élève du fond des âmes les plus diverses vers un Dieu qui ne saurait être qu'un Dieu de pitié... » FERDINAND BAC L'aventure italienne. M. Ferdinand Bac poursuit ce « voyage romantique » qui le conduisit naguère chez Louis II, roi de Bavière : il nous conte aujourd'hui V Aventure italienne. C'est d'un charme tout à fait captivant; le voyageur sen- sible, pénétrant et malicieux dont nous avons tant goûté les précédents récits nous promène cette fois dans un cadre incomparable évoqué tant de fois et dans dequel il a su placer pourtant une foule de notations, d'impressions inédites. C'est que, sans doute, la Tos- cane et l'Ombrie ne furent jamais parcourues par des touristes aussi singuliers, aussi originaux que Pascal Latour et son vieil ami l'abbé Hortensius, qui s'est mis en tête de convertir une jeune Parisienne vouée au culte d'Hercule Farnèse, et qui s'en est allé, par le chemin des écoliers, vers Assise pour rapporter à sa pénitente, des roses sans épines de saint François. Ces deux voyageurs ont décidé d'accomplir leur pèle- rinage sans jamais séjourner dans les caravansérails tout pleins de confort et de banalités; ils logent chez l'habitant, où l'on a bien plus de chances de rencontrer l'aventure; et cette aventure, la plus curieuse, la plus scabreuse du monde, elle les guette en effet, elle les suit, les enveloppe de l'île de Caprée aux roses de Naples, de Sorrente à Pompéi, à Rome, à Florence ; c'est le fil léger^qui relie toutes ces impressions, tous ces 5. 82 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE souvenirs, toutes ces émotions, et c'est d'un charme infini, troublant et singulier. MARGUERITE BURNAT-PROVINS La fenêtre ouverte sur la Vallée. Le livre de M^^ Marguerite Burnat-Provins brille des plus nobles et des plus pures qualités, il a seulement un grave défaut pour le chroniqueur : il est tout à fait rebelle à l'analyse. Il n'y a pas là une histoire que je pourrais tenter de vous résumer de mon mieux, il n'y a pas une doctrine exposée, une thèse soutenue, non ! Ce sont les visions d'un poète qui, par la fenêtre, regarde la nature et nous dit, en des exclamations d'un beau lyrisme, en des prosopopées ardentes, ce qu'il admira et les pensées que firent jiaître en lui les choses entre- vues; et ce sont des hymnes au soleil, à la lune, à la nuit, des évocations émouvantes ou magnifiques, des réfle- xions mélancoliques : « merveille des heures en lent défilé, merveille du ciel répandu par delà des monta- gnes, merveille de la lumière jeune éternellement et bienfaitrice, merveille des arbres heureux au soleil d'été, dites, pourquoi m'est-il donné de vous contem- pler, à moi qui dois mourir? » Et vous voyez bien que ce ne sont pas là des choses qui se résument et se racontent. Il faut me croire, quand je vous dis qu'il y a là de très belles pages, mieux, il faut y aller voir. Vous serez peut-être parfois un peu surpris, un peu désorientés, vous serez souvent émer- veillés, vous ne serez jamais indifférents. MARS. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 83 ANDRÉ BEAUNIER Les plus détestables Bonshommes. « Les plus détestables bonshommes », ce sont, en notre pays, les faiseurs de désordre, les artisans d'ab- surdité; ce sont ceux qui désorganisent tout : les ser- vices publics, les forces nationales et jusqu'à la cons- cience des individus; ils sont opulents et triomphants; ils ont réussi dans leur besogne : les idées fausses se sont mises sur notre pays comme sur une belle et vieille étoffe, les mites : elles le rongent. » Ayant ainsi dépeint ces plus redoutables ennemis de notre pays, ces ennemis de l'intérieur, M. André Beau- nier n'avait plus qu'à les nommer : il ne s'en est pas fait faute. Avec une violence cinglante et passionnée, avec une ironie incisive et cruelle, il passe en revue tous ces petits darwiniens qui ont trahi Darwin, lequel avait dégagé sa responsabilité de savant des abus qu'on ferait de sa trouvaille de spécialiste; tous ces penseurs qui croient le passé mort et qui oublient qu'il y a des provinces en France; tous ces socialistes, singuliers hommes de progrès, leur grand homme en tête : ce gros garçon chevelu, barbu, dont le teint rougeoit et qui, tout de suite, vous a un air de vulgaire cordialité; ces primaires odieux qui sont nos maîtres et qui voudraient tout rabaisser autour d'eux à leur infime niveau; ces ennemis de notre langue qui s'épuisent à trouver un idiome artificiel, alors qu'une si belle tâche s'offre à eux : favoriser la propagation d'iine langue vivante, bien vivante, le français. C'est un pamphlet et, tout en partageant la plupart des légitimes indignations de M. André Beaunier, on veut croire que, dans son désir de défense française, il pousse les choses un peu au noir; on veut espérer 84 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE et on l'applaudit de tout cœur quand il s'écrie qu'en dépit de « ces détestables bonshommes qui, peu à peu, l'aviliraient, ce pays est encore beau, fier et charmant », et on l'applaudit aussi parce que ses violences, ses colères, ses indignations, il les exprime toujours en une langue d'une forme très pure et très belle. Cette jolie prose harmonieuse et sonore d'un écrivain délicat et raffiné, c'est un argument dont M. André Beaunier n'use pas, et pour cause, dans sa discussion, c'est le plus décisif : de ces proses là, « ils n'en ont pas », chez les primaires. EDOUARD ROUVEYRE Comment apprécier les croquis, esquisses, études, dessins, tableaux, aquarelles, pastels, miniatures. Le but que l'auteur s'est proposé est très clairement exposé dans ce titre un peu long, mais fort précis. M. Rouveyre prétend mettre les profanes à même d'ap- précier un tableau, non pas de savoir s'il leur plait ou leur déplaît, ce qui dépend uniquement de leur goût, mais de juger s'il vaut quelque chose ou s'il est détes- table, et pourquoi. Il veut en somme leur inculquer les qualités que doivent posséder les amateurs. Pour peu qu'ils soient doués et lui accordent quelque attention, ces amateurs pourront arriver, nous dit M. Rouveyre, à exprimer les finesses de la forme ou la variété de la couleur, et devenir insensiblement bons juges et connaisseurs. Ce livre utile pourrait être fort ennuyeux; or, chose admirable, il est tout à fait amusant : M. Rouveyre a trouvé le moyen de nous donner une très claire et très précise définition de la technique des artistes, de nous ofl^rir en un lexique la signification de cinq cent quatre- MARS. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 85 vingt-seize termes et rapplication qu'il est d'usage d'en faire; et tout cela est exposé, expliqué, démontré en des pages qu'on lit sans fatigue, sans effort, avec le plus vif agrément; et qu'on regarde aussi, car deux cent vingt images, reproductions de chefs-d'œuvre, commentent s leçons et en donnent l'immédiate application. C'est vraiment là de bien utile et bien séduisante vulgarisa- tion. CH. CASTELLANI Pour rester jeune. Vous connaissez cet excellent artiste qui, tout comme Fromentin, ne se contente pas de peindre, mais écrit aussi, et ma foi fort gentiment. Il a un troisième talent : il vit ! mais ce qui s'appelle vivre : il a mainte- nant soixante-quatorze ans, et il nous exhibe, non sans quelque orgueil, sa dernière photographie sur la cou- verture de son livre; vraiment il est étonnant, et il n'a tint l'air du tout d'un vieillard. C'est qu'il a su comprendre la vie : l'homme est fait, son sens, pour durer cent ans, avec toute sa force et toutes ses facultés; seulement, pour cela, il faut être raisonnable, se défier du détestable sophisme « courte et bonne », et comprendre que pour être bonne, la vie doit être longue. Comment s'y prendre? voilà ce que nous explique très clairement M. Gastellani en des pages qui n'ont d'ailleurs rien d'imprévu et que fait prévoir l'épigraphe : Pour garder sa jeunesse, ici-bas le seul bien, Il faut user de tout et n'abuser de rien. C'est une vérité un peu bien répandue et très vague, mais M. CHstellani,au cours de son livre, est plus précis; 86 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ses conseils sont excellents et Fauteur en est tellement convaincu qu'il vous demande votre photographie lorsque vous aurez cent ans pour vous faire figurer dans la galerie de « ses centenaires ! MÉMENTO DU MOIS DE MARS ROMANS Aimeras. — L'Évasion, « histoire d'une femme d'aujourd'hui ». Baraude (Henry). — La Voie mauvaise. Bloy (Léon). — Le Sang du Pauvre. Cim (Albert). — Mes Vacances, des nouvelles tout à fait gen- tilles, burlesques histoires de chasse, aventures de chiens, farces sensationnelles. Elles feront grand plaisir aux jeunes gens en quête de distractions littéraires pendant les vacances de Pâques, déjà toutes proches. Comert (Marguerite). — La Puissance des autres. Darros (J.-M.). — Voir : G. Meirs. Daubret (Victor). — L'Effort qui tue. Diraison-Seylor. — Demi-Blanc. Gaignard (Hilaire). — Profils féminins, nouvelles. Gaillard (E.). — Portraits. Gallo (Charles) et Martin Valdour. — Lettres de Jeunes, nou- velles. Ibanez (Blasco). — La Horde (traduction de M. Hérelle). Lagerlôf (Selma), — Les Merveilleux voyages de Nils Holgersson à travers la Suède (traduction du suédois par M. T. Ham- mar). Le Brun (A.). — Feuilles mortes, contes et nouvelles. Magdelaine (A.). — La Voie. Martin Valdour. — Voir Charles Gallo. Massacré (Comtesse de). — La Métairie de Las Ramadas. Meirs (G.) et J.-M. Darros. — Le Cadavre assassin, « aventiires de William Thorpe, célèbre détective anglais. » Une Main dans la nuit. Ossau (Jean d'), — Mémoires d'un Cheval de Course. Rainaldy (Henri). — La Vie folle. Regis-Lamotte (Roger). — Le Parfum des Tilleuls. Reynès-Montlaur (M"^). — Leiùr Vieille Maison. On retrouvera dans cet ouvrage l'émotion religieuse et le respect pas- sionné des traditions qui semblent être les bases majeures de l'inspiration de l'auteur. Et l'on s'intéressera vivement MÉMENTO DU MOIS DE MARS 87 à cette Françoise, qui s'est vouée au sacrifice avec une mélancolique ardeur, et qui, si vivante, a pourtant le visage grave et tendre d'une jeune religieuse d'un ancien couvent français. Rivet (Fernand). — Le Prince des Riches. Santerre (H.-J,). — Contes du Bled et du Fondouk (nouvelle édition). Sée (M°ie Ida R.). — Féministes. Segré (Adrien), — L'Inceste légitime, (sic). Sonolet (Louis). — Le Parfum de la Dame Noire, a physiologie humoristique de l'amour africain, publiée d'après le manus- crit original de Paul Bourgette » — et ce titre vous dit assez le ton du livre. Truc (Gonzague). — Monsieur de Nugho, philosophe. Valbert (Léon). — Pan/ dans les contes crevants, nouvelles. Yver (Colette). — Un coin du voile, nouvelles. HISTOIRE. — LITTÉRATURE THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS Vmiel (Denys). — Henry Bataille : Le règne intérieur, im livre publié dans la série des « Glanes Françaises », si brillam- ment inaugvirée par notre collaborateur et ami M. Arsène Alexandre, avec l'œuvre d'Alfred Capus. H contient un choix de pensées cueillies dans le théâtre d'Henry Bataille et qui concernent toute « cette vaste région du cœur humain organisée cormne un Etat et qui aurait ses lois et ses mœurs, pays mystérieux dont la géographie est sub- tile ». Annunzio (Gabriele). — Poésies (1878-1893), un recueil traduit par M. G. Hérelle. Blanchon (Pierre). — Correspondance et Fragments inédits d'Eugène Fromentin. Bois (Jules). — Le Couple futur, un livre dont les conclusions sont très saines et très nobles : « une seule morale poiir les deux sexes : l'orientation des jeunes gens vers un idéal plus pur en attendant le mariage et l'amour ». Boisseau (Marins). — Les Poètes du Baiser. Bonnal (général). — La Manœuvre de Saint-Privat : « l'Esprit de la guerre moderne ». {Suite). Boucaru. — Le Livre de VHomme, « astronomie, psychologie, sociologie ». Cet ouvrage, -nous dit modestement l'auteur, est « vme définition complète de la synthèse de l'Univers à la suite de laquelle se trouve la solution de la question sociale ». Ce livre, il l'offre à tous les hommes, parce que c'est « le livre que tout le monde devrait lire et qu'en le lisant, le bon deviendrait meilleur et le méchant pourrait devenir bon ». Si après cela vous ne le Usez pas, c'est que vous êtes bien mal intentionnés ! 88 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Bout gin (Georges et Hubert). — Le Socialisme français de 1789 à 1848. Bruneau (général). — Récits de guerre, « Histoire d'une compa- gnie de zouaves pendant la guerre de 1870 ». Cabanes (D'^). — Légendes et Curiosités de VHistoire. Callet (A.). — Voir Paul d'Estrée. Césanne (Jacques). — U Etemel Poème. Chuquet (Arthur). — La Campagne de 1812, récit tiré des Mémoires du Margrave de Bade. C'est le témoignage sai- sissant d'un acteur de premier plan et les pages qui retra- cent les combats qui s'engagèrent sur les bords de la Béré- sina, la poursuite des Russes, les rigueurs du froid offrent vraiment le plus puissant et le plus dramatique intérêt. Claretie (Léo). — Histoire de la littérature française (1900-1911). Coquiot (Gustave). — Le Vrai J.-K. Huysmans, un remarquable volume orné d'un fort beau portrait de l'illustre écrivain par J.-F. Raffaëlli. Coulon (Marcel). — Témoignages, ime deuxième série où j'ai remarqué notamment un « plaidoyer pour Renan » et « l'esprit du passé chez Loti ». Crémieux (Albert). — La Révolution de Février, « étude cri- tique ». Dalby (Joseph). — Le Vitrail brisé, poèmes. Dauzat (Albert). — La Philosophie du langage. Donnay (Maurice). — Théâtre. {5^^ volume). A côté du char- mant petit acte qui s'appelle La Vrille, nous avons retrouvé, dans ce volume, deux des plus belles œuvres de Maurice Donnay : cette émouvante Escalade, et surtout Paraître, cette profonde et mordante satire des mœurs du temps. Dortzal (Jeanne). — Les Cloches de Port- Royal, la pièce jouée avec succès au Théâtre-Français, où Racine et la Tragédie échangent des propos harmonieux; Duchesne (Gaston). — Voir H. de Grandsaigne. Dufour (Philippe). — Paris, des vers pittoresques que com- mentent de belles images et que présentent, en deux pré- faces, MM, Edmond Haraucourt et Charles Géniaux. Dumont-Wilden (L.). — Voir Léon Souguenet. Dupont (Etienne). — Le Mont Saint-Michel inconnu. Estrée (Paul d') et A. Callet. — La Duchesse d'Aiguillon, « une grande dame de la Cour de Louis XV ». Faure-Biguet (J.-N.). — L'Orne lointaine, des vers gracieux, pleins de jeunesse et de générosité : c'est, nous dit M. Mau- rice Barrés, dans sa préface, « une jeune chanson char- mante et nuancée; je vois bouillonner la jeune source abondante et limpide; où va-t-elle courir? » Febray (Isabelle). — La Défense de Besançon {181 0-lSTl), orga- nisée par le général Rolland. Ferchat (Joseph), — Le Roman de la Famille française, un très pénétrant et très ingénieux essai sur l'œuvre de M. Henry Bordeaux que l'auteur offre « aux épouses fidèles, aux mères courageuses par qui fleurissent les berceaux et durent les foyers. Aux chefs de famille par qui lève la mois- MÉMENTO DU MOIS DE MARS 89 son des âmes viriles ». Cette dédicace vous renseigne assez bien sur le sens et l'esprit de ce livTe très remarquablement construit, où l'auteur étudie tour à tour en M, Henry Bor- deaux : l'écrivain, le défenseur de la famille et l'héritier d'ime tradition. Poiu- commenter, illustrer, si j'ose dire, son œuvre, M. Joseph Ferchat a réuni, en appendice, \in certain nombre de morceaux qui, à des titres divers, contri- bueront à fixer le lecteur sur les idées morales de M. Hen- ry Bordeaux. Funck-Brentano (Frantz). — Le Roi, « l'Ancienne France », un volume où l'auteiu* étijdie l'histoire de la fonction royale en France, depuis Hugues Capet jusqu'à la Révolution. Ce n'est pas l'histoire, cent fois faite, des hommes; c'est celle de l'institution, c'est, ainsi qu'on nous le dit en termes excellents, une peinture du « paysage » royal et de son inté- ressante transformation, de siècle en siècle, jusqu'à l'heure du crépuscule où notre vieille monarchie devait s'éteindre à jamais. Grand spectacle, ce développement progressif de la monarchie française depuis ses origines jusqu'à la Révolution, développement continu et régulier, qui s'est fait par l'action des forces vives que cette institution avait en elle, indépendamment de la valeur de ceux qui, d'âge en âge, l'ont personnifiée. Ginisty (Paul) et Quatrelle l'Espine. — Chronique parisienne des six derniers mois d'Empire, « A la veille d'un grand drame de l'histoire » : c'est l'évocation amusante, ciu-ieuse, colorée, tragique aussi pour nous qui savons ce que devait être le lendemain, du Paris de 1870, du Paris laborieux, mondain, sérieux ou frivole. Giraud (Albert). — La Frise empourprée, poésies. Gontaut-Biron (Roger de), — Les Reflets et les Rêves, poésies. Grandsaigne (H. de). — Voir Gaston Duchesne. Grappe (Georges). — Claude. Guerlin (Henri). — La Tour aine. Guillot de Saix. — Voir Camille Le Senne. Heeckeren (Emile de). — Correspondance de Benoît XIV, 1742- 1756. Les nombreuses lettres que ce Pape si intelligent, si moderne, du xviii« siècle, écrivit au cardinal de Tencin nous renseignent sur la modération de ce pontife qui vou- lut concilier les libertés de l'Eglise gallicane avec l'autorité du vicaire de Jésus-Christ, qui usa de son autorité avec un rare sentiment de la mesure et sut se concilier en même temps l'estime des protestants et celle des catholiques les plus éminents; sa correspondance est, nous dit-on à juste titre, un document capital de l'histoire du jansénisme pour le détail du gouvernement de l'Eglise au xviii^ siècle. Jablonski (Pierre-Charles). — Les Lueurs : « L'Appasionata, les Génies de ma paix », poésies. Jakob (Gustave). — L'Illusion et la désillusion dans le roman réaliste français (1851-1890). Jary (Jacques). — Essai sur Vart et la psychologie de Maurice Barres. Jean (Albert). — La Pluie au printemps, poésies. 90 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Jelinek. — La Littérature tchèque contemporaine. Joussain (André). — La Pensée et le Désir, poésies. Lallemand (Léon). — Histoire de la Charité. (Suite). Larguier (Léo). — Théophile Gautier. La Tour du Pin la Charce (Lieutenant-Colonel, Marquis de). — Feuillets de la Vie militaire sous le second Empire (1855- 1870). Latreille (Capitaine Albert). — La Campagne de 1844 au Maroc, la Bataille d'Isly. Lauvrière (Emile). — Edgar Poe. Lebesgue (Philéas). — Le Pèlerinage à Babel. Lécussan (Jean de). — Notre droit historique au Maroc; « notre passé dans l'empire du Maghreb. Coïncidences et leçon des siècles ». Leguay (Pierre). — Petite histoire parlementaire de la Réforme de 1902, Cette plaquette, publiée sous les auspices de la Ligue des amis du latin, nous montre à côté du mal le remède nécessaire et urgent : un projet des modifications les plus pressantes à apporter au programme de l'ensei- gnement secondaire. M. Anatole France a donné à ce petit livre l'appui d'une éloquente préface où il s'écrie notam- ment « que la fin des humanités serait la mort du génie français ». Avertissement nécessaire et dont il faudra bien qu'on finisse par tenir compte. Lehaucovirt (Pierre). — Les Origines de la Guerre de 1870; « la Candidatwe Hohenzollern (1868-1870). Lemercier d'Erm (Camille). — Les Poètes de Paris, « du xv° siè- cle à nos jours». Le Senne (Camille) et Guillot de Saix. — Le meilleur Alcade est le Roi, une curieuse traduction en vers de la tragi-comédie de Lope de Vega. Lichtenberger (Henri). — Novalis. Lisle (Henri de). — La sage Ardeur, poésies. Madières (Paul). — Les Poètes parodistes, une anthologie poé- tique. Mandin (Louis). — L^ Aurore du soir, « Ariel esclave », poèmes. Marie (Charles). — Odes. Martin-Decaen (André). — Les Anémones blanches, poésies. Mautouchet (Paul). — Le Gouvernement Révolutionnaire. (10 août 1792-4 brumaire an IV). Rien de plus curieux, de plus passionnant, de plus instructif, que ce recueil de textes législatifs et administratifs qui nous montre comment fonctionna ce terrible gouvernement. Mercereau (Alexandre). — La Littérature et les Idées nouvelles. Michaut (Gustave). — Histoire de la Comédie Romaine « Sur les tréteaux latins ». Miheur (D^ H.). — La Trilogie d' Œdipe : « Œdipe roi, Œdipe à Colone, Antigone », adaptation en vers français. Patmore (Coventry). — Poèmes, un recueil traduit par M. Paul Claudel et préfacé par M. Valery-Larbaud. Peladan. — Introduction aux Sciences occultes (la Chaîne des traditions). Pic des Cèdres. — Sonnets sauvages. MÉMENTO DU MOIS DE MARS 91 Pierling (Le P.). — La Rtisaie et le Saint-Siège, « études diplo- matiques » (tome V). Ce volume nous retrace les relations de la Russie et du Saint-Siège, sous les règnes de Cathe- rine II, de Paul I'^^ et d'Alexandre I^'", Le récit mouve- menté des trois ambassades pontificales en Russie est tout à fait intéressant et instructif, il fait comprendre à mer- veille les « origines réalistes de la politique religieuse des Tzars ». Pilon (Edmond). — Sites et Personnages, un bien joli recueil où l'auteur nous prouve une fois de plus, selon l'heureuse expression de M. Hallays, combien il sait lire, se promener, voir et écrire, combien son érudition diverse et sûre fait bon ménage avec sa fraîche et tendre imagination de poète. Pimienta (Robert). — La Propagande bonapartiste en 1848. Piquet (Victor). — La Colonisation française dans P Afrique du Nord. « Algérie, Tiuiisie, Maroc ». Polti (Georges). — Les trente-six Situations dramatiques. Car vous savez, n'est-ce pas, qu'il y a exactement trente-six situations tragiques; Gozzi l'a affirmé avec autorité, et Gœthe nous raconte que Schiller s'est donné beaucoup de mal pour en trouver d'autres et qu'il n'est même pas arrivé à en découvrir autant que Gozzi. Ce nombre de trente-six avec son air de précision scientifique me paraît un peu comique et je crois que M. Georges Polti qui le discute et l'établit le plus sérieusement du monde ne tient pas autre- ment à cette formule arithmétique. Mais, autour d'elle, il établit des choses bien intéressantes ; il cherche notam- ment, en face de ces situations dramatiques, les émotions des hommes, et il en trouve, lui aussi, trente-six justement; trente-six émotions, voilà la saveur de la vie humaine ! Pottet (Eugène). — Histoire de Saint-Lazare (1122-1912). Huit cents ans d'existence ! Vous voyez que cette prison mériterait d'être vénérable si elle n'était si mal famée. M. Pottet nous raconte, en une série de chapitres très docu- mentés, ses origines, ses transformations successives de léproserie en couvent, en collège, en infirmerie très spéciale ; on trouve, en outre, dans son volume, de nombreuses anec- dotes, le récit de plusieurs évasions et la description de procédés très modernes employés par les voleuses de nos grands magasins. Ce n'est pas joli, joli, mais c'est bien intéressant. Prax (Mario). — Caïn, mystère biblique en deux tableaux en vers d'après lord Byron. Quatrelle l'Espine. — Voir Paul Ginisty. Ricquebour (Jean). — L'Encens et le Riz, poésies « dédiées à rindo-Chine », « l'encens, aliment du culte; le riz, la plante nourricière de l'Extrême-Orient ». Rouziers (Paul de). — Les Syndicats industriels de producteurs en France et à l'Etranger — trusts, cartels, comptoirs, ententes internationales. Roz (Firmin). — Le Roman anglais contemporain, George Mere- dith, Tliomas Hardy, M^^^ Humphry Ward, Rudyard Ki- pling, H.-G. Wells. 92 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Sarrou (A.). — La Jeune Turquie et la Révolution. Savine (Albert). — Le Portugal dHl y a centjins, « souvenirs d'une ambassadrice ». Seillière (Ernest). — Schoptnhauer. Souguenet (Léon). — Voir L. Dumont-Wilden. Tonnelat (Ernest). — Les frères Orimm, « letu* œuvre de jeu- nesse). Tschirch (D""). — La Légende de Naundorff. Vera (André). — Le Nouveau Jardin. Vielé-Griffin (Francis). — La Lumière de Grèce, poèmes. Vignaud (Henri). — Henri-Harriase, « étude biographique et morale ». Vuillaume (Maxime). — Cahiers rouges (Suite). Deux Drames Ipf de 1871 : Gustave Chaudey, dont la condamnation et l'exécution m'apparaissent toujours comme un assassinat, W^i et Edouard Moreau. Je ne puis exprimer l'émotion qui se dégage de ces notes si simplement, si hâtivement écrites, et H * qui nous ramènent, à plus de quarante ans en arrière, en r ,;j pleine fournaise, en pleine tragédie ; l'auteur qui a vu toutes ces choses affreuses de si près, les revit et littéralement nous les fait revivre avec ses récits, feuillets d'un journal sanglant. Warnod (André). — Le Vieux Montmartre. Warrington Dawson. — Le Nègre aux Etats-Unis, un volume présenté par M. Paul Adam. Weill (Pierre). — En attendant la nuit, poèmes. AVRIL LES ROMANS MYRIAM HARRY La Divine Chanson. Ce livre est un fort beau roman, le meilleur, le plus émouvant, le plus humain que nous ait donné encore cette femme de lettres remarquable, au talent délicat, subtil et fort.M^^Myriam Harry, dédie son livre « Au vent, à la lune, à la magie de l'Afrique, à la douceur de ses nuits, à ses mirages d'amour; à tous les cœurs de femmes trop pitoyables ; à tous les héros misérables, mouvants et errants, et solitaires comme les dunes ». J'ai tort, sans doute, de copier ici cette dédicace étrange, trop nombreuse; elle est de nature à vous donner une fausse idée de ce roman si humain, si réel, -i vivant, et qui n'a pas besoin vraiment de tant de parrains et de tant de marraines. Réel et vivant, à un point que je ne saurais dire, ce livre a inspiré au général Heymann, un soldat d'A- frique, une page d'enthousiaste éloquence; il ignore l'auteur, il a reconnu ses héros et ses paysages; et nous-mêmes, qui n'avons point connu ces décors mer- veilleux, nous sommes empoignés, transportés, par la 94 LÉ MOUVEMENt LITTÉRAIRE vérité, par la richesse verbale de leur description et nous les reconnaissons. Nous faisons avec ces héros un séjour admirable dans ce pays d'aventures et de dou- ceur vers lequel avaient cinglé les Argonautes, nous y goûtons la douceur de ces nuits claires et emplies de tiédeurs parfumées, de cette lumière qui coule comme une onde impalpable; dans le mirage du soir^ parmi les oiseaux fous qui volent au-dessus des oasis, nous croyons, nous aussi, voir apparaître parfois le sage Ulysse descendu de sa barque et Nausicaa aux bras blancs. Dans toute cette splendeur, dans ce merveilleux décor évoqué adorablement, une histoire d'amour s'ébauche, une belle histoire entre Ginette, la femme de Landry, et le lieutenant Silvère, le gai luron qui com- mande aux « joyeux )) de Gabès; cet amour s'exalte, passionné, frénétique et pur dans ce décor roma- nesque où Ginette rebâtit le roman de sa vie; et puis, il risque de s'échouer tristement à Paris, où le lieute- nant Silvère glisse de son piédestal fait du sable des dunes; cependant, son front auréolé, là-bas, d'un rayon de soleil africain, s'assombrit sous le chapeau melon; il renaît enfin, dans toute sa douceur et toute sa beauté : c'est « la divine chanson » qui se tait un soir, lorsque Ginette reçoit de là-bas une lettre lui annon- çant la mort de son lieutenant. Cette histoire dont je ne vous ai dit qu'une mince partie est vraiment très belle, d'une poignante, dou- loureuse et large humanité ; elle est réelle, d'un réalisme minutieux et implacable; elle est poétique, d'une exquise et intense poésie : c'est un beau livre. AVRÎL. — LES ROMANS 95 EDMOND HARAUCOURT Dieudonat. Ce roman se passe dans un pays de légende sur lequel règne le duc Hardouin le Juste, en un temps où la coutume voulait .qu'on vénérât les chefs en dépit de leurs fautes, ce qui le distingue et l'éloigné suffisam- ment du nôtre où la coutume veut qu'on les haïsse en dépit de leurs qualités. La duchesse Mahaut, épouse d' Hardouin, après une longue stérilité, est à la veille de donner le jour à un enfant et toute la population implore le ciel pour que cet enfant soit un fils et que ce lils appelé à régner soit doué de toutes les qualités. Comme la ferveur de ces prières est immense, Dieu se laisse toucher par elles; « l'enfant se fait garçon puis, jour par jour, pendant les mois de la gestation, chaque sainte et chaque saint, à leur fête annuelle, apportent les vertus qu'ils possédaient en propre : les qualités de l'esprit aussi bien que celles du cœur arrivaient numérotées et se classaient dans le petit bonhomme avant même qu'il fût né ». Il reçut également les avan- tages physiques : santé, force, beauté. Et voilà sans doute de beaux cadeaux à faire à un enfant ! Le diable alors se mit de la partie, et lui aussi il apporta son présent, et ce fut celui-ci : tous les souhaits du prince Dieudonat seront exaucés irrévocablement ! Don magnifique, don terrible et diabolique; combiné avec toutes les grâces et toutes les vertus de Dieudo- nat, il fait fondre sur lui, sur ses proches, sur son peuple, les pires catastrophes, et ce prince intelligent, puissant et beau, finit, après de prodigieuses aventures, cul-de-jatte, aveugle et sourd, mendiant son pain sous le porche d'une cathédrale. Le lendemain de sa mort, tandis que, tout plein de 96 LE MOUVEMENT tlTTÉRAÎÎlË remords, il hésite à la porte du Paradis, cherchant celle du Purgatoire, saint Pierre le console et lui dit, en lui ouvrant le ciel : — Mon frère, la double sainteté de l'homme, c'est l'Effort et la Pitié. Tu as pratiqué l'un et l'autre. Entre, tu es chez toi. ►, Et voilà, en conclusion, un peu de miséricorde et de réconfort après tant de pessimisme et d'ironie répan- .dus dans ce conte philosophique. Mais que vais-je parler de conte philosophique? Ces deux mots font penser à je ne sais quelle froide et doctrinaire histoire dont les personnages sont des entités, tandis que le roman de M. Haraucourt est le plus amusant, le plus palpitant du monde. On en lit les chapitres, écrits en une langue délicieuse, avec le plaisir le plus frivole, l'agrément le plus vif, et ceux qui, avant tout, cher- chent dans la lecture un divertissement, peuvent y aller sans crainte : en dégustant ce roman, ils auront fait de la philosophie comme M. Jourdain faisait de la prose : sans le savoir ; et ils auront eu le régal d'un bien joli roman. GILBERT DE VOISINS L'Enfant qui prit peur. Les romans qui mettent en scène des enfants, qui étudient avec clairvoyance et sincérité leur cœur pué- ril et profond, leur petite âme, vaste comme le vaste monde, exercent sur moi une séduction toute particu- lière; les romanciers capables d'écrire de tels livres sont d'ailleurs peu nombreux : il leur faut tout à la fois une très rare pénétration psychologique et une pro- fonde tendresse, et ce sentiment ne voisine pas souvent avec cette faculté. M. Gilbert de Voisins les possède AVRIL. — LES ROMANS 97 tous deux au plus haut degré. L'Enfant qui prit peur est une œuvre déchirante et belle qui m'a laissé une impression profonde, obsédante, douloureuse. Et je voudrais ne plus penser à « l'enfant qui prit peur », à ce petit Jacquot, aux yeux trop ouverts, à l'intelli- gence trop éveillée, qui devina tant de vilaines choses, en fut terrifié, et s'enfuit dans la mort. C'est pénible, c'est excessif, et c'est vrai, profondé- ment, le drame de cette vie d'enfant qui pleure la nuit, éperdument, à cause des disputes de ses parents; qui éprouve je ne sais quelle honte, quelle douleur incons- ciente et irraisonnée lorsque le hasard lui fait con- naître les amours coupables de sa mère, à lui, qui ignore tout de l'amour et de la faute, et qui, pourtant, obscurément, comprend et souffre; tant d'autres spec- tacles entrevus, soupçonnés, devinés, désespèrent ce petit enfant qui est pourtant un enfant comme les autres, qui sait très bien jouer dans les jardins à des jeux puérils et violents, qui connaît l'ivresse des courses à la poursuite d'un papillon, qui ne demande- rait, enfin, qu'à vivre comme un enfant. Mais on n'a pas su épargner à ses yeux le spectacle de la vie; il a trop tôt connu la douleur humaine ; il a pris peur et il a couru au-devant de la mort, parce que la vie l'épou- vantait. EMILE EDWARDS Nadjié, la petite Hanoum. Nadjié, la petite Hanoum, est une bien gracieuse dame turque dont l'aventure nous démontre une fois de plus que l'émancipation ne fait pas le bonheur. Elle est bien simple, cette aventure : Nadjié, fille d'Ottier Pacha, le vainqueur des Grecs, s'est éprise du beau 98 LE mouvéménï littéraire capitaine Réfik Bey; elle l'a épousé, elle est heureuse, et puis elle a eu l'imprudence de faire venir auprès d'elle sa petite servante-amie Nourié; et le beau capi- taine courtise Nourié: la faute est consommée, une pro- chaine maternité la dénonce et l'affirme. Alors, c'est chez Nadjié un grand désespoir, elle a déserté la maison, elle s'enfuit. Mais l'amour plus fort que la jalousie et le ressentiment, la rejette dans les bras de son mari le jour où elle le retrouve miraculeu- sement échappé aux meurtres révolutionnaires et, indifférents au tumulte du dehors, Nadjié et Réfik reprennent le doux langage de l'amour et oublient les souffrances et les misères passées dans les phrases entrecoupées de la volupté. Très simple histoire, vraiment, mais elle est contée avec tant de grâce, de spontanéité; elle est d'une si vivante émotion, et puis, surtout, elle nous laisse si bien entendre, sans commentaires inutiles, que Nadjié eût été bien plus heureuse si elle n'avait pas été une petite Turque moderne en proie aux incertitudes et aux souffrances de notre civilisation. Si elle avait été comme les dames d'autrefois, en son pays, passive- ment résignée, elle n'aurait pas connu toutes ces dou- leurs, tous ces déchirements, bien inutiles en somme, puisque le dénouement est resté le même et qu'elle est retombée dans les bras de son mari. Etait-il utile vrai- ment que les délicatesses de notre civilisation vinssent apprendre à ces dames au visage voilé des douleurs ignorées ? MARYO OLIVIER Les Instincts galants. Dans cette œuvre très intéressante j'ai plaisir à saluer les promesses presque entièrement réalisées d'un AVRIL. -^ LES ROMANS 99 très beau talent. M. Maryo Olivier nous explique, dans une préface, la portée morale de son livre : il a regardé les hommes et il s'est aperçu qu'ils n'étaient point heureux, il s'est demandé pourquoi, et il n'a pas hésité à incriminer la civilisation. Pour retrouver le bonheur dans l'humanité, il faut remonter à son âge d'or, c'est- à-dire à sa jeunesse, à une époque où tout vivait selon les lois de la nature, où les fleurs s'épanouissaient sans qu'une main impie osât les tuer en les séparant de leurs tiges, où les humains étaient si riches de biens qu'ils dédaignaient l'or; où enfm, où surtout, les hommes et les femmes, gi'âce à leur sublime ignorance, donnaient à l'amour son véritable sens et ne voyaient en lui que la plus géniale des ruses de la nature qui veut seule- ment se perpétuer et qui réprouve toutes ces joies et toutes ces douleurs sans but, inventées par les amou- reux civilisés. La thèse n'est pas nouvelle; elle ne fut jamais plus actuelle qu'en notre temps de stérilité, et puis, M. Ma- ryo Olivier l'a développée en un livre si vivant, si mouvementé, si simplement persuasif ! C'est l'histoire de Denise Dalziel, qui aime successivement deux hommes, deux frères : Max et Walter Stoll, amie du premier, femme du second, et qui après des péripéties tout à fait émouvantes et dramatiques, trouve le bonheur, le calme, la paix, dans une triple maternité; alors, elle est sauvée: les tentations d'autrefois peuvent revenir, elle ne craint plus rien; tendrement, elle dit à son mari inquiet, en lui montrant ses trois petits enfants qui dorment paisiblement : « Ne m'as-tu pas donné la plus imposante des gardes? » 100 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE PIERRE BOYER Julia Candoli. Malgré les désinences de ce nom romanesque, le soleil d'Italie n'éclaire point ce roman dont l'héroïne est tout prosaïquement la femme de maître Candoli, notaire dans une petite ville des Cévennes. Cette ville, l'auteur l'a baptisée Copropolis, ce qui signifie ville de la crotte, pour ne point contrister sans doute les habi- tants d'une vieille cité qui a bien changé aujourd'hui, qui est devenue un beau chef-*lieu pourvu des avan- tages modernes et dont nous ignorerons toujours le vrai nom. L'histoire qui se déroule dans cette ville, entre des personnages qui sont des coprobates, est tout à fait dramatique et passionnée, c'est celle des amours de Lucien Duteil, étudiant en médecine, et de Julia Can- doli qui longtemps hésite et, vaincue enfin par la pas- sion, se donne à son amoureux. Mais leur bonheur n'est pas de longue durée. Lucien est rappelé à Paris': ils s'écriront désormais, pas longtemps non plus, car Lucien s'éprend d'une grisette et Julia, l'ayant appris, cesse toute correspondance. Un jour, la nouvelle arrive à Lucien de la mort de Julia qui a succombé à la suite d'une opération; il apprend en même temps le drame qui a empoisonné son existence, une histoire de lettre interceptée et de chantage odieux. Il serait désespéré si une lettre pos- thume ne venait lui apporter son pardon; mais tout de même le remords le dévore, il veut expier, et la guerre de 1870 éclate à propos pour lui permettre de donner sa vie à la Patrie et à son souvenir. Ainsi, il se trouve vraiment réhabilité. AVRIL. — LES ROMANS 101 ALPHONSE ALLAIS Le Boomerang ou rien n'est mal qui finit bien. Alphonse Allais, après nous avoir donné tant de joyeuses «œuvres anthumes» nous devait bien un livre posthume. Je vous ai donné le titre, et le sous-titre- comrnentaire de ce volume, et c'est, je crois bien, tout ce que je peux faire pour lui. On ne raconte pas un roman d'Alphonse Allais : ce sont des drôleries rebelles à l'analyse et à la traduction; à les commenter, à les répéter même mot pour mot, il semble qu'on leur enlève toute leur saveur, toute leur puissance comique. Il faut qu'elles soient encadrées par ces étonnants titres de chapitres, coupées par ces soliloques si amu- sants, annotées par ces renvois scientifico-loufoques où excellait ce maître humoriste, cet incomparable pince-sans-rire; il faut, en un mot, qu'Alphonse Allais préside lui-même à la présentation de son œuvre. Il est tout entier, très vivant, dans le Boomerang, ce « charmant petit roman », ainsi qu'il le qualifie lui- même au dix-huitième chapitre, où sont étudiés les phénomènes de réversibilité de l'amour : « L'amour détermine certaines manifestations extérieures, des manifestations extérieures identiques engendrent l'a- mour »; méditez ce théorème et vous ne tarderez pas à découvrir un petit grain de philosophie sous les folies du Boomerang, entre les joyeuses images du dessina- teur humoriste J. Hémard. TRISTAN BERNARD Mathilde et ses Mitaines. Pour nos œufs de Pâques, M. Tristan Bernard nous offre un nouveau roman, oh ! tout à fait nouveau et 102 LE MOUVEMENT LITTERAIRE même un peu inattendu : Maihilde et ses Mitaines est un roman policier. Et un vrai, vous savez ! Avec un terrible mystère au début, une dame assassinée dont on retrouve, au fond d'une cave, le corps marqué à l'épaule d'une croix sanglante, et une autre dame bien gentille et vivante celle-là, mais qui porte à l'épaule la même marque assez inquiétante pour son avenir. Et aussi de ténébreux gredins, un commissaire sans génie, un couple de policiers d'un flair merveilleux, d'une surprenante logique, et un jeune amoureux fort timide en général, élevé dans la crainte des apaches et des querelles nocturnes, mais qui est tout prêt à commettre les pires imprudences et à devenir un héros pour sauver la pauvre petite dame blessée à l'épaule, qu'un hasard providentiel, certain soir tragique, a jetée pour une minute dans ses bras. Et avec tout cela c'est pourtant du pur Tristan Ber- nard; dans le récit de ces terribles histoires, vous retrouverez toute l'observation narquoise, toute la simplicité humaine et vivante qui sont la marque de son délicieux talent ; et voilà ce qui fait de ce livre un roman policier tout à fait à part, d'un genre très spé- cial et qui ne se trouvera pas du tout dépaysé entre « le jeune homme rangé » et le « mari pacifique ». Ces personnages vivent une aventure extraordinaire — moins extraordinaires d'ailleurs que celle dont les ban- dits à la mode nous offrent le spectacle trop réel — et ils la vivent simplement comme, il me semble, nous la vivrions, vous et moi. Ce couple de policiers, le gros Gourgeot et sa femme la noiraude et mince Malthilde aux mains ornées de mitaines, sont étonnants de perspicacité, mais ils ne songent pas à nous étonner : ils raisonnent devant nous, et nous mettent au fur et à mesure, sans nous faire languir, au courant de leurs découvertes. C'est admi- rable et c'est délicieusement simple. Nous vivons avec eux toutes ces histoires qui se déroulent le plus logi- AVRIL. — LES ROMANS 103 quement du monde, nous nous faisons voiturer en leur compagnie dans ce fiacre de gare entre les brancards duquel un quart de siècle de résignation prenait place, nous les suivons dans ce voyage au Havre, certain jour où les prévisions de l'indicateur n'avaient point été trop optimistes... et c'est amusant à un point que je ne saurais dire; émouvant aussi : il y a dans l'aven- ture de Firmin Remongel et de Rose une bien jolie pointe d'attendrissement. Un livre délicieux, où René Blum a bien raison de saluer les mêmes qualités qui sont la parure des romans précédents de Tristan Bernard : une vérité d'évocation peu commune, une aptitude exceptionnelle à placer les personnages dans un décor vivant, de sorte que tous leurs faits, même les plus anormaux, se justifient. PAUL ACKER Les Deux Cahiers. « Ces deux cahiers », nous les voyons apparaître dès le début du livre. L'un, c'est celui où M^^ Desaulmin, aujourd'hui quinquagénaire, écrivait jadis ses impres- sions, son journal de jeune fille : c'est un cahier rayé en rouge, à couverture guerrière, et qui coûtait dix centimes; quand il était terminé on le remplaçait par un autre du même prix avec sur la première page, un autre militaire du premier Empire. L'autre, c'est le carnet de sa fille Suzanne, qui vient de se marier, un ravissant carnet en cuir jaune, de fabrication anglaise assurément, avec ses feuilles légères alphabétisées, datées, amovibles et son stylographe d'or. Le con- tenu est aussi différent que le contenant : sur le pre- mier de ces cahiers, on parle de la maison si jolie avec sa vigne vierge, ses grands arbres et la rivière qui l'en- 104 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE cercle; dans le deuxième, on note les rendez-vous de sport, les parties de golf et les conférences de M. Berg- son. Ainsi, tout de suite, avec ce symbole très simple, M. Paul Acker nous prévient qu'il va opposer l'une à l'autre deux générations de femmes, et il le fait avec beaucoup de tact, de délicatesse, de bonne grâce. Con- trairement à ce que nous pouvions craindre, il ne dénigre pas le présent avec l'éloge du passé; sans doute il est ému doucement par le spectacle de la belle vie de M"^^ Desaulmin, unie et simple et mélancolique, évoquée dans ces cahiers jaunis, mais il comprend aussi et il admire la vierge forte, sa fille, qui, dans son carnet ne fait pas de littérature, note simplement des dates et des faits, mais est capable d'héroïsme et s'en va, par exemple, très simplement au Maroc pour soi- gner des soldats blessés. Et M^^ Desaulmin elle-même, un peu effarée devant sa jeune fille à l'âme virile, sait aussi la comprendre et l'apprécier : « ce laconique carnet de Suzanne, c'est tout de même le carnet d'une infirmière militaire, et mon carnet n'est qu'un journal à l'ancienne mode, un journal de petite fille ». HENRY RABUSSON La Justice de l'Amour. La Justice de l'Amour. Ce titre surprend au premier abord comme une antithèse. La justice de l'amour ! On peut prêter à l'amour toutes les qualités, toutes les grâces, toutes les vertus, sauf une, semble-t-il, qui est précisément la justice. Par essence, l'amour n'est pas juste, et pour être vraiment l'amour, il doit se soucier fort peu de Féquité. C'est pourtant la « justice de AVRIL. — LES ROMANS 105 Tamour », plus clairvoyante et plus charitable que celle de la Cour d'assises, qui nous offre le dénouement de ce roman tumultueux, mouvementé, dramatique et même mélodramatique. Après tout, acceptons-le sans hésiter, puisque, au demeurant, c'était le seul moyen pour Fauteur de tirer ses héros d'un tragique imbroglio. Leurs aventures, qui paraissent fort claii-es dans le roman très bien con- duit, sont extrêmement compliquées et quasiment impossibles à raconter. Il y a là une foule de péripéties, de la passion, du meurtre et de la cupidité autant qu'en pourrait sou- haiter le plus romanesque des romans feuilletons. Mais M. Henry Rabusson se meut avec une merveilleuse aisance dans ces complications nées de sa généreuse imagination, et il trouve moyen, en nous racontant tout cela, de rester le romancier très délicat et très lettré que nous avons appris à apprécier. EDMOND DESCHAUMES Un Monsieur vient de trouver le Secret... n faut savoir gré, en ce temps maussade, aux roman- ciers qui ont le courage de garder leur belle humeur et leur fantaisie. M. Edmond Deschaumes est de ceux-là : il a débuté, il y a longtemps déjà, dans le roman gai t't les années ont passé sans donner une ride à sa fan- taisie, sans assombrir le moins du monde son humeur. Et son dernier roman est sans doute le plus jovial qu'il lit publié. Ce roman, apprécié lors de sa publication au Figaro, méritait de retrouver en volume son succès. Il est vraiment tout à fait divertissant : ses cha- pitres se succèdent rapides, sautillants, sans que le lecteur ait le temps de discuter son plaisir, de contes- 106 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ter quelques petites invraisemblances. Il y a là de l'humour, de Tamour et de Targent, des fêtards pleins de jovialité, des inventeurs d'une extraordinaire astuce, une milliardaire américaine, toutes sortes de gens de fort agréable compagnie, aimables fantoches où Fau- teur a su mettre cependant assez d'humanité pour nous les rendre intéressants. Et c'est un livre tout à fait gentil et charmant. VALENTINE DMITRIEV Le Terroriste. (Traduction de MM. G. Savitch et E. Jaubert). Ce roman russe, dont MM. G. Savitch et E. Jaubert publient une très pittoresque et très vivante traduction, le Terroriste, est l'œuvre d'une romancière, M"^^ Va- lentine Dmitriev qui participe depuis vingt-cinq ans au mouvement littéraire en Russie, où elle a acquis, nous dit-on, une grande réputation. Je ne connaissais pas cet écrivain. M. Savitch nous trace d'elle, dans sa préface, le portrait le plus intéressant et le plus émouvant. Après avoir lu son livre, on sera convaincu en France que les éloges de M. Savitch sont au-dessous de la vérité. C'est une œuvre touffue, copieuse, diverse à l'infini, avec tant de personnages disparates et pour- tant d'une tragique simplicité. Elle se déroule dans le steppe immense et vert, brû- lant le jour, embué de brumes au crépuscule, mysté- rieux et déconcertant la nuit, évoqué en des traits rapides, précis, poétiques, et, dans ce décor, c'est, avec des personnages modernes, des idées modernes, la tra- gédie antique dans toute son implacable fatalité, semée d'épisodes inextricables, si Ton veut les analyser, AVRIL. — LES ROMANS 107 d'une simple harmonie quand on en lit le récit, et, dominant tout cela, le terroriste Stéphan qui marche lentement, aveuglément, avec résignation, à sa desti- née qui est de tout raser autour de lui et en lui, de semer le malheur et le désespoir, pour finir au gibet des terroristes. CLAUDE LEMAITRE Le Bon Samaritain. M "^6 Claude Lemaître nous raconte là une fort gen- tille histoire où abondent les péripéties inattendues, ot qui se termine le mieux du monde. « Le Bon Sama- ritain », c'est un banquier qui s'appelle Philippe Mède et qui, fils de ses œuvres, a réalisé une grande fortune. Un soir, il a aperçu sur un banc des Champs-Elysées une fort belle dame. Comme il est bon, il la confie à un médecin de ses amis, pt puis il la fait conduire dans une maison de santé. Elle s'y est remise tant bien que mal et n'a gardé de cette fâcheuse aventure qu'une com- plète amnésie : elle ne sait ni d'où elle vient, ni qui elle est; tout ce que Philippe peut connaître d'elle, c'est que son linge est marqué H. En possession de cet indice, il l'a baptisée Hélène et s'est pris à l'aimer de tout son cœur. Il désire l'épouser, mais comme il faut un état civil à sa fiancée, il charge le policier Calesse de reconstituer l'histoire de la dame à la mémoire défaillante. Le policier Calesse s'acquitte de sa tâche avec d'au- tant plus de zèle que la mère de Philippe lui a confié la même mission, dans un but d'ailleurs fort différent, celui de rompre le mariage projeté. 11 découvre la vérité : Hélène s'appelle en réalité Henriette, elle a eu toutes sortes de malheurs ! Elle a épousé un mari mor- 108 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE phinomane, aujourd'hui mort, et elle est la fille d'une veuve qui habite en Normandie. Philippe que le mystère avait si fortement émous- tillé voit son goût tout à fait diminué maintenant qu'il connaît la banale vérité; il se contenterait fort bien de faire d'Hélène-Henriette sa maîtresse, mais la mère de cette dernière, à qui il expose ingénument ce projet, le repousse avec le mécontentement que vous pouvez supposer. Et, ma foi, Philippe se décide à épouser sa belle inconnue, les deux belles-mères fraternisent et ce sera peut-être — pourquoi pas? — un excellent ménage. ALBERT JUHELLÉ L'Impossible Hymen. Il y a, dans V Impossible Hymen, une situation tra- gique, la plus tragique des situations imaginables : celle-là même qui fit frémir depuis tant de siècles les spectateurs d'Œdipe roi, avec cette différence que les héros infortunés de Sophocle étaient une mère et son fils, tandis que ceux de M. Juhellé sont un père et sa fille. Je ne vous étonnerai pas en vous révélant qu'il y a quelques autres différences entre la tragédie antique et le roman moderne. Les héros de M. Juhellé souffrent, sans doute, et se désespèrent de la terrible situation où le Destin les a mis, niais ils ne poussent pas, autant que nous le croirions légitime, la situation au tragique. Que voulez-vous, tout dégénère, même le remords ! Donc, le séduisant René Tracy, étudiant en droit, a, certain soir de Mardi Gras, fait la conquête éphémère et rapide d'une femme du monde qu'il n'a jamais revue. Vingt ans après, devenu avocat, il a rencontré AVRIL. — LES ROMANS 109 une jeune fille, Yvonne de Chantenay, qui lui parut fort séduisante et qu'il courtisa pour le mauvais motif. Mais Yvonne veut se marier, et elle présente son soupirant à sa mère, laquelle n'est autre que la dame du Mardi Gras d'il y a vingt ans. Un instant d'inquiétude, d'angoisse, et René Tracy reprend sa course insouciante vers le bonheur. Il atteint au but, Yvonne devient sa maîtresse, et M^*^^ de Chan- tenay, éperdue, horréfiée, apprend la vérité à l'avocat, t't cette affreuse vérité est révélée à Yvonne même dans une scène terrible. C'est « l'impossible hymen ». M nie de Chantenay entraînera au loin sa fille éperdue t pleurante. Œdipe, en face d'une telle situation, se creva les yeux; René, lui, s'en va en murmurant : « Le Destin est seul coupable. C'est lui qui m'a conduit à boire deux fois à la même source ! » HENRI AMIG Cœurs inconnus. Tous les cœurs sont des cœurs inconnus: Maupas- sant le disait dans des pages que M. Henri Amie rap- pelle au seuil de son livre. « Et moi, j'ai beau vouloir me donner tout entier, ouvrir toutes les portes de mon âme, je ne parviens point à me livrer. Je garde au fond, tout au fond, ce lieu secret du moi où personne ne pénètre. Personne ne peut le découvrir, y entrer, parce que personne ne me ressemble, parce que personne ne comprend personne. » Les êtres qui aiment ou qui sont aimés ne croient })as cela, ils s'imaginent orgueilleusement que les mys- tères n'existent plus pour eux. Quelle erreur! Quelle source de déceptions et aussi que de révélations inat- tendues et magnifiques, comme celles de ce Julien, le 110 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE héros du roman de M. Amie, mari trompé de M™^ Do- minique Berges, si noble, si généreux dans son infor- tune. Le roman tout entier, avec ses nombreuses péri- péties sentimentales que je ne saurais vous redire sans trahir l'auteur, est fort intéressant, d'une observation profonde, mélancolique, passionnée : c'est un livre des plus remarquables. ROBERT DE MAGHIELS Le Crime et le Remords. Les nouvelles que M. Robert de Machiels a réunies sous ce titre sont de sujets très divers et de valeur fort inégale, mais il y en a deux : « le Crime et le Remords » et « la Peur de l'homme » qui sont tout à fait remar- quables et qui suffiraient à défendre le livre tout entier contre l'indifférence; la première notamment, l'histoire tragique de cet amant criminel par son silence et sa lâcheté et qui demeure terrifié devant le mal accom- pli « comme un condamné contemplant, hagard, les deux compagnons qu'il s'est donnés, les deux com- pagnons qui resteront près de lui, sans jamais plus le quitter un instant durant toute sa vie, ses deux com- pagnons de chaîne : son crime et son remords. » HISTOIRE, LITTÉRATURE, SCIENCE, DIVERS. Lettres et Documents pour servir à l'Histoire de Joachim Murât (1767-1815). (6"^e çolume.) Il y a dans ce sixième volume d'une bien belle série, ( inq cent cinquante lettres émanant pour la plupart de Murât et de l'Empereur et aussi de Grouchy, Lefebvre, Kellermann, Bessières, de Jérôme Bonaparte, de la leine Hortense, des princesses Elisa, Pauline et Caro- line, qui sont, comme celles des volumes précédents, (l'un merveilleux intérêt. Elles donnent tout son relief I cette figure magnifique de soldat et de roi; nous voyons là, racontée pai' des documents incontestables l'histoire de la « la lieutenance de Murât, grand-duc(Traduction du D"" Bory.) Voici un livre tout à fait curieux et intéressant, œuvre d'un homme qui respecte la vieillesse, mais ne l'aime pas du tout et voudrait retarder le plus pos- sible sa fâcheuse entrée dans notre existence.. Elle apparaît, pour la première fois, entre quarante et qua- rante-cinq ans : c'est beaucoup trop tôt à l'estimation de M. Lorand, et pourtant il est bien des gens qui n'attendent même pas cette échéance et qui, dès la trentième année, présentent les signes typiques de la vieillesse. Ces signes, voulez-vous les connaître ? C'est une cer- taine corpulence, des cheveux gris, des rides sur le visage; les gencives se rétractent et les dents appa- raissent plus longues. Mais je m'arrête, le portrait va devenir tout à fait désagréable... Comment éviter de ressembler trop tôt à ce portrait? M. le docteur Lorand nous l'explique en une série de chapitres tout à fait curieux et pittoresques où il y a, me semble-t-il, une foule d'aperçus nouveaux et qui se termine par les douze commandements de la longévité qui paraissent très raisonnables, mais qui ne sont pas tous également faciles à observer. Après nous avoir conté l'histoire de T^^omas Parr qui mourut à cent cinquante-deux ans et neuf mois, vic- time de la bonne chère que ses hôtes londonniens lui 126 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE offraient et qui convenait beaucoup moins à son tem- pérament que sa nourriture habituelle, misérable, com- posée de fromage, de lait et de pain dur, M. Lorand conclut : « Si quelqu'un nous demandait comment il pourrait devenir centenaire, nous lui répondrions sans tarder : va comme religieux t'enfermer dans un monas- tère, ou bien encore fais-toi paysan. » Alors, que vou- lez-vous? je me résigne, je ne serai pas centenaire. MEMENTO DU MOIS D'AVRIL ROMANS Alanic (Mathilde). — Et Vamour dispose. Bloch (Jean Richard). — Lévy, « premier livre de contes ». Chebrac (Henri de). — Petites Princesses. Fisquet (Louise). — Thérèse Dalhran. Galopin (Arnould). — L'Homme au complet gris, « roman mys- térieux ». Gauthiez (Pierre). — Contes sur velin. Hellons (Fr.). — Les Hors-le-Vent, nouvelles. Kipling (Rudyard). — Chez les Américains (traduction de M. Albert Savine). La Grillière (Raphaël de). — V Eternelle Enigme. Le Roy (Eugène). — U Ennemi de la Mort. ^ Morian (Jacques). — Le Tournant. Savignon (André). — Les Filles de la Pluie, « scènes de la vie ouessantine ». Schneider (Anna). — Arabe Française, « roman algérien ». Tony d'Ulmès. — Pension de Famille. Voos de Ghistelles (Georges). — Après V Amour. HISTOIRE. — LITTERATURE. — THÉÂTRE. — POÉSIE. — POLITIQUE. — DIVERS. Aicard (Jean). — Jésus, poèmes écrits entre 1896 et 1912. Ce sont des pages chrétiennes, des prières, des chants MÉMENTO DU MOIS d'AVRIL 127 d'adoration, de ferveur et de foi ; les belles histoires des évangiles, les bergers dans la montagne, et l'enfant au ber- ceau, et Jean-Baptiste, et le bon Samaritain, et Marie- Madeleine, et Marie mère du Christ, et le Juif errant, et les deux larrons, défilent dans ce petit livre, évoqués en de robustes alexandrins d'un beau métal ; tout pleins de can- deur, d'espérance et de foi. Ces vers, M. Jean Aicard les offre à son grand-père, Jacques Aicard, mort le 29 septem- bre 1872. « Avant», lui dit-il. Avant d^ aller dormir près de toi dans la terre, J^ai voulu, pour ta joie, écrire ce Mystère, Tel un pâtre ignorant, sur un morceau de bois. De son couteau grossier sculpte un Jésus en croix. Albin (Pierre). — La Querelle franco-allemande. « Le coup d'Agadir. » Aubert (D"^ P.). — Sonnets et Vers du Docteur. Avril (René d'). — Les Impalpables, poésies. Baratier (Lieutenant-Colonel). — A travers V Afrique. Evo- quant une belle page de l'histoire française, une page où son nom souvent s'imprime glorieusement, l'auteur nous offre une édition définitive, ornée de huit portraits et six cartes, de son livre. Un beau livre vraiment, de noble simplicité, de vaillance et de vérité, que l'auteur dédie « à ceux qui refusent aux colonies d'être une terre où se préparent des âmes et qui affectent de n'y voir qu'uri terrain de concours pour le grade ou la croix; à ceux qui nient l'utilité du sacrifice; à ceux aussi qui doutent de la permanence en l'armée des vieilles vertus de la race ». Et de \Tai, rien ne saurait mieux les convaincre et les conver- tir que ces récits héroïques. Bernard (Jean). — La vie de Paris, 19n. Bois (Jules). — Nail, le poème dramatique sur lequel M. Isidore de Lara a brodé une si belle musique. Le poète est digne du musicien et il lui a apporté une œuvre qui est autre chose qu'un livret d'Opéra. En guise de préface, M. Jules Bois nous a donné une savante et poétique étude siu" « les gitanes du désert », ces ouled-naïlia qui sont « im des éléments indispensables du paradis terrestre : elles apportent un avant-goût de ces voluptés promises au bon mulsulman par le prophète, elles incarnent ici-bas les houris du ciel. » Boissy (Maurice de). — Pages d'hier, poésies. Bonand (R. de). — La France de V Afrique du Nord. Bonnamour (Georges). — La Splendeur des choses, des vers très lyriques que le poète place sous l'invocation de l'Amour, du « Divin, mystérieux, impérissable Amoiu* ». Bouscatel (Jean). — La Nostalgie de la Beauté, des pensées très judicieusement choisies de Jean Lorrain, réunies sous un bien beau titre, commentaire éloquent, précis, décisif, de l'œuvre de l'écrivain. Carret (D"" Jules). — Démonstration de V Inexistence de Dieu. Castex (Lieutenant do vaisseau). — L'Envers de la guerre de course. 128 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Caussy (Fernand). — Voltaire, seigneur de village. C'est l'his- toire de Voltaire à Ferney, gentilhomme campagnard qui Elante, fume et défriche, seigneur de village soucieux de i prospérité et de l'embellissement de son village, nota- ble qui s'occupe des routes, des impôts, des réclamations, et c est tout à fait instructif, amusant, et parfois fort émouvant. Delza (André). — Le Vent du soir, poésies. Efepagniat (Roger). — Les Martyrs de V Aviation, un volume présenté par M. Maurice Barrés. Deslmières (Lucien). — Le Maroc socialiste, un livre où l'écri- vain socialiste bien connu demande qu'on procède à une expérience de colonisation sur la base collectiviste dans la région marocaine du Sebou. Je ne doute pas des intentions de M. Deslinières, mais je comprends assez qu'un gouver- nement bourgeois se méfie un peu de ce bloc enfariné. Douady (Jules). — La Mer et les Poètes anglais. C'est toute l'histoire de la poésie maritime anglaise évoquée depuis Chaucer, Spencer, Shakespeare, jusqu'aux poètes moder- nes de Coleridge à Shelley et à Kipling, en un volume excel- lemment traduit et présenté. Doysié (Abel). — Heures de France et d'Exil, poèmes. Drouët (Marcel). — Quelques feuillets du Livre juvénile. Duranty (Marquis de), — Voir Paul Ga:ffarel. Emerson. — Les Forces éternelles et autres essais, une fort remarquable traduction de M"^ k. Johnston, Faguet (Emile). — U Initiation philosophique; c'est en de bien jolies pages, éloquentes, claires et précises, lui guide char- mant de l'apprenti philosophe, il trace la voie au débu- tant, il satisfait déjà, et, surtout, il excite ses premières curiosités, il donne luie idée suffisante de la marche des faits et des idées. Il mène le lecteur, un peu rapidement, des origines les plus reculées aux derniers efïorts de l'esprit humain, d'Anaximandre et d'Heraclite jusqu'à M. Bergson. Fendrich. — Les Sports de la Neige, adaptation française de M. René Auscher. Fleischmann (Hector). — Victor Hugo, Waterloo, Napoléon, un fort intéressant recueil de documents littéraires et gra- phiques. Foley (Charles). — Femmes aimées, Femmes aimantes ; ce sont, évoquées en une bien séduisante et touchante galerie, les belles dames qui, pendant sept ou huit siècles, firent le bon- heur et le désespoir des hommes depuis la reine Bathilde jusqu'à l'Inconnue de Mérimée, en passant par la doulou- reuse Marceline Desbordes, M™^ de Prie, M^^^ de Pompa- dour, la princesse de Lamballe, Marie Stuart, tant d'au- tres qui furent belles, qui furent aimées, qui furent amou- reuses. Fraysse (Antonin). — De VAuhe au Soir, poèmes. Gaffarel (Paul) et Marquis de Duranty. — La Peste de 1720 à Marseille et en France. Gillouin (René). — La Philosophie de M, Henri Bersong, un MÉMENTO DU MOIS d'aVRIL 129 \oluine où l'auteur prétend démontrer que dès maintenant M. Henri Bergson a sa place marquée parmi les très grands philosophes de tous les pays et de tous les temps, que la pliilosophie bergsonienne apparaît comme la matrice de toute philosophie future. Hallays (André). — En flânant à travers la France : la Tou- raine, V Anjou et le Maine. Harmel (Françoise). — La Chasteté. Hauser (Fernand), — Le* Mystère des Mois, de beaux vers qui chantent, depuis mars le plus jeune des mois, jusqu'à février, « armonciateur du printemps », en passant par août, *( mois de l'hyménée », novembre aux tomoeaux, décembre et les cyprès. Huard (C.-L.). — Histoire des Arabes, deux volumes consacrés à l'histoire considérable qui se déroule, non seulement dans lapéniusule de l'Arabie, mais dans tant de parties du monde où les Arabes imposèrent leur domination et leur langue. L'ouvrage de M. C.-L. Huard est le premier qui ait paru sur ce sujet depuis longtemps, depuis notamment la publi- cation des textes arabes et les travaux critiques qui ont complètement transformé notre conception du mouvement islamique, à la fois religieux, politique et social, avec la langue arabe pour véhicule. Hulot (Capitaine G.). — La Manœwvre de Laon (1814), étude stratégique. Imbert-Vier (Joé). — Le Chemin entre les Haies, poésies. Joubin (D^^ L.). — La Vie dans les Océans. Jouglet (René). — Les Roses sur la Vie. Kaiser (Isabelle). — Le Jardin clos, poésies. Laurentie (François). — Barbey d'Aurevilly. Lecomte (L. Henry). — Napoléon et le monde dramatique. Leguay (Pierre). — Universitaires d'aujourd'hui : « Lavisse, Lanson, Lichtenberger, Langlois, Durkheim. » Léonard (Fr.). — Babylone, çoèmes. Lepelletier (Edmond). — Histoire de la Commune de 1871, un volume consacré au « Comité Central ». Leroux Cesbron. — Av^ portes de Paris. Ménagé (Victor). — Roméo et Juliette, drame en cinq actes en vers adapté de la pièce de Shakespeare (1596), d'après la nouvelle de Luigi da Porto (1535) et la légende. Moeller (Charles). — La Politique des Etats européens devant la seconde raoitié du siècle dernier. Nansouty (Max de). — La Locomotive et les Chemins de fer. Palante (Georges). — La Philosophie du Bovary sme. Paysan (Achille). — Vers Dieu, poèmes. Regismanset (Charles). — La Vaine Chanson, poèmes. Sauzey de la Sabre tache (Lieutenant-Colonel). — Les Alle- mands sous les Aigles françaises, « Essai sur les troupes de la Confédération du Rhin» (1806-1813). {Suite.) Schurman. — Derrière le rideau. Ségur (Marquis de).^ — Parmi les cyprès et les lauriers, un certain nombre d'études et de portraits littéraires que l'éminent académicien composa au cours de conférences dont on n'a 130 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE point oublié le succès, sous la Coupole, ou devant une tombe entr'ouverte. Et ce livre aux sujets si variés, traités dans des circonstances si diverses, est cependant d'une belle harmonie. Qu'il parle ou qu'il écrive, le marquis de Ségur possède au suprême degré cette éloquence académique, noble et sereine, dont il sait à l'occasion tempéref la gravité par de la bonne grâce et de la bonne humeur, et ce sont des pages éloquentes sur Louis Veuillot, une évocation infini- ment aimable et spirituelle de Louise Colet, une décisive étude sur les Goncourt, de belles pages émouvantes et émues sur Albert Vandal et sur Emile Gebhart, et ce remarquable discours académique prononcé lors de la réception d'Eugène Brieux. Taris (Etienne). — La Russie et ses richesses. Ussel (Vicomte Jean d'). — Etudes sur r année 1813. 2® volume : L^ Intervention de V Autriche (décembre 1812-mai 1813). Vaillat (Léandre). — La Savoie, un livre tout à fait joli, hom- mage attendri d'un voyageur sentimental à cet admirable pays, à ces paysages émouvants d'une beauté qui oppresse, « à ces campagnes aux colorations tendres allant des bleus sombres de saphir au vert mousse rompu d'or, en pt ssant par toutes les variations des bleus, des verts, des mauves et des gris », Nous le suivons ravis et parfois transportés, sur les rives du Léman, dans les vallées de la Dranse terrible et charmante, vers ce monastère d'Abondance, ce col des Gets, cette abbaye de Mélan où séjourna M™e Guyon, Chamonix où vécut George Sand, dans tous ces coins merveilleux dont on ne saurait perdre le souvenir quand on en a une fois connu le vertige et la douceur. Vesme (Gemma de). — Le Songe de la vie, un bien beau drame en vers qui mériterait une longue analyse et qui, j'espère bien, sera quelque jour réalisé, bien qu'il soit si original, si étranger au cadre des banalités accoutumées du théâtre contemporain. L'éminent astronome Camille Flammarion a éprouvé une très vive et sincère admiration pour ce beau poème, œuvre d'une jeune fille de dix-neuf ans, « douée d'une érudition rare et des plus hautes facultés intellec- tuelles, œuvre qui fait penser et qui nous démontre que toutes les fées n'ont pas disparu de notre séjour sublu- naire ». WooUett (Henry). — Histoire de la musique depuis Vantiquité jusqu'à nos jours, un volume orné de nombreux dessins et portraits, qui va de J.-S. Bach à Schumann. MAI LES ROMANS LÉON BARRY Au delà du Bonheur. M. Léon Barry, en qui j'ai salué avec tant de joie l'aurore d'un très beau talent lorsque, l'an dernier, parut le livre exquis intitulé : Le Voyage d'Hélène, vient de publier un roman : Au delà du bonheur. C'est un fort beau livre et qui, je pense, l'acheminera vers la renommée dont il est digne et que nous ne serons pas peu fier d'avoir prévue et annoncée. Ce roman, écrit en une fort belle langue, est une œuvre émou- vante, humaine, et d'une pensée profonde. L'aventure de Pierre Dalvagne est tout à fait dramatique : ce jeune homme a renoncé à la vie toute pleine de sou- rires, de tendresse et de joies sérieuses que lui promet- tait le monde, pour entrer au couvent des Bénédictins. Après quelques mois passés dans le cloître, il a vite reconnu son erreur : les rigueurs de cette religion, Il'étroitesse de cette règle l'oppressent douloureuse- ment. A la suite d'une gi'ave maladie, il renonce au couvent, il veut rentrer dans la vie; mais sa mère, qui avait tant souffert de son entrée dans les ordres, souffre plus encore de cette fuite impie; la jeune fille qu'il 432 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE aimait et qui pleura son départ s'est mariée; la vie enfin, qu'il répudiait naguère avec tant de ferveur, semble l'avoir à son tour répudié. Il veut vivre néanmoins; il connaît tour à tour les affres de la passion violente, les joies austères du travail, le désespoir des renoncements, lorsqu'il s'aperçoit que l'irréparable est entre lui et sa fiancée d'autrefois, et cependant il prend conscience de son devoir humain, il comprend que la sagesse suprême, c'est l'amour de sa destinée : ultimum Sapientiss Amor Fati, et, paraphra- sant la belle pensée de M"^^ de Staël, mise en épigraphe : « Le but de la vie n'est pas le bonheur, mais le perfec- tionnement », il s'écrie avec désespoir, avec ivresse : « Le bonheur humain n'est pas fait pour moi. Il me faut aller plus loin et plus haut, tout seul. C'est ma destinée, je l'accepte à présent, pour toujours. Quelle que soit une destinée, elle est toujours heureuse et belle quand on l'aime. Oh ! mon cœur ! emplis-toi de dou- ceur et d'amertume, de douleur et de joie, emplis-toi d'amour, démesurément. » MARCEL PRÉVOST Missette. Sous le titre : Missette, M. Marcel Prévost nous offre l'aimable régal de trois grandes nouvelles, trois vérita- bles romans, réunis en un volume. La première de ces nouvelles, « Missette », est une chose délicieuse, d'une grâce désinvolte, d'une émotion légère et profonde. Missette, ce nom gentil, diminutif de Miss, où il y a tout à la fois une caresse familière et un peu de mépris, a été donné par le jeune Raymond à Hilda, une certaine institutrice suisse introduite dans la famille Aligand après le départ de Miss Hannah, la gouvernante de MAI. — LES ROMANS 133 Sabine Aligand, qui s'en est retournée en Angleterre pour se marier. En baptisant ainsi la nouvelle « miss », Raymond, le jeune frère de Sabine, a parfaitement qualifié cette jeune fille a l'air si chaste et si candide, aux cheveux si blonds, aux dents si blanches, qui a tout de suite fait la conquête de toute la famille et qui est, en réalité, une terrible sainte-nitouche au passé tumultueux, per- sonne tout en toc dont les dents blanches sont fausses, dont les blonds cheveux sont teints, et qui, dans cette maison qui l'accueillit avec tant de bonne grâce, se livre aux plus vilains manèges pour, à la fin, s'enfuir certain jour en emportant les bijoux de Sabine et en enlevant par surcroit son fiancé, par qui elle se fera même épouser. Cette histoire rapide, alerte, est contée par Sabine a son ancienne institutrice, et elle nous permet d'ap- précier cette jeune fille, digne vraiment de figurer dans la galerie des vierges fortes et tendres de Marcel Pré- vost. C'est une bien jolie figure, cette Sabine: elle rit gentiment de l'aventure, mais on sent bien qu'il y a, au bord de ses jolis yeux, des larmes qu'elle ne veut pas laisser couler parce qu'elle est courageuse. Vous com- prenez, c'est tout de même une terrible aventure pour une jeune fille de vingt ans ! Elle a beau se raisonner, se dire qu'après tout, de bien plus grands malheurs lui ont été ainsi épargnés; elle a cependant le cœur gros, et il lui faut un joli héroïsme pour raconter ainsi cette histoire de sa première désillusion. Et c'est tout à fait gracieux, émouvant et délicat. Je me suis laissé aller au plaisir de vous parler un peu longuement de cette jolie nouvelle, et je n'ai plus que peu de place pour vous dire la tragique impression qui se dégage de la Paille dans l'Acier, une douloureuse histoire où la vilenie d'une femme amène entre deux hommes, également loyaux et droits, une affreuse catastrophe, et la grâce subtile de la Pro^^inciale, 134 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE trompée par son mari et qui s'arrête au bord, tout au bord du danger des représailles. Et vous voyez que Missette est un livre tout plein de séduction, d'agrément et d'intérêt, où le talent, de Marcel Prévost s'est, pour vous plaire, montré sous toutes ses faces. JOHN-ANTOINE NAU Cristobal le poète. La première fois qu'il fut décerné, le Prix Concourt révéla le nom d'un écrivain du plus haut mérite : John- Antoine Nau; le titre d'une œuvre remarquable et puissamment originale : Force ennemie. Depuis lors, John- Antoine Nau nous a donné des livres qui, tou- jours, portaient la marque d'un rare et beau talent, mais leur fortune fut restreinte : la foule n'a point voulu encore consacrer la renommée de l'écrivain lauréat. Pourquoi? Pourquoi John- Antoine Nau n'a-t-il pas conquis ces suffrages si généreusement prodigués à d'autres qui sont parfois des médiocres? C'est un mystère et c'est une injustice aussi qu'il faudra bien quelque jour réparer. Il se pourrait que Cristobal le poète fournit au public l'occasion de cette réparation. Il est, en effet, comme les précédents livres de cet écrivain, d'une étrangeté prenante, d'une saveur âpre et forte, d'un humour tout à fait original et séduisant ; mais il y a, derrière l'amertume de cette ironie, de la tendresse et de l'émo- tion; et puis, ce roman possède la grande vertu, celle sans quoi toutes les autres sont vaines : il est amusant, il est d'un intérêt direct et le lecteur y peut trouver son plaisir sans avoir la fatigue de le chercher. Le héros du livre est un enfant, un enfant de neuf MAI. LES ROMANS 135 ans, qui fut, par sa mère Angèle, affublé de ce prénom romanesque de « Cristobal » et par un des très nom- breux amis d'Angèle, surnommé « le poète ». Et le romancier nous raconte quelques années de sa vie I mélancolique, douloureuse, jalonnée de taloches, illu- ininée de rêves, qui se déroule dans d'équivoques et sordides maisons d'Alger jusqu'au moment où Cris- tobal, devenu adolescent et voleur, quitte la ville blanche pour suivre son destin de poète, d'amoureux bt de filou. l Cette histoire est toute en nuances, en épisodes curieux, burlesques, dramatiques ou émouvants, qui se pressent en foule dans ma mémoire, si nombreux que je suis bien empêché de choisir. Une figure falote, douloureuse et grave s'en dégage, une figure qui fait penser à Poil de Carotte, aussi noire que celle-là était rouge; frimousse brune, « grosse comme un point de consomptif, qui avait quelque chose de simiesque avec ses petits yeux noirs, vifs et clignotants, ses mâchoires saillantes, son minuscule nez retroussé aux narines écarquillées, son front bombé, haut mais étroit, con- tinuellement plissé et déplissé ». Cet enfant curieux se débat et se déforme dans des maisons étranges qui ressemblent à celles où souf- frirent Olivier Twist et David Cooperfield, au milieu d'un décor évoqué par l'écrivain avec un luxe prodi- gieux de couleurs et qui est d'un peintre plutôt «que d'un romancier. Que de couleurs ! C'est le ciel vague- ment teinté de lilas, les collines rousses et vertes, l'eau l)leue moirée de longues traînées violâtres, la mer étin- celante de saphirs d'ors et de diamants, les montagnes bleues, violettes, rouges, zébrées de feuillages de tous les verts; et sur ces couleurs, d'autres couleurs encore : les faubourgs ennuagés de bistre sous de rouges tuyaux de fabriques, et les petites filles en vestes bleu- phosphore et en couleur soufre, d'autres vertes et roses, orniifrc f't turquoise, lilas et perle, citron et pivoine. 136 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Et c*est un style étrange, heurté, avec des images très belles, avec aussi une condamnable prédilection pour les néologismes : les colonnades « rivoliennes » des rues, la « sémillance » des femmes, que sais-je encore... Et tout cela, d'ensemble, constitue un beau livre, œuvre d'un homme de grand talent qui doit connaître, qui connaîtra les grands succès. MAURICE MAINDRON Dariolette. Maurice Maindron, mort il y a quelques mois, avait laissé le manuscrit d'un roman qu'on nous offre au- jourd'hui et qui s'appelle Dariolette. Dans la galerie si belle, si riche, des œuvres de Maurice Maindron, Dariolette occupera une place tout à fait particulière. C'est un de ces romans mystérieux qu'on nous pro- digue en ce moment avec une générosité un peu exces- sive : enlèvement et disparition d'une dame, stupeur d'un mari un peu niais, convoitises allumées autour de la dot d'une riche héritière, laquelle est la nièce de la dame enlevée, ruses ténébreuses de bandits, habileté merveilleuse et bravoure d'un détective amateur qui met.tout son flair et toute sa vaillance au service d'un amoureux sincère, lequel chérit la jeune fille sans rechercher sa fortune, et finalement, découverte du mystère, châtiment des gredins, triomphe de l'amour, et heureux mariage. Vous voyez, c'est toute la poétique du genre; seule- ment, Maurice Maindron, vous vous en doutez bien, n'a pas fait ce roman-là comme tout le monde. Et tout d'abord, il l'a situé au début du xvii® siècle, sous le règne de Louis XIII; ses bandits sont des Italiens qui font partie de l'entourage de Concini, son détective MAI. — LES ROMANS 137 est un valeureux capitaine de chevau-légers qui s'ap- pelle La Caissière, et toute cette ténébreuse histoire se déroule dans un cadre pittoresque, coloré, animé de figures truculentes évoquées avec cet art prestigieux qui était celui de Maurice Maindron : c'est tout à fait amusant et dramatique, et tous ces héros feront bonne figure entre Saint-Gendre et Blancador. RENÉ LE CŒUR Lili. Le surnom de Lili vous fait penser tout de suite à quelque petite femme agréable. Détrompez-vous ! C'est celui du vicomte de Clères de Fleuries, un beau garçon de trente-cinq ans. Quand un homme s'appelle Lili, les plus fâcheuses suppositions sont permises sur son compte; elles ne sont pas toutes justifiées dans la circonstance : le vicomte aime beaucoup les dames et le jeu, et cette double passion, combinée avec une incu- rable paresse, l'a conduit à la ruine totale et à la détresse. Pour se tirer d'embarras, il aurait eu volontiers recours aux bons offices de sa petite amie Lina, mais celle-ci l'a fort proprement jeté à la porte et Lili, qui pourrait s'évader de cette vie ou se mettre au travail, découvre une troisième solution : il va faire la cour à la mère, très mûre, d'un de ses petits camarades. Après de patients efforts il réussit, il épouse M "^^ Rai- zet. Mais, stupeur! M^^^ Raizet, qu'il croyait riche, n'est que l'usufruitière de la fortune qui dans trois ans reviendra à son fils, et Lili se trouve avoir fait la plus malheureuse des spéculations. Le voilà plus gêné que jamais, obligé de quémander son argent de poche et de satisfaire aux fort pénibles volontés d'une épouse exigeante. 138 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Encore, il a pendant quelques années l'illusion, Tap- parence du bien-être, mais le fils de sa femme atteint sa majorité et le ménage se trouve réduit à la portion congrue. Ces deux époux qui se méprisent assez juste- ment mènent alors côte à côte, hostiles, une vie de pri- vations et de misères. Enfin, la femme de Lili meurt, son fils secourable alloue au veuf une maigre pension insuffisante et que le vicomte essaye d'arrondir en vendant son titre à cer- tain fils naturel, lequel traite ce titre comme il con- vient et s'en va le mener sur les bancs de la Cour d'as- sises. Ainsi, Lili qui n'avait vraiment pas besoin de cela, est déshonoré par procuration, et il s'en va ter- miner sa vie misérable dans un coin de Rouen où, pen- dant de longues années, il se livrera, sous l'œil des voi- sines, aux soins de son ménage. Histoire lamentable, comme vous voyez, mais M. René Le Cœur a su nous la raconter avec tant de bonne grâce et d'esprit qu'elle nous paraît tout à fait divertissante et agréable, je ne dis pas émouvante, car l'auteur n'a jamais eu le dessein de nous émouvoir sur le sort de son triste héros. BINET-VALMER Le Plaisir. M. Binet-Valmer évoque le Plaisir en des pages ardentes, tumultueuses et vraies. Dans ce livre, né d'hier et déjà célèbre, j'ai retrouvé toutes les qualités curieuses et fortes de l'auteur des Métèques et du Gamin tendre, et aussi ce défaut, imputable à moi sans doute beaucoup plus qu'à l'auteur, d'être tout à fait rebelle à l'analyse. Je me sens, en effet, incapable de vous raconter sans MAI. LES ROMANS 139 la trahir, l'histoire de la comtesse Catherine de Vinzel, mariée au séduisant Pierre de Vinzel, qu'elle chassa certain jour après avoir surpris sa trahison et par qui elle se laisse reprendre malgré elle, malgré son orgueil blessé, asservie, transportée par « le plaisir ». Ce plaisir qui domine, qui enflamme l'œuvre tout entière, M. Binet-Valmer l'a exalté avec beaucoup de ferveur et de véhémence, mafs vous n'y trouverez pas d'allé- gresse, et même vous aurez, je pense, l'angoisse d'une fatalité qui pèse sur ces héros. C'est le plaisir souverain, tyrannique, irrésistible, ce n'est pas la joie. Tous les personnages de ce drame M. Binet-Valmer les a regardés de terriblement près : il a pu nous rapporter la vision de formes voluptueuses et belles, mais il a dû remuer et explorer des fonds singulière- ment moins beaux; de là un curieux mélange de lyrisme effréné et d'attristante et violente réalité. EMILE GUILLAUMIN Le Syndicat de Baugignoux. Le Syndicat de Baiigignoux est un livre bien curieux, document émouvant et sincère pour servir à l'histoire du syndicalisme paysan à l'aurore du xx^ siècle. Cette histoire a si peu l'air d'être imaginée, que M. Emile Guil- laumin croit devoir nous mettre en garde, dans sa dédicace à M. Daniel Halévy, contre la tentation d'y voir un roman à clef et de le reconnaître lui-même, l'auteur, dans son héros. Le syndicat de Baugignoux « peut être une œuvre didactique, dit-il, un roman à clef, non ! » Et certes, c'est une œuvre didactique : il n'y aurait presque pas un mot à y changer pour en faire le procès-verbal 140 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE authentique de ce mouvement syndicaliste des métayers du Centre dont on a tant parlé ces derniers temps. Marcel Salembier, qui nous conte en son fruste lan- gage ces événements auxquels il prit une si grande part, est un paysan intelligent, à qui l'école primaire a donné tout ce qu'elle pouvait, notamment le goût de la lecture; et, ce goût, il le satisfait d'abord avec les humbles feuilles du canton, puis avec des ouvrages prêtés : A mon frère le Paysan, de Reclus, Entre Paysans, de l'italien Malatesta, et quelques autres du même acabit. Ces lectures lui ont révélé les injustices dont ses pareils étaient victimes; malgré l'optimisme du père qui, avec ses histoires d'autrefois, lui montre que le sort du paysan est tout de même aujourd'hui plus heureux que jadis, il a songé qu'il y avait beaucoup à faire pour l'amélioration du sort de ses semblables. Il a connu des exactions commises par de gros fermiers et par des propriétaires : il les a dénoncées dans un petit journal et le bruit fait autour de ses articles, les appels véhéments de quelques camarades l'ont con- vaincu de sa mission: il a voulu libérer les paysans par l'union, il a fondé le Syndicat de Baugignoux. Sincère, ardent, désintéressé, il s'est donné tout entier à sa tâche ; mais, bientôt, pris entre l'hostilité de ses maîtres, le mécontentement des vieux résignés à leur sort, le chagrin de sa femme délaissée, et surtout l'indifférence des paysans, de ceux-là même qui le pous- sèrent le plus violemment, il se désespère; il renonce à ses rêves, à son idéal mystico-révolutionnaire, et il reprend sa vie terre à terre, banale, égoïste et presque tranquille. Cette très simple histoire, M. Emile Guillaumin nous l'a contée en des pages vivantes, frustes, d'une émotion directe qui ne doit rien aux mots ; et c'est un document humain du plus puissant intérêt, une page sincère et MAI. LES ROMANS 141 vraie, si vraie, si impartiale, que les syndicalistes les plus résolus et leurs adversaires les plus ardents peuvent la lire avec le même intérêt, la même sym- pathie, en en tirant d'ailleurs, est-il besoin de vous le dire, des conclusions diamétralement opposées. HENRI DUVERNOIS Le Veau gras. Ce roman dialogué est bien amusant, plein d'entrain, de grâce, d'agrément, d'une verve irrésistible et qui cache sous l'amusement des mots, sous la gaieté des situations, un grain, une foule de petits grains d'ob- servation et de philosophie. J'ai dit maintes fois la sympathie très vive que m'inspirait le joli talent de cet écrivain dont j'ai, le premier, signalé le premier ouvrage, et qui, depuis lors, n'a pas cessé de me démontrer et de démontrer au public, combien j'avais raison naguère en lui prédisant le bel avenir qui s'est épanoui aujourd'hui en un présent si enviable. Et c'est ainsi que chacun des succès de M. Duver- nois m'apporte une nouvelle satisfaction d'amour- propre, sans préjudice du plaisir très vif que me cause la lecture de ses livres. Son nouveau roman me cause, une fois de plus, cette satisfaction et ce plaisir : c'est un livre charmant dont la fortune n'est pas douteuse. Son héros, le Veau gras, surnommé la « Tortillade » et qui s'appelle René Lafourgeix, est un robuste garçon qui aime passionnément les plaisirs de la table; il y a gagné un embonpoint majestueux qui le classe nécessaire- ment parmi les amoureux ou les maris trompés. Les liommes se divisent, en effet, en hommes à angles droits, qui sont les hommes aimés; les... trompés (Molière et M, Duvernois les appellent autrement) sont 142 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE arrondis, ils ont le geste rondouillard. Le Don Juan pourrait être figuré par un L. et... l'autre par un O. René Lafourgeix est certainement un 0. Toutes les aventures qu'il traverse sont dominées par des histoires alimentaires : il prend, pour devenir un homme élé- gant, des leçons d'un maître à manger, il aime au cours d'un dîner somptueusement servi, il est trompé dans un restaurant médiocre, le « Bœuf Couronné », où l'homme en L. reprend ses avantages; il se marie entre deux recettes culinaires... On mange beaucoup dans ce roman, on y boit aussi : les émotions s'y traduisent par l'absorption de sorbets, de bière ou de limonade, et c'est partout la «Tortillade» qui règne. Dans un livre où l'on est si souvent à table, où sans cesse coule le bourgogne et pétille le Cham- pagne, on doit nécessairement être gai, spirituel et parfois profond. On l'est énormément, et c'est une joie qui ne se dément pas un instant; le dialogue, court, verveux, incisif, donne à l'histoire une allure rapide, désinvolte, très « vie parisienne », et c'est tout à la fois — soyons culinaires, nous aussi — un régal de gour- mand d'une admirable abondance comique, et un joli plaisir de gourmet, car les épices délicates et le sel attique n'ont point été oubliés à ce banquet. PIERRE MILLE Louise et Barnavaux. Le héros de ce roman d'une intense originalité, d'une forme tout à fait particulière, le soldat colonial Bar- navaux, entre de plain pied dans le récit sans que l'au- teur ait songé à nous le présenter; il ne s'attarde pas davantage à l'étudier au cours de ces épisodes divers dont Barnavaux est quelquefois le héros, et plus sou- MAI. — LES ROMANS 143 vent le narrateur; et pourtant, à la fin du livre, une image s'est formée sous nos yeux, d'une précision, d'une intensité, d'une couleur extraordinaires; on ne nous a décrit Barnavaux ni physiquement, ni morale- ment, et nous le connaissons parfaitement, « dans les coins, » comme il diluait; ce type si curieux, si prenant de soldat colonial s'est campé tout seul, pour ainsi dire, sous nos yeux, en des traits définitifs. Cette figure où il y a de la brutalité, du cynisme, de la vaillance, de l'honneur et de la grossièreté, figure composite, et pourtant si logique et si vraie, nous l'avons reconstituée, chemin faisant, au cours de tant d'épisodes tragi-comiques, douloureux ou mélanco- liques, sans autre lien que Barnavaux qui les vit ou qui les raconte et dont un mot ou un geste nous révèlent le caractère ; et c'est d'un intérêt saisissant et parfois d'une poignante émotion, malgré Barnavaux qui ne s'émeut pas pour si peu, malgré l'auteur lui- même qui ne veut pas avoir l'air de s'émouvoir et qui garde, en face de ces belles histoires créées par lui, si chaudes, si dramatiques, si captivantes, — un petit air de détachement et d'ironie. HENRY BIDOU Marie de Sainte-Heureuse. C'est le premier roman de M. Henry Bidou, critique dramatique et littéraire de grand talent et de haute culture. Un début comme celui-là est nécessairement très attendu, je dirais presque guetté, dans le monde des lettres, impatient et curieux de savoir ce que don- nera dans le roman l'indiscutable talent d'un écrivain que la critique a mis au premier rang. Cette attente ne sera pas déçue : le roman de 144 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE M. Henry Bidou est une œuvre tout à fait remarquable, écrite en une fort belle langue et qui témoigne d'une rare pénétration psychologique. Je serais tenté de dire que c'est trop bien. L'âme et le cerveau de ces héros sont fouillés avec tant de soin et de clairvoyance; cet amoureux sait tant de choses; il parle si finement de Plotin, de Maeterlinck, de Heine; cette coquette, sur la pente de l'amour, est analysée avec une telle pers- picacité que le lecteur, pris tout entier par l'intérêt de l'examen psychologique, risque de ne plus se passion- ner autant qu'il faudrait pour l'aventure des héros. Elle a de quoi pourtant l'émouvoir, cai^ elle est très humaine et vraie profondément. Marie de Sainte- Heureuse, malgré l'allure monastique de son nom, est une mondaine : elle accomplit assidûment beaur coup d'actes de la vie du monde qu'elle dit pourtant avoir en horreur. Elle a rencontré René Auberive, lequel est un homme d'un caractère heureux, très intelligent, superficiel en apparence, trop doué; « on eût dit qu'il était venu à sa naissance un quarteron de fées, dont la moitié eussent mieux fait de rester chez elles ». Hs se plaisent, et tout de suite leur flirt est consacré par le monde complaisant. René s'enflamme, il aime avec passion, avec ardeur, il souffre; Marie, « légère et molle, vive et indolente, prompte à se reprendre, mais prompte à se prêter, facile avec des résistances, fuyante avec un air d'abandon, » l'encourage et le désespère comme une coquette inconsciente qu'elle est; et puis elle se prend au jeu, elle s'avance vers René qui, sans doute, d'avoir trop attendu, est devenu plus attentif aux défauts, aux faiblesses de Marie. Et ils se mettent à souffrir l'un par l'autre, et puis, c'est enfin l'épilogue, l'épilogue nécessaire, mélancolique quand il fut trop retardé; « subissant la loi uniforme de la nature, égarés, parcourus de frissons, buvant l'an- goisse avec les baisers, ils s'aimèrent, ne s'aimant plus ». MAÎ. — LÈS ftOMANS 145 GILBERT STENGER L'Imperturbable Silence. <( Récit d'un Infirme. » M. Gilbert Stenger, à qui nous devons une si belle histoire de la société française pendant le Consulat, publie sous le titre : V Imperturbable Silence, un livre douloureux qui donne tout à fait l'impression d'un roman vécu. C'est le « Récit d'un Infirme », Achille Blanchard, devenu sourd à l'âge de douze ans, alors qu'il était un écolier intelligent, heureux et doué. Et c'est, depuis l'affreux accident, un calvaire dont chaque étape est une douleur, une tristesse, une humiliation. Son père, un banquier orgueilleux, est frappé dans son amour-propre et dans sa vanité : il en veut à cet enfant de son infirmité, et Achille Blanchard, tout seul avec ses pensées, voudra cependant devenir un homme, il voudra jouer un rôle dans ce monde qui n'es.t à ses yeux « qu'une représentation de marion- nettes aphones, dont il voit les lèvres s'agiter sans pouvoir saisir le son clair des paroles »; il travaillera, et chacune de ses tentatives, chacun de ses efforts sera un échec, une humiliation; ni l'amitié, ni l'amour, ni l'activité ne lui sont permis. Le monde lui est fermé : il y renonce; il se réfugiera dans le domaine familial, où il recueillera un neveu orphelin qui le comprendra, l'aimera, le consolera. LOUISE COMPAIN La Vie tragique de Geneviève. \îme Louise Compain, qui a publié naguère un inté- ressant ouvrage sur la Femme dans les organisations 146 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ouvrières, s'est souvenue de ce que son enquête lui avait appris, dans ce roman. C'est, en effet, un « roman utile » où vous trouverez des renseignements émou- vants sur le sort des ouvrières de l'élégance, des conseils généreux aux femmes soucieuses tout à la fois de coquetterie et d'économie, « qui ne se demandent pas assez souvent si le meilleur marché a pu être obtenu par des conditions de travail humaines ». i rH.'> ^Ge n'est cependant point un roman didactique: les réflexions dont je vous parle sont reléguées tout à la fin du livre et les frivoles lectrices ne les trouveront qu'après avoir eu trois cents pages d'attendrissement et d'émotion; après avoir connu la tragique aventure de cette orpheline élevée dans un asile après la mort de sa mère abandonnée par son séducteur, et qui, par un hasard providentiel, retrouve justement ce séducteur, son père, dans la maison où elle débute comme femme de chambre. Elle y rencontre aussi une ravissante jeune fille, la fille de la maison, sa sœur, Marguerite, et ce pourrait être pour elle le bonheur si l'épouse de son père, une vilaine femme, ne la jetait méchamment à la porte. C'est alors l'aventure des pauvres filles abandonnées, la rencontre du séducteur, la maternité; puis, après quelques mois de bonheur et de tranquillité auprès d'un brave homme qui l'a épousée, le veuvage, la misère, l'asphyxie avec ses deux pauvres enfants, la Cour d'assises — car les enfants sont morts et elle a été sauvée — et enfin, l'acquittement, le salut définitif auprès de sa généreuse sœur Marguerite, qui l'aide à découvrir une raison de vivre et d'espérer, dans le dévouement à ces pauvres ouvrières dont elle a trop bien connu les misères. MAt. -^ LES ROiiANâ 145 ANDRÉ PAVIE Madame Bonverot, préfète. Madame Bonverot, préfète, Théroïne de M. André Pa- vie, est une petite fille de la gentille sous-préfète de Pailleron qui s'ennuyait si fort, mais le monde « où l'on s'ennuie », où l'on doit s'ennuyer, chez les fonc- tionnaires actuels de la République n'est plus le même, paraît-il, qu'il y a trente ans; nous avons marché depuis et si la préfète de M. André Pavie s'était avisée de franchir le seuil de la duchesse de Réville, on peut gager que son pauvre préfet de mari eût été assez les- tement révoqué. Grâce à l'amitié d'un certain Gambillart, chef de cabinet d'un ministre qui passe, M. Bouverot, chef de bureau au ministère de l'intérieur, a été bombardé préfet d'une ville de l'Ouest : Landemont, l'un des chefs-lieux les moins avenants qui soient. Et le ménage s'est installé dans la morne préfecture avec ses deux enfants, un petit garçon et une fillette; tous les quatre ils se sont mis à mener une existence de prisonniers à la chaîne à peine dorée. ]Vlme Bouverot a dû prodiguer ses sourires à une foule de gens qui lui déplaisent et refuser de recevoir les seuls pour qui elle a quelque sympathie, car ce sont justement des adversaires du parti gouvernemental. Puis sont venus, après les petites humiliations, les gros ennuis : fermeture d'écoles libres, installation de laïques réprouvés par la population, luttes où il faut soutenir un candidat abominablement désagréable et fort mal élevé; entre temps, la préfète a dû lutter, non sans difficultés, pour défendre l'honneur conjugal, car, pour être radical-socialiste on n'en est pas moins homme et W^^ Bouverot est gentille; et c'est le récit 148 LE MOUVEMENT LITTERAIRE de toutes ces vilaines petites choses que M. André Pavie nous offre en un roman sans imprévu, mais non sans agrément, ni intérêt. HUGUES LAPAI RE Jean-Teigneux. Jean-Teigneux est une œuvre robuste, saine, vigou- reuse, d'une grande et sincère émotion. On y retrouve ce curieux mélange d'observation très réaliste et d'ima- gination éprise d'idéal que j'ai noté dans les œuvres précédentes de cet écrivain. C'est un conte bleu vécu par des hommes très vivants, des paysans et des bûcherons dont l'humble vie est observée dans tous ses détails, et se déroule dans des décors évoqués avec une vérité quasi photographique. Jean-Teigneux est un jeune berger, fils de Michel Mu- ret, de Muret le Rouge, le révolutionnaire. Après une enfance malheureuse et chétive, privé de la tendresse d'une mère, livré aux violences d'un père alcoolique, il a trouvé un refuge chez maître Moreau, un brave homme de fermier. Là aussi, il a eu des malheurs; notamment il a attrapé la teigne : la maladie a été enrayée à force de soins, mais le surnom dérisoire et douloureux lui est resté; et puis, il a été en butte aux méchancetés d'une aïeule revêche et aussi du valet de ferme, Ursin, cruel, sournois et lâche; mais il s'est vaillamment défendu, il a sauvé, par surcroit, une jeune fille, une enfant de l'Assistance, élevée dans la ferme et qu'il aura le bonheur indicible et inespéré d'épouser au dénouement. Et ce roman, avec ces allures simplettes que lui prête mon analyse, est une œuvre d'une forte saveur, haute en couleur, d'une humaine et profonde émo- tion. MAI. — LES ROMANS 149 ELSA JÉRUSALEM Le Scarabée sacré. (Traduction de MM. Bieisstock et Claude Marcel.) Ce scarabée est très relativement sacré et il est tout à fait symbolique; c'est, nous dit-on, le scarabée des fumiers qui se réjouit d'être éclatant et doré; c'est un joli hanneton vert et or, plein de grâce, seulement il ne faut pas le prendre dans la main, car il secrète un liquide dont l'odeur est immonde. Ce scarabée dit : «Je suis là, bonnes gens, parce que vous avez fait un tas de fumier, sans lequel mon genre de beauté n'exis- terait pas... » Symbole un peu obscur, comme il con- vient, mais dont vous devinez le sens et qui, vous voyez, n'a pas peur des mots. En dehors du titre et de cette explication sybilline, il y a d'ailleurs fort peu de symbole dans le roman d'Eisa Jérusalf^m, mais, en revanche, que de réalités ! Ces réalités, elles se déroulent dans des maisons réprouvées par la morale, et il m'est bien difficile d'analyser ce livre, non pas qu'il soit de tendance immorale, bien au contraire : Eisa Jérusalem veut nous édifier, nous faire connaître une des plus pénibles et des plus douloureuses tares de la civilisation con- temporaine et, pour parvenir à son but, elle nous mène dans l'antre même du mal : elle nous en fait visiter les coins et recoins; nous raconte, sans nous épargner un détail, toutes les menues histoires des personnes qui passent là depuis Catherine la Noire, jetée dans la voie mauvaise par le lâche abandon d'un Prince, jusqu'à Milada, sa fille, élevée, si j'ose dire, dans le sérail. Et ce sont des excursions et des enquêtes dont on ne saurait méconnaître l'utilité sociale, mais dont l'ana- 150 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE lyse est assez malaisée, jusqu'à la résurrection de Milada qui sort de la maison pour partir en guerre contre le mal : roman d'une vie intense, âpre et brutale, d'une probité supérieure dans ses intentions. CLAUDE SILVE La Cité des Lampes. Œuvre étrange, inégale, jamais indifférente, où l'au- teur a raconté le séjour de son héroïne dans une cité secrète, d'où peu s'en retournent, après y avoir demeuré, « dans la cité d'ardente paix où brûlent de continuelles lampes adoratrices, où se consacrent à jamais les vivantes Hosties ». Ce n'est pas un roman, « il n'y est question ni d'amours, ni de morts, ni d'autres malheurs, ni de plaisirs »; c'est le récit sincère — ce qui ne veut pas nécessairement dire vrai, car les images évoquées auraient pu sembler différentes à d'autres yeux : les yeux versent aux choses regardées beaucoup d'eux- mêmes — de l'ascension d'une femme vers la paix sereine du cloître. Elle y tend, elle y aspire de toutes les forces d'un mysticisme ardent, effréné, et puis, elle s'a- perçoit qu'elle ne peut pas; elle est trop l'amie du vent voyageur, de l'espace et du soleil, et la porte du cloître se rouvre devant elle : elle s'enfuit en regrettant éper- dument le repos entrevu. Ecrit dans une langue intéressante et d'une étran- geté qui étonne parfois et séduit souvent, ce livre est d'une remarquable qualité, d'une analyse pénétrante, subtile et violente, et il emprunte à ce mélange de mysticisme et de frénésie, une saveur et une couleur tout à fait particulières. MAI. — LES ROMANS 151 ANDRÉ DE LORDE Cauchemars. M. André de Lorde, qui est, dans la vie courante et mondaine, un homme fort aimable, devient, lorsqu'il prend la plume, un affreux tortionnaire; il éprouve à nous faire frémir, à nous glacer d'épouvante, à peupler nos nuits de songes terribles, je ne sais quelle joie cruelle. Que de maladies de cœur il doit avoir sur la conscience depuis qu'il écrit ! Et, chose admirable, ses lecteurs — telles les femmes qui aiment à être battues — demandent sans cesse de nouveaux tourments, des angoisses nouvelles; ils n'ont pas cessé de frémir qu'ils réclament encore un frisson, et M. André de Lorde continue. Et voilà pourquoi, après tant de choses terribles, il nous offre une série de Cauchemars de derrière les fagots. Ah ! ces cauchemars ! La couverture du livre vous en donne une idée assez exacte : sur un lit, un homme est étendu, et devant cet homme une femme est là, vêtue d'oripeaux multicolores, coiffée de noir, gantée de blanc, avec, comme visage, une affreuse tête •de mort, dont les yeux sans orbites contemplent le dormeur horréfîé. Et voilà comment vous serez lorsque vous aurez lu les vingt-quatre histoires réunies dans ce livre, vingt- quatre histoires où tout ce que la médecine, la chirur- gie, l'automobile, la morphine, le surin des apaches et les erreurs des magistrats peuvent comporter d'hor- reur et d'épouvante a été mis en œuvre avec un art consommé. Et l'on ne saurait vraiment raconter mieux, avec plus de science de l'effet, des choses plus terrifiantes. 152 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE JEAN DE LA BRÈTE Un Obstacle, Dans Un Obstacle, M. Jean de la Brète aborde le pro- blème si complexe, si divers, si délicat, du féminisme. Les œuvres précédentes de cet écrivain, son culte de la petite fleur bleue, sa prédilection pour les joies tran- quilles et souriantes du foyer, me faisaient préjuger de ses opinions sur ce sujet et j'étais bien assuré que l'auteur de Mon Oncle et mon Curé ne serait pas un partisan convaincu de ce qu'on appelle, bien à tort souvent, l'émancipation intégrale de la femme. Et mes prévisions étaient justes. Dans l'histoire de M^^^ Andrée de Pressiat, cette jeune fille qui veut faire sa vie, qui n'entend pas rester à la maison, élever des enfants et tourner le fuseau, il s'est attaché à nous montrer un obstacle, l'obstacle, qui s'oppose à de tels desseins. Cet obstacle, il est, en général, dans l'essence même de la nature féminine; et, dans le cas particulier de l'héroïne, il nous apparaît en chair et en os dans la personne de Pierre de Saint-Fal, un homme qu'elle aime secrètement sans le lui avoir jamais dit, sans se l'être avoué à elle-même. Cet obstacle, il s'oppose obs- curément à la mission que s'est donnée la jeune avocate, et sans renoncer à tous ses espoirs, ni à sa profession, elle se décide enfin à reprendre le chemin du pays, où elle pourra satisfaire à son besoin d'activité intellec- tuelle, mais où, retirée du mouvement, de la liitte féministe, elle retrouvera les traditions de sa famille et de son passé. Ainsi que je le disais au début, M. Jean de la Brète ne saurait, on le voit, être pris pour un féministe; il a fait preuve cependant d'une grande impartialité et s'est efforcé de faire, aux théories féministes raison- MAI. — LES ROMANS 153 nables, leur juste part. Est-il besoin d'ajouter que son roman est plein d'intérêt, d'émotion, de mouvement, et que l'histoire est d'un bout à l'autre attachante? La foule des lectrices de M. Jean de la Brète en sont assurées d'avance en apercevant son nom sur la cou- verture d'un livre. EUGÈNE LE ROY L'Ennemi de la Mort. Le roman de M. Eugène Le Roy, l'Ennemi de la Mort, est une œuvre puissante et douloureuse, digne du talent âpre et minutieux auquel nous devons Jac- quou le Croquant, cette manière de chef-d'œuvre. L' « ennemi de la Mort », dont Técrivain nous conte l'aventure lamentable, est un jeune médecin, Daniel Charbonnière, issu d'une vieille famille périgourdine, qui est venu s'installer, au commencement du xix^ siècle, dans la demeure familiale où son père vient de mourir. De grandes difficultés l'attendent dans cette « maison du Désert », où seule demeure une vieille servante, la Grande; son père a laissé des dettes nom- breuses, mais Daniel est plein de courage, d'énergie et de foi en l'avenir. Il pourrait, tout de suite, avoir la vie large et facile, car sa bonne étoile l'a conduit au chevet de Minna, sa cousine, la fille de son principal créancier; il la soigne, il la guérit; une idylle s'est ébauchée entre eux et il pourrait aisément Tépouser; mais il est huguenot, libre penseur, et la dévotion de la jeune fille et aussi srs millions l'épouvantent; il renonce à elle, et Minna bientôt épouse le vicomte de Bretout, débauché, brutal, que protège le curé. Cependant Daniel, qui s'est mis en ménage avec Sylvia, recueillie d'abord, puis aimée, et dont il a un 9. 154 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE fils, se préoccupe de vastes et généreux desseins : il veut assainir, régénérer le pays où il vit, cette région de la Double que dévaste la fièvre des marais. Son projet sauvera le pays, et les habitants devraient l'aider de tous leurs efforts, mais leur âme paysanne se méfie de cette science suspecte : ils voient en Daniel un ennemi, un ravisseur de leurs biens, et leur animosité, savam- ment attisée par le vicomte de Bretout, devient vite une haine féroce. Daniel alors parcourt une à une toutes les étapes du calvaire le plus douloureux, jusqu'au jour où, appauvri, misérable, errant privé de son enfant ravi, de sa com- pagne, morte à la peine, il est enfin recueilli, lui aussi, par la mort secourable. Quelque soixante ans après, ses projets repris, compris, exécutés, ont assaini toute la région qui fut si cruelle à son bienfaiteur et, parmi tous ces paysans qui saluent, exaltent l'immense pro- grès accompli, il n'en est pas un « qui se souvienne de l'homme au grand cœur, aux idées généreuses, qui le premier conçut le projet de régénérer la Double, du pauvre parpaillot bafoué qui, là-bas, quelque part, sous la lande grise, dort paisiblement de l'éternel sommeil»... DANIEL LESUEUR Au tournant des Jours (Gilles de Claircœur). Daniel Lesueur, cette remarquable femme de lettres à qui nous avons été tenté de reprocher ses récentes excursions dans le roman-feuilleton, fait à nos reproches la plus triomphante et la plus spirituelle des réponses en publiant son nouveau roman : Au tournant des Jours {Gilles de Claircœur). Elle a mis, en effet, dans ce livre, le meilleur de ce talent d'observation profonde, de psychologie raffinée, dont « Les lèvres closes » et MAI. — LES ROMANS 155 a le Cœur chemine » étaient, jusqu'à présent, les plus parfaites manifestations. Mais, de ce roman littéraire, elle a fait une œuvre d'imagination, dramatique, empoignante, très meublée, très touffue, un vrai roman romanesque; bien mieux, elle a choisi comme héroïne une de ces feuilletonnistes qui savent en des romans de cinquante mille lignes faire vivre des fic- tions mirobolantes, qui exercent une quotidienne fas- cination sur des millions de lecteurs. Gilles de Claircœur est le nom de guerre, sonore et claironnant de Gilberte Glaireux, feuilletonniste en vogue du Petit Quotidien ; c'est une ouvrière de lettres à l'imagination ardente, à la culture inachevée, qui a réussi à se faire une très enviable situation en produi- sant sans relâche de belles histoires qui enchantent, émeuvent, transportent les foules, tels ces « Mémoires d'une arpète » récemment parus. Agée d'une quaran- taine d'années, pas jolie, mal vêtue avec de trop belles étoffes, elle est parfaitement heureuse; elle est bonne aussi, et généreuse : elle élève tendrement sa nièce, Gilberte, une orpheline; et, par surcroît, elle comble de ses bienfaits la famille de celle-ci dont elle a fait sa propre famille. Sur son chemin va paraître un bellâtre de \'d3^\, dra- matique, Marcel Fagueyrat, qui bouleversera son existence : très habilement il la livre au démon du théâtre, lui persuade de tirer une pièce de son célèbre roman, de la monter à ses frais ; il en sera, bien entendu, le protagoniste; rien ne lui coûte pour la convaincre, et cette âme neuve de femme un peu mûre se laisse séduire : elle travaille avec emportement, avec fièvre, pour la réussite de l'œuvre, pour la victoire de l'inter- prète qu'elle s'est prise à aimer. Mais l'œuvre ne réussit pas, et Marcel Fagueyrat, «ntre temps, a séduit la nièce du pjauvre Gilles de Clair- cœur. Au dénouement, ils vont se marier, après çivoir arraché le consentement de la romancière au cœur sai- 156 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE gnant et qui, ruinée, au cours de Taventure, se remet noblement, pesamment, au labeur nécessaire, à l'in- vention de belles histoires attendues par tant de lec- teurs avides d'illusions. Telle est l'armature de ce roman. L'auteur Ta peuplé d'une foule de figures très bien observées et campées, animé d'épisodes émouvants et dramatiques qui, pas un instant, ne laissent faiblir l'intérêt. Et c'est un livre fort remarquable qui occupera une belle place dans l'œuvre de Daniel Lesueur. HENRIETTE DE VISMES Les Petites Âmes. Par des lettres échangées et par un journal fort scrupuleusement tenu, nous apprenons à connaître deux petites filles de onze ans : Jeanne Saint-Havenne et Renée Le Brescey. J'ai dit bien des fois ma prédi- lection pour ces livres où l'intelligence d'une grande personne a tenté de s'élever jusqu'à la compréhension de ces petites âmes vastes comme le monde; et je n'avais, pour mon compte, nul besoin d'entendre le plaidoyer que l'auteur a mis en avant-propos, où il nous explique qu'il ne faut pas rire au récit de ces luttes, de ces ambitions, de ces rêveries, de ces fautes, de cette vocation, racontées par une petite fille ; que tout cela est très sérieux, très émouvant, très grand. Il y a bien longtemps que je suis de cet avis et que j'es- time l'intelligence et le cœur des petits à leur valeur, c'est-à-dire bien au-dessus de l'intelligence et du cœur des hommes. Et je crois bien que le public pense comme moi, qu'il s'intéresse passionnément à ces états d'âme d'enfants. Il aimera les petites héroïnes de M"^^ de Vismes, il MAI. — LES ROMANS 157 prendra part à leurs chagrins et à leurs joies, il sera touché par le désespoir jaloux et tendre qui bouleverse la pauvre petite Brigitte et en outre il aura Toccasion de juger deux systèmes d'éducation : celui d'autrefois et celui d'aujourd'hui, car Brigitte Saint-H avenue suit les cours du Sacré-Cœur, cependant que Renée est élevée au Moderne-Palace Cours, et il jugera sans doute în connaissance de cause, puisque M^^^ Henriette de 'Vismes nous affirme que les documents de son roman sont exacts et qu'elle ne s'y est permis que quelques corrections de fautes d'orthographe et quelques addi- tions de points et de virgules. J. GALZY L'Ensevelie. UEnsevelie est une œuvre étrange, toute pleine d'éclat et d'obscurité, et que je me garderai bien d'essayer de vous conter, car je suis assuré que vous ne comprendriez rien à mon analyse; ce ne serait pas votre faute, ni celle de l'auteur, mais uniquement la mienne. Comme j^ ne veux pas la commettre, je me contenterai de vous dire le mérite littéraire de ces confidences de Jacques Séverac, l'écrivain revenu à Montpellier, sa ville natale, après neuf ans d'absence, de lutte et de travail à Paris. Sa première pensée, son premier souvenir, il l'ap- porte à l'ombre d'un ami, Henning, en compagnie duquel, jadis, il avait médité de mourir. Henning a tenu sa parole; lui, pas; il plaide sa cause devant son ombre : « Dis, ne me sens-tu pas ton frère? N'avons- nous pas la même force? N'est-ce donc pas la même frénésie, la même énergie dominatrice qui fit de toi un mort parmi les morts et de moi un vivant parmi l-.s 158 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE vivants ? Tu es allé vers l'ombre et je vais vers la lumière, mais qu'importe, si c'est la même ardeur de vaincre qui nous a guidés? » Tel est l'état d'âme de Séverac au moment où la Destinée va mettre sur son chemin une femme, Béa- trice, idéalement belle, énigmatique et sombre, qui s'est ensevelie dans une maison tragique où son père dément pousse des cris de forcené. Entre ces deux êtres une aventure passionnée, obscure et chaste se poursuit pendant tout le cours du roman jusqu'au jour où Séverac s'arrache à ce vertige et s'en retourne vers la ville : « une ivresse désespérée coulait en lui comme il avait pleuré de vraies larmes. Elle l'étreignit jusqu'à l'angoisse, le tortura comme un bonhem* trop lourd. Il était sauvé. Il était libre comme les Dieux : il venait de vaincre l'Amour et il n'avait plus de patrie !... » JEHANNE D'ORLIAC Le Jardin des Autres. M"6 Jehanne d'Orliac, en qui nous estimions un poète délicat et doué, fait ses débuts comme roman- cière avec le Jardin des Autres. Débuts agréables et qui promettent. Il y a, dans le Jardin des Autres, de jolies qualités d'émotion, de tendresse et d'observation. L'histoire est dramatique, intéressante; on y peut trouver un enseignement : à savoir, que les femmes se laissent plus volontiers prendre par les qualités exté- rieures de séduction, d'élégance, d'adresse, que par les nobles vertus de l'intelligence et du cœur; on y peut découvrir aussi une morale : qu'il ne faut point semer dans le jardin des autres, ni prendre les femmes de ses amis, même quand elles sont délaissées et malheureuses. Dans le second roman qui complète le volume : Les MAI. — LES ROMANS 159 Geôles, M"® Jehanne d'Orliac nous conte l'aventure d'une jeune fille que tout éloigne du mariage : ses goûts d'indépendance d'abord, et, ensuite, le douloureux spectacle d'un ménage brisé, mais qui, cependant, consent à pénétrer dans la geôle — et dans le refuge — du mariage, car, « ce qu'il faut à tout prix, c'est nous fuir; quiconque se prétend libéré, se ment à lui, trompe les autres. Il nous faut appartenir à un être, à une idée ». HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS FRÉDÉRIC MASSON Napoléon à Sainte-Hélène (1815-1821). Cette histoire de Napoléon à Sainte- Hélène (1815- 1821) est une œuvre magistrale à laquelle Téminent historien a consacré de longues années de labeur et dont on comprendra Timportance, si l'on considère que les trois volumes publiés sous le titre : Autour de Sainte- Hélène, et qui furent signalés ici même, puis l'affaire Maubreuil et le Colonel Camille sont, pour ainsi dire, les étapes de ce grand travail, et nous ont fait con- naître en détail les fragments dont le livre paru au- jourd'hui nous offre l'ensemble synthétique, philoso- phique, vivant. C'est un beau livre, d'une émotion poignante et pas- sionnée, d'une vérité évidente, où le dernier acte de l'épopée est raconté dans tous ses détails, dans toute sa cruauté, dans toute sa grandeur. C'est le récit de ce voyage douloureux de la Malmaison au Northumber- land, avec, au début, cette félonie du vainqueur que M. Frédéric Masson ne pardonnera jamais; l'évocation de ceux qui suivirent l'Empereur, la description de la prison, les portraits du geôlier et des comparses; et puis, le drame, le long drame qui se déroule au milieu des persécutions, des traliisons, des abandons, jusqu'à la mort, jusqu'à l'ensevelissement dans ce tombeau sur lequel l'Angleterre « avait interdit qu'on inscrivît MAI. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 161 Son nom, dans la vallée ignorée et perdue, devenue soudain la plus illustre qui fut sur le globe, où Napo- léon, prisonnier, jusque dans la mort, de l'oligarchie européenne, dormit son dernier sommeil ». En utilisant, après un examen minutieux, des sources qu'il nous fait connaître : les « sources anglaises », les « sources européennes », les « récits de Montholon », M. Frédéric Masson nous raconte toute cette magni- fique et douloureuse histoire; il s'efforce de se canton- ner dans son rôle d'historien et de ne pas assumer celui de juge : « Je me suis appliqué, dit-il, à exposer, avec une sincérité entière, les faits que les documents me fournissaient, non les impressions qu'ils me suggé- raient. J'espère qu'il n'a rien subsisté de celles-ci dans un récit dont la passion eût fait suspecter la véracité. » LIEUTENANT-COLONEL BASIL JACKSON Waterloo et Sainte-Hélène. (Traduction de M. Emile Brouwet.; M. Frédéric Masson parle dans sa préface des « sources anglaises » sur l'histoire de Napoléon à Sainte- Hélène : en voici une justement dont on nous apporte la révélation; ce sont les notes et souvenirs d'un officier d'Etat-major, le lieutenant-colonel Basil Jackson, sur Waterloo et Sainte- Hélène. Ces souvenirs furent écrits par un officier anglais qui, après avoir pris une part active à la bataille de Waterloo, avrès avoir longtemps séjourné à Sainte-Hélène avec Hudson Lowe, mourut très vieux, il y a moins d'un quart de siècle, en 1889. Il est tout à fait intéressant de les confronter avec le livre de M. Frédéric Masson et de constater que pres- que toujours ils le confirment. Le lieutenant-colonel Jackson n'est pourtant pas, vous le pensez bien, animé des mêmes passions : il est Anglais et il ne saurait 162 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE juger le rôle de l'Angleterre avec la sévérité de This- torien français; mais, si les opinions diffèrent, les faits avancés concordent bien souvent. Il y a là, après un récit palpitant de la bataille de Waterloo, où la figure de Wellington est évoquée en de belles pages, une relation de l'installation et du séjour à Sainte-Hélène qui est passionnante et qui a ce mérite rare d'être rédigée par un homme qui vécut ces choses. Il n'approcha guère l'empereur, d'ailleurs, qui le tenait à distance, et cela permet de négliger son jugement fort sévère sur Napoléon; mais les autres, les compagnons, comme il les a bien connus ! Pour Hud- son Lowe, il le défend avec une rare énergie et, chose curieuse, il se trouve presque d'accord dans son plai- doyer avec M. Frédéric Masson; comme l'historien français, il affirme que la responsabilité du geôlier de l'Empereur, dans les mesures prises contre Napoléon, est à peu près nulle; tous ses actes furent accomplis sur l'ordre direct, sur les instructions précises du gou- vernement anglais. Il ne faut d'ailleurs accepter ce livre que sous béné- fice d'inventaire; il fut écrit bien longtemps après les événements dont il fait le récit, et sans doute quelques inexactitudes volontaires, et involontaires, s'y glis- sèrent; mais, tel qu'il est, ce document, dont la traduc- tion française est due à M. Em. Brouwet, offre un inté- rêt de premier ordre et apporte une belle contribution à l'histoire napoléonienne. F. CASTANIÉ Souvenirs d'un Vieux Grognard. Je ne connais pas dans la littérature napoléonienne de page plus belle, plus empoignante et plus jolie que MAI. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 163 les « Souvenirs du Capitaine Goignet ». C'est amusant, c'est sincère, c'est direct : l'homme, le soldat, apparaît sans cesse derrière le narrateur; on l'entend parler et l'on partage l'émerveillement des bourgeois lorsqu'ils écoutaient dans le petit café d'Auxerre ces belles his- toires, ces batailles de géants racontées par le vieux grognard. Je viens de relire ces Souvenirs d'un Vieux Grognard publiés par M. F. Castanié, dans la précieuse collection les « Petits Mémoires de la Grande Armée » et j'y ai éprouvé infiniment de plaisir et d'émotion. J'ai aimé aussi le portrait que M. Castanié a campé de ce héros « qui avait le teint bourguignon, haut de couleur, les yeux étincelants et petits, la bouche énorme, le nez inachevé, le poil dur et dru. Sa force et sa vivacité étaient légendaires. Il fallait l'entendre s'écrier, devant les habitués du cabaret, au récit d'Austerlitz : « Nous étions là vingt- cinq mille bonnets à poil, et des gaillards qui avaient soif de gloire, autant que le grand Empereur!» « De préférence il parlait debout, face à la grande salle, appuyé du coude sur le comptoir de la caissière, une femme superbe, dont il était éperdument et respectueu- sement amoureux. A cause d'elle, il ne racontait que dans la nie les aventures trop 'épicées. » Le tableau n'est-il pas joli?... COMMANDANT J. DE LA TOUR Le Maréchal Niel (1802-1869). En un livre d'une éloquente précision, d'une docu- mentation solide et ramassée, le commandant J. de La Tour raconte la vie du Maréchal Niel, 1802-1869 : une harmonieuse et noble carrière qui se déroule à Constantine, Rome, Bomarsund, Sébastopol, ScJfé- 164 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE rino, Toulouse, pour finir au ministère de la guerre. M. le commandant J. de La Tour, qui nous dit toutes ces étapes avec un grand luxe de détails et d'anecdotes, a consacré le plus important de ses chapitres à la der- nière, à celle du ministère de la guerre. Et c'est en effet la plus mémorable, celle que le lecteur attend avec le plus d'impatience et d'angoisse. Il nous plaît de voir rappeler tant d'efforts déployés par ce grand soldat qui avait tout prévu, tout deviné, pour mettre la France en état de défense. Efforts sté- riles, hélas ! et vaine clairvoyance : il mourut de n'avoir pas été entendu ni compris. « Vous verrez, disait-il, les Prussiens feront sur nous le bond de la panthère. » Il n'eut pas du moins la douleur de voir la réalisation de ses prophéties. La guerre ne devait éclater qu'un an, presque jour pour jour, après sa mort. ERNEST DAUDET Tragédies et Comédies de l'Histoire. '( Récits des temps révolutionnaires. » Il y a là trois grandes aventures historiques : la conspiration Magon (1793), une révolution à Naples (1798-1800), et l'histoire d'une mission diplomatique en Russie (1799). Aventures assez peu connues, que M. Ernest Daudet a, selon son habitude, restituées en des pages où la vérité, appuyée sur les documents les plus authentiques, apparaît très vivante et romanesque. Tout cela, ce sont surtout des tragédies de l'histoire ; voici la comédie : elle se déroule « autour d'une chambre royale », celle de Sophie-Madeleine, reine de Suède, où le roi Gustave III n'avait guère pénétré pendant les huit premières années de son mariage. Il s'y décida. MAI. — HÎSTOiRÉ, LITTÉRATURE, DIVERS 165 après la mort de son père, pour l'avenir de sa race et de son trône; et un prince héritier naquit enfin de cette union tardive, mais la Reine-Mère, qui paraît bien avoir été dans cette aventure la belle-mère classique, salua sans allégresse cet événement, et elle alla jus- qu'à insinuer que la visite royale n'avait point sans doute été la seule et que le Dauphin était peut-être un bâtard; d'où grande fureur de la Reine, colère du Roi et brouille dans la famille. Il faut lire cette histoire, comédie assez souvent dramatique, que M. Ernest Daudet a contée avec beau- coup d'agrément, esquivant avec une adresse infinie les scabreux périls de ce récit. DOCTEUR D. GOLDSGHMIDT Autour de Strasbourg assiégé. M. le docteur D. Goldschmidt publie une page émouvante de l'histoire de 1870 : Autour de Stras- bourg assiégé. C'est un beau livre vivant, vécu, sin- cère, où l'horreur du siège de Strasbourg est évoquée, avec une grande et simple puissance, livre utile, où se retrempent des souvenirs nécessaires. Il y a là des actes et des paroles qu'on n'a pas oubliés en Alsace, qu'on ne doit pas oublier en France : il est bon que des souvenirs comme celui des trains de plaisir organisés pour mener des excursionnistes devant Strasbourg en flammes et leur offrir le spectacle de ce « merveilleux feu d'artifice » soient consignés et gardés. Le public français doit lire, il lira, cette page d'his- toii'e, sa conclusion forte et calme qui nous montre, selon la belle parole de M. Ernest Lavisse, dans sa préface, que la main la plus fortement gantée de fer ne pourra saisir cette impondérable : une force morale, iôé tÉ fiiôiJVÉMËNt LITTÉRAIRE « Ni les brutalités, ni les bêtises de la police, ni les artifices de la politique, ni les corps d'armée, ni les forteresses, ni les canons, ni les Zeppelin ne prévau- dront contre la volonté de l'alsacien de garder son tempérament, ses mœurs charmantes nées du charme infini de son Alsace délicieuse. » Il faut remercier M. Goldschmidt d'avoir écrit ce livre qui « prendra place dans cette littérature abon- dante où l'Alsace exhale sa plainte; l'avenir lira cette littérature. Il aimera ce livre triste, douloureux, mais exact et calme, comme un jugement de l'histoire ». MICHEL-AUGUSTE GHAMBOLLE Retours sur la vie. (( Appréciations et Confidences sur les hommes de mon temps. » Michel -Auguste Ghambolle ne fut pas un person- nage de premier plan; et son nom même est assez peu connu de nos contemporains. Il fut cependant, au cours d'une existence qui dura quatre-vingts ans, de 1802 à 1883, — mêlé fort longtemps à la vie politique de notre pays : représentant du peuple de 1838 à 1852, il fut aussi journaliste, collaborateur au Courrier français et au National, puis rédacteur en chef du 6" iècZe et de l'Ordre, — il subit le sort commun des pai-lemen- taires et des journalistes dont on parle beaucoup, qui parlent énormément eux-mêmes, pendant leur vie, mais qui dès le lendemain de leur mort sont voués à un implacable oubli. Du moins, placé à un si beau poste d'observation, il eut l'heureuse inspiration de consigner ses souvenirs, et cela nous vaut aujourd'hui ces Retours sur la vie MAÎ. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 1Ô7 « appréciations et confidences sur les hommes de mon temps » que son fils nous communique. Une figure domine ces mémoires, celle de M. Thiers, à qui Ghambolle avait voué un véritable culte, et dont il ne cessa de partager toutes les idées sous tous les régimes que connut le grand homme d'État; écrits sur son conseil, ils s'arrêtent au lendemain de sa mort; ils sont sans cesse animés de ses idées et témoignent d'une grande sévérité pour ses adversaires, depuis M. Guizot jusqu'à M. Barodet. Tout remplis de renseignements souvent inédits, d'anecdotes curieuses et émouvantes, ils sont complétés par une série de lettres qui sont du plus puissant intérêt et qui constituent vraiment un document de premier ordre. Songez que les corres- pondants de Ghambolle furent, en dehors d'Adolphe Thiers : Odilon Barrot, Béranger, Victor Cousin, Edgar Quinet, Montalembert, Michelet, Tocqueville, Rémusat, Dupin l'aîné, Lamartine, tant d'autres encore. Les lettres de ces hommes célèbres sont bien curieuses et bien suggestives : elles nous renseignent sur une foule d'événements, et puis, on y peut décou- vrir qu'il y a trois quarts de siècle, des personnages très illustres ne dédaignaient pas de demander, pour Ipurs paroles et pour leurs écrits, la diffusion d'un jour- nal et la bienveillance d'un journaliste; il n'y a là sans doute rien d'imprévu, mais c'est tout de même intéressant. HENRY GOGHIN Lamartine et la Flandre. Histoire politique... et littéraire; M. Henry Gochin dédie son livre Lamartine et la Flandre, « à ses chers et fidèles électeurs de l'arrondissement de Dunkerque, « le plus bel arrondissement dq France ». C'est l'histoire i68 Le MOUVËMËNt LiTTéRAlftË d'une campagne électorale; et, de prime abord, quand on a assisté, même en spectateur lointain, à quelqu'une de ces consultations nationales, on n'imagine, pas que ce puisse être là une bien belle histoire; mais d'abord, il s'agit d'une élection qui eut lieu il y a trois quarts de siècle, et cela ne ressemble pas tout à fait à une élection d'aujourd'hui; et puis le candidat s'appelle Lamar- tine, et sans faire tort à nos parlementaires, il faut bien avouer que sa prose diffère un peu de celle que nous lisons sur les affiches que reflètent les mares sta- gnantes ! Et le livre de M. Henry Cochin est un document émouvant, du plus puissant intérêt pour l'histoire morale de la monarchie de Juillet, et pour son histoire électorale. On comprend que l'auteur, « après s'y être plongé à la suite de son sublime prédécesseur Lamartine », s'y soit passionné, et qu'à ses yeux l'his- toire du député d'Arcis de Balzac ait pâli devant celle du député de Bergues. JULES LEMAITRE Chateaubriand. Cette saison littéraire fut incontestablement la sai- son Chateaubriand. René fut le héros d'une foule de conférences, le sujet d'une quantité d'ouvrages impri- més : s'il a pu entendre et lire toutes ces choses, je pense que, malgré son immodestie bien connue, il a trouvé que c'était trop, qu'on parlait trop de lui. C'est à M. Jules Lemaître qu'il devra s'en prendre, car c'est l'éminent académicien qui, par l'intérêt sou- levé autour de ses conférences, a déchaîné le mouve- ment. Il pourra lui faire d'autres reproches. M. Jules Lemaître fut, en effet, pour lui, sans miséricorde. Je MAI. — HtSTOtRE, LITtERAtURË, DÎVEÎIS 169 viens de relire ses conférences réunies en un volume, c'est un régal, mais c'est vraiment bien cruel et on est tenté, parfois, de demander merci pour le héros et la victime de cette étude. On a tort : la gloire de Chateaubriand ne sera pas ternie par les conférences de M. Jules Lemaitre, qui n'eut jamais de si mauvais desseins contre elle. D'abord, il l'a lu, ce qui est un hommage assez précieux et rare — on admire beaucoup Chateaubriand, mais on le lit peu en dehors des Méfnoires d'Outre- Tombe — et puis, après lui avoir décoché tant de traits, il a conclu tout de même que Chateaubriand était « depuis les écrivains du XVI® et du xvii® siècle, l'homme qui a le plus agi sur la langue et sur le style ; l'homme qui a su y introduire le plus de musique, le plus d'images, le plus de parfums, le plus de contacts suaves, et qui a écrit les plus eni- vrantes phrases sur la volupté et sur la mort ». Et tout cela c'est bien quelque chose, sans doute. PAUL BOURGET Pages de Critique et de Doctrine. Dans ces deux volumes : Pages de critique et de doc- trine, M. Paul Bourget a réuni des études, des essais, écrits au courant de l'actualité, et qu'il a groupés en « notes de rhétorique contemporaine », « notes de cri- tique psychologique », « thèse traditionnaliste », et « quelques exemples ». C'est, ainsi que M. Paul Bourget le dit dans sa pré- face adressée à M. Jules Lemaitre, un de ces recueils que nos aînés intitulaient simplement « Mélanges », « sorte d'ouvrage dont le type supérieur serait les Lundis de Sainte-Beuve et les Essais de Montaigne ». L'écrivain ne se dissimule pas que ce qui manque à de 10 15Ô tE MpUVÉMÈNt LiTlilRAlftÊ tels ouvrages c'est Tordonnance, Tunité d'objet, la perspective, mais en revanche que d'autres vertus : spontanéité, liberté, naturel, on a l'impression de cau- ser avec l'auteur, et s'il est vrai qu'ils n'ont pas l'unité objective, une autre unité se dégage de leur lecture: l'unité subjective. Ainsi, les « Pages de critique et de doctrine » ont un double intérêt; elles nous promènent à travers une foule de sujets, de Taine à Léon Daudet, de Théo- phile Gautier à Octave Feuillet, de Balzac à Henri Heine, de Spinoza à Brunetière; elles étudient la crise du parlementarisme, la valeur sociale de la vertu, les théories du Fustel de Goulanges, l'erreur de Tolstoï, et puis, chemin faisant, elles nous renseignent sur l'évo- lution de l'écrivain ou plutôt non, sur son développe- ment, car M. Paul Bourget a toujours protesté contre le mot de conversion, lorsqu'il lui était appliqué, et il ne doit pas admettre non plus celui d'évolution. n explique tout cela dans sa préface, rattachant son passé à son présent et démontrant comment ce tradi- tionnalisme intégral auquel il est parvenu aujourd'hui était déjà enveloppé dans ses apparentes hésitations d'il y a trente ans. HENRY ROUJON Artistes et Amis des Arts. On prétend que certains académiciens très illustres se préoccupèrent fort, aux derniers jours de leur vie, de savoir à quel écrivain pourrait bien échoir leur fau- teuil; et l'on ajoute que leurs vœux n'allaient pas tou- jours au plus digne, mais au plus éloquent et au plus bienveillant, et que le souci de leur futur éloge acadé- mique primait dans leur esprit toute autre considéra- tion. I MAI. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 171 Ce n'est peut-être pas exact, mais ce serait bien excu- able. En tout cas, c'est une préoccupation qui est épargnée aux Immortels des beaux-arts; les Artistes et amis des arts connaissent leur panégyriste : ils savent, depuis le commencement du siècle, que c'est Henry Roujon qui solennellement les célébrera sous la coupole; et ce n'est, certes, pas là leur moins précieuse prérogative. C'est quelque chose vraiment de savoir qu'un jour, le plus tard possible, on est assuré d'être évoqué en des pages gracieuses, éloquentes, profondes, par un écrivain délicieux, maître incontesté en l'art du portrait littéraire. Ce sont, en effet, des œuvres achevées, ces portraits composés avec piété pour une lecture à l'Académie, ou tracés hâtivement sur le bord d'un tombeau. Je viens de les relire dans le volume où mon éminent et cher ami les a réunis, et je suis sous le charme. Amis des arts : le comte Henri Delaborde, marquis de Chennevières, M; de Vandières; peintres : Bougue- reau, Ernest Hébert, Gérôme; sculpteurs: Paul Dubois, Eugène Guillaume; musiciens : Verdi et Reyer; litté- rateurs : notre cher Gustave Larroumet et Ludovic Halévy, ils revivent là en des pages exquises d'émo- tion tendre, de compréhension raffinée; ils revivent pour toujours, parés pour la postérité,^ de leur génie, de leurs vertus et de leurs qualités, par un maître écrivain. Et c'est émouvant et joli; et ces pages si délicates, écrites en un si beau langage, qui font grand honneur à tous ces morts illustres, constituent en même temps le plus bel éloge d'un immortel très vivant qui ne pen- sait guère à lui-même en les écrivant, et qui s'appelle Henry Roujon. 172 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE HENRI LAVEDAN Bon an, mal an {5^^ Série) La série célèbre de ces Bon an, mal an, formera dans la suite des temps, un monument de Tesprit français dans ce qu'il a de plus précieux et de plus rare. Vous savez que les pages de ces volumes sont tout simple- ment des chroniques, écrites chaque semaine, pour V Illustration. Mais quelles chroniques ! Que de verve, de grâce, d'émotion répandues dans ces pages écrites comme en se jouant où les sujets les plus divers effleurés d'une main légère sont traités en une langue d'une har- monieuse perfection, d'une richesse, d'une virtuosité incomparables. Nous avons lieu d'être fiers qu'un tel écrivain soit un journaliste, un de ces hommes qui écrivent pour une foule anonyme dont, peu à peu, ils ont fait une foule d'amis, qui, « en dehors de la secousse de vanité per- mise et des chatouillements d'art, goûtent une joie plus élevée, celle d'aller par une divination dont ils ne sont point responsables, droit aux cent buts divers qu'ils n'auraient jamais cru possible de viser autrement qu'avec ces flèches merveilleuses de la pensée ». GEORGES POLTI L'Art d'inventer les Personnages. M. Georges Polti qui, dans un récent volume, étu- diait, classait, dénombrait, les trente-six situations dramatiques, n'a pas fini de nous étonner : il applique aujourd'hui ses facultés mathématiques à l'Art d'in- MAI. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS, 173 (tenter les Personnages et, à grand renfort de démons- trations, d'équations savamment posées, il établit les douze types principaux, leurs trente-six subdivisions et 154.980 variétés encore inédites. 154.980, voilà un chiffre ! Et quelle aubaine pour les inventeurs de personnages. Pour moiy ces précisions arithmétiques m'enchantent et mon admiration ne connaît plus de bornes lorsque j'apprends de M. Geor- ges Polti qu'il a découvert trois cent soixante-neuf types (369 !) inédits au cours de cette classification, représentant autant de régions inexplorées dans Tâme de chacun de nous. « En les ouvrantj dans l'individu du même coup que dans l'humanité, nous avons com- plété la géographie de l'âme. » Tout cela n'est pas modeste, mais c'est si ingénieux ! ABBÉ FÉLIX KLEIN Mon Filleul au Jardin d'enfants. Les questions de pédagogie, qui intéressaient si vive- ment il y a deux siècles les lecteurs de l'Education des filles, nous passionnent aujourd'hui plus que jamais, et, parmi elles, celle des « Jardins d'enfants » nous semble particulièrement attrayante. Cette question, dont tout le monde parle et qu'on connaît en somme fort peuf l'abbé Félix Klein la traite avec infiniment de bonne grâce et de compétence en ce livre charmant. Il commence très sagement par le commencement, et ne croit pas inutile de nous expliquer, tout* d'abord, ce qu'il faut entendre par « Jardins d'enfants ». Ce n'est pas aussi simple qu'il paraît : le « jardin d'enfants », le « kindergarten » n'est pas un jardin mythique où il naît des enfants; ce n'est pas un jardin matériel, que des enfants cultivent; ce n'est pas même un jardin où 10. 174 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE des enfants se viennent amuser. C'est un endroit où l'on élève les enfants d'une certaine façon, et la façon importe plus que l'endroit. Et voilà qui précise le mieux du monde le sens du kindergarten, jardin où l'on cultive l'enfant comme une plante très délicate, une plante qui portera des fruits suivant sa nature, et que nous n'avons ni le droit ni le pouvoir de faire autre qu'elle n'est. Il nous appartient seulement, jardiniers attentifs, de la pré- server des intempéries, de la réchauffer de notre ten- dresse comme d'un doux soleil. C'est toute une méthode d'éducation que M. l'abbé Félix Klein expose en des pages alertes, amusantes, d'un très grand agrément; méthode qui produira « un enfant vivace, frais, vigoureux, nourri d'expérience plutôt que d'instruction, étranger à la théorie, mais habitué à regarder les faits; n'ayant rien lu dans les livres, mais dans la réalité, non pas savant, mais ca- pable d'apprendre; prêt pour l'école, et, bien mieux, pour la vie ». MÉMENTO DU MOIS DE MAI ROMANS Balsac (Pierre). — La Marche à Vahaolu, « divagations dialo- guées », un livre où il y a en effet de la divagation et dvi paradoxe, mais aussi des dialogues fort adroits, de l'hu- mour et de la psychologie. Bertheroy (Jean). — Le Double Amour. Bringer (Rodolphe). — Girofle- Girofla. Capillery (Louis). — Mais V Amour passa. Claretie (Léo). — Linette, « mémoires d'une enfant de Paris». Conrad (Joseph). — U Agent secret, « simple histoire », traduite de l'anglais par M. Henry D. Davray, Danrit (Capitaine). — Les Filleuls de Napoléon, a Histoire d'une famille de soldats ». 1? i MÉMENTO DU MOIS DE MAI 175 ledda (Grazia). — Dans le Désert {iradviciioTï. de Marc Hélys.) rault (Jean). — La Fiancée de Brumaire. isquet (Louise). — Thérèse Dalhran. Hamp (Pierre). — Le Rail, « la peine des hommes ». Ibanez (Vicente Blaseo). — U Intrus (traduction de Renée Lafont). Lachèse (Marthe). — La Violoniste. Laurent (Hélène). — Marthe Praval. Legendre (Mary- Anne). — Sacrifiée. Mallarmé (Camille). — Le Ressac. Maricourt (André de). — L'Oncle Praline. Morel (Jacques). — Feuilles mortes. Morrisson (Arthur). — Le Mystère de la Tortue, adapté de l'anglais par M. René Lecuyer. Niepce (Gaston). — C'était V Automne. Peladan, — La Theriaque, roman précédé de « la morale dans le roman ». Porret (Max E.). — Mini Lalouet. Saint-Germain (Addy de). — Choisir. Schewœbel (Joseph). — A la Cinquième Prière, « roman tuni- sien ». Star (Maria). — Qui l'emporte? Toudouze (Gustave). — Le Vertige dans VInconnu. Villemagne (Alix de). — Hors de sa Race. HISTOIRE. — LITTÉRATURE. THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS Abbas (Paul). — Prem,ière Paroisse, un livre où l'auteur nous raconte ses débuts de jeune curé; bonne occasion pour faire un tableau de l'état actuel du Catholicisme en France. Allem (Maurice). — Alfred de Vigny. L'Epopée napoléonienne dans la Poésie française, un livre très judicieusement composé, pour lequel M. Frédéric Masson a écrit une vibrante préface. Augé-Laribé (Michel). — L'Evolution de la France agricole. C'est un sujet sévère, mais qui s'impose à nos préoccupa- tions; on s'en rendra compte en lisant ^ou^Tage très pré- cis, très bien construit, où M. Michel Augé-Laribé a étudié, en utilisant une documentation aussi complète et aussi récente que possible, la situation économique de l'agricul- ture, les progrès des techniques, la répartition de la pro- priété, la dépopulation rurale, les associations, le dévelop- pement du socielisme agraire et la fonction politique et morale de la démocratie paysanne. Ses conclusions ne témoignent point d'un très grand optimisme : « C'est avec quelcjue inquiétude que nous confions nos derniers espoirs à l'élite paysanne qui s'éduque dans les syndicats, les coo- pératives et les mutualités. » 176 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Aynard (Raymond). — UŒuvre française en Algérie, un beau livre préfacé par M. Jonnart, Bastide (Ch.). — Anglais et Français du xvii^ siècle. Baudrillard (Mgr). — Frédéric Ozanam, une belle et solide étude consacrée à une grande figure catholique du xix« siècle. Bellanger (Justin). — Mes Dernières fleurs, « poésies nouvelles ». Berger (Alphonse). — La Route de Vair, « Aéronautique- Avia- tion ». Bernard (Abbé G.). — Les Modèles castillans de nos grands Ecrivains français. Bornecque (Henri) et Daniel Mornet. — Rome et les Romains, littérature, histoire, antiquités publiques et privées. Borys (Daniel). — Poésies, dont Camille Mauclair a aimé la belle unité rythmique, la tristesse pénétrante due à la sensualité à la fois brûlante et morne. Botrel (Théodore). — Les Alouettes, poésies. Brillant (Maïu-ice). — Le Charme de Florence. Brizeux (Auguste). — Œuvres, xm volume illustré de belles images où M. Auguste Dorchain a réiuii les « Histoires poétiques et la Poétique nouvelle ». Brunet (Marcel). — La Brèche maritime allemande dans V Empire colonial anglais. Camus (Théodore). — Delà Montagne au Désert, « récits d'as- censions et correspondance. » Carré (Henri). — La Fin des Parlements (1788-1790). Cartwright (M^s Ady-Julia). — Isabelle d'Esté, marquise de Mantoue (1474-1539), adaptation de M^^ Emmanuel Schlumberger. Caudwell (W.). — La Politique générale européenne en Afrique. Cauzons (Th. de). — Histoire de V Inquisition en France (Suite) : La Procédure Inquisitoriale. Cestre (Charles). — Bernard Shaw et son Œuvre. Cheradame (André). — La Crise française. — Faits, causes, solutions. Quelle est notre situation vraie au point de vue politique, social, moral, militaire? Quelles sont les causes de l'état de choses actuel? Quelles solutions sont pratiquement possibles ? Les réponses à ces questions apparaissent inquiétantes comme des menaces ; il semble cependant que les plus gra- ves dangers soient passés, puisque la France est « de nou- veau à im tournant de son histoire, puisq^ue lentement, péniblement, elle remonte la pente et termine sa crise. Si elle comprend l'impérissable vérité du vieil adage : l'union fait la force, si elle sait faire un bail avec l'esprit de suite et de méthode, si elle veut porter le fer rouge dans l'ulcère politicien, elle est à l'aube d'une nouvelle renaissance. Chuquet (Arthur). — 1812. La guerre de Russie. « Notes et documents. » (Suite). Colson (C). — Organisme économique et Désordre social. Commaille (J.). — Guide aux ruines d'Angkor. Cruyplants (Major Eugène). — Dumouriez dans les ci-devant Pays-Bas. MÉMENTO DU MOIS DE MAI 177 Curzon (Henri de). — Le Théâtre de José Echegaray, « un théâtre d'idées en Espagne ». Cuttoli (Lieutenant B.). — La Pologne au xvme siècle et le droit international. Daireaux (Geoffroy). — Dans la Pampa, « chasses impromp- tues ». Derzac (André). — Le Vent du soir, poésies. Diplomate (Un). — Deux Républiques : France et Suisse. Divoire (Fernand). — Introduction à l'étude de la stratégie lit- téraire. Duhamel (Georges). — Compagnons, poèmes. Dupuis (Commandant V.). — La Direction de la guerre, « la liberté d'action des généraux en chef ». Edwards (Alfred) et Gir. — Clique-Claques, un album de « romances illustrées sur les célébrités contemporaines ». Il y a là une quinzaine de contemporains et de contemporaines notoires portraicturés avec une spirituelle vérité par l'humorisite Gir, commentés en des phrases nerveuses et rapides par M. AJfred Edwards qui n'est pas souvent bien- veillant, rnais q[ui est, presque toujoiirs, fort spirituel. Faur. — La Vie privée du maréchal de Richelieu. Faure (Gabriel). — Autour des Lacs italiens. Fouquières (André de). — Au Paradis des Rajahs, le récit de ce voyage au cours duquel l'auteur représenta si brillam- ment l'élégance française et l'entrain parisien. Fresnois (André du). — Une Etape de la Conversion de Huys- mans, d'après des « lettres inédites à M™^ de C... » Galli-Valério (B.). — Cols et Sommets. Gelis (F. de). — Histoire critique des Jeux Floraux depuis leur origine jusqu'à leur transformation en Académie (1323- 1694); Gir. — Voir Alfred Edwards. Goblet d'Aviella (Félix). — L'Evolution du dogme catholique. Godard (André). — Le Procès du Neuf Thermidor. Goyau (Georges). — Autour du Catholicisme social. (Suite). Griveau (Lucien). — La Couronne de Troène, poèmes. Hanotaux (Gabriel). — Champlain, une éloquente plaquette où l'éminent historien a réuni non seulement les belles pages écrites par lui sur Champlain, mais aussi quelques documents du Comité France- Amérique, parmi lesquels nous sommes particulièrement heureux de voir figurer celui qui garde le souvenir de la souscription qui permit d'offrir aux Etats-Unis la belle œuvre de Rodin, pour faire parti- cij)er la France à la commémoration du troisième cente- naire de Champlain. Hennequin (Albert). — La Terre poitevine, poèmes. Héros (Eugène). — Le Théâtre anecdotique, « Petites histoires de Théâtre, « un agréable volume préfacé par M. Paul Gavault. Hersen (Alexandre). — Pages choisies, des pages autobiogra- phiques, histoire, nouvelles, correspondances, considéra- tions sociologiques, publiées par M. Michel Delines. Hinzelin (Emile). — La Terre et la Maison, des poèmes gracieux, familiers et émus. 178 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Hue (Gustave). — Le Colonel de Villebois-Mareuil. Jammes (Francis). — Oeorgiquea chrétiennes ; j'ai signalé au fur et à mesure de leur apparition les sept chants de ce poème. — Les voici aujourd hui réunies en un livre définitif dont ie ne peux que redire la grâce suave, l'émotion profonde, la noblesse, l'harmonie : c'est une belle œuvre d'un grand poète. Kervillio (René de). — Le Rêve au Palais du Souvenir, poésies. Lacour (Léopold). — Œuvres choisies de Victor Hugo, prose et poésie. C'est toujours une initiative scabreuse de « choisir » dans l'œuvre d'un grand écrivain; mais, la question de principe étant réservée, il est juste de noter qu'on ne sau- rait choisir avec plus de discernement, d'intelligence et de f)iété que n'a fait M. Léopold Lacour : c'est vraiment 'œuvre tout entière de Victor Hugo qui, dans ces deux volumes, apparaît synthétisée, mise à la portée d'une géné- ration qui n a plus le temps de lire. Landre (Jeanne). — Gavarni. Lapaire (Hugues). — Vieilles chansons populaires du Berry : rondes, chansons de bergères, chansons de conscrits, chan- sons de noces, chansons de métiers, chansons de fêtes, une jolie étude que commentent et qu'illustrent le plus agréablement du monde vingt chansons choisies parmi les plus anciennes, avec la musique et les couplets. Lardeur (F.-J.). — La Vérité psychologique et morale dans les romans de M. Paul Bourget. Larreguy de Civrieux. — Souvenirs d'un Cadet, les souvenirs d'un jeune soldat, engagé à l'âge de seize ans dans un régiment de ligne, sous les ordres du commandant Bugeaud et qui assista à Waterloo et au siège de Barcelone (1812- 1823). Laurentie (François). — Le Comte de Chambord, Guillaume I^^ et Bismarck {octobre 1870), une précieuse plaquette où l'auteur nous restitue notamment la fameuse lettre de Bismarck, datée de Versailles, 11 octobre 1870, oà le Chan- celier de Fer raconte cette conversation historique. Le Berq[uier (Edmond). — Pensées des autres, une deuxième série de ce recueil de pensées glanées dans les œuvres des maîtres de la littérature, choisies avec goût et parfois avec malice, et rangées avec tant d'ingéniosité. Le Cardonnel (Louis). — Carmina Sacra. Lémonon (Ernest). — « La Seconde Conférence de la Paix. — La Haye (juin-octobre 1907) ». Vous trouverez dans cet ouvrage l'examen, article par article, des quatorze con- ventions et déclarations signées à la Haye le 18 octobre 1907. Quatorze déclarations d'une conférence de paix, et depuis lors que de guerres, que d'inquiétudes que de menaces ! Ne soyons pas sceptiques cependant. M. Léon Bourgeois ne le veut pas : il souhaite, dans sa préface, que le livre de M. Lémonon soit « également lu par les amis et par les adversaires de la Conférence de 1907. Aux uns, il causera une satisfaction légitime; aux autres, il inspirera sans doute un jugement plus équitable, et donnera, noua MÉMEKTO bu MOIS DE MAI 179 l'espérons, le désir de collaborer désormais à la grande œuvre de droit, qui lentement, mais sûrement, s'accom- plit ». Leneru (Marie). — Le Redoutable, drame. Le Reverand (Gaston). — Sous la Bannière aux Trois Lions, poèmes. Londres (Albert). — La Marche à VEtoHe. C'est un « poème effréné » d'un poète qui, à vingt-cinq ans bientôt, se déta- che — déjà ! — des femmes qu'il a trop regardées, trop aimées, mais, leur dit-il : Mais plus forte qu£, tout, comme un fauve indompté. Je lance contre vous ma jeune volonté. Lorenzi di Bradi. — V Art antique en Corse. Louis (Paul). — Le Travail dans le Monde romain. Lom-delet (Ernest). — Aux Jardins de Mytilène, poésies. Lucina. — La Confession d'une femme, « l'enlèvement de la Joconde, sa cause et son but ». Pendant qu'il était en veine de confidence, l'auteur aurait bien pu nous donner son adresse actuelle. Mamet (Emile). — De tout mon Cœur, poésies. Marcaggi (V.). — Les Origines de la Déclarations des Droits de V Homme en 1789. Masson (Kernoël). — Histoire des Chemins de Fer. Maurras (Charles). — Trois idées politiqu,es : Chateaubriand, Michelet, Sainte-Beuve. L'auteur réunit dans cette pla- quette les réflexions et les conclusions qui lui furent sug- gérées, il y a quelque quinze ans, par trois grandes commé- morations littéraires : le centenaire de la naissance de Michelet, le cinquantenaire de la mort de Chateaubriand, l'érection du buste de Sainte-Beuve. Et ce sont Chateau- briand ou l'anarchie; Michelet ou la démocratie; Sainte- Beuve ou l'empirisme organisateur. « La vieille France croit tirer un grand honneur de Chateaubriand, elle se trompe. La France moderne accepte Michelet pour patron, mais elle se trompe à son tour. En revanche, ni Tune ni l'autre des deux France ne nous montre un souci bien vif de Sainte-Beuve ; c'est encore une faute, un Sainte-Beuve peut les mettre d'accord. » Beaucoup d'idées dans ce petit volume, discutables, assez tendancieuses, mais bien inté- ressantes. Maury (François). — Nos Hommes d'Etat et VŒuvre de la Réforme en un volume où, après avoir retracé le passé de aos grands parlementaires : les Ribot, les Caillaux, les Briand, les Deschanel, les Poincaré, l'auteur expose leurs actes successifs, fixe leur caractère et leur rôle, et dépeint en même temps la situation présente du Parlementarisme, en indique les dangers, et trace les grandes lignes de la politique nécessaire. Mermeix. — La Chronique de Van 1911. Michel (Louise). — Au gré des Vents, poésies. (Nouvelle édi- tion.) 180 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Moll (Lieutenant-colonel). — Lettres. « Une âme de colonial. » Mollat (G.). — Les Papes d'Avignon (1305-1378). Mornet (Daniel). — Voir Henri Bornecque. Noché (Pierre). — Sonnets de la première heure. Noël (Carlos M,). — Les Idées sociales dans le Théâtre de A. Du- mas fils. — Quelques auteurs et quelques pièces, « essai de critique dramatique, préface de M., Camille Le Senne. Picard (Lieutenant-colonel Ernest) et Louis Tuetey. — Cor- respondance inédite de Napoléon I^^ conservée aux archives de la guerre. Picard (Lieutenant-aviateur F.). — De France au Niger, « guide pratique ». Pichon (Alfred). — Fra Angelico. Le travail que nous offre M. Alfred Pichon est tout à fait nouveau. Personne, en effet, ni en France ni à l'étranger, n'avait étudié Fra Ange- lico en associant, dans la même analyse, le saint et l'artiste ; ce ne sont pourtant point là, nous dit-on très justement, deux choses qui puissent se séparer ou se juxtaposer, mais deux choses qui se pénètrent et s'expliqixent l'une l'autre, et voilà pourquoi l'auteur a voulu présenter dans son har- monie totale cette vie où l'art et la sainteté ne firent qu'un. C'est du plus vif intérêt, c'est une étude à la fois artistique, psychologique, mystique très fouillée, écrite en un langage excellent et que l'éditeur a magnifiquement ornée de repro- ductions des chefs-d'œuvre de Fra Angelico. Pilant (Paul). — Le Patriotisme en France et à l'étranger, un livre précédé d'une lettre ouverte de M. Maurice Barrés à M. Gabriel Hanotaux. Pilon (Edmond). — Watteau et son école. Plan (Pierre-Paul). — J.-J. Eousseau raconté par les gazettes de son temps d'un décret à Vautre (9 juin 1762-21 décembre 1790). Pougin (Arthur). — Madame Favart, « étude théâtrale ». Pradel de Lamase (Paul). — Une Famille française sous la Révolution. « Le pillage des biens nationaux. » Rambaud (Jacques). — Mémoires du comte Roger de Damas : Russie, Valmy et Armée de Condé, Naples (1787-1806). Reymont (Ladislas-Stanislas). — L'Apostolat du Knout en Pologne. (Traduction de M. Paul Cazin). Ce sont des « notes de voyage au pays de Chelm », histoires de paysans que l'on veut forcer à ne pas être ce qu'ils sont et qui meurent plutôt que de céder. « Ces histoires ont pour le lecteur un autre intérêt que l'intérêt romanesque, elles nous offrent le grand exemple de volontés qui ne plient pas, de cons- tances que rien ne peut abattre. » Bichault (Gabriel). — Histoire de Ghinon. Rolland (Romain). — L'Humble Vie héroïque, des pensées choi- sies publiées par M. Alphonse Séché. Rollin (Lieutenant). — La Conquête de l'Air. — Le Drapeau, poésies. Rousseau (D"" Alfred). — Laënnec avant 1806. — Quimper, Nantes, Paris. — l'Enfance et la Jeunesse d'un grand homme. Santerre (Camille). — La Chanson de mon Automne, poésies. 1 JUIN. — LES ROMANS 189 e, ivrogne humoristique et lamentable, et de Malvina, sa femme, la pauvre laveuse qui se donne tant de mal pour élever le petit gars et pour défendre l'humble bien compromis par les débauches du père. Enfance lamen- table et douloureuse : le pauvre petit Basile connaît (le bonne heure toutes les inquiétudes de la faim, toutes les angoisses de la peur; il pousse cependant, son éduca- tion se poursuit dans le commerce de la terre; « les aînés lui transmettaient les connaissances rustiques qu'ils avaient reçues des ancêtres; plongeant au plus obscur de la vie animale, des hérédités innombrables tressail- laient en lui ». Et nous le voyons tout le long du livre, campé avec une vigueur et une vérité intenses, au milieu des pay- sages évoqués avec beaucoup de puissance et de cou- leur, travailler sans relâche, peiner, pour sauver sa famille et pour en créer une. Il y réussit malgré les fras- ques du père incorrigible ; il devient dans le village un homme important, honoré; et il a le bonheur même, au dénouement, de pouvoir recueillir le père repentant et meurtri. Il lui a fallu, pour en arriver là, beaucoup de courage et de volonté, une humble grandeur d'âme dont il ne veut pas convenir et, quand, au dénouement, sa femme lui dit : « Comme t'es bon, mon pauvre homme ! — Parlons pas d'ça, femme », lui répond-il. Et il se rai- dit, il a un robuste haussement d'épaules, et, saisissant Ir manche de la pioche, il dit simplement : « Travail- lons ». PAUL-ADRIEN SCHAYÉ Gribiche. Gribiche, voilà, sans doute, un joli nom pour une petite femme, et prometteur d'aventures sans larmes : 11. 190 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE il s'inscrit dans une couronne fleurie, sur la couverture du roman de M. Paul- Adrien Schayé. Vous n'avez pas oublié le livre où M. Schayé nous a conté, naguère, l'aventure de Gloud Barbant, ce neu- rasthénique qui presque à chaque page de son journal s'écriait : « Je m'embête ! » Quel dommage que Gloud Barbant n'ait point connu Gribiche ! Avec elle, vrai- ment il n'y a pas moyen de s'emb...nuyer une minute; il n'est pas de neurasthénie — non plus que de neuras- thénique — qui puisse lui résister. De vrai, c'est une petite femme fort agréable : chacun de ses faux pas nous la rend un peu plus sympathique, — et elle fait tout ce qu'il faut pour nous devenir énormément sym- pathique ! Elle est primesautière et joviale, fantaisiste, d'une fantaisie qui s'ignore, heureuse ignorance qui lui permet de rester toujours simple et bon enfant. La déplorable influence de cette jolie petite personne désorganise le plus fâcheusement du monde des ména- ges excellents, trouble la vie de son ami, le jeune sta- giaire, Jacques Zède, qui a beaucoup de mal à prendre l'habitude d'être trompé, cause la mort d'un certain homme-volcan pris pour un cambrioleur. Mais tout cela, au fond, n'a pas d'importance, parce que Gribiche est si gentille à voir et à entendre, et parce que sa com- pagnie est infiniment agréable et divertissante. LÉON FRAPIÉ La Mère Croquemitaine. Sous ce titre M. Léon Frapié réunit une trentaine de ces nouvelles rapides, incisives, directes, de ces petits tableaux humains et vivants où il excelle, d'un art si particulier qui réside justement dans l'absence de toute espèce d'art, de toute recherche. JUIN. — LES ROMANS 191 Comme toujours, ce sont des enfants qui régnent dans la plupart de ces récits : petits faubouriens aux joues creuses et pâles, aux yeux étincelants et profonds. Ces enfants, c'est la carrière de M. Léon Frapié; ils lui ont valu ses premiers succès, ils lui assureront une place tout à fait particulière dans la littérature contempo- raine : il restera en notre temps l'historien, le poète de la misère et de la grandeur puériles. Ses héros, c'est la multitude grouillante des petits enfants de Gavroche, moins lyriques, mais plus vrais; aussi pathétiques dans leurs chamJbres sans soleil, ou dans leurs préaux de la « maternelle » que le glorieux petit ancêtre sur sa barricade. Ils sont courageux et nobles, ces petits héros et ces petites ménagères de six ans, ils n'ont pas peur des fantômes et des imaginations, il n'y a que la réalité qui puisse parfois les terrifier. Ce n'est pas eux qu'on épouvanterait avec la vieille his- toire du Père Croquemitaine qui emportait les enfants; pauvres marmots battus, affamés ou transis : ils n'ont pas peur qu'on les emporte; mais par exemple, ils ont une sainte terreur de la mère Croquemitaine, une vieille dame très réelle qui arrive parfois dans l'unique chambre du taudis familial avec, à la main, un mysté- rieux cabas. Celle-là n'emporte pas les enfants, elle est bien autrement méchante : sur le lit de la mère malade, elle laisse, au contraire, toujours, avant de s'en aller, un nouveau petit qui va prendre pour lui l'infime par- celle du bien-être qui pouvait subsister encore ; le grand, celui de cinq ans, sera fouetté davantage, et il manquera de soupe encore plus souvent. Et voyez la grandeur d'âme des enfants : Petit Paul — c'est le nom de notre héros — après une nuit de désespoir, accepte cette punition imméritée, il adopte le nouveau, il lui donne son vieux berceau, il lui don- nera aussi de son lait, de sa soupe quand il en voudra; et gentiment, il dit à sa mère : « Tu peux embrasser ses pauv'petites joues, je ne pleurerai pas ! » Et Petit Paul 192 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE sourit, le cœur sanglotant, du sourire éternel des hommes. W.-B. MAXWELL Les Gardiens de la Flamme. (Adaptation de M. Louis Fabulet.) Cette œuvre du célèbre romancier W.-B. Maxwell est tout à fait belle; elle nous fait assister à la plus poignante, à la plus romanesque des tragédies intiriies; et en même temps elle nous offre la plus belle, la plus philosophique, la plus humaine des leçons de pitié et de pardon. Ainsi elle apparaît comme une œuvre com- plexe, diverse, et pourtant d'une puissante et véhé- mente harmonie. Terrible histoire vraiment, celle qui dévaste le foyer de Richard Burgoyne, le grand philosophe, le célèbre savant, qui mène aux côtés de sa fidèle et charmante femîme Sybil, de sa nièce Miss EfTie, et de son jeune secrétaire Stone, une vie de labeur et de gloire, dans sa petite maison de Glifï Lodge. Il a cru s'apercevoir que sa nièce avait du goût pour son secrétaire, et la nervo- sité de ce dernier lui a laissé supposer qu'il n'était point insensible aux charmes de la jeune fille ; il les a confessés, il les a fiancés. Mais hélas ! si Miss Effie aime Stone, c'est la femme de son maître que ce dernier adore d'une passion partagée; de toutes les forces de leur honnêteté, ils résistent tous deux à cette fatale passion, mais elle est plus forte qu'eux-mêmes, elle les entraîne, les emporte, et l'irréparable s'accomplit. Le vieux savant découvre son malheur; il est frappé d'une congestion qui le laisse paralysé, atteint d'hémi- plégie, d'aphasie et aussi, croit-on, d'amnésie. Et les malheurs se précipitent. Miss Efïie qui n'a pas cessé MÉMENTO DU MOIS Î)E MAI 18l Saunier (Charles). — La Peinture au XIX^ siècle, un volume où l'auteur nous présente, après une étude à grands traits condensée en quelques pages, cent vingt-huit reproductions tout à fait remarquables des œuvres les plus célèbres de la peinture française dans les cent dernières années, depuis les chefs-d'œuvre admis jusqu'aux œuvres les plus passionné- ment discutées encore. Schopenhauer. — Fragments sur Vhistoire de la Philosophie, « Parerga et Paralipomen » traduction de M. A. Dietrich. Séché (Alphonse). — Les Accents de la Satire dans la Poésie contemporaine. Sencier (Georges). — Le Babouvisme après Babeuf, sociétés secrètes et conspirations commimistes (1830-1848). Sicard (Emile). — Films. Soubies (Albert) et Henri de Curzon. — Documents inédits sur le Faust de Gounod. C'est bien amusant à feuilleter et à regarder : il y a là de vénérables affiches d'il y a cinquante ans, des images d'autrefois où revivent les premiers inter- prètes, où sont reproduits les premiers décors de Faust ; et puis des chiffres, si intéressants, notamment ceux des cin- quante-sept premières recettes du célèbre opéra de Gou- nod qui ne fut point du tout, comme la légende l'a souvent prétendu, « un four », et qui atteignit souvent cinq mille francs — un beau chiffre pour le temps ; — vous trouverez bien d'autres choses encore dans ce volume d'histoire théâ- trale ; la version originale et inédite de Faust, la liste de ses interprètes depuis im demi-siècle... Soulier (Gustave). — Frank Brangvryn et ses eauxc-fortes. Stein (Henri). — Le Palais de Justice et la Sainte-Chapelle de Paris. Tardieu (André). — Le Mystère d'Agadir. Thalasso (Adolphe). — Les Trésors du Musée national d'Athènes. Thogorma (Jean). — Lettres sur la Poésie, « l'esthétique vi- vante ». Tuetey (Louis). — Voir lieutenant-colonel Ernest Picard. Turgis (Suzanne). — La Reine Mathilde, « la Tapisserie-bro- derie de Bayeux ». Verhaeren (Emile), — Hélène de Sparte. Wolff (Pierre). — L'Amour défendu, comédie en trois actes. il JUIN LES ROMANS ANATOLE FRANGE Les Dieux ont soif. Le livre de M. Anatole France est un roman des temps révolutionnaires : il commence au printemps de 1793 et se termine au lendemain du 9 thermidor. Dans ce court espace de temps, si rempli d'événements atro- ces et pendant lequel les Dieux étanchèrent si cruelle- ment leur soif de sang, le grand écrivain a fait tenir toute la philosophie, tout le sens de la Révolution : il apparaît bien que ses folies sanguinaires, ses tragiques excès, ne lui inspirent qu'une médiocre sympathie. Un certain nombre de personnages qui confondent volon- tiers le bloc révolutionnaire et la politique du bloc s'en attristeront sans doute, mais, pour s'en étonner, il faudrait oublier que l'œuvre toute entière d'Anatole France, est un hymne harmonieux à la beauté, à la grâce, à la raison, à l'esprit; avouez que le chant du Ça ira détonnerait dans cette harmonie. Pauvre bloc révolutionnaire ! Le docteur Gustave Le Bon le mettait en miettes, il y a quelques jours, et voici JUIN. LES ROMANS 183 que M. Anatole France l'incarne en la personne d'Eva- riste Gamelin ! Ce héros de la Révolution est un peintre, l'élève de David, qui, détestant les frivoles peintures d'autrefois, est revenu à l'art antique, vertueux et nu : « citoyen d'un peuple libre, il charbonnait d'un trait vigoureux des libertés, des droits de l'homme, des cons- titutions françaises, des vertus républicaines, des her- cules populaires terrassant l'hydre de la tyrannie, et mettait dans toutes ses conceptions l'ardeur de son patriotisme». Ce Gamelin, c'est tout le bloc : il a naguère exalté Mirabeau, Lafayette, Pétion, Brissot, il les voue aujourd'hui aux gémonies et à l'échafaud vengeur, et il plem-e des larmes d'attendrissement sur le passage de Marat. C'est un honnête garçon, fidèle éperdument à ses successives idoles, rigoureux dans ses convictions. Au demeurant, ce n'est pas un aigle ! Il va devenir ter- rible lorsque l'imprudente habileté de M"^^ de Roche- maure en aura fait un juré, à dix-huit francs par jour, du Tribunal révolutionnaire : il condamnera sans cesse, livrera toujours des têtes nouvelles et du sang nouveau aux dieux altérés, et son sang viendra à son tour étan- cher la soif divine : il périra sur l'échafaud le 10 ther- midor. En face de cette figure sombre, têtue, sincère, ter- rible, M. Anatole France en a placé une autre, en qui je ne peux résister au désir de reconnaître la fidèle image de l'auteur lui-même, c'est Brotteaux, le ci-devant des Ilettes. Il est délicieux, ce Brotteaux qui fut autrefois un traitant noble et riche, donnant dans son hôtel de la rue de la Chaise des soupers fins; et qui maintenant, pour vivre, fabrique des pantins, des « créatures qui ont reçu de lui un corps périssable, exempt de joies et de souffrances : il ne leur a pas donné la pensée, car il est un Dieu bon ». Il est sceptique, il ne croit pas au bloc, lui; il sait la relativité des choses, et il traverse la tourmente révolutionnaire en lisant Lucrèce. Un sceptique, un égoïste ; mais son égoïsme le pousse Iâ4 LE MôùVèMeni? littéraire à des actes d'un dévouement sublime. C'est ce genrô d'égoïsme qui « inspire à l'homme tous les actes de géné- rosité en le faisant se reconnaître dans tous les miséra- bles, en le disposant à plaindre sa propre infortune dans l'infortune d'autrui, et en l'incitant à porter aide à un mortel semblable à lui par la nature et la destinée, jus- que-là qu'il croit se secourir lui-même en le secourant ». Ses entretiens avec le P. Longuemare sur la bonté, sur la religion, sur Dieu, sont des pages exquises, d'une émouvante beauté; et ses ripostes à Evariste Gamelin sont des merveilles d'ironie. « J'ai des instincts pervers, lui dit-il, car je répugne à voir couler le sang, et c'est une dépravation que toute ma philosophie n'est pas encore parvenue à corriger. J'ai l'amour de la raison, je n'en ai pas le fanatisme. La raison nous dirige et nous éclaire; quand vous en aurez fait une divinité, .elle vous aveuglera et vous persuadera des crimes. » Un autre jour, il félicite Gamelin de ses nouvelles fonctions de juré : « Vous êtes sûr de bien juger, lui dit-il, vous ne risquez pas de vous tromper, puisque vous jugerez d'après les mouvements de vos cœurs », et que vos sen- tences seront bonnes, pourvu qu'elles contentent les passions qui sont les lois sacrées. Vous condamnerez les généraux vaincus à mort, et vous aurez raison; ce n'est pas qu'un général vaincu soit criminel, car de toute nécessité il en faut un dans chaque bataille, mais il n'est rien comme de condamner un général à mort pour don- ner du cœur aux autres. Avec de tel arguments, avec quelques sauvetages, comme ceux du P. Longuemare et de la fille Athénaïs qui avait crié : « Vive le Roi ! », le sort de Brotteaux n'était pas douteux : il monta sur la fatale charrette et jusqu'au bout poursuivit tranquillement la lecture de son Lucrèce; à l'arrivée de l'exécuteur, il mit le signet à la page commencée, ferma le livre et le fourra dans la poche de sa redingote. Auprès de lui, se tenait Athénaïs : ea montant sur l'échafaud, il contempla, en connais^ I JUIN. — LES ROMANS 185 ur, sa gorge jeune et Planche, et il regretta la lumière "du jour. Mais je me laisse aller à la douceur des citations et me voici à la fin do l'espace qui m'est réservé sans que j'aie tenté d'analyser ce beau roman de passion, de frénésie, de douceur, de vaste pensée; je ne le regrette qu'à moitié : je l'aurais abîmé en tentant de vous le raconter et j'aime bien mieux vous avoir simplement dit, en toute humilité, la joie profonde que m'a causé cette œuvre d'une beauté si pure et sereine, d'une grâce si jolie, écrite en une langue d'une souveraine harmonie.*^ '^^/flfl i-^ RENÉ BOYLESVE Madeleine jeune Femme. Madeleine jeune Femme nous raconte sa vie de vingt à trente ans, pendant la belle période d'une existence de femme, celle des grandes aspirations, celle où, pour parler le jargon du jour, on « veut vivre sa vie ». Hélas ! dans des romans vivants, humains, observés, comme ceux de M. René Boylesve, on ne vit pas sa vie; on vit tout court. Madeleine jeune femme a été ime « jeune fille bien élevée » — l'auteur vous a naguère xpliqué ce que cela voulait dire, — elle est devenue une lomme bien mariée, raisonnablement, à un « architecte d'avenir» satisfait de piètres ambitions matérielles, qu'il ne parvient pas d'ailleurs à réaliser. Mais c'est le moin- (]re souci de Madeleine à qui la richesse importe peu, fui voudrait connaître la flamme intérieure, qui souffre lans un foyer banal, entre son médiocre mari et ses • nfants. Cette flamme, un séducteur l'a fait briller un instant. Madeleine a été troublée, bouleversée, mais les prin- 186 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE cipes de la jeune fille bien élevée Font sauvée et elle s'est résolue à ne plus faire d'elle qu'un « instrument utile au bien des siens; elle a savouré une certaine joie dans cet oubli de soi-même, dans cet adieu définitif à tous ces désirs personnels et cette joie qui l'a transfi- gurée a fait dire autour d'elle : « Sans doute elle a trouvé le bonheur, elle aime, elle est aimée » et sans doute aussi elle a goûté avec quelque amertume l'ironie d'une telle supposition. Tel est le sort de la jeune femme qui fut une fille bien élevée. Et la mal élevée? L'aventure de Pipette qui côtoie l'histoire de Madeleine nous montre que sa des- tinée plus lyrique n'est guère plus brillante. Cette pau- vre petite fille, trop gaie pour être heureuse, a esquivé le mariage ridicule que méditaient ses frivoles parents et elle meurt à vingt ans aux bains de mer, noyée par accident, — un accident dont Juillet le séducteur, qui n'a pas voulu comprendre l'amour de cette petite, doit percer le mystère et garder, sans doute, le remords. Alors? Alors, la vie n'est pas gaie et le romancier dont l'action propre est, selon M. Boylesve, « une invi- tation à réfléchir sur la vie, longuement, profondément s'il se peut, et fût-ce avec amertume et difficulté », n'est pas un optimiste ou du moins il n'incline pas son lec- teur à l'optimisme, car M. René Boylesve ne tire pas de conclusions; il possède le grand art de rester silencieux derrière ses personnages. Ainsi, son livre est un beau roman, très vivant, trèshumain, d'un intérêt poignant, d'une merveilleuse pénétration psychologique, et si une leçon de philosophie et de morale s'en dégage, c'est parce que son lecteur, impressionné profondément, en a ainsi décidé. JUIN. — LES ROMANS 187 CHARLES-HENRY HIRSCH Dame Fortune. Quel curieux roman ! H a les qualités âpres, violentes, brutales de ses devanciers, la cynique gaieté, l'obser- vation aiguë d'Eça Tumarche, la cruauté sanguinaire du Tigre et de Coquelicot et à'Amaury d'Ornières, et vous y trouverez en même temps tous les éléments d'un roman policier, et aussi, et surtout, une jolie leçon de philosophie narquoise, sceptique et tendre. Que de choses, dans ces trois cent cinquante pages ! C'est qu'on n'y perd pas de temps : les événements s'y précipitent et l'on voit, dans la même soirée, sous les lustres du Casino, où la partie infernale déchaîne l'émo- tion et la curiosité, les débuts de l'idylle entre Boulotte, la petite femme du Casino, et de bon gros Baigue; — et la fm de la carrière aventureuse du banquier Gotthur que la mort attend traîtreusement, tapie dans l'ombre, cependant qu'il abat des neuf et des huit avec une veine insolente qui ne le mènera pas loin. L'idylle et le drame se développent côte à côte, l'idylle même profite du drame, et Boulotte s'attache de plus en plus le cœur de son amant, cependant que des policiers valeureux et habiles, et des magistrats ridi- cules et lamentables, s'attachent à percer le mystère du crime; les premiers y parviennent malgré l'hostilité et la maladresse des seconds, les premiers seront d'ail- leurs ou tués ou blâmés, et les seconds recevront de l'avancement ! Et tous ces gens : criminels, victimes, amoureux, policiers, magistrats, dramaturge, — oh ! ce drama- turge ! — s'agitent et grouillent, et jouent, et blaguent, et l'on entend dans cette foule la voix de Baigue qui crie aux échos sa joie d'aimer : il en remercie avec une 188 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE familiarité et une émotion qui ne manquent point de lyrisme, la grande maîtresse du jeu, « la coquette que nul n'a vue et qui mène à son gré la ronde humaine, Técervelée qui cause le bien et le mal tout ensemble, et qui s'appelle Dame Fortune ». Elle a mis sur le chemin « d'un gros garçon trop bêtement riche et trop plein d'ennui, une petite bonne femme trop bêtement pauvre, que la mistoufle n'avait pas dépossédée de la fraîcheur d'âme d'une bergère heureuse ! » Et vous voyez que Dame Fortune ne s'occupe pas uniquement à de vaines et louches besognes, qu'elle est parfois une bonne et brave fille et que, dans le tumulte de l'or, dans la boue et dans le sang, elle trouve moyen de frayer parfois son petit bonhomme de chemin à une action louable et à une aventure jolie. EMILE MOSELLY Fils de Gueux. M. Emile Moselly, dont le Prix Concourt a naguère consacré le beau talent et dont vous connaissez les œuvres robustes, généreuses et saines, est un écrivain lorrain qui doit tout, qui reporte tout à sa chère Lor- raine; c'est à elle, c'est à la rivière charmante où se mirent ses paysages de grâce et de mélancolie qu'il a emprunté son nom; c'est elle qui toujours palpite dans ses livres, c'est à Maurice Barrés, « au maître de notre chœur lorrain » qu'il offre en hommage d'admiration et de reconnaissance son livre : Fils de Gueux. Vous vous souvenez de Joson Meunier, ce beau livre où l'âme du pays et du paysan lorrains était étudiée avec tant de tendresse et de mélancolie; c'est encore elle qui nous apparaît dans l'histoire de Basile Crasmagne, le pauvre petit paysan, fils de Charles-Emile Crasma:- JUIN. — LES ROMANS 197 de son amie, elle aura, par surcroît, reconstruit le sien. Telle est l'histoire que nous apprenons dans les cin- quante lettres écrites par la divorcée à Madeleine Rau- court, et cette histoire, qui est, nécessairement, toujours en récit et jamais en action, est cependant tout à fait vivante : elle semble même vécue. C'est que ces lettres sont d'un naturel parfait; il n'y a là nul artifice, nulle préparation : c'est la vérité même. Chemin faisant, cette gracieuse et tendre figure de femme se dessine entre les lignes, en face de l'homme qu'elle aime toujours et dont elle se reproche de n'avoir pas su excuser l'égoïsme et la rudesse morale qui sont, paraît-il, les qualités masculines par excellence. Je ne crois pas que cela soit d'une parfaite et univer- selle exactitude, mais c'est probablement très sincère; et puis c'est si féminin, cette forme d'indulgence et d'humilité qui consiste à dire : « en vérité, c'est moi la coupable, j'ai eu tous les torts; avec toute ma tendresse, ma sensibilité, ma délicatesse de femme, j'aurais dû savoir et me souvenir qu'un homme, même supérieur, même excellent était nécessairement par essence un être égoïste, bien moins sensible et bien moins délicat. » - Et j'ai pourtant goûté ce livre plein de talent; peut- être, après tout, les temps ont-ils changé depuis Molière, et est-ce nous maintenant qui aimons à être battus. MARCEL BOULENGER Le Marché aux Fleurs ! Le Marché aux Fleurs ! voilà, n'est-il pas vrai, pour un roman, un gracieux titre, évocateur de jolis tableaux, de fraîches couleurs et de doux parfums. Mais le marché dont nous parle M. Marcel Boulenger dans le livre qu'il a fleuri de ce titre, ne se tient ni à la Madeleine, ni sur 198 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE la place ensoleillée de Nice, et ce ne sont pas des résé- das, des œillets ou des roses que Ton offre aux acheteurs, mais des jeunes filles que des pères intéressés et snobs s'efforcent de montrer à de riches fiancés. Les fleurs sont bien forcées de se laisser faire, mais les jeunes filles et même les jeunes femmes résistent par- fois, telle cette charmante Germaine Garretier, qui refuse énergiquement d'épouser le jeune fils morphi- nomane, ivrogne et tricheur du richissime banquier Gauwel, que son père lui destinait bien gentiment, dans l'espoir d'en faire une femme heureuse et fortu- née, et par surcroit, de se tirer lui-même d'une fâ- cheuse impasse. La pauvre Germaine n'a pourtant guère le droit de se montrer difficile, elle est divorcée; son mari, le grand couturier Adolphe Lesca qui l'avait épousée pour parer ses thés-choix — les thés choix ! Pourquoi pas, nous avons bien les cacaos-causeries et les thés-bridges ! — d'un ravissant et légitime mannequin, l'ayant aban- donnée après quelques années de mariage pour s'enfuir dans les Amériques avec une riche personne, M^^ Es- ther de Saint-Mesgrin, « reine des jumenteries ». Mais Germaine est fière : ces marchandages la révol- tent, et puis, elle aime son cousin Georges Garretier- Perrot, un cerveau brûlé qui fait du socialisme au Par- lement, et elle se laisse enlever puis épouser par lui. Et comme Georges Garretier-Perrot a le bon esprit et la bonne fortune de se faire nommer ministre, le ressen- timent du père s'apaise brusquement, et la famille se trouve réunie à la grande joie de la tendre et mouton- nière maman de Germaine- Cet aimable roman se déroule à Senlis, dans des milieux épris de sports élégants; on y joue au golf, on y fait courir des lévriers, et les snobs y régnent. Ces snobs, M. Marcel Boulenger, qui les connaît à merveille, les raille avec beaucoup d'esprit et de mesure, — une mesurejque, pour mon compte, je ne saurais pas garder JUIN. — LES ROMANS 199 en face de ces sortes de gens qui m*agacent prodigieu- îment. Et c'est une heure charmante — une heure qui file comme une minute — à passer en compagnie de gens qui sont tous — y compris le socialiste ! • — très bien élevés et admirablement habillés. RÉGINA RÉGIS Double Etreinte. « Roman pshychologique », d'une psychologie raf- finée, subtile, cruelle, et qui s'exprime en des lettres toutes pleines de passion, de sincérité et de perfidie. L'héroïne qui apparaît dans ces lettres, ces « lettres qui sont un aliment à la volupté », est Lena de Failles, une jolie divorcée de trente-quatre ans qui aime de toute son ardeur amoureuse Jacques de Villemont, son amant, riche, spirituel et beau, et qui s'intéresse de toutes les forces de ses ambitions littéraires à un cri- tique éminent, ténébreux et passionné, Pierre Lamarre. Elle goûte, avec beaucoup de satisfaction, la « double étreinte », l'une morale, l'autre physique, de ces deux hommes qui l'aiment également : et cela est d'une morale discutable; elle s'amuse en outre à exciter la jalousie de l'un et le désespoir de l'autre, et cela est tout à fait odieux. Elle se juge d'ailleurs elle-même : après la mort de Pierre Lamarre, tué par le chagrin qu'elle lui causa, elle s'abandonne au remords et signifie à Jacques, qui n'en peut mais, son congé. « Nous sommes quittes, lui écrit-elle dans une lettre d'adieu, mais ainsi que Lui pour moi, je suis morte pour vous. » Comme logique, cela me semble un peu vif, mais cha- cun sait que la psychologie féminine et la logique sont deux choses fort différentes. 200 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE JEAN RAMEAU La Route bleue. La Route bleue, dont M. Jean Rameau nous parle, est la route simple, droite, loyale que suivent les personnes honnêtes et candides en cueillant sans cesse les jolies petites fleurs bleues de l'idéal. J'éprouve pour la petite fleur bleue une prédilection que j'aime à proclamer, et je ne trouve jamais qu'il y en a trop : il y en a beaucoup dans le roman de M. Jean Rameau ! et Jeanneton Dar- rieulère qui la cultive avec tendresse et désintéresse- ment est récompensée au dénouement par un bonheur sans nuages — un bonheur d'azur ! — et l'amour de l'honnête et loyal Pierre Cassourat qu'elle adore depuis si longtemps; cependant que sa sœur aînée Simone, égoïste, cruelle, astucieuse est, contre toute attente, victime de ses mauvaises actions et de ses habiletés. Celle-là avait pris la route rouge, celle de l'ambition effrénée, et du radicalisme socialiste — car la couleur de ces deux routes contradictoires n'a pas une signifi- cation seulement sentimentale, mais aussi politique. Elle a épousé l'odieux politicien Sahucq, qui s'est rapi- dement élevé au faîte des honneurs, mais qui non moins rapidement a abandonné sa femme; le naïf Pierre Cas- sourat a bien failli se laisser enjôler par cette intrigante, mais il s'est repris à temps pour se donner à la petite sœur bleue. Et tout cela est très aimable, conté avec une copieuse émotion et Ton se réjouit de voir en ce roman de mœurs modernes, exalter avec tant de conviction et de sincé- rité « le bleu des bonnes actions, le bleu des honnêtes labeurs, le bleu des simples joies familiales »., JUÎN. — LES ROMANS 201 GILBERT AUGUSTIN-THIERRY La Fresque de Pompéï — La Madone qui pleure. M. Gilbert Augustin-Thierry, qui cultive avec un égal bonheur les jardins de l'histoh'e et ceux du roman et qui nous a donné, tour à tour, de si curieuses et roma- nesques évocations historiques et des œuvres d'imagi- nation et d'observation empoignantes, a remis en valeur en un même volume, deux romans : la Fresque de Pompéï et la Madone qui pleure. Ce n'est ni le hasard, ni la nécessité typographique qui a réuni sous la même couverture ces deux belles histoires, ce « conte païen » où nous voyons Marcel Lautrem se débattre contre Tamour et se laisser vaincre et dominer par lui, et ce « conte chrétien » où le prêtre interdit, Ambrogio, est sauvé par son péché lui-même. Ces deux récits empoignants, douloureux et vivants, aussi différents qu'ils paraissent, appartiennent, en effet, au même ordre d'idées : le déterminisme. L'auteur nous l'explique lui-même dans sa préface : tous deux ils interrogent l'éternelle énigme, le Sphinx effarant des causalités. « L'hérédité fait l'homme », enseignent aujourd'hui les physiologistes. « Non, répliquent les théologiens... l'homme est un ressort que remue la main de Dieu. » M. Gilbert Augustin-Thierry n'a point voulu résoudre l'inconnu d'un insoluble problème, il a moins encore cherché à théosopher. Il a eu, nous dit-il, pour seule ambition d'intéresser le lecteur, entreprise, du reste, difficile. Je crois vous avoir dit déjà qu'il y a plei- nement réussi. HISTOIRE, MORALE, VOYAGES, DIVERS. HENRY HOUSSAYE léna et la Campagne de 1806 (Œuvre posthume publiée par M. Louis Madelin.) M. Louis Madelin nous présente, en une page très noble et très émouvante, la dernière œuvre d'Henry Houssaye,/é^ia et la Campagne de 1806. Cette œuvre du grand historien napoléonien n'est pas — hélas ! — tout entière sortie de sa plume. La cruelle maladie qui l'a emporté avait brisé cette plume au moment où il était aux deux tiers environ de l'œuvre préparée. En se ser- vant de ses notes éparses, du souvenir de ses entretiens, M. Louis Madelin a terminé l'œuvre : il y a ajouté l'his- toire de cette poursuite conçue le lendemain d'Iéna, de cette poursuite rayonnante qu'Henry Houssaye évo- quait avec tant d'éloquence et d'émotion. « Cette poursuite, disait l'historien, l'Empereur Ta voulue, ce sont les maréchaux qui ont su agir suivant l'impulsion donnée. Ce qu'ils ont obtenu alors de leurs hommes ! Ces raids de* cavalerie à travers l'Allemagne avec Lasalle et Milhaud ; et ces marches des soldats de Lannes. C'est un miracle d'énergie et d'entrain ! » M. Louis Madelin s'excuse d'avoir dû reconstituer cette poursuite et raconter l'entrée de l'Empereur à Berlin; il a cependant accompli cette tâche avec autant JUIN. — aiStOIKE, MOitAtÈ, VOYAGES, ETC. 2Ô3 de bonheur que de piété. Les derniers chapitres du livre ne le déparent en aucune façon, et il figurera tout entier, avec honneur, dans Tceuvre très belle et très forte d* Henry Houssaye. Dr GUSTAVE LE BON La Révolution Française et la Psychologie des Révolutions. On a écrit énormément sur la Révolution française ; plusieurs générations d'historiens et de philosophes l'ont étudiée et analysée avec un zèle patient et passionné, et Ton pouvait croire que le sujet était parfaitement élucidé, sinon épuisé. Il n'en est rien : les historiens modernes les moins suspects ont aujourd'hui de cruelles incertitudes; ils racontent, ils n'osent plus conclure. C'est qu'en notre temps où la science a repris l'examen de ses anciennes certitudes et constaté leur fragilité, l'histoire n'a pas échappé à cette revision, et particu- lièrement celle de la Révolution française : on se demande aujourd'hui si le droit nouveau succédant à l'ancien régime ne se serait pas établi naturellement, sans violence. \ C'est le grave et passionnant problème qui est étudié dans le beau livre du doctem* Gustave Le Bon. Le savant éminent, qui a consacré à la psychologie des foules et aux opinions et croyances de si fortes études, reprend à grand traits l'histoire et l'analyse de ce grand bouleversement humain, et il aboutit à des conclusions qui, après la lecture de son livre, apparais- sent évidentes et certaines. La Révolution n'est pas un bloc; ce mot a pu faire fortune, déchaîner l'enthousiasme de foules parlemen- taires et servir même, par la suite, à étiqueter un parti, il ne correspond en aucune façon à la réalité. Loin d'être 204 LE Mouvement littéraire un bloc, la Révolution française se compose de phéno- mènes simultanés mais indépendants les uns des autres. Ses acteurs ne l'ont pas comprise: ils ont cru la mener, ils ont été menés par les logiques qu'ils ne voyaient pas et surpris par les événements dont ils étaient les héros. Quant à nous, spectateurs, historiens et juges, nous l'avons nous aussi regardée sans la comprendre, — suivant nos tendances et nos goûts, nous l'avons mau- dite ou admirée, elle a été pour nous un dogme accepté ou rejeté en bloc — le bloc, toujours ! — sans qu'au- cune logique rationnelle soit intervenue dans un tel choix. C'est, qu'en réalité, la Révolution est une œuvre de croyants jugée par des croyants; ses héros ont cru fon- der un régime nouveau, ils ont fondé une religion nou- velle dont la fortune ne fut pas longue, mais qui leur donna cepen^^ant la force de s'imposer à la France et à l'Europe. Quant au reste, quant à cette fondation d'une ère nouvelle, à cette abolition du passé dont ils se sont flat- tés, dont on leur a fait gloire, quelle erreur ! Le passé ne meurt jamais; il est plus encore en nous qu'en dehors de nous, et les « géants » n'ont jamais cessé de subir les influences ancestrales. Ont-ils cependant créé quelque chose? Oui, ils nous ont légué cette idée de l'égalité qui s'épanouit aujour- d'hui dans le socialisme, et c'est un joli cadeau qu'ils nous ont fait là ! \f^ Ne leur en veuillons pas trop ; ce n'est pas leur faute : les assemblées de la Révolution, impulsives et crain- tives, furent dominées par un petit nombre de me- neurs et agirent le plus souvent en sens contraire des volontés individuelles de leurs membres — voilà qui ressemble singulièrement à une étude de la Chambre de 1912 ! — les gens de la Révolution ont obéi à des forces irrésistibles dont ils n'étaient pas maîtres. Croyant agir au nom de la raison pure, ils subissaient JUIN. — LES ROMANS 193 d'aimer Stone ne peut survivre à la découverte de la faute : elle s'empoisonne; et Stone, en face de tant de catastrophes, s'enfuit de cette maison maudite pour ne plus reparaître. Sybil alors, toute seule, à côté de l'in- firme, veut sauvegarder, du moins, ce qui reste de bon- heur à son glorieux mari; elle le soigne avec tendresse, et lorsque, miraculeusement, il revient à la santé intel- lectuelle et physique, la gardienne de la divine flamme, coupable involontaire et victime de la fatalité, apprend que cet homme n'avait pas une minute perdu la cons- cience, qu'il a tout deviné, tout su, que surtout il a tout compris, et qu'ayant tout compris, il a tout par- donné... CHARLES DE BORDEU La plus humble Vie. La plus humble Vie, est une œuvre d'une très émou- vante et très noble simplicité, digne de cette épigraphe du grand poète Francis Jammes : « La beauté que Dieu donne à la vie ordinaire... » Et c'est une vie très belle et très ordinaire, celle de Jacques, fils de Cadet, le por- cher, et de Daunine Bénédicte, qui naquit en 1820, dans un humble village et qui, durant plus de quatre- vingts ans, remplit tranquillement, loyalement ses devoirs quotidiens, travaillant tour à tour aux semailles, à la moisson, aux vendanges; fêtant chaque année la Saint- Jean; marié à vingt ans, bon époux, bon père, travailleur respecté... Les grands événements politiques de 1848 ont tra- versé sa vie sans la troubler; puis c'a été la tourmente de 70; les gars sont partis à l'armée de la Loire; épar- gnés par la mort, ils sont rentrés, ils se sont mariés à leur tour; une très petite aisance a contenté les deux 194 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE vieux, et puis, doucement, sa femme s'est éteinte, et doucement aussi, Jacques est mort au printemps sui- vant. C'est simplet, comme vous voyez; je vous assure que c'est très émouvant, et parfois très beau. Devant la tombe de Jacques on parla de lui, on assura qu'il avait été heureux et que c'était bien juste, car il avait « tou- jours eu de la bonne foi, de l'honnêteté envers les gens; il avait rempli les devoirs de sa condition, gagné son pain, nourri sa famille et vécu sans inquiétude » : telle fut son oraison funèbre, et puis l'on parla du temps et des semailles. La vie d'un homme simple n'est rien de moins qu'une épopée magni fique et humble, puisqu'elle reflète le ciel et la terre; épopée qui doit survivre à sa mémoire, à ce monde même où elle passa. JULES PERRIN Un Masque sur deux Visages. Ce livre débute comme un roman de mœurs avec une observation attentive, scrupuleuse, amusante des milieux; il évolue en un feuilleton qui pourrait devenir un roman policier avec toute la poétique du genre : assassinat mystérieux, prodigieuse ressemblance de deux hommes, il se termine enfin dans l'angoisse d'une analyse d'âme et de sentiment. Tous les genres y sont, comme vous voyez, hors le genre ennuyeux, car ce roman est, d'un bout à l'autre, palpitant, et Tintérêt de « l'histoire » tient le lecteur haletant. Cette histoire, la voici : l'oncle de Bernard Borel est mort laissant une grosse fortune : la nue propriété à ses héritiers naturels, Bernard Borel et sa sœur, l'usu- fruit à sa veuve, la blonde M^^ Archambauld; à la con- dition toutefois que cette dernière garde ses voiles de JUIN. — LES ROMANS 195 veuve. Si elle se remariait elle perdrait le bénéfice de cet usufruit. Comme elle a vingt-cinq ans et que Bernard Borel en a trente-quatre, les chances pour ce dernier d'entrer en possession de la fortune sont assez minces et le remariage de la veuve sans aucune ressource per- sonnelle est bien peu probable également. Il y aurait bien une solution, qui serait le mariage de Bernard Borel et de la jolie veuve, mais cette solution n'est point non plus satisfaisante à cause des origines de M°^6 Archambaud et de sa famille plutôt fâcheuse; et puis, Bernard aime une jeune fille délicieuse, Jea- nine Ardouin, qui par surcroît servirait à merveille ses ambitieux desseins. Seulement il lui faudrait quelque fortune; une seule hypothèse le rendrait donc parfai- tement heureux : la disparition de M^^ Archambaud. Ces réflexions, elles passent fugitives dans le cerveau de Bernard qui n'est ni un criminel ni un homme d'ac- tion; le hasard met sur son chemin un homme, André Jouve, ex-officier de l'armée d'Afrique, ténébreux ban- dit qui, par une fortune extraordinaire, lui ressemble prodigieusement. Grâce à cette ressemblance, c'est lui qui va prendre en mains la destinée de Bernard et la corriger par des moyens un peu rudes. Il ne le consulte pas, il n'en fait pas son complice, non ! Simplement, Bernard se laisse faire, se laisse porter avec une volon- taire inconscience par les événements qui le feront riche et heureux. Il apprend ainsi la mort subite de M°^® Archambaud, trouvée pendue dans sa chambre, et, tout en ressentant quelque inquiétude obscure, il accepterait cette déci- sion du destin si Jouve ne reparaissait à l'heure de son agonie pour lui raconter longuement, cruellement, tout lo drame au cours duquel il avait commis, lui, le crime que Bernard avait obscurément conçu et que son hon- nêteté, et aussi, et surtout, sa lâcheté l'avait empêché d'exécuter; avec des images précises, il sème dans son âme le germe empoisonné du remords. Et cet épilogue. 196 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE cette vengeance du moribond, qui part satisfait d'avoir troublé pour toujours la vie de son «double», est dra- matique et terrifiant. LÉONA FABER Lettres d'une Divorcée. . L'héroïne de ce livre est une femme jeune encore dont Tété, sans être triomphant — elle a trop de mélan- colie pour triompher — apparaît agréable et séduisant. C'est une femme intelligente, généreuse, ardente, qui fut m.ariée à Guy Duvallon, un savant de vaste intel- ligence, au cœur noble et sincère; entre ces deux êtres d'élection un fossé pourtant s'est creusé, qu'un enfant né tardivement aurait sans doute comblé, mais hélas ! il est mort et ils ont divorcé. Depuis cette séparation, elle vit dans l'isolement, dans la mélancolie, dans le souvenir et même le remords, si l'on peut employer un tel mot à propos d'une femme impeccable, et qui ne peut se reprocher qu'un excès de sensibilité. Et voici qu'une amie d'autrefois, une amie de couvent, Madeleine Raucourt, mère de deux enfants, lui confie ses chagrins domestiques et son intention de reconquérir sa liberté. Elle sait en quoi consiste cette liberté; elle connaît, hélas ! le divorce, et elle sait tout ce qu'il faut dire pour dissuader son amie d'une telle extrémité. A chacune de ses plaintes, elle répond par un souvenir personnel : elle revit son existence d'autrefois, son chagrin, son regret. Sa tendresse pour le mari d'autrefois reparaît à chaque ligne et comme un heureux hasard a mis cette correspondance soùs les yeux de Guy Duvallon, ce dernier revient à elle : ils reprendront la vie commune, se remarieront, et en s'appliquant à sauver le bonheur iUiN. — ËïSfoiAÈ, môraLë, Voyages, èîc. 2Ô5 des influences mystiques, affectives et collectives incompréhensibles pour eux et que nous commençons seulement à discerner aujourd'hui. Ne leur en veuillons pas ! Mais tâchons au moins de profiter de la leçon qu'ils nous ont laissée : pour hâter de quelques années des progrès que la marche de la civilisation eût fatalement, nécessairement amenés, ils ont accumulé les désastres matériels, désagrégé mora- lement la France, brutalement tranché la chaîne de l'histoire. Ils ont fait pendant dix ans une terrible quan- tité d'expériences sur notre pauvre société. Nous en connaissons le prix. N'écoutons pas les socialistes qui nous convient aujourd'hui à de nouvelles expériences; elles pourraient être mortelles : tout s'arme autour de nous; « chacun pressent que dans la concurrence uni- verselle il n'y aura plus de place pour les nations faibles. Si nous continuons à briser notre cohésion par des luttes intestines, des rivalités de partis, de basses persécu- tions religieuses, des lois entravant le développement industriel, notre rôle dans le monde sera vite terminé. Il faudra céder la place à des peuples solidement agré- gés, ayant su s'adapter aux nécessités naturelles, au lieu de prétendre remonter leurs cours ». Utile conseil, leçon précieuse; remercions M. Gus- tave Le Bon de les avoir si magistralement dégagés; s'ils sont entendus, la Révolution française, en nous les offrant, aura — cent ans après ! — bien mérité de la patrie... PIERRE DE LA GORGE Histoire religieuse de la Révolution Française. (2n^e çolume.) M. Pierre de la Gorce poursuit son Histoire religieuse de la Révolution Française. Ce deuxième volume évoque 12 206 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE les luttes qui, sur des sujets religieux, mirent aux prises en 1792, TAssemblée législative et Louis XVI : c'est la première et la seconde loi de proscription, le premier et le second veto royal qui aboutit à la Journée du 20 juin, et ce sont ensuite, évoqués en des pages magistrales, rinternement, les massacres, les lois de déportation et de mort des prêtres, terribles journées et lois terri- bles de 1793. C'est enfin Tinsurrection vendéenne et l'armée catholique et royale suivies jusqu'à l'échec de Nantes et la mort de Gathelineau. Cette insurrection vendéenne, M. de la Gorce, après l'avoir évoquée en des pages si vivantes et si chaleureuses, la juge avec noblesse : « Pour l'honneur du nom chrétien, il était bon qu'il y eut une Vendée; pour l'unité de notre histoire, il était bon que la Vendée succombât. La vocation divine de la nation française voulait tout à la fois cette résis- tance et cette immolation. » EMILE MAGNE Ninon de Lenclos. Dans la jolie collection « les Femmes illustres » Ninon de Lenclos vient de faire son entrée, et, sans doute, il n'est pas de femme qui soit plus illustre parmi les femmes; il n'en est pas dont le souvenir se pare d'une grâce plus légendaire. Tout le monde sait que Ninon de Lenclos, qui vécut quatre-vingt-dix années, du 15 mai 1616 au 17 octobre 1706, garda jusqu'au dernier jour de cette longue existence, le merveilleux prestige d'une jeunesse éternelle. Elle le garda plus longtemps encore, puisque, après deux siècles écoulés, elle reste encore, à nos yeux, éternellement jeune, éternellement aimée. Cette légende, affirmée par l'histoire, a suffi à perpé- tuer le souvenir et le nom de Ninon de Lenclos. M. Emile JUIN. — HISTOIRE, MORALE, VOYAGES, ETC. 207 Magne prétend que nous avons bîen d'autres raisons de nous souvenir d'elle et qu'en réalité, jusqu'à ce jour, nous n'avons pas connu cette héroïne fameuse. J'ai tremblé, je l'avoue, en lisant ces mots, et je me suis demandé si M. Emile Magne, au nom de je ne sais quelle vérité historique, n'allait pas s'amuser à détruire cette belle histoire de jeunesse éternelle et d'éternel amour, où nous nous sommes habitués à voir Ninon de Lenclos déchaînant encore, à l'âge de soixante-dix ans, des tendresses passionnées après tant d'aventures, depuis Saint-Evremond, Courville, Huyghens, le célè- bre astronome, jusqu'à La Châtre, celui du bon billet. La lecture du livre de M. Magne m'a rassuré; sans doute, il n'admet pas certaines aventures trop drama- tiques ou trop tardives ; mais il ne touche pas, en somme, à cette renommée de grâce, de joliesse plus belle que la beauté, de séduction persistante; et il nous démontre, en outre, que cette courtisane fut une femme délicieuse, une femme d'une intelligence supérieure. Disciple de Montaigne, elle dirigea les cohortes du libertinage et, conjointement avec Théophile des Barreaux, Saint- Pavin, Saint- Evremont, prépara l'avènement de Vol- taire. « Avec justice, la sympathie et l'admiration accom- pagnent sa mémoire. Image même de la politesse, de la simplicité et de la clarté, Ninon est, en effet, entrée dans le groupe de ces héroïnes que la multitude révère et, volontiers, béatifie. » Et nous sommes charmés d'ap- prendre que cette femme exquise fut également une femme d'esprit et de cœur, que cette courtisane vou- lut toujours choisir ses adorateurs, que loin de sol- liciter leurs présents, elle leur faisait grand honneur en daignant les accepter, et malgré tout cela nous ne songeons pas du tout à la « béatifier »; nous nous contentons, ce qui vaut beaucoup mieux, de continuer à l'admirer comme une ravissante image d'éternel prin- temps. 208 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE COMTE DE MUN Pour la Patrie. Il y a un an qu^une canonnière allemande vint jeter Tancre en face d'Agadir. Depuis cette date, depuis le « coup d'Agadir », pendant les longues et pénibles négo- ciations, après même la signature de ce traité si doulou- reux et qui ne conclut rien, que d'angoisses, que d'in- quiétudes, que d'émotions, mais aussi quel réconfor- tant spectacle d'union et de résolution ! Je ne sais pas très bien encore ce que leur geste a rapporté à nos voi- sins de l'Est, mais je suis assuré de ce qu'il nous a valu à nous : il a, ainsi que le dit le comte de Mun, réveillé la nation française. Ce réveil, l'éloquent homme d'État en a suivi le§ phases, tandis que se déroulait en France et au dehors ce drame européen regardé et commenté. Et les nobles pages qu'il a écrites au cours des négociations, où il a salué le réveil du pays, noté les avertissements suprê- mes; ces discours véhéments, empreints d'un si ardent et si sage patriotisme, où il nous a conviés à la veillée des armes; — tout cela, nous l'avons retrouvé, avec émotion, dans un livre que le comte de Mun a très juste- ment intitulé Pour la Patrie. « En rassemblant dans ce volume les écrits que j'ai publiés, les paroles que j'ai prononcées, durant cette période, qui prépare peut- être de graves et décisifs événements, j'espère travail- ler utilement pour la patrie. » ETIENNE REY La Renaissance de l'Orgueil français. Ce sont là des heures très émouvantes que nous avons vécues depuis un an, des heures dont il importe de gar- JUIN. HISTOIRE, MORALE, VOYAGES, ETC. 209 der le souvenir. Nous avons naguère interrogé quelques écrivains français sur cette renaissance du sentiment national : M. Etienne Rey l'a longuement, patiemment, ardemment étudiée, et il nous apporte aujourd'hui le résultat de ses recherches sur La Renaissance de l'Or- gueil français. Le mouvement de patriotisme qui s'est affirmé si magnifiquement dans notre pays et dont l'intensité nous a surpris nous-mêmes, ne fut pourtant pas, selon M. Rey, une brusque réaction : il a été pré- paré lentement par quarante années d'histoire, il est l'aboutissant direct d'une longue période de paix, il est le point de rencontre de toutes les forces reconsti- tuées de la France. « Au premier abord, il est apparu comme un réveil inopiné; il a fait l'effet d'un miracle, et il a provoqué un étonnement joyeux. Mais il né faut pas se tromper sur ses causes, qui sont plus lointaines, ni sur sa portée, qui est plus considérable. En réalité; la France â retrouvé son orgueil, qu'elle avait perdu depuis 1870. » M. Rey nous explique comment; il indique la part que les différents partis ont eue dans la formation de cet idéal, en un mot, « il dresse le bilan moral de la France d'aujourd'hui ». MARCEL PRÉVOST Lettres à Françoise maman. Il y a quelque deux cent cinquante ans que Fénélon prodiguait à nos aïeules ses classiques conseils sur 1' « Éducation des filles »; beaucoup plus d'un siècle a passé sur V « Emile » où J.-J. Rousseau préconisait ses méthodes; et, depuis lors, il ne s'est pas trouvé d'au- teur pour composer une œuvre d'ensemble sur l'ins- truction et l'éducation de nos petits. C'est pourtant là 12. 210 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE un livre dont la nécessité s'impose et se trouve dénon- cée par le désarroi même ou plutôt Tanarchie « qui trouble l'éducation française depuis une centaine d'an- nées, et s'aggrave à mesure que les idées religieuses exercent sur la majorité des Français une influence moins impérative ». Ce livre, un des écrivains les plus séduisants de ce temps a décidé de l'écrire : Marcel Prévost offre aux jeunes mamans ce vade-mecum de l'éducation moderne, ce manuel de la famille qui tient à honneur d'être sérieusement mûri et écrit. A cette nouvelle, quelques frivoles lectrices fronceront le sourcil : « Voilà qui est gai, se diront-elles, l'ennuyeuse littérature des manuels nous ravit notre romancier favori, l'écrivain qui, tant de fois, nous a charmées, émues, ravies. » Mais oui ! cela est gai, frivoles lectrices, et cela est mieux, c'est émouvant et gracieux, et vous ne tarderez pas à être convaincues lorsque vous aurez commencé de lire les Lettres à Françoise maman. Dès le titre, vous avez été rassurées : les « Lettres à Françoise » ! quels jolis souvenirs ces mots évoquent en votre mémoire ! Vous vous rappelez ces spirituelles, ces émouvantes, ces délicates causeries de l'oncle à Fran- çoise jeune fille, à Françoise mariée, et vous savourez d'avance ces lettres du même à la même qui seront, hélas ! les dernières; Votre espoir ne sera pas déçu; vous allez lire un livre exquis, émouvant, spirituel, amusant et profond, grave et familier. De la première à la dernière page vous serez restées sous le charme, vous aurez vécu tout ce petit, tout ce vaste drame d'une existence d'enfant, depuif son premier vagissement jusqu'à sa seizième année; vous aurez lu le plus gra- cieux, le plus vivant, le plus humain des romans : tel est ce « manuel d'éducation ». Dans ce livre où nous voyons naître et grandir les deux enfants de cette Françoise qu'il nous a fait aimer, M. Marcel Prévost a été ce qu'il fallait être : « l'ami de JUIN. — HISTOIRE, MORALE, VOYAGES, ETC. 2H la maison, un peu médecin, un peu confesseur, un peu nourrice, Tami dévoué, raisonnable, réfléchi, docu- menté, que Ton interroge à la fois sur la question hygié- nique et sur les problèmes d'instruction, qui ne s'in- téresse pas moins aux bévues qu'aux gentillesses des enfants, à qui l'on confie les projets d'avenir ». Il a mis à profit la précision actuelle de la science, il a défini un idéal d'éducation, mais, si l'on peut dire, un idéal pra- tique, en tenant compte des contingences présentes; il n'a pas écrit en fumée, sur des nuages, pour des anges. Et il a composé un livre tout à fait remarquable et charmant où, sans optimisme excessif, il a montré les qualités de la nouvelle couvée, et -aussi ses défauts, en indiquant, tout doucement^ comment il convenait d'éviter leur développement. Et cette histoire de la for- mation du corps, du cerveau, de l'âme, du cœur d'un enfant, c'est le roman le plus beau, le plus humain qu'il ait écrit; le plus français aussi, car on pense et on élève à la française dans ce livre dominé tout entier par un tout petit mot qui n'a d'équivalence en aucune langue humaine et qui est : le cœur ; ce petit mot « qui unit deux idées presque opposées, qui signifie la sensibilité la plus délicate et la plus fière hardiesse, qui veut dire bonté, tendresse, amour, mais qui veut dire aussi résistance, ardeur, courage. Que la même courte syllabe puisse évoquer à la fois pour nous ces deux concepts en appa- rence si lointains, c'est un des indices les plus curieux de la sensibilité et du courage français, de l'âme fran- çaise, pour tout dire ». GUSTAVE BABIN Au Maroc. Par les Camps et par les Villes. M. Gustave Babin nous raconte en un volume alerte, documenté, verveux, son séjour Au Maroc. Par les 212 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Camps et par les Villes. Ce livre est d'un bon journaliste dont les circonstances ont fait, ainsi qu'il arrive souvent, un très utile historien. Ses pages sur l'Espagne au Maroc, sa vision de trois sultans : Mouley Ismaïl, le Sul- tan qu'affola Versailles; Mouley Abd el Aziz, le Sultan sans trône; et Mouley Abd el Hafid, le Sultan du pro- tectorat; — son dramatique et pittoresque récit de l'action militaire, tout cela constitue, en même temps qu'un livre d'un très vif agrément, un document histo- rique de premier ordre, et l'on fera bien de méditer les très intéressantes conclusions qu'il a réunies sous le titre : « Politique et diplomatie », conclusions qui per-.0) mettent de prévoir, de comprendre et de redouter ce que nous réserve demain. JEAN DE KERLEGQ La Chanson de l'Orient. La Chanson de l'Orient ! Elle est de grande actualité cette année : nous pensons à elle d'autant plus que les bruits guerriers des canons et des fusils de Gonstanti- nople, à Fez et à Tripoli, nous empêchent de l'entendre et il nous est fort agréable de la retrouver ou de la découvrir dans le livre de M. Jean de Kerlecq. L'au- teur s'en est allé au Maroc, en Tunisie, en Egypte; il a écouté les conteurs arabes, et il nous a rapporté de son voyage une gerbe de contes, de légendes et de poèmes tout à fait curieux, étranges, séduisants, inédits. Inédits? Je crois bien! Ces contes, ces légendes, et u ces poèmes sont pour la plupart éclos de l'imagination «"^ des pèlerins et des mendiants ; ils n'ont pas vu le jour, ils ne le verront jamais. C'est toute une littérature volante si j'ose dire, dont M. Jean de Kerlecq nous conte la pittoresque histoire dans sa préface, une littérature JUIN. — HISTOIRE, MORALE, VOYAGES, ETC. 213 étrange, savoureuse et belle, portée de café en café par des conteurs inconnus, ignorants qui, le plus souvent, ne savent même pas lire, mais qui racontent en toute simplicité des choses admirables, des histoires extraor- dinaires dans lesquelles chante toute Tâme orientale. Il faut lire cette préface si renseignée, si amusante, parfois si émouvante; il faut lire aussi toutes ces belles histoires que M. Jean de Kerlecq a recueillies, choisis- sant pour nous les plus gracieuses et les plus émou- vantes, et les plus pittoresques. Que de naïveté, que de i malice, que de tendresse, que de cruauté, quelle pro- fondeur et quel mystère dans ces histoires du Magicien aveugle, et des Babouches de Birouz-Kasim, et du f Talisman de Shala. Il y a là de la passion, de la bruta- lité, de la licence aussi, estompée avec un grand soin par M. de Kerlecq, et tout cela est enveloppé d'une poésie délicieuse. Dr MARC HAVEN ^ Le Maître inconnu : Cagliostro ïl est peu de figures plus attrayantes et plus mysté- rieuses que celle de Cagliostro, savant, alchimiste, franc- ùaçon, occultiste; tour à tour exalté et vilipendé, réu- jsant en lui cent personnages divers : « odieux escroc, lïf illuminé, délicat manieur d'âmes, grossier lour- îaud », et bien d'autres encore; il a les plus éminentes ualités, les plus sombres défauts, sans compter le iiérite suprême d'avoir inspiré le « Joseph Balsamo » * l'Alexandre Dumas. Avec le grand romancier la légende st définitivement établie; à côté d'elle, M. le docteur Jarc Haven a voulu nous offrir la vérité : en une magis- cale « étude historique et critique sur la haute magie » il a campé de pied en cap le Maître inconnu : Caglios- tro. 214 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Bourré de faits et de documents, ce livre est amusant comme le plus romanesque des romans : il suit Caglios- tro dans sa vie aventureuse, au milieu des hommes les plus illustres de son temps et dans les milieux les plus divers : dans les palais, les chaumières, les cabinets médicaux, les laboratoires d'alchimistes, les réunions d'illuminés ou de francs-maçons; à la Bastille, et aussi dans les centres d'évocations magnétiques ou magiques. C'est, paraît-il, de l'histoire et de la vérité; c'est aussi ténébreux, aussi amusant, aussi merveilleux que la légende; et le docteur Marc Haven a puisé dans sa longue et patiente étude une admiration et un enthou- siasme qui ne s'expriment pas sans quelque emphase : « Ainsi mourut, dit-il, le divin Gagliostro, l'être de lumière et de bonté, jeté en proie à la louve romaine qui se vengea sur lui de ses erreurs et de ses défaites. » MÉMENTO DU MOIS DE JUIN ROMANS Amélie. — Ruines, « mœurs mondaines ». Baranger (Léon). — La Cure, « cas ». Benson (Robert-Hugh). — La Vocation de Frank Ouiseley (traduction de T. de Wyzewa). Berger (Lya). ■^- Sur VAile des Moulins, roman hollandais. Buxy (B. de). — Une Prison dorée. Cardonne (Pierre de). — Les Dissentiments. Coulomb (Jeanne de). — L* E par pilleur de braises. Curwood (James Olivier). — MeKssa (traduction de M. Forbin). Damad (Marianne). — Pour une autre. Darros (J.-B.). — Voir G. Meirs. Dubroca (Maxime). — La Bague, « satire politique et morale ». Durand (Yvonne). — Le Bonheur accessible. Epuy (Michel). — Le Nouvel Homme. Evrard (Laurent). — La Nuit, nouvelles. Ferreti (Hortense A. M. de). — Recte et Fortiter « rêves et réa- lités ». Fersen-Adelsward (Jacques de). — Le Sourire aux yeux fermés. MÉMENTO DU MOIS DE JUÎN 2t5 Foley (Cîharles). — Les Miettes de Vamour. Fouchet (Maurice). — Dans un Jardin solitaire. Gérard- Wegimont (Pierre). — Un Gentilhomme wallon. Girardin (J.). — Le fils de Valansé. Gosse (Edmond). — Père et Fils, « étude de deux tempéraments», (traduit de l'anglais par MM, Auguste Monod et H. Da- vray). Hearn (Lafcadio). — Kotto (traduit de l'anglais par M. Joseph Smet). Jeandet (Charles). — Qui sème le Vent... Joliclerc (Eugène). — Nos Péchés. Lacoiu" (Paul). — Amours rurales, recueil de « contes picards et autres ». Magog (H.-J.). — L'Attentat de la rue Royale. Meirs (G.), et J-M. Darros. — L'Enigme du train 13, « Aven- tures de William Tharps, célèbre détective anglais ». Merrick (Léonard). — La fille de Lyneh (traduction de M. Del- mont). Meyer-Forster (W.). — Le Baron de Heidenstamm. Montmorillon (Marquis de). — ApoUophane, « mœurs de l'épo- que gréco-alexandrine ». Morisson (Arthur). — Dorrington, détective marron, (adapta- tion de M. Albert Savine). Peladan. — Les Amants de Pise. Perret (J.-P.). — Mini Lalouet. Portalès,(Jean). — Histoire de Martine amoureuse. Pylkkânen (Hilma). — Saïmi Tervola. Reschal (Antonin). — L'Entretenu, « roman de mœurs pari- siennes ». Saussay (Victorien du). — L'Armée juive, « grand roman con- temporain ». Sormiou (Pierre). — Les Fiancés. Varaynes (Francis). — Mirages. HISTOIRE. — LITTERATURE THEATRE. — POÉSIE. — POLITIQUE. — DIVERS Acker (Paul). — Portraits de femmes, des silhouettes gracieuses et vraies de grandes dames, de femmes de lettres et de femmes de bien. Alcanter de Brahm. — Les Camavalettes. Le joli titre de ces Tjoèmes vous indique assez clairement qu'ils ont vu le jour ians la noble maison de M.^^ de Sévigné, où règne en ce siècle M. Georges Gain ; c'est à lui d'ailleurs que M, Alcan- ter de Brahm offre ces poèmes : A vous qui décrivez en peintre coloriste La heaiUé de Paris en ses coins évoqués, J'offre le souvenir du poète à l'artiste. Tous deux sur la galère idéale embarqués. âl6 tË MOtJVEMÉNt LlftÉRÀIRÊ Antioche (Comte d'). — Chateavhriand ambassadeur à Londres (1822), d'après ses dépêches inédites. Artois (Armand d'). — Muse et Musette, poèmes et sonnets. Avèze (André). — UEcole du Mariage. Bailly (Fernand). — Rimes galantes, sonnets et madrigaux. Baldy (Robert). — U Alsace- Lorraine et VEmvire allemand 187M911. Barbey d'Aïu-evilly. — Les Œuvres et les Hommes (xix« siècle), tel était le titre d'un grand ouvrage où Barbey d'Aurevilly s'était proposé jadis de dresser dans un cadre qui pren- drait chaque année plus de profondeur et d'espace, l'in- ventaire intellectuel du xix- siècle Le premier volume de cet ouvrage, consacré aux « philosophes et écrivains reli- gieux », nous est aujourd'hui restitué : c'est tout simple- ment un livre de critique, mais quelle critique ! quelle hauteur et quelle prof onde\ir dans ces pages sur Jean ïley- naud, sur Saisset, l'abbé Mitraud, Renan, Lacordaire, le Père Ventura, Eugène Pelletan ! Barrés (Maurice). — Le Jubilé de Jeanne d^Arc. Quelques pages seiilement, quelques pages de méditation profonde, grave et tendre, que le grand écrivain a tracées en « replaçant devant lui les images parmi lesquelles Jeanne passa son enfance », et ces pages sont très émouvantes et très belles, et elles portent en frontispices des images d'Angel, compo- sitions d'un art naïf et achevé. Baudry (Paul). — Rêves et Pensées, recueil où l'auteur mêle « la chanson à la ballade, la fable à la sérénade, le chant patriotique à l'élégie en deuil». Baumann (Emile). — Trois villes saintes, Ars-en-Dombes, Saint-Jacques-de-Compostelle, le Mont-Saint-Michel. Bernet (Edmond). — Voyage à Ghadamès, « suivi des mémoires du maréchal Ibrahim-Pacha, ancien gouverneur, sur son œuvre en Tripolitaine avant la guerre ». Boisey (Maurice de). — Pages d'hier, des hymnes lyriques à la beauté, démonstration émouvante et qui est bien d'un poète, de cette grande règle qui gouverne les âmes hautes, éprises d'idéal : il n'y a peut-être de vrai, dans la vie, que le rêve. Bordeaux (Henry). — Les Amants de Genève, un livre où sont évoqués ces amants fameux qui s'appelèrent Ferdi- nand Lassalle et Hélène de Doermiges, qui moururent à quelque cinquante ans de distance et dont l'aventure appa- raît cependant si poignante, si tragique, si ramassée. Cette aventure à propos de laquelle on a instruit tant de fois le procès du romantisme, M. Henry Bordeaux l'évoque en des pages très vivantes et docimaentées, ç^u'il offre à Charles Maurras, auteiir des Amants de Venise, ce pilori de l'amour romantique; il lui demande d'accepter l'hom- mage de ces « Amants de Genève où l'on voit un conducteur du peuple et une jeune fille affranchie renier, l'un sa foi, l'autre sa passion, au nom d'un même individualisme », Braun (Thomas). — Fumée d'Ardenne, poésies. w MÉMENTO DU MOIS CE JUIN 217 Broquelet (A.). — Nos Cathédrales, un intéressant ouvrage où l'auteur a évoqué^en des notices savantes, en de belles images, les voûtes j vénérables, les nobles silhouettes des cathédrales qui, par toute la France, dressent vers le ciel leurs flèches de pierre. C'est une œuvre utile: « Dans cette grande campagne qtii se dessine en faveur de nos édifices rehgieux, lui dit M. Maurice Barrés, vous apportez une contribution précieuse. Le meilleur moyen de défendre nos églises, c'est de les faire aimer, d'intéresser le grand public à leur sort. » Brunetière (Ferdinand). — Histoire de la littérature française classique (1515-1830). M. René Doumic présente en quel- ques lignes le deuxième volume de cette belle œuvre, dont M. Ferdinand Brunetière a laissé, en des plans très détail- lés et très précis, en des notes de cours pieusement recueil- lies par ses élèves, les précieux éléments. Capperon (Louis). — Au secours de Fez. Caron (Pierre). — La Défense nationale de 1792 à 1795. Charmont (Joseph). — Les Transformations du Droit civil. Chauvigny (Louis de). — Le Fils de Laclos. Ce sont, après une éloquente et solide préface, les « Carnets de marche du commandant Choderlos de Laclos (An XIV- 18 14) et les lettres inédites de Madame Poiu-rat. Le héros de ce livre c'est le fils de l'auteur des Liaisons dangereuses, Etienne Forgeau Choderlos de Laclos, né le l^^" mai 1784, mort au champ d'honneur le 18 mars 1814, à moins de trente ans. Beau temps vraiment, celui où en si peu d'années un homme pouvait laisser tant de souvenirs, remuer tant de gloire, parcourir tant de villes en Allemagne, en Prusse, en Pologne, à Tilsitt, en Espagne, en Saxe... Chuquet (Arthur). — La Guerre de Russie,lSl2. « Notes et docu- ments». (3™^ volume). Claudel (Paul). — L'Annonce faite à Marie, un « mystère en quatre actes et un prologue », tout plein de belles images, de pensées étranges et profondes. Cros (Guy-Charles). — Les Fêtes quotidiennes, poésies. Cruppi (Louise). — Femmes écrivains d'aujourd'hui, en Suède, Delafarge (Daniel). — La Vie et VŒuvre de Palissât {1131 -ISlé), Dybowski (Jean). — Le Congo méconnu, un beau livre de l'ex- plorateur quia toujours compris la valeur de cette grande colonie, même au temps où les convoitises germaniques ne nous avaient pas encore, hélas ! renseignés. Encausse (D'). — La Réincarnation, la Métempsychose, l'Évolu- tion physique, astrale et spirituelle, un livre où le docteur Encausse, qui a rendu fameux le mystérieux pseudonyme de Papus, nous expose ses idées et nous raconte ses curieuses expériences. Le texte est bien troublant et il cau- serait une indicible impression de malaise s'il n'y avait pas, pour nous rassurer, les images qui, avec leur air de préci- sion géométrique, apparaissent vraiment un peu comiques, notamment celle qm nous montre la « réintégration des cel- lules matérielles », et cette autre encore où s'expriment si 13 Pc 218 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE naïvement la tristesse de la mort physique et la joie sereine de la naissance astrale qui lui succède. Fabié (François). — Ronces et Lierres, poésies. Fouquier (Marcel). — Paria au XVIII^ siècle : Ses folies. C'est un très beau livre composé avec beaucoup de soin et de goût par un homme qui a longuement étudié et fréquenté ces merveilles, charmants vestiges d'un temps aboli, un temps où des grands seigneurs et de riches financiers cons- truisaient des « folies » enfouies derrière d'impénétrables rideaux de verdure. Des folies ! De la verdure ! Voilà qui ferait sourire nos bâtisseurs de palaces, pourvus de tout le confort moderne, spéculateurs sérieux pour qui tout arbre est un gêneur. Et voilà poiu-quoi des folies de Bagatelle, de Saint- James, de la Muette, de Boulainvilliers, des folies de Beau- jon, du Luxembourg, de Marigny, de Boutin-Trivoli, de Saint-Germain, de Beaumarchais, et de tant d'autres, il ne restera plus bientôt que le souvenir charmant et fleuri ; et voilà pourquoi nous devons savoir gré à M. Marcel Fou- quier d'avoir, sur un somptueux vélin, fixé ce souvenir en des pages documentées et en une collection de dessins admirables reproduits avec toutes les ressoiurces et toute les perfections de la gravure moderne. Franck (Henri). — La Danse devant V arche, des poèmes que M»"^ de Noailles présente et exalte en une belle préface : « Les yeux limpides se sont fermés qui possédaient la grâce et comme la science du ciel ; une voix s'est tue où se pres- sait et s'ordonnait à la fois le tumulte de la pensée ; mais, de ce silence qui nous emplit d'un accablant ennui, iin chant sacré va s'élever. » Garcia-Caldéron (F.). — Les Démocraties latines de V Amérique. Gœtz-Bernstein. — Jacques-Pierre Brissot une magistrale étude qui est, en même temps, celle de « la diplomatie de la Gironde » : l'auteiir expose dans ce livre les idées de Bris- sot et des principaux Girondins sur la politique extérieure et l'action qu'ils ont eue sur la diplomatie de la Révolution. Gojon (Edmond). — La Grenade, poésies. Haugmard (Louis). — Des Ailes qui passent, poèmes. Hoppenot (Henri). — Trois Poèmes, placés sous l'invocation de Jean Racine et de Stéphane Mallarmé. Jacquet (René). — Au Cœur de Vidée, poèmes. Lalo (Charles). — Introduction à V Esthétique, une solide étude sur les méthodes de l'Esthétique, la beauté natiu-elle et la beauté artistique, l'impressionnisme et le dogmatisme. Et voici les conclusions très solidement établies par une étude approfondie : « Dans notre âge scientifique, l'esthétique, cette philosophie de la critique d'art, ou ne sera pas, ou, dépassant l'impressionnisme, sera dogmatique. Le dogma- tisme ne sera qu'une survivance attardée du traditiona- lisme, s'il ne devient, d'absolu, relativiste. Le relativisme esthétique enfin ne sera complet que s'il s'étend vraiment à toutes les relations; et il en est d'autres qu'individuelles MÉMENTO DU Mois DE iUlN 2l§ Hm Ou même inter-individuellea : c'est-à-dire qu'il imtpliquera ' ^ nécessairement de plus en plus le point de vue sociologique. » Laugel (Auguste). — Flammes et Cendres, poésies Lejeune (Louis). — Terres mexicaines. Levilier (Robert). — Les^ Origines argentines, « formation d'un grand peuple ». Lichtenberger (André). — En Alsace. Ce sont en de jolies pages ornées d'images aux riantes couleurs, Strasbourg et sa cathédrale, les cigognes, de pittoresques figures de la vérité et de la légende, un gracieux récit d'autrefois, l'évo- cation d'un Noël alsacien, toutes choses qui feront revivre « à ceux qui connaissent l'Alsace quelques-unes de leurs impressions; aux autres elles donneront une idée sommaire de ce qu'elle nous suggère, elle leur fera entrevoir au moins le charme si particulier de cette région qui nous tient de si prés par tant de liens ». Mancini (Jules). — Bolivar et V Emiancipation des Colonies espa- gnoles, des origines à 1815. Martin-Decaen (André). — Le dernier ami de J.-J. Rousseau, « le marquis de Girardin. 1735-1808 ». Mathieu (Cardinal). — Œuvres, « mélanges historiques et litté- raires ». Maurette (F.). — Etats et Régions du Globe, un étonnant petit volume, qu'on peut, le plus aisément du monde, fourrer dans sa poche, où l'auteur a trouvé moyen de réunir les notions les plus neuves de la géographie moderne, les der- nières statistiques, la description de tous les États, de la vie que les conditions naturelles imposent à leiu*s habitants, que sais-je encore : c'est toute la terre en trois cents petites pages I Meneval (Baron de). — Le Général Baron Coëhom (1771-1813), « le Bayard alsacien ». Mocquillon (Abbé H.). — L'Art de faire un homme. «Conseils f)ratiques d'éducation moderne. De la première enfance à a fin des études. » Moreux (Abbé). — Les Secrets de la Mer. Momet (Daniel). — Le Romantisme en France au XVI 11^ siècle. Ne dites pas : Déjà ! Le romantisme est né tout entier au siècle de Rousseau : le mot lui-même est dès cette époque entré dans l'usage. Mouton (Léo). — Un Coin du Pré-aux-Clercs : le Manoir de Jean Bouyn et V Ecole des beau^-arts. C'est, au cours de quatre siècles, l'histoire d'une glorieuse maison, celle qui élève sa façade sur le quai Malaquais et dans laquelle, depuis cinquante ans, s'instruisent nos futurs ÉU-tistes. M. Léo Mouton évoque en des pages alertes, semées d'ima- ges, tous les personnages qui passèrent dans cette maison depuis l'an 1541 où Jean Bouyn, barbier-chirurgien, l'avait fait construire, et c'est Loménie de Brienne, le prince de Conti, M. de Guénégaud, le duc de Créqui, Lauzun, la prin cesse de La Roche-sur- Yon, le duc et la duchesse de Maza- rin, le marouis de Juigné, Fouché, le ministre de la police, et Vincent Gaillard, le fondateur des Messageries générales. 220 LÉ MOUVEMENT LITTÉRAIRE Murât (Amélie). — Le Livre de Poésie. Niccomedi (Dario). — Le Refuge. — U Aigrette. Nigond (Ga,briel). — Théâtre. Savez- vous que cela représente déjà une œuvre imposante, d'une belle richesse et d'une heureuse variété, depuis les paysanneries des Petites Bleues et de Perlot jusqu'au lyrisme de Mil Huit Cent Douze, en passant par ces jolies pages littéraires de Mademoiselle Molière et par ces deux pièces exquises et vraiment supé- rieures : le Cœur de Sylvie et le Dieu Terme. C'est en vé- rité l'œuvre d'un homme de beaucoup de talent, d'un poète vraiment aimé des dieux qui, malgré les belles phrases admises, manifestent tout de même mieux leur sympathie en laissant la vie à leurs favoris, à ces poètes qui, tout jeunes, en pleine possession de leur talent, font déjà un passé, tout en caressant les longs espoirs de l'avenir. Oechsli (Wilhelm). — Le passage des Alliés en Suisse (1813- 1814), (traduction du capitaine Francis Borrey). Oulmont (Ch.). — Le Verger, le Temple et la Cellule, « la Sensa- sualité dans les œuvres de mystique religieuse ». Pellico (Silvio). — Mes Prisons (traduction nouvelle de M. F. Reynard). Piton (Camille). — Paris sous Louis XV, « rapports des Inspec- teurs de police au Roi ». Pouvourville (Albert de, « Matgioi »). — Rimes d'Asie, poèmes pittoresques, harmonieux, colorés; rimes chinoises, rimes jacobines, où il y a tant de grâce, tant de vigueur, tant de mélancolie. Prévost (Marcel). — Moralités féminines et françaises, des pen- sées fort adroitement choisies dans l'œuvre de l'éminent écrivain par M. Ernest Gaubert. Rondet-Saint (Maurice). — Dans notre Empire noir. Salaiin (Louis). — Pour enrayer le favoritisme il faut organiser l'avancement. Séché (Alphonse). — La Chasse au Bonheur. M. Alphonse Séché a cueilli dans l'œuvre de Stendhal, notamment dans sa correspondance, dans son journal et dans ses souvenirs d'égotisme, des conseils, paradoxes, et maximes sur le bon- heur et il les a réunis et très judicieusement ordonnés sous un titre emprunté, nous dit-il, aux entretiens de Stendhal. Ce titre, le délicat écrivain Claude Lorrey en revendique pour lui la priorité, il l'a donné à un roman publié naguère dans la Phalange et que nous verrons prochainement en librairie. Sicard (Abbé Auguste). — Le Clergé en France pendant la Révo- lution. T. 1er. L'Effondrement. Tailhade (Laurent). — Pages choisies, vers et prose. Vallery-Radot (René). — Correspondance du duc d'Aumale et de Cuvillier-Fleury (Suite). J'ai dit, à maintes reprises, l'in- térêt passionnant de ces lettres émouvantes, et nobles, et primesautières ; la série qui nous est offerte aujourd'hui et qui embrasse les années 1869 à 1864 est, sans doute, la MÉMENTO DU MOIS DE JUIN 221 plus palpitante : on y voit défiler tous les faits et tous les personnages de l'histoire de France dans cette période si curieuse et si belle de la guerre d'Italie et des expéditions de SjTie et de Chine. Je voudrais pouvoir vous parler digne- ment de ce volume — l'introduction seule de M. Vallery- Radot mériterait une longue analyse — mais, hélas ! la place me manque toujours. JUILLET LES ROMANS MARCEL DHANYS Monsieur de Voltaire précepteur de Marie Corneille. Je vous ai signalé, à maintes reprises, les charmants ouvrages où Marcel Dhanys s'amuse à faire revivre les temps du Grand Siècle, en des romans ingénieux où il mêle un peu — très peu — de fiction, à beaucoup d'his- toire, et qu'il s'applique à écrire fort exactement dans le style et dans le ton du temps. Vous n'avez pas oublié^ pour ne citer que ceux-là, ce Journal d'une élève de Port-Royal, et ces Souvenirs d'une bleue, élève de Saint-Cyr, qui semblent sortis tout armés de la correspondance de M^^^ de Maintenon. Le nouveau livre de Marcel Dhanys figurera avec agré- ment dans cette collection. C'est un genre fort artificiel et qui fait penser à ces exercices que nous donnaient nos professeurs de rhéto- rique; je me vois très bien, sur les bancs du lycée, avec ce sujet à développer dans une composition : « M. de Vol- taire écrit à M. le comte d'Argental pour lui demander s'il est exact qu'une petite-fille du grand Corneille se trouve dans le dénuement. » Seulement, il nous arrivait souvent, à nous, de mettre sous la plume de Voltaire, JUILLET. — LES ROMANS 223 des expressions fâcheusement anachroniques, tandis que Marcel Dhanys ne commet pas d'erreurs. Ses lettres sont impeccablement — elles sont même presque tou- jours littéralement — de Voltaire ou de M '^«(j^ Defîand, ses récits sont tels que durent les entendre ou les dire ces illustres personnages. Et ainsi, en écoutant la belle histoire de Marie Corneille sauvée par Voltaire, à Taide d'ailleurs d'un éreintement de son illustre parent, nous prenons une très gracieuse leçon de littérature et d'his- toire, qui est agréable pour nous et qui sera fort utile pour nos neveux, quand nos réformateurs de l'Univer- sité auront réussi à en bannir complètement les huma- nités. PIERRE VALDAGNE Les Leçons de Lisbeth Lottin. L'auteur nous conte, dans ce joli roman, l'histoire d'une jeune fille du dernier bateau : Marie-Thérèse Mon- tagrier, une petite personne abominablement mal élevée, fardée, habituée aux fréquentations les plus équivoques, dont l'indépendance inquiétante n'a rien de commun avec cette liberté d'allures saine et franche que nous prêtons aux jeunes filles d'Angleterre ou d'Amérique. L'indépendance de Marie-Thérèse la conduit non pas au tennis ou au golf, mais dans les cabinets parti- culiers, dans les garçonnières, dans les coulisses de théâtre; et l'on est tenté de conseiller à cette jeune per- sonne de prendre des leçons de pudeur, de tenue et de chasteté auprès de la demi-vierge de Marcel Prévost qui, elle, du moins, savait garder un certain décorum. On a tort. Tout ce vice est artificiel: il ne tient pas plus que le fard dont la jeune fille avive ses lèvres et ses jouos, et il suffit de l'intervention d'une comédienne célèbre, Lisbeth Lottin, dont Marie-Thérèse a voulu 224 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE faire son amie, pour que cette indépendante, cette affranchie, se transforme, au dénouement, en une jolie mariée tout de blanc vêtue et parée de la plus légitime des fleurs d'oranger. Vous voyez combien tout cela est paradoxal et sca- breux ! Mais Pierre Valdagne nous le raconte avec tant d'esprit, une grâce si persuasive, que nous l'admettons le mieux du monde. Cet écrivain charmant connaît mer- veilleusement Paris, et les Parisiennes, donc ! Il nous raconte les thés, les couturiers, les restaurants de nuit, l'avenue du Bois et les boulevards — tout l'univers ! — avec une vérité que je dirais photographique s'il n'y mettait tant d'art et tant d'esprit. Ce livre pourrait être mélancolique, mais Pierre Val- dagne est bon prince : il ne veut pas nous attrister, et ces dessous parisiens dévoilés ne nous laissent en fin de compte qu'un joli souvenir de mousse et de mousse- line et de blancheur. RAGHILDE Son Printemps. Ce roman, est un livre bien curieux où l'observation la plus humaine, la plus vraie, la plus poignante, se raffine parfois jusqu'au tarabiscotage le plus artificiel; l'expression suit le mouvement : elle est souvent d'une sincérité, d'une vérité admirables, et parfois d'un manié- risme irritant; mais d'ensemble, ce livre, avec tant de pages très belles et quelques autres qui le sont moins, est d'une rare qualité : c'est une œuvre exquise et pre- nante et douloureuse. Son Printemps ! Pauvre Printemps, celui de la petite Miane, élevée par sa terrible grand'mère, M^^^ Leforest- Janiou, étroite, revêche, autoritaire; sous cette férule, JUILLET. — LES ROMANS 225 elle est devenue tout de même une petite fille ardente, généreuse, qui voudrait tant s'épanouir. Elle est simple et bonne; elle aime : elle aime la nature et ses compa- gnes et la vie dont elle regarde le spectacle avec passion, avec angoisse aussi, car on lui a inspiré la terreur des choses et des hommes, et la crainte de Dieu. Elle a Tobscure révélation du gi'and mystère avec l'aventure de Fantille, la pauvre petite bonne qui met au monde, certain jour tragique, un enfant mort; Miane ne se rend pas compte, elle ne sait pas; ce qu'elle comprend seulement, c'est que la religion et son minis- tre furent bien durs et sévères pour Fantille; tant de cruauté la révolte, la détourne de Dieu et la porte vers un petit dieu païen dont l'image jolie, avec ses ailes et ses flèches, l'a séduite, le plus chastement du monde, d'ailleurs, car ses aspirations restent inconscientes et obscures; et elle meurt — comme Ophélie — dans l'innocence, après avoir vainement imploré la nature et la terre. « terre aveugle ! Terre qui fermes les yeux sur la douleur d'une de tes créatures, pourquoi ne peux-tu pas m'envoyer le secours que je demande? Ce que je demande, ô terre, ô printemps, c'est ma part de repos ou ma part de bonheur. Je suis déjà fatiguée de porter le poids de mes doutes. Je ne crois plus à ce que me disent les livres, mais je crois aux vérités de mon prin- temps qui me chante l'espoir. Je suis si petite encore, si jeune pour en finir avec toutes les fleurs » ! ADOLPHE ADERER Amours de Paris. Amours de Paris ! Ce titre inscrit par M. Adolphe Ade- rer sur la couverture de son livre est joli, et il a, en 13. 226 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE outre, le rare mérite de signifier quelque chose. Ce sont bien, en effet, les amours de Paris qui défilent dans ce volume, soigneusement rangées en vingt nouvelles qui se déroulent dans les vingt arrondissements de la grand* ville. Au premier regard, c'est là une division qui peut paraître assez arbitraire : ou bien Tamour est un, ou bien, il a tant de figures diverses qu'il est singulier de vouloir les limiter à vingt. Et pourtant, il y a une idée ingénieuse et juste dans cette division : il est certain qu'on n'aime pas de la même façon, ni les mêmes gens, à Grenelle, aux Champs-Elysées, ou à la Villette; et M. Jules Claretie affirme, dans la jolie préface qu'il a donnée au livre, qu'il y a une grande part de vérité dans cette division de l'amour : « Dis-moi où tu vis et je te dirai qui tu aimes. » En tous cas, cette idée, même si l'on persiste à la trouver un peu arbitraire, nous a valu vingt nouvelles tout à fait agréables et jolies, quelques-unes vraiment émouvantes et supérieures, telle cette histoire d'amour qui se déroule aux Quinze- Vingts, « les yeux fermés »; telle encore cette terrible aventure du Don Juaa moderne qui, après sa dernière faute, son dernier crime, s'en va se briser le crâne contre la pierre du monument aux morts du Père-Lachaise : Et in pulverem reverteris. Dans cette promenade sentimentale à travers la ville, le « long des cœurs de Paris », M. Adolphe Aderer n'a pas seulement raconté des drames, il a évoqué des décors avec un art très pittoresque et une grande science de l'histoire de Paris. Ainsi, ce joli volume romanesque apparaît en même temps comme un tableau historique et pittoresque des quartiers parisiens; c'est, pour reprendre la jolie expres- sion de M. Jules Claretie : « Un géographe du cœur humain qui a tracé la carte du Tendre de notre Paris moderne, » JUILLET. — LES ROMANS 227 MAXIME FORMONT La Torture. M. Maxime Formont nous raconte, sous le titre : la Torture, une bien terrible histoire. Jugez plutôt : Hélène, mal mariée au cynique et débauché comte Mar- cien de la Rovère, a commis la plus excusable des fautes en se laissant consoler par Fortier, son ami d'enfance. Traîtreusement, le comte de la Rovère fait assassiner son rival au cours d'une chasse au sanglier. Le crime a été fort bien machiné : pour tout le monde ce sera un accident de chasse; pour tout le monde, sauf, bien entendu, pour Hélène à qui son mari a infligé la torture de cette révélation. La malheureuse ne peut que se taire; elle ne saurait se résigner à dénoncer le père de sa petite fille. Hélène n'est pas au bout de ses tourments : dans quelques mois elle va être mère, et son mari, fixé sur l'origine du nouveau-né, s'en empare, le fait dispa- raître, en s'engageant, cependant, à veiller sur lui et à donner même un jour de ses nouvelles à sa mère. Il tient sa promesse : pendant vingt années il s'in- génie patiemment, cruellement à faire du fils de sa femme et de son rival un pâle voyou, perdu de vices et prêt pour tous les crimes; et il a un sourire de triomphe en présentant certain soir, dans un bouge infâme, sa vilaine œuvre à la pauvre mère. Triomphe sans lende- main, car le jeune apache, pour ses débuts dans la car- rière du crime, assassine le misérable qui l'a flétri. Il ira au bagne, où les jurés pitoyables l'ont envoyé pour cinq ans seulement. Sa mère se propose de l'y rejoindre et de faire reparaître, à force de soins et de tendresse, la belle nature que ce garçon doit nécessairement tenir de son père... C'est une histoire formidable, comme vous voyez : 228 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE M. Maxime Forment, qui ne nous a pas habitués à ces débauches mélodramatiques, l'a traitée avec beaucoup d'art, de tendresse et d'émotion. RAYMONDE LORDEREAU Vaincue. Cette œuvre de début témoigne chez son auteur d'un très réel talent et permet les plus belles espérances. Le livre est bien écrit, je dirais presque trop bien; enten- dez par là que M"^^ Lordereau semble contempler avec amour ses phrases soigneusement serties et donner une importance considérable aux mots qu'elle a patiemment assemblés. C'est là un excès qui peut devenir périlleux, mais on s'en corrige; à tout prendre, il vaut singulière- ment mieux que l'excès contraii*e, si fréquent, celui de la négligence. L'anecdote du roman est assez malaisée à con- ter; les personnages épisodiques, les tableaux évo- qués aident à la comprendre, à fixer sa signification psychologique, et l'on risque de la trahir par une sèche analyse. La voici cependant : Jacques Aubri, le grand musicien, inquiet, tourmenté, toujours à la veille de produire un chef-d'œuvre et qui, toujours mécontent de soi, anéantit sans cesse l'œuvre commencée, a épousé, il y a sept ans, Denise, une orpheline que sa brave femme de tante, M"^^ Cellier, avait recueillie et dotée. Le ménage a été heureux; un enfant est né, le petit Marcel; mais Denise s'est trouvée peu à peu déçue, humiliée par cette incertitude de son mari dont si long- temps elle a vainement attendu le chef-d'œuvre. Elle l'a comparé, avec mépris, aux artistes de talent qui fréquentent chez elle, à Romain Carrière, le célèbre sculpteur, à François Desgrèges, à tant d'autres, et un JUILLET. LES ROMANS 229 beau jour elle est devenue la maîtresse de François Des- grèges. Comme elle est honnête profondément, elle a tout avoué à son mari et elle est partie. Jacques écrasé par ce malheur n'a point tenté de la retenir; mais, lorsque bientôt Denise malheureuse et délaissée par son frivole amant a demandé à revenir au bercail, il est resté de glace, pris tout entier par la composition, enfin résolue, de son œuvre; et ce chef-d'œuvre, une Salomè, a été représenté avec un triomphe éclatant auquel Denise a assisté, émue jusqu'aux larmes, aimante et repentante, dissimulée aux deuxièmes galeries. Mais une catastrophe atteint Jacques dans son triomphe : le petit Marcel tombe dangereusement malade, il est condamné, et Jacques appelle Denise au chevet de l'enfant; elle accourt désespérée, et devant ce pauvre petit être souffrant, devant sa femme en larmes le mari s'attendrit : il voudrait pardonner, mais il est trop tard, Denise victime, comme son fils, d'un terrible atavisme, ne peut plus accueillir ce pardon, elle mourra, volontairement, en même temps que son enfant. Avec cette analyse, vous connaissez l'essentiel de l'histoire, mais, je le répète, vous n'en savez que peu de chose : les détails qui l'illustrent, les personnages qui la traversent, tel cet admirable Vanderec, le gnome affreux, à l'âme si belle, seraient nécessaires pour vous faire comprendre toute cette psychologie tourmentée, profonde et douloureuse. JEAN-LOUIS VAUDOYER La Maîtresse et l'Amie. La Maîtresse et l'Amie est une œuvre délicate et sédui- sante infiniment, d'une observation mélancolique et 230 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE raffinée. C'est une histoire d'amour tourmentée et dou- loureuse, racontée par un artiste et par un poète beau- coup plus que par un romancier. Et c'est pourtant un vrai roman, cette histoire de Georges Lendrieux et de Cécile de Jussey, un roman d'une vie intense et d'une telle vérité qu'il éveille en nos cœurs des échos mélan- coliques. M. Jean-Louis Vaudoyer, l'a, si j'ose dire, plongé dans l'art et dans l'esthétique : ses héros et ses situations sont influencés sans cesse par de suaves musi- ques ou de beaux vers entendus, par des promenades sentimentales au Louvre, dans les musées de Rome, de- vant des cathédrales de Hollande. Georges Lendrieux, l'amoureux, est un grand musicien, et Cécile de Jussey, la tendre amie, est une artiste de race, et Fleurquin, leur ami, est un magnifique poète, et ainsi, ce livre romanesque est tout baigné d'art, de musique et de poésie, et les rudesses de l'observation et de la vie en sont tout atténuées et estompées. Faut-il après cela vous résumer l'histoire en quelques lignes de prose? Je ne crois pas. Les amours idéales de Georges et de Cécile, les divertissements beaucoup plus matériels de Pauline et de Georges, qui a une âme d'ar- tiste, mais qui est tout de même un homme, et la fin de Cécile, qui meurt de son rêve flétri, sont choses trop subtiles, trop délicates, pour supporter l'outrage d'une brève et brutale analyse. LÉOPOLD GROS A l'ombre du Clocher. Je le remarquais l'autre jour : il n'est pas une semaine où je n'aie à vous signaler au moins un roman qui exalte l'amour de la maison familiale, le culte de la tradition. w: JUILLET. — LES ROMANS 231 ,. retour à la terre. Il y a là une très intéressante ten- dance de la littérature contemporaine qui pourrait bien être un signe des temps, malgré notre scepticisme de citadins. Ces livres bien pensants auront peut-être nielque jour une action sur les mœurs, leur lecture •mmencée dans les salons de la ville pourrait bien parfois se terminer dans la paix laborieuse des champs. Ainsi soit-il ! Après tant d'autres, M. Léopold Gros nous dit, dans -MU roman, les saines et douces joies que l'on goûte l V ombre du Clocher. Ce roman très simple, même assez simplet, qui, à chaque page, affiche ingénument ses intentions, ne manque ni d'intérêt ni d'émotion, et M. Léopold Gros qui l'offre en humble témoignage d'admiration à M. René Bazin, dont la Terre qui meurt inaugura jadis cette littérature rustique, n'est certai- nement pas dénué de qualités. L'histoire? La voici : Le père Vergues, qui fut autre- fois un riche propriétaire, a été accablé par la mal- I hance ; ses récoltes ont été détruites, ses bestiaux frappés par la maladie; il est ruiné et il assiste déses- péré à la vente de son domaine. Il s'en ira chez les autres, cependant que sa ferme de Gouzens sera acquise par son voisin, le père Roche. Heureusement, son fils et Irma, la fille du père Roche, s'aiment tendrement, ils se sont solennellement promis le mariage. Mais Léon s'en va au régiment, à Toulouse, où il est accueilli par lin vieil oncle qui lui inculque le dédain de la terre, imour de la ville, et cependant, au village, Irma est iKincée malgré elle par son père autoritaire à un mau- \ ais diable de facteur. Atterré par cette nouvelle, Léon se convertit défini- tivement aux idées de son oncle et il jure de ne plus venir au village où il n'a connu que le chagrin et la 'i<'ception; mais Irma, délivrée de son fiancé, qui s'est suicidé à la suite d'une vilaine histoire, se désespère de son abandon, elle languit, et le médecin ne dissimule 232 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE pas au père Roche qu'il va être responsable de la mort de sa fille. Alors, le vieux paysan n*hésite pas : il s'en va à la ville, il supplie le fiancé d'autrefois, le ramène, et ce sera enfin le bonheur « à l'ombre du clocher ». Et le bon doc- teur qui a arrangé toutes ces choses et fait tout ce bon- heur se réjouit parce qu'il a agi selon sa conscience et selon des maximes qui lui sont chères, telle celle du père Didon: « J'aime mieux une larme versée sur les douleurs d'autrui ou sur nos misères que toutes les extases d'une sensibilité raffinée. L'homme n'est grand et beau, l'homme n'est digne de Dieu que dans les heures où il s'oublie lui-même pour servir la vérité, la charité et s'immoler au devoir. » LOUIS PLANTÉ Sur le Déclin Dans ce roman M. Louis Planté a voulu fixer la psy- chologie émouvante et douloureuse de la vieille fille qui n'est point encore une vieille femme. Andrée Noussaye a trente-huit ans : elle a rêvé d'un mari idéal, d'un prince charmant qu'elle n'a point rencontré, et puis, le temps a passé, sa jeunesse aussi, et elle se voit « sur le déclin », cependant que son miroir lui affirme qu'elle est encore belle, cependant que les regards posés sur elle lui démontrent qu'elle est toujours désirable. Situation attristante et pénible à laquelle une amie trop obligeante, M™^ Aponini, s'efforce de mettre fin en lui présentant le riche et vieux M. Toulain qui l'épou- serait volontiers; mais Andrée repousse ce projet avec dégoût, d'autant plus qu'elle a rencontré à ce dîner même où la conviait M, Toulain, Gérard, un jeune écri- vain doué de toutes sortes de séductions et qui lui est JUILLET. — LES ROMANS 233 apparu tout de suite comme le prince charmant si long- temps attendu. Mais hélas ! Gérard a vingt ans et Andrée lutte déses- fpérément contre le sentiment qui l'entraîne vers lui. a Trop tard » se dit-elle sans cesse, douloureusement, et celui qui l'aime tendrement voudrait dire les mots décisifs, mais elle ne lui en laisse pas le temps, elle s'en- fuit certain matin avec sa vieille mère cependant que le pauvre Gérard désespéré se laisse entraîner par la tou- jours obligeante M^^^ Aponini. C'est d'une psychologie un peu tourmentée; les héros de ce roman aiment, semble-t-il, à souffrir et à raffiner sur leur souffrance, mais une émotion profonde se dégage du livre, dominé par l'image la plus douloureuse et la plus pathétique qui soit : celle de la femme insa- tisfaite et que guette la vieillesse. MAX ET ALEX FISCHER Le Duel de Lolotte. MM. Max et Alex Fischer n'ont point voulu nous laisser partir en vacances sans nous offrir l'agrément d'un nouveau volume de joyeuses nouvelles. Ce volume s'appelle le Duel de Lolotte, et il est tout à fait digne de ses aînés. Vous y retrouverez ces drôleries très particu- lières, fortement tirées par les cheveux, et dont le comi- que est établi cependant avec une rigueur quasi-mathé- matique. MM. Max et Alex Fischer se sont fait donner par je ne sais quel « qui de droit » la mission de nous faire rire, et nul effort, nul labeur ne leur coûte pour accomplir cette mission. Notre hilarité, c'est leur devoir; pour aboutir à ce résultat, ils se livrent aux opérations les plus fatigantes, 234 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE disposent scientifiquement des termes d'équations fort compliquées, les discutent laborieusement et enfin obtiennent leur solution et notre éclat de rire : C. Q. F. D. Le duel de Lolotte, la première des nouvelles réunies dans ce livre donne, fort exactement, l'idée de ce pro- cédé : Supposez qu'un monsieur porte le nom féminin de Lolotte, et les prénoms de Yves et de Zéphirin, que le monsieur soit un journaliste sans scrupule et qu'il signe de la première lettre de son premier prénom des articles à VAube; — de la première lettre de son second prénom, des articles au Crépuscule, en ayant promis mensongèrement à chacun de ces journaux l'exclusi- vité de sa collaboration. Pour démontrer sa bonne foi à ses directeurs, il écrit certain jour deux articles très violents, Tun où Y couvre Z d'injures, l'autres où Z traîne Y dans la boue. Ouf ! voilà le premier terme de notre équation. Supposez d'autre part qu'il existe un certain Yvon- net, lequel, encouragé par l'anonymat des articles de l'Aube, a laissé entendre à ses amis qu'il était ce mys- térieux Y; supposez aussi l'existence d'un nommé Zurbach qui se laisse volontiers prendre pour le Z du Crépuscule; — et vous comprendrez pourquoi Yves Zéphirin Lolotte apprend avec stupeur qu'Y et Z qui n'existent que dans son imagination se sont battus en duel, le duel de Lolotte. Et voilà ! ce n'est pas plus compliqué que cela; seulement moi, je ne vous ai pas fait rire, tandis que MM. Max et Alex Fischer, qui ont la « manière », ont extrait de cette équation toute sa force comique. r JUILLET. — LES ROMANS 235 RICHARD O'MONROY Pour être du Club. Ce roman fut jadis, au théâtre Michel, une pimpante comédie en deux actes qui nous avait beaucoup diver- tis. L'histoire a gardé dans le livre tout son agrément, toute sa verve primesautière. C'est celle de Jacques de Tournecour, un fort aimable gentilhomme breton qui a vécu toute sa jeunesse dans le château paternel de Ker- tregen et qui, ses vingt-cinq ans révolus, doit venir à Paris chercher la consécration définitive sans laquelle un gentilhomme n'est qu'un pauvre sire : l'admission au Jockey-Club. Son oncle, le général, l'exige; son père y consent, et Jacques s'y décide malgré le muet cha- grin de sa petite cousine Diane navrée de le voir partir. C'est une grosse affaire que d'être admis au Club : il faut manœuvrer avec habileté, se concilier des amitiés utiles, avoir un bon tailleur et surtout être connu comme Tanii d'une gentille femme ornée debeaux bijoux et appartenant, autant que possible, à l'Opéra. Jacques s'emploie très consciencieusement à remplir toutes ces onditions : il devient, notamment, l'ami de la petite Manchaballe, une danseuse fort réputée de l'Opéra. Tout va le mieux du monde, et il est à la veille de son admission lorsqu'une fantaisie de sa petite amie le fait apercevoir installé en seigneur et maître dans la loge d'une concierge, la propre mère de M"^ Manchaballe. C'est l'affreux scandale, le scandale qui ferme à tout jamais les portes d'un club bien noté. Jacques est hon- ' '^usement blackboulé, et il s'en retourne, sans regrets xcessifs, vers le château de ses pères où, par bonheur, il retrouvera sa gentille cousine toujours aimante. M. Richard O'Monroy nous a conté cette petite his- toire avec verve, en s'amusant beaucoup lui-même, ce qui est encore le meilleur moyen de divertir ses lecteurs. 236 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE JEANNE BROUSSAN-GAUBERT Josette Chardin ou TÉgoïste. L'héroïne du roman de M^^^ Jeanne Broussan-Gau- bert est une' bien abominable petite créature; il fallait une romancière pour oser imaginer une telle femme : un homme n'aurait jamais eu cette audace, il aurait eu trop peur — et à juste titre, — du courroux des lec- trices qui lui auraient demandé, avec indignation, dans quel repaire il était allé chercher un aussi invraisem- blable modèle. Voici donc, présentée par une femme, l'image de 'la femme égoïste. Elle n'est pas belle, et si l'égoïsme est, comme nous le répètent à satiété nos belles amies, une qualité essentiellement masculine, il faut bien avouer que lorsque les femmes se mêlent de nous la prendre, elles la portent tout de suite à son plus haut degré de puissance et de perfection. Josette Chardin, dès son jeune âge, a froidement, méthodiquement organisé sa vie; sans fortune, elle a résolu d'épouser un homme riche qui lui donnerait le luxe, le bien-être, l'indépendance. Cet homme, elle le rencontre dans la personne de l'archéologue Pierre Chardin qu'elle a vite fait d'envelopper et de conquérir; il l'épouse avec ravissement; mais, dès le lendemain du mariage, il s'aperçoit qu'il n'a auprès de lui qu'une froide et indifférente poupée éprise seulement d'elle- même, de sa beauté et de sa voix qui lui vaut dans le monde de précieuses joies de vanité. Épouse indifférente, Josette devient une mère sans tendresse, elle abandonne l'enfant né de son mariage à l'époux débonnaire et affectueux; le petit tombe malade et meurt, mais cet affreux malheur n'émeut point autant Josette que la perte de sa voix survenue à peu JUILLET, — LÈS ROMANS 237 près en même temps et que le médecin attribue juste- ment à sa récente maternité. Cruellement, odieusement, elle reproche au père infortuné cet enfant aujourd'hui disparu et dont elle ne garde qu'un souvenir : sa voix perdue. Le malheureux Pierre Chardin, ulcéré, mais toujours épris, tombe malade et le médecin ordonne le calme et le repos CQmplet, absolu. Cette ordonnance décide Josette : l'amour qu'elle refusa toujours à son mari, elle va le lui prodiguer, maintenant qu'elle le sait mor- tel et qu'elle entrevoit un avenir de libération et d'indé- pendance. Son diabolique projet réussit : Chardin meurt un soir, après avoir eu une minute l'illusion du bonheur et de la joie. Telle est la femme égoïste : l'auteur a évoqué cette aimable personne avec tant de force et de sincérité qu'elle donne l'impression de croire à sa vraisemblance ; peut-être, après tout, est-ce une suprême habileté fémi- nine, et M"^e Broussan-Gaubert a-t-elle voulu nous démontrer le caractère monstrueux, exceptionnel, de Tégoïsme lorsqu'il se fourvoie dans le cœur d'une femme. BELGRAND D'ARBAUMONT L'Appel. V Appel figurera dignement dans cette littérature traditionnaliste, si florissante en ce moment, et qui chaque jour s'enrichit de quelque apologie du vieux sol mcestral, de ses beautés, de ses joies moins décevantes que les plaisirs et les victoires factices de la ville. Et tout cela est excellent. Malheureusement, c'est dans les salons de la ville, entre deux spéculations financières, entre deux parties de plaisir, que l'on s'enthousiasme 2â6 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE pour ces romans utiles, cependant que les champs conti- nuent d'être désertés... C'est donc à l'appel du sol, à Tap'pel de sa terre, qu'obéit Pierre de Mondry, le héros du roman; il revient à cette terre « qu'il s'est appliqué à connaître, ingénieur- agronome, qu'il rêve de rendre plus féconde, plus nour- ricière, gardienne vigilante de la dignité humaine, ins- piratrice des saines, des mâles résolutions ». Et il y a du mérite, car pour écouter cet appel, il faut qu'il en néglige un autre, infiniment impérieux et doux, celui de son cœar; il faut qu'il renonce à Maris Renières, sa belle, tendre et riche fiancée, qui comprend si bien ses aspi- rations, mais dont le père, froid spéculateur, ne peut admettre l'entrée dans sa famille de ce gentilhomme dédoré qu'il considère comme un paresseux, puisqu'il ne travaille pas de la même façon que lui. Et le roman se déroule entre deux êtres d'élection, fidèles tous deux à leur devoir et à leur amour; lui, là- bas, dans le domaine familial, elle à Paris auprès de son père, jusqu'au dénouement où nous voyons l'âpre spé- culateur terrassé, presque ruiné et qui, à son lit de mort, fait amende honorable, appelle le terrien et lui donne sa fille. PIERRE yEBER Les Rentrées. Le volume où M. Pierre a réuni sous ce titre, une série de nouvelles dialoguées, illustrées de jolies images, est un de ces livres qu'on aime à prendre dans une gare, au moment du départ, pour les déguster en wagon, parce qu'ils sont si faciles à lire. Il vaut mieux que cela. Sans doute, il a toutes les qualités d'un aimable compa- gnon de voyage, mais il en a quelques autres : vous trou- verez dans cette théorie de jeunes dames, de jeunes filles JUILLET. — LES ROMANS 239 ■t de garçons qui rentrent : « rentrée du bal », « rentrée des classes », « rentrée de Chambre », de jolies qualités d'esprit et de psychologie, d'émotion aussi, comme dans « cette rentrée au port » du mari infidèle, défait et repentant. L'épouse tendre et résignée l'a encore une fois recueilli, elle a écouté ses protestations, elle a accordé son pardon, elle se berce d'espoirs nouveaux; et puis, on se met à table, et brusquement, un regard du volage mari posé sur la jeune et jolie institutrice de la fillette, rappelle la pauvre femme à la réalité. « Est-ce bien la peine de défaire tes malles? » demande-t-elle. MADAME BARRAUTE DU PLESSIS Orosia et les Treize Cochons. ^^me Barrante du Plessis a réuni treize étranges nouvelles sous ce titre d'un symbolisme assez brutal : Orosia et les Treize Cochons, Les treize animaux dont ;\lme du Plessis nous dit les aventures ne sont point les _fentils petits cochons roses de Monselet si gras, si lui- sants, si avenants. Non ! ce sont des bêtes symbo- liques et frénétiques qui se livrent à des ébats terribles (ju ridicules pour nous montrer avec éclat l'image d'une iiumanité résignée et repue en face d'Orosia, son éter- nelle ennemie, Orosia, l'indomptée, la mystérieuse, la puissante, la détentrice de tous les trésors, la reine des métaux précieux, la terrible, la diabolique, l'ensorce- leuse. Et c'est, évoqué en des épisodes curieux, d'une imagination effrénée, la guerre éternelle entre l'idéal et la matière que M™^ Barrante du Plessis a jugé bon d'appeler Orosia et les Treize Cochons. HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS PAUL ROBIQUET Le Cœur d'une Reine. « Anne d'Autriche, Louis Xm et Mazarin ». M. Paul Robiquet causa un grand scandale lorsque, il y a quelques mois, il présenta à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, quelques lettres de la reine Anne d'Autriche à Mazarin, commentées par un mémoire où il racontait les amours de la Reine et du premier ministre. L'accusation pourtant n'était pas nouvelle; souvent déjà elle a été soutenue ! Mais, cette fois, la vertu de la Reine trouva dans la docte Compagnie des défenseurs bouillants d'indignation. M. Paul Robiquet maintient cependant ses affirma- tions, et il porte le procès devant le grand public en un volume intitulé : Le Cœur d'une Reine, « Anne d'Au- triche, Louis XIII et Mazarin ». Et voilà encore une femme définitivement compro- mise; tous les secrets de son alcôve sont mis au grand jour, toute sa correspondance amoureuse est épluchée, commentée, confrontée avec des dates et des faits î Au risque de paraître un peu pompier, je vous avouerai que je n'aime pas beaucoup cela et que l'indiscrétion des historiens en pareille matière me parait fort condam- nable; les amours d'une femme — même si elle fut If JUILLET, — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 241 reine — ne regardent pas le public; et nous n'avons pas le droit de déchiffrer des lettres intimes — même n elles remontent à trois siècles. 1^ Cependant, puisque le mal est fait, et que les plus chevaleresques protestations n'y changeront rien, je puis bien vous avouer que ces indiscrétions sont du plus vif et du plus piquant intérêt et que cette histoire sentimentale d'Anne d'Autriche, avec toutes les étapes de sa vie de reine et de femme, est amusante et pas- sionnante comme le plus romanesque et le plus sca- breux des romans. MAURICE DREYFOUS Ce que je tiens à dire. Au temps où la mode ne s'était pas établie d'inscrire des déclarations en guise de titre, M. Maurice Dreyfous aurait intitulé tout bonnement son livre : « Souvenirs », ce que j'aurais préféré, — je me doute, parbleu ! bien, qu'il « tient à dire » ces choses, puisqu'il les dit ! — mais c'est là une mince chicane : le livre décoré de cette déclaration est tout à fait intéressant, verveux, amu- sant. Il a été écrit à la suggestion de M. Anatole France qui avait naguère exprimé ce souhait : « Maurice Drey- fous a beaucoup vu, beaucoup observé. Il conte bien. Tl a dans l'esprit beaucoup de fantaisie avec beaucoup 'le raison. Je voudrais qu'il écrivit ses mémoires. Ce serait un livre intéressant. » Et en effet, ce vieux monsieur — c'est lui qui se qualifie ainsi — a beaucoup vu, beaucoup observé; il a « pratiqué toutes les gloires que le soleil couchant du \ix® siècle a glorifiées et sanctifiées avant qu'elles entrent dans l'ombre éternelle et dans l'immortalité. Il les a contemplées avec tendresse et avec respect. Il 14 24^ tË MOUVEMENT LITTÉRAIRE a, de même, vu arriver du lointain, un à un, les hommes d'aujourd'hui et ceux de demain légers de bagage et chargés d'ambition ». Et ces derniers, il les juge parfois sans tendresse et sans respect. On peut trouver ses opinions discutables : il est certain qu'elles ne sont influencées ni par l'envie, ni par l'amertume, car M. Maurice Dreyfous qui nous aflirme, avec un peu trop de complaisance, qu'il ne fut rien, — a raison de dire qu'il ne voulut rien être. Il figurera, du moins, parmi les historiographes de notre temps et l'on ira chercher dans son livre des docu- ments et des renseignements sur la guerre et le siège de Paris, sur Théophile Gautier, sur Alexandre Dumas et Théodore Barrière, sur la naissance de la presse à un sou et son fondateur Polydore Millaud, sur Dalou et sur la princesse Mathilde, documents et renseignements sur tant de gens et sur tant de choses que M. Mau- rice Dreyfous a, sans compter, accumulés dans son livre avec une prodigalité qui ne va pas sans désordre ni confusion, mais qui donne à l'ouvrage une vie extraordinaire et un bien grand agrément. RICHARD WAGNER Ma Vie. (3^ Qoluméj 1850-1864.) 11 y a dans ces souvenirs de M. Dreyfous une page bien intéressante où revivent les journées héroïques des concerts Pasdeloup, avec les œuvres de Wagner outrageusement sifïlées et chutées par une foule hur- lante, acclamées frénétiquement par une vingtaine d'auditeurs, au milieu desquels on admirait la divine figure d'Auguste Holmes, toute auréolée de cheveux couleur de blé mûr. Ces batailles magnifique, je les ai m I ^ A JUILLET. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 243 rouvées ra.contées tout au long dans le dernier volume des mémoires de Richard Wagner. Ce troisième volume qui termine l'histoire épique du grand musicien embrasse les années 1850 à 1864. Que de belles pages encore, que de souvenirs poignants ! C'est la vie à Zurich, l'ascension du Tannh^user, l'es- quisse de Za Walkyrie, la mise en chantier de l'Or du Rhin, les voyages à Londres, la précieuse amitié de Listz, l'évocation de cette terrible soirée du Tann- hœuser que les faveurs de la Cour, l'appui de Metter- nich, de Pourtalès, l'enthousiasme de Baudelaire et d'Emile Ollivier ne parvinrent pas à imposer à une coterie mondaine et qui fut misérablement chutée. Après cet échec, c'est le retour à Zurich, et ce serait pour toujours la résignation d'un méconnu plein de rancœur, si à ce moment n'intervenait ce poétique et douloureux roi de Bavière qui devait lui apporter le salut définitif. Tout n'était pas fini cependant, « le chemin dangereux, dit-il, que mon destin me faisait suivre pour atteindre le but le plus élevé, n'a jamais été libre de soucis et j'allais connaître des peines qui m'avaient été épargnées jusqu'alors : mais, du moins, sous la protection de mon noble ami, le fardeau des vulgaires misères de l'existence ne devait plus jamais me faire souffrir ». FERNAND VANDÉREM Gens d'à présent. Les hommes et les choses de notre temps ont, en M. Fernand Vandérem, un spectateur amusé, clair- voyant et que n'embarrasse pas un excès de bienveil- lance. La vie qui passe : ingénues qui débutent, che- vaux qui courent, vaisseaux qui coulent, pièces qui tombent, lui inspirent des réflexions narquoises, spiri- 244 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE tuelles et parfois même indulgentes, qui chagrinent bien quelques vagues humanités, mais qui divertissent la galerie, peu charitable par tempérament. Ces réflexions, les parisiens les connaissent; ils en ont eu la primeur dans le Figaro et savent ce que M. Vandérem pense des Gens d'à présent'^ ils sont donc fixés, aussi bien que moi-même, sur le plaisir que leur réserve ce volume et je n'aurai pas la fatuité de pré- tendre à le leur révéler. Ce plaisir qu'ils eurent naguère, ils le retrouveront intact : le temps n'a pas touché ces pages nées cepen- dant de l'actualité, elles restent dans le livre, aussi alertes, aussi vivantes, qu'elles parurent dans le jour- nal. L'auteur y a joint quelques discours de réception qui auraient été adressés à des dames de lettres notoires admises sous la Coupole, et qui sdnt des modèles de rosserie académique; et tout cela, toutes ces pièces, chroniques et morceaux, forme un ensemble très homogène, un livre véritable, destiné à tenir une place fort importante dans l'œuvre de l'écrivain à qui nous devons ce petit chef-d'œuvre, la Victime.. JEAN DORNIS La Sensibilité dans la Poésie française (1885-1912). Sous ce titre, qui semble annoncer une étude parti- culière, le livre de Jean Dornis est — pas moins — une histoire critique de la poésie française dans ce dernier quart de siècle. Toutes les manifestations poétiques qui furent l'honneur ou simplement l'agrément de notre temps, toutes les écoles illustres ou éphémères qui se fondèrent, la plupart des poètes dignes de mémoire, — la plupart seulement, mais comment les nommer tous, ils sont trop ! — sont évoqués dans cet JUILLET. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 245 ouvrage d'une très ingénieuse et philosophique ordon- nance. C'est de l'histoire littéraire palpitante, sincère, émouvante, et d'une belle impartialité, bien que la critique n'y perde pas ses droits. Sans doute, l'auteur a « dans l'esprit un idéal de justice, de bonté, la notion de ce qu'il aurait fallu ou de ce qu'il n'aurait pas fallu », mais, tel un juge « dès que les débats sont ouverts, il écoute les parties, il n'intervient que pour les amener elles-mêmes à préciser leurs pensées, à faire connaître leurs buts et révéler leurs moyens. Lorsqu'elles ont expliqué leurs façons de voir, il donne la parole aux avocats — ils sont ici les critiques, amis ou adversaires des poètes — et, mieux encore, aux citations de vers, illustrations qui illuminent les textes ». Ainsi, l'œuvre de Jean Dornis apparaît tout à la fois comme une œuvre d'une intense personnalité, et comme un document précieux, complet, sincère, pour l'Histoire de la Poésie. ALBERT DE BERSAUCOURT Pamphlets contre Victor Hugo. L'auteur n'a pas la prétention de nous révéler les haines et les colères qui se déchaînèrent, avec tant de violence contre Victor Hugo et ses disciples, au beau temps des luttes romantiques; il sait que nous les con- naissons, ou que nous sommes censés les connaître, que nous n'ignorons rien ni de ces coups de feu par lesquels certains adversaires du poète affirmèrent leurs convictions, ni des conseils, des railleries et des insultes qui lui furent prodigués par Baour-Lormian, non plus que de l'épître de M. Viennet, des livres de M. Alexan- dre Duval, et de tant d'autres. Ce sont là les « pam- 14. 246 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE phlets officiels »; ceux que M. Albert de Bersaucourt a voulu étudier, ce sont les autres, ceux qui émanent d'inconnus, de simples spectateurs qui jugèrent bon d'intervenir dans la querelle littéraire ou d'exposer leur mécontentement de l'attitude poétique de Vic- tor Hugo. Ils furent extraordinairement nombreux, souvent plats et stupides, mais parfois d'une combativité spiri- tuelle et amusante; ils sont, en tous cas, toujours significatifs, et ces torrents de proses et de vers, lancés par d'obscurs inconnus qui n'espéraient même pas la gloire, mais qui voulaient seulement assouvir leur ran- cune contre un grand poète, offrent pour l'histoire du romantisme en France un bien précieux et bien pitto- resque document. EDMOND PILON La Fontaine. M. Edmond Pilon publie, dans la Bibliothèque française, des textes choisis et commentés de La Fon- taine. Le livre est tout à fait agréable et charmant, il ne s'adresse pas, nous dit M. Edmond Pilon, unique- ment à une élite, — je l'espère, pardieu bien ! — ce serait méconnaître notre « bonhomme » que de réserver le choix de ses pages aux lettrés. « Il est pour tous les esprits et pour tous les âges », pensait déjà Voltaire en son temps. Et Taine, plus près de nous, disait avec conviction : « C'est La Fontaine qui est notre Homère. D'abord, il est universel comme Homère. » La raison de cette universalité n'est point toute dans la malice du trait, la véracité des peintures des caractères, mais encore elle est dans un attachement constant à la nature. Il n'est pas seulement de chez nous comme Rabelais, Molière, Voltaire, par le fait qu'il éleva vers JUILLET. HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 247 la perfection le beau langage. La prestesse du récit dans la prose, la limpidité des vers, la facilité du rythme dans la poésie; enfin, dans les diverses œuvres, le choix savoureux des mots, ces qualités existent bien chez lui; mais il a, en plus de ses émules, une sorte d'heureuse négligence, d'abandon exquis et naturel au moyen de quoi il les masque. « Il n'a pas l'air d'un écrivain. >> Dr ANDRÉ FLOQUET Homère médecin. Homère médecin! Voilà, sans doute, un point de vue assez original : il parait qu'il n'est point inédit et que la valeur scientifique et médicale de V Iliade et de VOdys- sée fut déjà sérieusement étudiée. M. André Floquet l'établit victorieusement, " paraît-il, dans son livre, où il étudie l'anatomie et la chirurgie, la médecine, la physiologie, la thérapeutique et la psychologie chez Homère. Vous ne vous doutiez pas, sans doute, qu'on trouvait tant de choses dans l'Iliade et dans VOdyssée? Pour moi, j'en demeure abasourdi. Je ne sais pas si les arguments de M. Floquet sont scientifiquement irréfutables, mais, en tout cas, son livre est bien amu- sant et bien curieux, et vous n'apprendrez pas sans, satisfaction qu'Homère fut, à peu de choses près, un aussi grand anatomiste qu'Hippocrate lui-même. \\ ne reste plus maintenant qu'à découvrir, dans quelque fouille, les œuvres poétiques d'Hippocrate... 248 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE EDOUARD LE ROY Une Philosophie nouvelle : « Henri Bergson. » Une philosophie nouvelle ! C'est un bien gros mot et qui, je pense, ne doit contenter qu'à demi M. Berg- son : il correspond cependant à la- réalité; il y a une philosophie bergsonienne et le bergsonisme apparaît comme une doctrine. M. Bergson, en tenant ses belles leçons, en écrivant ses pages lumineuses de TEssai sur les données immédiates de la conscience et de TEvolu- tion créatrice, ne songeait certainement pas à opérer dans la pensée humaine une « révolution égalant en importance la révolution kantienne ou même la révo- lution socratique », et je ne serais pas étonné qu'il fût un peu gêné par des enthousiasmes ainsi exprimés. L'œuvre de M. Edouard Le Roy doit le séduire cepen- dant parce qu'elle apporte à sa pensée si claire un commentaire si lumineux, et parce que cette étude constitue, pour la lecture et pour l'intelligence de ses œuvres, une magistrale introduction. OCTAVE UZANNE Le Célib'at et l'Amour. Ce « traité de vie passionnelle et de dilection fémi- nine » est d'une charmante immoralité et d'une très scabreuse sagesse. C'est, rédigés avec beaucoup de désinvolture, de hardiesse et de subtilité, « l'évangile du célibataire », la « bible du diable ». Je voudrais pou- voir suivre l'auteur dans sa promenade à travers r « antre de l'ogre », les décors de l'amour ; dans ses JUILLET. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 249 ïtations devant le « çciiroir de T éternel féminin », semés ^d'aphorismes et de jugements d'une franchise un tan- tinet scarbeuse, mais la place me manque; et puis, pour Jout dire, je n'ose pas : mes lectrices et mes lecteurs mt gardé du respect pour l'institution du mariage, et ïs tiennent à des illusions que M. Rémy de Gourmont ►ouscule dans sa préface et que M. Octave Uzanne [achève de disperser dans son livre. « On s'est efforcé, depuis une centaine d'années, dit M. Rémy de Gourmont, d'identifier deux états qui n'ont pourtant que peu de rapports ensemble, l'état d'amour et l'état de mariage. » Prétention absurde, selon l'écrivain, puisque l'amour est passager et que le mariage est permanent : « ce sentiment et cette institu- tion sont à peu près contradictoires. » Par bonheur, pour notre pauvre société, il y a tout de même quelques époux qui s'inscriront en faux contre cet axiome et aussi contre cette assertion : « Les moralistes ne pou- vant vaincre l'amour ni faire qu'il devînt chrétien, l'ont mis dans le mariage où ils étaient sûrs de le dés- honorer et même de l'assassiner ». OSSIP-LOURIÉ Le Langage et la Verbomanie. « Essai de Psychologie morbide. » Savez-vous ce que c'est que la verbomanie? C'est une affection dont le caractère principal est un entraî- nement irrésistible à parler et à discourir. C'est une tendance pathologique, d'où la conscience et la volonté ne sont pas toujours bannies, à jongler avec des paroles du sens desquelles on ne se rend pas exactement compte; la verbomanie est constituée, chez l'individu, par l'excès de durée et d'intensité et par le caractère 250 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE anormal des manifestations verbeuses. Eh ! mais, voilà une dé|inition qui s'adapte assez bien à Télo- quence de quelques-uns de nos parlementaires, et si le mot de verbomanie est inédit, je crois bien que la chose n'est pas nouvelle. Son étude philosophique, du moins, est tout à fait originale et ingénieuse ; vous y apprendrez notamment que la verbomanie est une maladie du langage tout à fait analogue à Taphasie, — de même que le gigantisme provient de tares physiologiques tout à fait semblables à celles qui produisent le nanisme. C'est bien curieux ! C'est triste aussi de se dire, lorsqu'on entend cer- tain orateur interminable de la Chambre, qu'il aurait suffi d'un hasard pour qu'au lieu de devenir le « ver- bomane » qui nous excède, il fût resté simplement un muet inofîensif. MÉMENTO DU MOIS DE JUILLET ROMANS André (Paul) et Henri Sébille. — Messieurs ces Daines. Bordier (Henri). — Les blés mûrissent... Bringer (Rodolphe). — L'Ombre de Fouché, « Les Policiers do l'Empereur ». Clary (Joachim). — L'Ile du Soleil Couchant. Conan Doyle. — La Main brune (traduction de M. Louis La- bat). Deroxe (Myriam). — L'Amour nomade, Claudia. Dessoubre (Henry). — Le Fâcheux Tournant. Eude (Robert), — Histoires d'amour. Hoche (Jules). — Le Mort volant. Ivoi (Paul d'). — Le Puits du Maure. Letang (Louis). — Poudre d'or. — L'or dispose. L'Olagne (Jean) et Henri Pourra. — Sur la Colline ronde, « films auvergnats », MÉMENTO î)tJ MOIS Î)E JUILLET ^51 Monnet (A.). — Le Curé d' Amenas, un roman où l'auteur aborde non sans hardiesse le périlleux problème du célibat des prêtres. Poiteau (Emile). — La meilleure Part. Pourra (Henri). — Voir Jean L'Olagne. Rivière (Blanche de). — Le Roman d'une mystique. Salvat (Gabriel). — La Barbe bleue, « simple fantaisie sur le conte de Perrault ».. Sébille (Henri). — Voir Paul André. HISTOIRE. — LITTÉRATURE THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS A. H. (Commandant). — Le Siège de Port-Arthur, « guerre russo- japonaise ». Berget (A.). — La Vie et la Mort du globe. Bernard- Arnous (Jean). — Au Jardin des Roses, poésies. Bernos (M.). — Voir G. du Boscq de Beaumont. Bertaut (Jules). — Les Romanciers du nouveau siècle, de Heiu'i de Régnier à Claude Farrère, en passant par René Boy- lesve, Charles-Henry Hirsch et Romain Rolland. Blaison (Louis). — Un défenseur alsacien en 1814. « Le premier siège de Belfort et le commandant Legrand ». Boissy d'Anglas. — La Question Louis XVII, « réponse à M. Frédéric Masson et à quelques autres ». Bonaparte (Joseph). — Lettres d'exil. M. Hector Fleischmann publie ces lettres inédites écrites d'Amérique, d'Angle- terre et d'Italie, entre 1825 et 1844. Elles présentent un bien vif intérêt, et elles nous renseignent le plus curieuse- ment du monde sur la personnalité du frère de l'Empereur. M. Hector Fleischmann, qui possédait déjà sur le roi Joseph une collection importante de papiers et de documents, a obtenu du b-^ron de Meneval communication d'un grand nombre de lettres écrites à M. de Meneval, son aïeul, secré- taire du portefeuille de l'Empereur, par le souverain en exil; et il a mis en œuvre, avec beaucoup de science, de conscience et d'adresse, ces documents précieux en un bien intéressant volume. Bordeaux (Henry). — Ames modernes (nouvelle édition). Ces études et ces réflexions sur Henrik Ibsen, Pierre Loti, José- Maria de Heredia, Jules Lemaître, Anatole France, Paul Bourget, vicomte E.-M. de Vogiié, Edouard Rod, furent publiés en 1894. « Il a fallu, nous dit l'auteiu*, près de vingt ans pour en épuiser l'édition, si je le réédite aujourd'hui ce sera pour marquer désormais la première étape de ma vie littéraire. Je campais alors au bord d'une forêt où mon horizon se perdait, et je ne distinguais pas encore si je res- tais dans mes limites ou si j'avais passé la frontière. Je 252 LE MOUVEMENT LITTÉRAIÏIË n'ftvais pas découvert l'emplacement où j'ai bâti ma mai- son : c'est un champ de chez moi, si connu que, dans ce premier éclat de la jeimesse, je ne le regardais pas avec assez d'attention. » Boscq de Beaumont (G. du) et M. Bernos. — La Cour des Stuarts à Saint-Oermain-en-Laye, 1689-1718. Pauvre Cour que le faste et la générosité du Roi Soleil s'ingénièrent en vain à rendre heureuse et brillante; cour mélancolique d'un roi en exil, de cet infortiiné Jacques II qui portait sur son front la marque d'une implacable fatalité, de cette fatalité à laquelle Voltaire avait peine à ne pas croire lors- qu'il regardait « cette suite continuelle de malheurs qui persécuta la maison des Stuarts pendant plus de trois cents années ». Bruchard (Henry de). — Petits Mémoires du temps de la ligus, des souvenirs des années de discorde 1896-1901, où la ter- rible affaire déchira la France. Caron (Pierre). — Manuel pratique pour Vétude de la Révolu- tion française. Charbonneau (Jean). — Les Blessures, des poèmes que l'auteur « dédie à l'école littéraire qu'il a fondée et qui lui tient à cœur comme œuvre éminemment canEidienne française ». Claretie (Léo). — Feuilles de route en Roumanie ; La Roumanie intellectuelle et contemporaine. Clouzet (Gabriel). et Charles Fegdal. — Lamartine. Constant Scribe (Druy de). — Vie du Général baron Ramel (1768-1815). Corréa (José-Augusto). — Philosophie divine et humaine. Derieux (Henry). — Le Regard derrière Vépaule, poésies. Dulac (A.). — Voir G. Renard. Faure-Goyau (Lucie- Félix). — UAme des enfants, des pays et des saints. Ce sont des « spectacles et reflets » : le reflet des choses dans l'âme des enfants; le reflet des âmes sur la figiu-e des choses; la physionomie des pays; le reflet des âmes sur les âmes : l'âme des saints. Fegdal (Charles). — Voir Gabriel Clouzet. Filon (Augustin). — Le Prince Impérial (1865-1879), un livre émouvant de « souvenirs et documents ». Friedrichs (Otto). — Réponse à M. Frédéric Mqsson de V Aca- démie française, a Petites remarques sur les « Petites his- « toires » de M. Frédéric Masson. » Toujours la Question Louis XVII ! Herrera (Luis Alberto de). — La Révolution française et V Amé- rique du Sud (traduction de M. Sébastian G. Etchebarne). Koszul. — Anthologie de la Littérature anglaise, « des origines au xviiie siècle ». Laurentie (François). — Trois exemples de la Méthode Naun- dorffiste. Limet (Charles). — La Fleur du Panier ; le vénérable et char- mant poète, dont quatre-vingts ans passés n'ont pas su flétrir la jeunesse ni le lyrisme, nous offre gentiment ce re- cueil de poésies choisies suivi de pages inédites toutes par- fumées do grâce, de talent et de jeunesse étemelle. MÉMENTO DU MOIS DE JUILLET 253 Loisel (Gustave). — Histoire des ménageries de V Antiquité à nos jours (3 volumes). Longnon (Auguste). — Les Origines et la Fortnation de la natio- nalité française : « éléments ethm . LÉONCE DE LARMANDIE Autour d'un Mystère. Dans un roman qu'il a intitulé Autour d'un Mystère, M. Léonce de Larmandie nous raconte l'étonnante histoire de la comtesse d'Arpajon, née Ruysdael qui, éprise de Saint-Gobert et aimée de lui, a cependant épousé le comte d'Arpajon. Saint-Gobert en a éprouvé 274 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE beaucoup de chagrin et d'étonnemcnt, et il a demandé des explications à son amie; cette dernière lui répond tout simplement qu'elle n'a jamais cessé de l'aimer, mais qu'elle a voué le même amour à son mari. Mys- tère ! Ce mystère s'éclaircit de la façon la plus natu- relle et la plus merveilleuse à la fois, certain jour, chez le coifïeur, où Saint-Gobert rencontre son rival et constate une ressemblance prodigieuse, inouïe : le comte d'Arpajon est littéralement son double. Saint-Gobert qui est de bonne composition com- prend alors l'infidélité dont il fut victime et qui n'est pas en réalité une infidélité, mais le comte est furieux de cette ressemblance dont il prévoit les périls; il veut d'abord tuer son double, puis, renonçant à ce projet sanguinaire, se contente de persécuter sa femme par une jalousie frénétique qui pourrait bien finir par lui jouer un mauvais tour. Telle est cette histoire dont nous apprenons les détails étonnants par une série de lettres tour à tour badines, familières ou violentes, échangées entre les héros. Le livre de M. de Larmandie contient un autre petit roman intitulé En pleine angoisse "où nous sommes les confidents des inquiétudes d'une jeune femme qui a failli tromper son mari et qui, ayant évité ce premier faux pas, se demande si l'avenir ne lui en réserve pas un nouveau. ALFONS MASERAS L'Arbre du Bien et du Mal. L'auteur de l'Arbre du Bien et du Mal est un jeune écrivain catalan, M. Alfons Maseras, qui, après avoir publié plusieurs volumes en espagnol, a voulu écrire une œuvre en langue française. C'est un titre précieux AOUT-SEPTEMBRE. — LES ROMANS 275 à notre sympathie; le livre de M. Alfons Maseras en a d'autres : c'est une œuvre tout à fait originale, de pensée profonde et généreuse, roman philosophique auquel l'auteur a su donner presque toujours cette qualité rare et précieuse entre toutes : la vie. L'aventure d'Olga Ronaldi et d'Emmanuele Tosti, celle du volage Danilo et d'Edith Rethel nous offrent le commentaire romanesque et dramatique de la légende chrétienne de l'arbre du bien et du mal, lequel n'est autre que l'amour, source de laideur et de beauté, de joie et de tristesse, d'horreur et d'harmonie, qui sont parfois confondues, selon la théorie assez roman- tique d'Emmanuele. Ces personnages symboliques aiment et souffrent et s'en vont ballottés du bien au mal, du sublime ana- chorète Fra Gerai'do à la satanique sorcière Comare Screpola, ils marchent avec quelque chose de fatal planant sur leur tête, et ils songent, enivrés et terrifiés à « l'expulsion du premier couple humain du Paradis terrestre, à la colère de Dieu, à l'épée flamboyante de l'Archange »... Et c'est, avec ses obscurités, dans sa forme pitto- resque, heurtée, une œuvre souvent poignante, jamais indifférente. HISTOIRE, LITTÉRATURE, THÉÂTRE, POLITIQUE, DIVERS ÉLIE HALÉVY Histoire du peuple anglais au XIX"^^ siècle. {Premier Volume-. L'Angleterre en 1815). M. Élie Halévy entreprend la publication d'une His- toire du peuple anglais au dix-neuvième siècle : c'est une tâche bien lourde et bien vaste qu'il s'est donnée là; bien séduisante aussi, et à laquelle on peut affirmer qu'il ne sera pas inégal quand on a lu le premier volume de cette histoire : le tableau de 1' « Angleterre en 1815 ». I Ce premier volume constitue à lui tout seul une œuvre magistrale, complète, harmonieuse, d'un puis- sant intérêt et d'un agrément prodigieux. Je dis bien « agrément » car c'est en vérité la chose admirable : ces six cents pages in-octavo qui témoignent d'un immense labeur, sont ordonnées et composées de telle sorte qu'on les lit sans l'ombre de fatigue, avec un plaisir sans cesse renouvelé; et M. Élie Halévy fait de ce monument historique la plus séduisante des œuvres littéraires. Le livre comporte trois grandes divisions : les Insti- tutions politiques, la Société économique, les Croyances et la Culture; en tête de chacune d'elles un préambule, AOUT-SEPTEMBRE. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 277 qui est un chof-d'œuvre de synthèse, expose en une centaine de lignes la vaste question que Thistorien va traiter, les problèmes dont il compte rechercher la solution. Et c'est tour à tour le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, l'armée et la marine; le pouvoir législatif et le gouvernement de l'opinion; — l'agriculture, l'in- dustrie, le crédit et l'impôt; — la religion, les arts, les lettres et les sciences, évoqués en un grand tableau lumineux, vivant, d'une émouvante splendeur. La conclusion? Elle tient en cinq mots : « L'Angle- terre est un pays libre », seulement il faut s'entendre sur la valeur et sur le sens de ce mot de liberté : en Angle- terre, liberté veut dire obéissance volontaire et organi- sation spontanée; nous savons de reste qu'il est des nations où le même mot exprime des choses fort dif- férentes... ANDRÉ ROUVERY 1812. Cent ans après « Rostopchine et Kutusoî )>. Il y a cent ans, presque jour pour jour, qu'après la bataille de la Moskowa commençait la retraite dont, en ce moment même, la Russie célèbre le souvenir. Et l'histoire de cette épopée, écrite tant de fois par tant de poètes et d'historiens, nous réserve encore des émo- tions nouvelles. Il faut lire le volume que M. André Bouvery vient de publier sous le titre : 1812. Cent ans après : « Rostopchine et Kutusof ». C'est un recueil de documents authentiques relatifs à l'histoire de la cam- pagne de Russie depuis la bataille de la Moskowa jusqu'au retour de Napoléon à Paris. Et ces docu- ments : extraits de journaux, bulletins et rapports militaires, très ingénieusement présentés et rangés, nous racontent avec une éloquence, une émotion pro- ie 278 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE digieuses, l'occupation de Moscou et la retraite de Russie avec le passage de la Bérésina jusqu'au retour de Napoléon à Paris. Sur ces documents si palpitants, Fauteur a établi une thèse historique bien intéressante et qui apparaît très plausible : il prétend démontrer que, malgré Tin- cendie de Moscou, Napoléon aurait été maître du monde s'il avait suivi son inspiration dé marcher sur Saint-Pétersbourg en se repliant sur la basse Dwina pour aller prendre Wittgenstein par derrière et rejoindre le maréchal Saint-Cyr, les ducs de Tarente et de Bellune. Malheureusement pour l'Empereur, ses généraux ne furent pas, ne voulurent pas être à la hau- teur de cette conception; il rentra au Kremlin et atten- dit vainement les communications de l'Empereur de Russie, cependant que Kutusof, « prévoyant l'hiver et sa cruelle morsure, avait l'habileté d'intercepter toutes les communications. Ce fut à lui et à Rostopchine que l'Empire russe dut son salut définitif et l'écroule- ment du dernier des Césars ! » FRÉDÉRIC LOLIEE Le Roman d'une Favorite. « La Comtesse de Castiglionne. » L'ingénieux et savant historien de la société du Second Empire, à qui nous devons ces prestigieux ouvrages sur le duc de Morny et sur les Femmes du Second Empire, n'a rien écrit de plus palpitant que cette histoire d'une héroïne si belle et si mystérieuse. Cette histoire, il semblait bien que nous fussions con- damnés à ne la connaître jamais dans ses détails : des circonstances romanesques, la volonté de l'héroïne vieillie et retirée du monde, et enfin, la raison d'État, avaient anéanti les uns après les autres, tous les docu- AOUT-SEPTEMBRE. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 279 ments capables de nous édifier; tous, ou presque tous, — car M. Frédéric Loliéc a été assez heureux pour mettre la main sur une correspondance intime, absolu- ment inédite, et sur les lettres des princes qui lui ont permis de reconstituer ce prodigieux roman, cette vie de la célèbre et très mal connue comtesse de Gasti- glione, surnommée « la Divine » pour sa beauté supra- humaine et qui, après avoir été la voix secrète, aux Tuileries, de la politique italienne, « la favorite », disait-on, de Napoléon III, la conseillère et Tamie des princes de la maison d'Orléans, termina, loin du monde, lasse de tout et de tous, son étrange aventure de rayonnement et de conquête. Il y a toujours eu dans la vie de cette femme étrange et belle, qui a pu dire, en exagérant un peu son rôle : « J'ai fait Tltalie et sauvé la Papauté», de l'obscurité et du mystère, un mystère que le livre si captivant de M. Loliée n'éclaircit pas tout à fait, et c'est tant mieux : cette ombre qui plane autour d'elle rehausse encore le prestige de cette beauté souveraine, de cette femme faite pour Tamour et qui, ayant été très admirée, ne fut pas beaucoup aimée. JEAN LORÉDAN Un grand procès de Sorcellerie au XVII'^e siècle. « L'Abbé Gauffridy et Madeleine de Demandolx 1600 1670. » Le livre où M. Jean Lorédan nous raconte Un grand jirocès de sorcellerie an dix-septième siècle est d'un bien vif intérêt; il; évoque une des abominables et pitto- rosques foliesjdont l'épilogue classique était le bûcher • t qui se déroulaient en suivant des rites consacrés. Pel fut le procès d'Urbain Grandier; celui de l'abl^é 280 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Gauffridy, que nous raconte M. Jean Lorédan, n'est pas moins étrange ni terrible. Le prêtre Gauffridy, bénéficier des Accoules de Marseille, fut, en Tannée 1611, accusé « du crime de rapt, séduction, magie, sor- cellerie et autres abominables », d'avoir suborné, pos- sédé, livré au diable une jeune fille noble, d'une des plus nobles familles de Provence, et d'être Prince des magi- ciens. Ce procès eut au xvii® siècle un grand retentisse- ment; il causa une émotion profonde, non seule- ment à Aix, à Marseille, où il se déroula, mais à Avi- gnon, Arles, Tarascon, dans toute la province et dans tout le royaume. M. Jean Lorédan, à l'aide de docu- ments indiscutables, soigneusement notés, l'a longue- ment étudié, il l'a fait revivre avec « tous ses détails, toutes ses particularités, ses dépositions de témoins, ses interrogatoires, ses figures de premier et de second plan, ses comparses, « tous ses épisodes curieux et typiques, révélateurs de pensées anciennes, d'états d'âmes peu connus, qui font revivre les êtres et les choses d'autre- fois )). GEORGES BLONDEL Les Embarras de l'Allemagne. Le livre de M. Georges Blondel a, pour. le lecteur français, un bien vif intérêt; ces embarras de l'Alle- magne dont on a parfois quelque peu exagéré l'impor- tance, ils existent cependant très réellement, et ma foi — ce n'est peut-être pas très grand, mais c'est très humain — on les constate et on les dénombre sans déplaisir. Le livre de M. Georges Blondel, très précis, écrit sans passion, nous renseigne très exactement sur ces ennuis présents, gros parfois de dangers à venir : embarras AOUT-SEPTEMBRE. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 281 politiques, embarras financiers, embarras sociaux, difficultés économiques, malaise des populations rurales, préoccupations des moralistes, préoccupations extérieures; tout cela nous le connaissons quelque peu, hélas ! mais nous en souffrons moins et nous sommes mis à Tabri de certains de ces dangers, précisément par ce sentimentalisme et ce désintéressement qui, après nous avoir joué tant de si vilains tours, semblent, pour une fois, nous servir à quelque chose. Les forces vives des populations germaniques sont dans une trop large mesure « absorbées dans le positi- visme de la science, de la finance, de l'industrie et du commerce. Voir tant d'intelligences s'exercer dans l'enceinte étroite des recherches utilitaires, tant de cœurs ne plus battre que pour des calculs intéressés, cela ne laisse pas en définitive une bonne impression. Une telle conception de la vie n'est pas seulement insuf- fisante, elle prépare aussi pour l'avenir de grands dan- gers. En dépit de nos misères on peut dire que dans la marche générale de la civilisation nous conservons sur nos voisins une certaine supériorité ». JUDITH GAUTIER Le Roman d'un grand Chanteur. (Mario de Candi a.) Ce roman véridique, M"^^ Judith Gautier en a trouvé les éléments dans les « Souvenirs » de M"^^ G. Pearse, traduits par M^^^ Ethel Duncan, et dans ses propres souvenirs à elle qui fut la parente de la grande cantatrice Giulia Grisi, compagne bien-aimée de Mario de Candia. Et c'est une belle histoire vraiment, toute pleine de passion, d'héroïsme et do génie : Mario, qui fut un merveilleux ténor, eut Texistonce la plus dramatique, 16. 282 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE la plus tourmentée, la plus enivrante. Officier dans la garde du roi de Sardaigne, proscrit politique, c'est par hasard, en cherchant en exil un moyen de vivre, qu'il commença d'exploiter son admirable voix, non pas comme un commerçant de l'art, mais comme un héros passionné. L'histoire de ses triomphes d'artiste, de sa vie d'amour et de tendresse auprès de Giulia Grisi est tout à fait touchante et noble; « personne ne fut plus applaudi, plus fêté que lui; cependant cet idole d'un public enthousiasmé, ce patriote dont l'Italie entière pleurait la perte, était resté un gentilhomme simple, confiant, au cœur noble et généreux, et tel il avait vécu, tel il s'en est allé à l'éternité ». JULES MASSENET Mes souvenirs (1848-1912). 1848-1912 ! Une émotion profonde nous étreint devant ces deux millésimes écrits de la main même de Jules Massenet en tête du volume intitulé : Mes Sou- çenirs. 1848, était l'année de sa naissance à la musique ; c'est, en effet, le 24 février 1848 que sa mère lui mit, pour la première fois, les doigts sur un piano; 1912, c'était l'apothéose, l'étape où s'arrêtait le maître heu- reux et acclamé, d'où il regardait la longue, et belle, et laborieuse carrière parcourue. Ce fut aussi l'étape suprême : il terminait ses Mémoires lorsque la mort vint le prendre en pleine gloire, en plein triomphe. Cette mort, dont il semble avoir lui-même fixé la date, il est certain du moins qu'il l'attendait avec sérénité; les « notes posthumes » qu'il s'est amusé à écrire en épilogue de son livre, en témoignent avec une spirituelle éloquence; il parle de son départ pour le grand voyage, de son séjour dans l'au-delà avec un AOUT-SEPTEMBRE. HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 283 humour charmant et, pour nous, plein de mélancolie. Cet humour, nous le retrouvons dans les trois cents pages où il nous conte, jour par jour, victoire par vic- toire, ses soixante-quatre années de labeur et de beauté. Mille petits détails y sont consignés, retrouvés par le maître dans ces notes quotidiennes où, chaque soir il faisait, fidèle aux préceptes de sa mère, qui « était le modèle des femmes et des mères », son examen de conscience. Et c'est tout à fait amusant, joli, émou- vant, et la figure de ce grand musicien auquel ses pires ennemis n'ont jamais trouvé à reprocher qu'un excès de bienveillance — excès trop rare en notre temps — y apparaît dans toute sa grâce et toute sa bonne grâce. MARCEL BOULENGER Introduction à la Vie comme il faut. Voici un excellent manuel à l'usage des jeunes gens sans expérience qui aspirent à devenir des snobs et des snobinettes. Ne traitons pas, s'il vous plaît, ce volume avec désinvolture : l'auteur a beau être badin, il n'en demeure pas moins que ses conseils sont fort précieux pour une foule d'adolescents désireux de briller dans le royaume de Snobie qui est vaste comme le vaste monde, et qui s'est annexé une bonne partie de Paris et de ses environs. M. Marcel Boulenger était bien placé pour rédiger ce çade mecum] n'habite-t-il pas Chantilly qui est un centre considérable de « gens qui jouent au golf, chassent, goûtent, bavardent », en un mot de gens «comme il faut». Il les connaît donc bien, et il sait tout ce qu'il faut savoir pour figurer honorablement parmi eux. C'est très compliqué; d'abord il no faut pas de prénom français, et ses deux jeunes élèves, Guil- 284 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE lauiïie et Jeanne, dont les parents exercent la profes- sion de gens comme il faut et qui désirent, eux aussi, embrasser cette belle carrière, devront désormais s'appeler Willy et Jane. Leur nom de famille est Le- grand : il sonne mal ; et puisque par bonheur leurs pa- rents possèdent un domaine à Sermoize, ils seront Willy et Jane de Sermoize, ce qui est à peu près comme il faut. Il conviendra ensuite de songer à la toilette : Jane devra suivre aveuglément la mode, et accepter toutes les injonctions de son couturier; pour Willy, c'est très simple : il sait où habitent les tailleurs anglais. Willy s'occupera de trouver une petite amie, choix très déli- cat, pour un homme comme il faut. L'idéal sera une demi-mondaine élégante, toutefois non ébouriffante; à l'aise et point millionnaire cependant. Pour Jane, la question grave est celle du mariage; c'est le « marché aux fleurs » qui s'impose : son mari sera laid, vieux et riche; jeune et jolie comme elle est, elle le trouvera facilement, et ce sera parfait lorsqu'elle en aura fait un baronnet anglais. Car il faut être anglais, tout est là. La connaissance approfondie de la langue britannique est indispensable : savoir l'anglais mieux que le fran- çais, cela équivaut presque à de la noblesse. Le français restera cependant la langue de la con- versation, mais alors il faudra le parler d'une façon commune : rien n'est plus distingué. Ladite conversa- tion sera, vous entendez bien, d'une pauvreté « comme il faut )) : on parlera du golf, du théâtre, des opérations chirurgicales et des courses. Naturellement, Jane se devra à elle-même de ne pas être fidèle à son baronnet, mais il faudra qu'elle prenne garde à son attitude de femme coupable : elle devra toujours être troublée, c'est indispensable pour une personne comme il faut. Naturellement aussi, elle devra avoir des enfants, et elle se gardera de s'en occuper : ce sera le soin des AOUT-SEPTEMBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 285 gouvernantes, anglaises, bien entendu. Pourvu que ces petits sachent l'anglais, le reste ii'a tout seul. Mais je m'arrête : j'en sais assez pour être assuré que malgré tous ces conseils si utiles, si joliment exprimés, vous avez déjà renoncé à entrer dans cette carrière si difficile et si fermée. Tant pis pour vous, vous ne régne- rez pas en Snobie; je gage que M. Marcel Boulenger ne vous en gardera pas rancune... JULIEN BENDA Le Bergsonisme ou une Philosophie de la Mobilité. Je disais naguère, à propos d'un ouvrage où le bergso- nisme était exalté avec un grand enthousiasme, que M. Bergson devait être un peu gêné par de telles mani- festations, par ces rapprochements de la « révolution bergsonienne » et des révolutions socratique et kan- tienne ; par ces allusions délirantes à « une ère nouvelle de la philosophie », à «une rénovation intégrale des méthodes de l'esprit », à « un remaniement complet du système entier de la connaissance ». Ce sont là des pro- pos excessifs et dont un philosophe comme M. Berg- son ne pouvait s'accommoder. Il s'attendait en tous cas, sans nul doute, à ce qu'un réquisitoire vînt quel- que jour contre-balancer ces panégyriques. Ce réquisitoire, c'est M. Julien Benda qui s'est chargé de le prononcer. En trois chapitres : — trois assauts ! — « le but », « la méthode : l'intuition », « les résultats », il a pris à partie la théorie bergsonienne et s'est attaché impitoyablement à n'en rien laisser sub- sister. Dans les prémisses réputées les plus audacieuses, les phis nouvelles du philosophe, il no voit que des constatations, des remarques cent fois faites avant lui. Quant à ses conclusions, dont il admet la nouveauté, 286 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE il les affirme inexactes, illogiques. Et, pour tout dire, il emprunte à M. Bergson lui-même le jugement qu'il convient à son sens de porter sur son œuvre : « Vous prétendez, lui dit-il, que notre connaissance est la vraie; seulement, pour ce qui est d'une suite d'idées claires, par essence même elle en est incapable. » Il s'empare impitoyablement de cet aveu et se déclare décidé à en abuser. Ma science philosophique est trop mince pour que jo songe à dire mon mot dans ce débat : je croirais assez volontiers que la sévérité de M. Benda est excessive, mais je suis bien certain qu'elle est infiniment spiri- tuelle. JOAGHIM ROLLAND Les Comédies politiaues d'Eugène Scribe. Dans ces comédies, Scribe expose quelques idées qu'il donne comme sa philosophie de l'histoire, et il fait la satire des mœurs politiques de son temps, et ce sont les pièces historiques : Bertrand et Raton, V Ambitieux, le Verre d'eau; les pièces politiques : le Solliciteur et la Camaraderie. Ce sont, d'après M. Joachim Rolland, les seules, ou à peu près, qui supportent encore la lecture, Voilà une affirmation qui étonnera bien quelques auteurs dramatiques contemporains, lesquels méprisent beaucoup Scribe, mais condescendent encore jusqu'à le lire quand ils sont tout seuls. M. Joachim Rolland analyse très judicieusement ces cinq comédies et il en tire avec beaucoup de verve la piètre philosophie. « Dans la comédie de mœurs, dit-il. Scribe n'a cherché qu'à tirer parti de l'actualité et à puiser dans l'étude des faits contemporains un regain de popularité. Il a été l'observateur superficiel d'une époque sans caractère, d'un siècle sans force et sans AOUT-SEPTEMBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 287 élan. En politique, conservateur et frondeur à la fois, il a mis dans ses pièces un gi'ain de libéralisme bour- geois : il soutient le trône en raillant les Chambres et les ministres. » Tout cela est très vrai, et nous savons aussi que dans l'œuvre dramatique de Scribe le style est faible, sou- vent incorrect, que le fonds d'idées dont il a tenté le développement est fort peu original, l'observation des mœurs superficielle, l'analyse des caractères presque toujours fort insuffisante, et que son grand, son seul mérite, c'est l'habile conduite de l'action. Il a tiré de ses œuvres une popularité passagère et beaucoup d'argent, mais aux dépens d'une gloire durable. C'est évidemment très fâcheux, mais, tout en recon- naissant ses défauts, l'indigence lamentable de son style et de sa pensée, je trouve tout de même qu'on est bien sévère pour Scribe, notamment lorsqu'on lui reproche d'avoir, au théâtre, « couru après le succès et l'argent » : cette course me paraît le plus légitime du monde et, au demeurant, elle n'a jamais cessé d'être en lionneur... PAUL BOURGET Le Tribun. <( Chronique de l'an 1911. » Cette « chronique de l'an 1911 », M. Paul Bourget en fixe la portée dans une préface adressée à M. Charles Maurras. Le Tribun n*est pas seulement une pièce de théâtre, c'est aussi, c'est surtout, l'affirmation d'une théorie politique et historique, celle du traditionalisme que l'académicien soutient avec tant d'énergie dans ses œuvres. Il souhaite que sa pièce réalise ce double programme « d'être une chronique vivante de cette époque-ci, et de faire penser, d'avoir cette valeur histo- rique et cette portée ». 288 LE MOUVEMENT LITTERAIRE C'i'st, nous dit-il, « l'histoire d'un professeur de philosophie devenu homme d'État. — Nous en avons connu et nous en connaissons. — lia gardé de sa pre- mière formation des habitudes de généralisation. Il sert une doctrine en servant son parti. — Le type est plus rare, mais il existe encore. — Cette doctrine, c'est la libération radicale de l'individu. Un beau jour, une suite d'événements, tous aussi dans les données de notre temps, le mettent en présence d'un devoir caté- gorique et impératif, eût dit Kant. 11 ne peut pas accomplir ce devoir, parce qu'il se heurte, lui, l'apôtre intransigeant de l'individu, à la famille. Elle lui appa- raît, et elle est bien cela, comme le fait naturel et irré- ductible, l'élément premier, l'atome simple. Mais alors, vouloir construire la société pour l'individu et hors de la famille, c'est aller à contresens de la vie. » Tel est l'esprit dans lequel fut conçue cette œuvre dramatique. Telle est la démonstration que l'auteur a voulu en faire ressortir. RIP ET MAX AGHION De bric et de broc. Il y a toutes sortes de choses dans ces cent pages : des vers, de la prose, des images, des fables, des carica- tures, et ce sont d'amusantes fantaisies de Rip illus- trées par le crayon spirituel de Max Aghion; des pages verveuses de Max Aghion égayées encore par le crayon de Rip, car Rip est un écrivain humoriste qui sait très bien dessiner, et Max Aghion est un humoriste dessi- nateur qui écrit avec beaucoup d'adresse. Ainsi, les deux collaborateurs se sont, — c'est le cas de le dire, — mis en quatre pour nous divertir. Ils y ont réussi le mieux du monde et ils nous ont obtenu, par MÉMENTO f)EÔ Mois d'août Et i)Ë SEPTEMBRE 280 surcroît, le régal d'une préface de Tristan Bernard dont le masque noir et barbu, croqué par Rip, sourit au seuil du livre, cependant qu'un peu plus loin les sympathiques silhouettes de Rip et de Max Aghion nous sont présentées par Sem et par Abel Faivre... MÉMENTO DES MOIS D'AOUT ET DE SEPTEMBRE ROMANS Alanic (Mathilde). — Le Miracle des Perles. Bringer (Adolphe) et Léon Valbert. — Fritz-la-Haine, « grand roman patriotique ». Carol (Jean). — Réparation. Constant (Max). — Le Journal d'un Sceptique. Darros (J.-M.) et G. Meirs. — La Carte sanglante, « les Aven- tures de William Tharps » (Suite.) Flamant (Paul). — Les Mirages possibles, nouvelles. Ferode. — Amour et Bridge. Garçot (Maurice). — L'Entrave. Green (A.-K,). — Derrière^ les portes closes (traduction de M. Pierre Luguet). Hamp (Pierre). — Vieille histoire, « contes écrits dans le Nord ». Ivoi (Paul d'). — L'Obus de Cristal, « le Roi des Espions ». — Du Sang sur le Nil. Labruyère (Raymond). — Le Sel de la Terre. Lagonde (Julien de). — Trente ans de Fidélité, contes et varié- tés. La Houlette (René). — Sur mon chemin, contes et poèmes en S rose. ^ ois (Marc). — En passant, « contes et nouvelles» précédés d'une lettre-préface de J.-H. Rosny aîné. Lesoc (F.). — Les Deux Voies. Meirs (G.). — Voir J.-M. Darros. Mignard (Johannès). — Sous la Rafale. Moro (Henri). — La Première Etape. Payoud (Jean). — L'oncle Mandi, « roman de mœurs provin- ciales ». Plieux de Diusse. — La MuloUe. Puech ( Jules.-L). — Les jeux de la Politique et de l'Amour, « gens et choses de chez nous ». Regia-Lamotte (Roger). — La Bougeotte, un recueil de contes M 290 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE amusants et trépidants où l'auteur fait vivre et causer ses personnages en auto, à bicyclette, en wagon, en traîneau, en aéroplane, en gondole, que sais-je encore? Strarbach (Gaston). — La Ruée, « Mœurs contemporaines ». Strarbach-Baudenne. — Sao Tiampa, époiise laotienne. Valbert (Léon). — Voir Adolphe Bringer. HISTOIRE. — LITTÉRATURE THEATRE. — POÉSIE. — POLITIQUE. — DIVERS Ardouin (Suzanne). — L'Ame de la Voulzie, élégie drama- tique qui fut interprétée au théâtre de verdure de Pro- vins. Aubert (Marcel). — Sentis, une des « petites monographies des grands édifices de France ». Audigier (Georges). — La Ville au bois Dormant, jolies rimes à la gloire de Senlis. i5acot (Jacques). — Le Tibet révolté, « Nepémako, terre pro- mise des Thibétains ». Baraudon (Alfred). — En Ecosse. Baucarcé (J.-D. de). — Prestiges et autres poèmes. Beaucoudrey (R.-G. de). — Le Langage normand au début du XX^ siècle, noté sur place dans le canton de Percy {Manche), un volume préfacé par M. Charles Joret. Bénédite (Léonce). — Le Musée du Luxembourg. Berget (A.). — Le Temps qu'il fait, le Temps qu'il feraj notions de météorologie à l'usage des aéronautes, des aviateurs et du grand public, Blanguernon (Edmond). — La Vie orgueilleuse, poèmes. Blay de Gaïx (Baron de). — Coraly de Gaïx : « Une amie incon- nue d'Eugénie de Guérin », un volume précédé d'une très intéressante introduction de M. Armand Praviel et dont M. Jules Lemaître nous dit l'émouvante séduction, ce En lisant ce livre on goûtera, dans sa familiarité, le charme d'un passé noble et pur et l'on sera reconnaissant à M. le baron de Blay de Gaïx d'avoir sauvé de l'oubli une amie et une sœur spirituelle d'Eugénie de Guérin ». Boncour (Paul). — Les Retraites, la Mutualité, la Politique sociale. M.- J. Paul-Boncour est un apôtre de ces retraites ouvrières votées avec tant d'enthousiasme au Parlement et si mal accueillies dans le pays. On peut discuter les opi- nions de l'ancien ministre du travail, on ne saurait contes- ter l'ardente sincérité de ses convictions, ni le très beau talent qu'il met à leur service. Les adversaires les plus résolus du régime social nouvellement établi seront, sans nul doute, d accord avec ses partisans pour proclamer l'intérêt du recueil de ses discours. Il y a là une magnifique dépense de talent, d'éloquence et d'énergie. MÉMÈNtÔ t)ËS Mots D*AOUt ET* DÉ SEPTEMBRE 291 Brieux. — V Algérie. Carco (Francis). — La Bohême et mon cœur, poèmes. Castier (Jules). — Parisianités, poèmes. Cheylack (Auguste). — J'entends des appels mystérieitx, poésies. Choppin (Capitaine Henri). — Journal de captivité d'un officier de Varmée du Rhin (27 octobre 1870-18 mars 1871). Cornu (Paul). — L' Architecture, « les styles à la portée de tous ». Costel (Paul). — Sensations, poésies. Dehérain (Henri). — Dans V Atlantique, « Sainte-Hélène au xvne et xviiie siècle. L'archipel de Tristan de Cunha; Côtes de l'Afrique australe. Les voyages d'Auguste Brous- sonet au Maroc et aux Canaries ». Démange (Charles). — Notes d'un voyage en Grèce. Denys Cochin, — Qu/itre Français : Pasteur, Chevreul, Brime- tière, Vandal. Siu* les deux premiers, ce sont des pages familières et d'une noble simplicité; sui les deux autres, des oraisons émouvantes et solennelles. On trouvera dans ce HvTe, « sur l'œuvre de Pasteur, le récit d'un témoin, écrit le soir même des belles journées qu'il avait eu le bonheur de passer au laboratoire de la rue d'Ulm; puis un portrait d'Eugène Chevreul, tracé par un élève des cours du Jar- din des Plantes, plein de vénération, ainsi que tous ses camarades, pour le Doyen des étudiants. Depuis ces temps anciens, vingt-huit années s'étaient écoulées quand le même auteur fut invité à raconter, à Besançon, la noble et vaillante existence de Brunetière, et admis à prononcer, devant l'Académie française, l'éloge d'Albert Vandal ». Derys (Gaston). — Les Grandes Amoureuses (Suite). Doimiic (René). — Lamartine, un fort beau livre très ramassé, très éloquent, d'un raccourci impressionnant. Ducos (Gabriel). — Musiques, de spirituels et gracieux ron- deaux. Duraciné Vaval. — La Littérature haïtienne, « essais critiques ». En épigraphe l'auteur inscrit cette parole d'Elisée Reclus : « Par la langue, Haïti est la France... » Mais il entend cepen- dant nous démontrer que la littérature de son pays doit être personnelle et non la simple copie de la littérature française. Il essaye, par un examen attentif et impartial des œuvres littéraires haïtiennes, de préparer « la venue de cette littérature qui reflète le pays en ses aspects infinis et en ses infinies séductions ». C'est d'un sentiment très res- pectable et le seul livre de M, Duraciné Vaval témoigne avec éloquence du degré de culture intellectuelle et litté- raire auquel peuvent parvenir, et parviennent, les repré- sentants de cette race noire si personnelle et si intéres- sante. Epry (Ch.). — Des Abîmes au rivage, « à la mer », « Chasses et pêches ». Esnault-Pelterie (Robert). — Quelques renseignements prati- ques sur V Aviation. Félix (Commandant). — Les Aéroplanes Blériot, description technique avec plans et croquis. Fougères ((justave). — Athènes. 292 LE MOUVEMENT LïTTéRAIÎlÊ Gaubert (Ernest). — Poèmes à dire, ingénieusement choisis dans les œuvres d'excellents poètes, de Jean Aicard à Miguel Zamacoïs, en passant par Théodore de Banville, Henry Bataille, Henri de Régnier, Jean Richepin, et aussi Victor Hugo, Lamartine, Alfred de Vigny, et même Vol- taire et Villon. Grérard (Rosemonde) et Maurice Rostand. — Un bon petit dia- ble, la gracieuse et jolie féerie dont le régal nous fut, l'an dernier, offert au Gymnase et que ses auteurs offrent en pieuse dédicace « à la comtesse de Ségur et à Edmond Ros- tand, marraine et parrain ». Guinot (Henri). — En voyage, poèmes. Guyot (Maurice) et X. — Comme dirait... une série de pastiches ingénieux d'écrivains célèbres, vivants ou morts, d'Henry Bataille à Willy, en passant par Paul Bourget, Victor Hugo Racan, Jules Renard, Sully Prudhomme. C'est un très joU divertissement littéraire, auquel on ne peut faire qu'un reproche, celui d'avoir été précédé par un chef- d'œuvre du genre : A la manière de... Parmi ces pastiches, qui ont souvent une tendance un peu excessive vers la cari- cature, j'ai particulièrement goûté ceux de Sully- Prud- homme et de Rudyard Kipling. Laval (Dr Victorien). — Le Général Joseph-François Dours. — Sa vie politique et militaire — Sa mort tragique (1739- 1796). Lebas (Georges). — Histoire d'un port norm^ind sous la Révolu- ton et V Empire. C'est l'histoire de Dieppe de 1789 à 1815 : « Vingt années de guerres maritimes, — les Corsaires de la Manche, — la Pêche». J'aime beaucoup ces histoires locales qui nous font voir de si près, dans leur cadre restreint, cer- tains événements et certains héros de la grande histoire. C'est très amusant, très instructif aussi, et précieux sou- vent pour la compréhension de l'histoire générale. Le livre de M. Lebas figurera très honorablement dans cette bibUothèque d'histoire régionale; il est pittoresque, amu- sant, et sa relation de la guerre de course dans la Manche est du plus captivant intérêt. Lemarchand (Victor). — Le Lion de Pierre, poèmes. Le Moyne (Yves). — L^ Agonie des fleurs, poésies. Litta (Paolo). — La Déesse nue, un bien curieux ouvrage dédié « A notre maître Léonardo da Vinci », où l'auteur étudie « la danse comme moyen ésotérique d'expression musi- cale » Maître (Henri). — Les Jungles moi. Martin Petitclerc. — La Couronne de Xanthippe, un fort spiri- tuel recueil d'épigrammes dont l'auteur prétend, avec une fort orgueilleuse modestie, laisser le mérite au bon Socrate. On vous a raconté que Socraten'avait jamais rien écrit; mais la perspicacité d'un savant personnage baptisé Courtaud- Profiterol a changé tout cela : ce savant a découvert, en effet, un précieux manuscrit que M. Martin Petitclerc a traduit et dont il a extrait ces « petits vers socratiques à l'usage de quelques épouses et pour l'agrément de nom» MÉMENTO DES MOIS d'AOUT ET DE SEPTEMBRE 293 breux maris » ; je vous Kvre la conclusion prêtée au philo- sophe grec et interprêtée par le poète français : C^est parce que ma femme, amis, est sans raison Que la raison ntHnspire une amour si profonde Et j^ aurais moins besoin de renseigner au monde Si je Vavais dans ma m^aison. Et voilà qui démontre l'utilité de Xanthippe qui a bien mérité cette couronne « mi d'épines mi de fleiu-s ». Masson (Frédéric). — Journal de déportation à la Guyane fran- çaise (fructidor an V-ventôse an VIII), publiés d'après les manuscrits inédits et souvenirs de Laffon-Ladébat, président du Conseil des Anciens. Merlet (Louis). — Trois Artistes. « J.-Francis Aubtu-tin, E, An- toine Boiu-delle, Charles Cottet », des conférences faites en 1911 et 1912 par la Société Française de l'Art à l'École. Michel (André) et Gaston Migeon. — Les Grandes institutions de France : le Musée du Louvre « Sculptures et objets d'art du moyen âge, de la Renaissance et des temps modernes ». Moreau (Emile). — Théâtre, pr volume (en collaboration avec Victorien Sardou) : Madame Sans-Gêne, Cléopâtre et Dante. Moreau (Lieutenant). — Nos enfants de troupe tués à Vennemi. Mortier (Raoul). — La Sénéchaussée de la Basse-Marche. Nadaillac (Colonel Marquis de). — Mémoires de la marquise de Nadaillac, duchesse d'Escars, « suivis des Mém,oires inédits du duc d'Escars ». L'auteur a voulu, par cette publication, rendre im hommage de piété filiale à celle dont toute la vie peut se résumer dans ces deux mots : « Dieu, le Roi ». Cet hommage de piété filiale nous vaut un livre d'un bien piquant et bien vif intérêt. M^^^ d'Escars n'a pas eu, nous dit-on, la prétention d'écrire l'histoire des grands événements qui se sont déroulés de 1790 à 1812; elle raconte simplement les épisodes de sa vie si mouvementée , au cours de laquelle cette grande dame connut tant de splendeur et tant de misère, tour à tour émigrée pendant la Révolution, exilée pendant le règne de Napoléon P'". Tout cela, elle nous le restitue en des pages ardentes et verveuses, dont la sincérité ne saurait faire de doute, car elles fiu-ent écrites non pour le]| public, mais pour elle- même et pour sa famille. Noussanne (Henri de). — L'Ecosse. Orléans et Bragance (Prince Louis d'). — Sous la Croix-du-Sud : « Brésil, Argentine, Chili, Bohvie, Paraguay, Uruguay». Perret (Emile). — Cœur et Raison, poésies. Picard (Ernest) et Louis Tuetey. — Correspondance inédite de Napoléon I^^, conservée aux Archives de la guerre. Tome II 1808-1809. Raynaud (M™^ Camille). — Les Heures marocaines, poésies. Reichlen ( J.-L.). — L'Alliance franco-suisse, a étude historique, politique et économique ». Remy (Lieutenant-aviateur). — Comment on forme~un aviateur. Richement (de). — Jeanne d'Arc d'après les documents, œuvre posthume d'un officier supérieur mort récemment. 294 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE H semble, écrit l'éditeur, que tout ait été dit sur cette admi- rable histoire et qu'après le superbe monimnent élevé en mémoire de Jeanne d'Arc par le R. P. AyroUes, il ne reste plus rien à faire ni à écrire. Mais tout le monde ne peut pas posséder ni même lire les cinq énormes volumes qui forment cet ouvrage. Il était utile que ces précieux docu- ments fussent Condensés en un volume qui pût être à la portée de tous. Tel fut le' but de M. de Richemont, qui a écrit cette histoire en soldat, « ainsi qu'on peut s'en aper- cevoir à l'allure du style et aux termes tout militaires semés dans l'ouvrage », et en chrétien qui a lu, pour pou- voir les réfuter, « les historiens incrédmes ou impies tels que Michelet et Henri Martin ». Rostand (Maurice). — Voir Rosemonde Gérard. Saillard (G. ). — Florian, « sa vie, son œuvre ». Saint-Cyr (Charles de). — Toute mon âme, poèmes. Saint-Georges de Bouhélier. — La Romance de VHomm.e, poé- sies. Vous retrouverez dans ces pièces, à la fois si fami- lières et si lyriques, les belles et nobles qualités de ce poète étrange et profond, qui est un vrai poète. Elles sont pla- cées sous l'invocation du vagabond Malheur ; ce vagabond il l'a vu venir vers lui et, nous dit-il, J^ai frissonné. Mon hôte enfin m^a pris la m,ain, Je me suis dit : voici m,on dernier jour humain Et, sous le triste chant des cloches funéraires, J^ai vu des anges gris tourner dans la bruyère... Mais, sans plus de raison, froid fantôme qui fuit, U étrange visiteur a disparu sans bruit... Et je suis resté seul, tandis que, sur la route. Traînaient les perles d^eau d'une aube qui s'égoutte... Saint-Maurice (Comte de ). — Les Instruments niodernes de la politique étrangère, « Les Emprunts d'Etat ». Poursuivant la publication de son important ouvrage, l'auteur étudie aujourd'hui la « situation de l'Angleterre, de l'Allemagne, des États Balkaniques et de la Grèce »; c'est, en quelque sorte, un bilan financier et économique des peuples avec lesquels la France s'associe pour la mise en valeur de leiu-s biens fonciers, de leurs sources naturelles; or, les peuples qui font appel à l'épargne française sont presque le monde entier, et l'on peut parler, sans exagération, du protec- torat financier de la France à l'étranger. C'est bien inté- ressant, et quoique 1'» éloquence des chiffres » soit un cliché un peu fatigué par un long usage, il est difficile de ré\'iter à propos du livre de M. de Saint-Maurice. Schneider (Edmond). — Uldée pathétique et vivante, un choix de pensées de François de Curel. Sigall (M.^^ Renée). — Fruits d'atelier, quelques comédies pim- pantes et spirituelles qui sont présentées en une gentille préface par M. Jean Aicard. Stradiot (Jean). — A la Venvole, des poèmes émouvants et gracieux qui ont pour auteur un officier aviateur mort pour la Patrie. MÉMENTO DES MOIS d'aOUT ET DE SEPTEMBRE 295 Tuetey (Louis). — Voir Emest Picard. Van Bever. — La Normandie vue par les écrivains et les artistes. L'auteur a recueilli dans ces quatre cents pages une foule prodigieuse de textes et de documents, et il a rédigé un guide pratique des curiosités artistiques et naturelles de la Norniandie : « Ce qu'il faut voir », qui est vraiment un modèle du genre. Week (René de). — La Vie littéraire dans la Suisse française. OCTOBRE LES ROMANS AUGUSTE BAILLY Les Chaînes du Passé. Le roman que M. Auguste Bailly intitule les Chaînes du Passé est un fort beau livre qui place Fauteur des Prédestinés, dont j'ai naguère salué les débuts, au pre- mier rang de la jeune génération littéraire. « Encore un ! », vont dire, sans doute, avec un sourire, les censeurs qui voient un blâmable parti pris de bien- veillance dans ces enthousiasmes dont je suis trop pro- digue à leurs yeux. Cette prodigalité, je persiste à la croire justifiée par l'abondance merveilleuse — et terrible ! — des talents dignes de remarque parmi lesquels la renommée, forcé- ment moins généreuse, choisira quelques élus, dédai- gnant tant d'autres dignes d'un meilleur sort, et vic- times de l'embarras du choix. M. Auguste Bailly mérite d'être de ces élus : son roman écrit en une belle langue harmonieuse et ferme est d'une pensée très noble, très haute, très humaine. Le héros, Pierre Daurelle, nous raconte sa douloureuse histoire en un journal précis, minutieux, impitoyable, OCTOBRE. — LES ROMANS 297 OÙ parfois une date notée vient marquer une étape dé souffrance; cette souffrance, il Tétudie en conscience, il la raffine, il la raisonne sans cesse; et, chose admirable, cet examen de trois cents pages, qui semble devoir à la longue être assez fastidieux, nous cause une émotion sans cesse renouvelée, qui devient toujours plus poi- gnante et plus pathétique : c'est que, derrière cette confession psychologique, un drame se déroule, drame intime et formidable, qui la pénètre, l'emporte, lui donne toute sa valeur, toute sa puissance humaine. Pierre Daurelle est un individualiste résolu ; il a rêvé de dresser une morale scientifique, pratique, sans pré- jugés, sans hypothèses, sur les ruines des morales tradi- tionnelles, — et il a réalisé son rêve : écrivain et philo- sophe respecté, il connaît les ivresses du chef d'école exalté par des disciples fervents, honni par des adver- saires exaspérés; homme, il a mis ses doctrines en pra- tique : il a « vécu sa vie », il est allé jusqu'au bout de son « droit au bonheur ». Sans se soucier des victimes qu'il sacrifiait à ce « droit », de sa noble et tendre femme Claire, de sa petite fille Suzette, il a suivi son entraîne- ment pour Agnès qu'il a épousée aussitôt après la mort souhaitée, hâtée, de sa première femme. Et puis, peu à peu, les « chaînes du passé » ont pesé sur lui de tout leur poids : sa conscience d'homme libre, s'est posé des questions douloureuses ; les « lois non écri- tes » qu'Antigone invoque dans sa réplique à Créon se sont irrésistiblement imposées à lui, ces lois dont l'au- torité n'a pas été entamée depuis Sophocle, et contre lesquelles toutes les réformes des législateurs et tous les systèmes des philosophes ne pourront rien. Et quand, désespéré, privé de la femme qu'il adorait, il a voulu s'évader du moins de la vie, cette libération même ne lui a pas été permise : le grand individualiste, le liber- taire conscient a dû se soumettre très humblement aux lois surhumaines méconnues et dont une frêle enfant exprima les volontés avec une puissance irrésistible et *17. 298 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE inconsciente, emprisonnant dans la vie « l'homme libre », rivé pour toujours aux chaînes du passé... ,J.-H. ROSNY, aîné Les Rafales « roman de mœurs bourgeoises ». Avec les Rafales, M. J.-H. Rosny aîné commence, nous dit-il, « une série de récits étroitement apparentés les uns aux autres : chacun des Lérande ( c'est le nom de son héros) en particulier fera Tobjet d'un roman complet ». Cette déclaration liminaire m'a séduit par son audace et sa vaillance : il est beau, en notre temps d'efforts limités, d'entreprises rapides, de savoir, d'af- firmer, au seuil d'un roman qu'il est le premier d'une longue série raisonnée, logique, construite déjà dans la pensée. C'est une promesse audacieuse, M. J.-H. Rosny aîné n'y faillira point : il est de taille. J'ai dit maintes fois mon admiration pour la fécondité de cet écrivain et pour la magnifique souplesse de son talent qui se meut avec la même aisance dans le roman de mœurs et d'amour, dans le roman social et dans la nouvelle, dans la préhistoire et dans l'anticipation, et qui lui permet de nous donner, à quelques mois de distance, deux œuvres aussi différentes que cette vaste épopée de « la Mort de la terre » et ce roman bourgeois des « Rafa- les ». Les « Rafales » qui dévastent le foyer d'Antoine Lé- rande sont assez médiocres : ce sont les déboires d'un homme dénué de sens pratique et qui, dans le gouffre sans fond d'entreprises chimériques, a englouti sa for- tune, la dot de sa femme, toutes les ressources décou- vertes autour de lui : il se trouve enfin, par ce qu'il appelle la malchance, acculé à la faillite puis, à cette OCTOBRE. — LES ROMANS 299 déchéance suprême, à son sens : la nécessité de devenir un employé. Déboires médiocres, mais plus pathétiques que les plus grands drames : ces mille misères de la maison d'où, peu à peu, sont partis les meubles, les bijoux, les tableaux, puis les reconnaissances; où l'homme revient le soir, accablé et fiévreux; où la femme tremble et plie sous la rafale qui passe ; où les enfants connaissent trop tôt les angoisses, les inquiétudes, la terreur du créan- cier qui crie, de la domestique qu'un long crédit a ren- due souveraine; toutes ces petites choses pitoyables, observées avec minutie, composent ensemble un tableau déchirant et qui, dans son intimité, dans son étroitesse, apparaît vaste comme la misère du vaste monde. Et c'est très poignant, très humain, très beau. Ces petites défaites du vaincu qui s'acharne honnêtement, obsti- nément, à sa ruine, c'est toute l'infortune des hommes; ces humbles démarches de la mère qui veut défendre et sauver ses petits, c'est tout le magnifique héroïsme des femmes; ces enfants qui comprennent déjà, qui, jusque dans leurs jeux, évoquent des misères, c'est toute l'enfance si douloureuse, si émouvante, trop tôt avertie du malheur. E.-F. BENSON Rose d'automne. (Traduction de M. Bernard-Derosne.) Le roman de l'écrivain anglais E.-F. Benson, est un livre aux belles lignes harmonieuses et simples, de belle santé, de bonne humeur, d'émotion profonde et sincère, un beau roman en vérité et qui retrouvera en France le succès considérable qui l'accueillit outre-Manche. Rose d'automne, c'est la femme de quarante ans — celle à qui Balzac galamment donnait trente ans — si 300 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE belle, si émouvante, dans la plénitude de sa grâce, de sa séduction, de sa beauté morale et intellectuelle; image radieuse sur laquelle il n'y a qu'une ombre, la menace du lendemain: rose d'automne éclatante que guette l'hiver trop prochain. Mrs Edith Allbutt incarne, dans toute sa noblesse et sa grâce, cette rose d'automne. Elle s'était mariée, par amour, il y a quelque quinze ans avec un ivrogne débau- ché qui lui fit subir un long martyre, et puis, l'heure de la libération venue — son mari mort — elle s'est appli- quée héroïquement à reconstruire sa vie morale sur les ruines du passé et, après trois ans de recueillement, elle reparaît dans le monde, plus belle, plus spirituelle, plus brillante qu'auparavant, traînant tous les cœurs après elle, rayonnante, pétrie de grâce et d'esprit. Son amour de la vie, son désir passionné de rayonne- ment et d'activité, elle le tournera, non pas vers les amours qu'elle ne croit plus permises, mais vers les joies de l'art et du théâtre; elle a écrit dans le silence et le recueillement une œuvre admirable qu'elle fera repré- senter sous un pseudonyme obscur, et cette œuvre rem- porte le triomphe magnifique qu'elle osait à peine espé- rer. Mais, chemin faisant, elle a rencontré cet amour que des préjugés estiment hors de saison. Hugh Grain- ger s'est épris pour elle d'une grande tendresse et elle l'a aimé passionnément; seulement, il a vingt-cinq ans et ce serait une union folle. Cette folie, ils l'accomplissent dans toute la sagesse de leur passion et, aux côtés d'Hugh Grainger, qui est un grand musicien, elle mène une vie de bonheur idéal, embellie encore par la naissance d'un enfant. Mais c'est trop beau : peu de mois après, la maladie s'empare d'elle et elle meurt, tout à la fois désespérée et radieuse, en plein bonheur, en plein amour, sans avoir connu la tristesse des lendemains douloureux. Ceite histoire si belle, si émouvante, se déroule dans les décors évoqués avec une vérité, une bonne grâce OCTOBRE. — LES ROMANS 301 délicieuses ; les mœurs anglaises y sont observées le plus spirituellement du monde, les caractères y sont magistralement campés, et c'est un très beau roman qui se donne le luxe de présenter un agrément infini. RAYMOND CLAUZEL L'Extase. Ce n'est point faire injure, je crois, aux lecteurs de romans d'afïîrmer qu'ils ne sont pas nombreux en notre temps à se passionner pour les problèmes de haute morale et de doctrine religieuse; et il y a vraiment quelque témérité pour un écrivain de faire du quié- tisme et de l'Extase le sujet d'un roman. M. Raymond Glauzel a eu cette témérité et, chose admirable, il a réussi à faire de l'Extase le plus vivant, le plus humain, le plus moderne des romans, un roman capable de passionner cette foule qui est indifférente — ou qui se croit indifférente — à l'histoire du quié- tisme enterrée avec M^^ Guyon, avec Fénelon et avec Bossuet. Ce roman aura-t-il la fortune qu'il mérite? Je le sou- haite. En tous cas, je suis très sûr que c'est un beau livre, émouvant, profond et généreux. L'auteur a voulu écrire un « roman spirituel, évoquer la vie de l'âme dans quelques-unes de ses manifestations particulières » et, quoi qu'en pense le scepticisme de nos bons matéria- listes, l'âme est un sujet qui en vaut un autre; il y a dans son histoire des faits réels au même titre qu'un déraillement de train ou une éruption de volcan. « Les mystiques, les illuminés, les ascètes, les solitaires irra- diés existent aussi véritablement que les ivrognes, les avares, les peseurs de denrées, et les remueurs de matiè- res. Nous digérons, mais nous rêvons aussi, et quelque- 302 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE fois nos rêves montent très haut ». L'alliance ou le conflit de Tâme avec le corps produit les désordres les plus dramatiques du monde « L'ange ne terrasse pas toujours la bête, ni la bête l'ange. Ils s'accouplent sou- vent, et, parfois, sous une telle fascination, qu'ils s'as- souvissent ensemble en d'inconscientes perversités ». Peut-être ce préambule vous paraîtra-t-il sévère ? Ne vous laissez pas arrêter, allez plus avant : l'histoire du vicomte Sylvestre d'Amancey, élevé par sa mère rigide et par l'abbé Fustel d'une si étroite et si rigide vertu, de Claire, sa cousine, et de Germaine, son amie, qui nous expose ces luttes et ces théories sous la forme concrète d'un roman, est vivante, je vous assure, captivante et belle. M. Raymond Clauzel nous l'a contée en des pages remarquables toutes pleines de couleur, de pensées et d'images; il y a même trop d'images, et je n'aime pas « l'âme qui grelotte comme les feuilles d'avril sous un vent froid » ni « les nénuphars qui tendent leurs belles coupes d'or au soleil ». Mais c'est une petite querelle, et il reste assez d'images heureuses, de pensées profondes et fortes pour plaider et pour gagner la cause de ce livre. PIERRE MAC ORLAN La Maison du Retour écœurant. La Maison du Retour écœurant est un roman humo- ristique. Si vous ne vous en étiez pas avisé en lisant ce titre un peu étrange ou la pensée de l'auteur mise en épigraphe : « Toutes les familles pauvres possèdent un marteau et un tournevis », vous le remarqueriez en tous cas dès les premières pages où l'on nous présente les héros du livre : Thomas Turnlop et son neveu Paul Choux. Thomas Turnlop, anglais de naissance, est devenu OCTOBRE. — LES ROMANS 303 nègre par accident : au cours d'une aventure périlleuse, il a vu ses cheveux jadis noir blanchir instantanément, sous le coup de la peur, mais, par contre, le noir de sa chevelure s'est répandu sur sa peau lui donnant toutes les apparences du nègre le plus attaché aux traditions dermiques de sa race. Son neveu est un garçon diligent qui, les jours de grande réception, « met du charbon neuf dans le foyer des quatre vaches à vapeur qui don- nent par jour deux cents litres de lait chaud ». Vous le voyez, nous sommes en plein humour, et c'est ainsi tout le long du roman, pendant tout le cours des aventures extraordinaires de Paul Choux sur les océans, de Turnlop dans son cottage normand. C'est là un ton assez difficile à soutenir dans tout un livre de deux cents pages, et il est malaisé d'avoir tant d'esprit pendant si longtemps sans risquer de devenir un peu fastidieux. Nous supportons plus facilement les larmes à jet continu que le rire. M. Pierre Mac Orlan a réussi cependant le mieux du monde à nous ingérer cet humour à forte dose; il est presque toujours amusant, et parfois tout à fait drôle, et nous arrivons fort agréablement et sans fatigue au terme de ce voyage en « loufoquerie ». TOKUTOMI KENJIRO Plutôt la Mort. (Traduction de M. Olivier Le Paladin.) Nous ne connaissons guère la femme japonaise que sous l'aspect si gracieux, si poétique de M^^ Chrysan- thème; il y en a une autre, hélas ! singulièrement plus répandue, et dont la condition est plus douloureuse et plus pénible. Le romancier Tokutomi Kenjirô nous l'ex- pose dans ce roman très japonais, dont la traduction 304 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE de M. Olivier Le Paladin, a respecté la couleur et Tex- traordinaire saveur. C'est l'histoire de la pauvre petite Nami-Ko, épousée par renseigne de vaisseau Takeo, qui s'en va au loin, la laissant au pouvoir terrible de sa marâtre qui la déteste comme la belle-mère traditionnelle d'Europe, et qui a des moyens plus puissants de lui prouver son aversion. Elle a décidé de faire répudier Nami-Ko et, malgré la résistance de son fils, elle y parvient; elle oblige le père de la jeune femme, le célèbre général Kataoka-ki, à la re- prendre, et Nami-Ko meurt phtisique, inconsolable et dé- sespérée. Takéo, qui l'aimait, vient pleurer sur sa tombe auprès de son père; larmes fugitives, car des Japonais, des soldats, ne doivent pas s'attendrir longtemps :« c'est, par l'épreuve qu'on devient un homme et que le cœur se trempe ». Et les deux hommes, laissant au cimetière l'objet de leur tendresse et de leurs regrets, s'en vont ensemble en devisant : « Il y a bien longtemps que je n'ai eu le plaisir de vous voir. Racontez-moi tout à l'aise ce qui s'est passé à Formose ». Cette histoire qui comporte, vous le pensez bien, d'autres épisodes : récits de guerre, aventures d'amour et de haine, évocations de décors, est, nous dit l'au- teur, tout à fait véridique : la répudiation de Nami-San, la douleur de Takéo-Kun, l'indignation du général do division Kataoka qui recueillit chez lui sa fille, la cons- truction qu'il fit faire d'un pavillon dans un endroit tranquille de son parc pour y soigner son enfant malade, son excursion à Kyoto et Osaka en compagnie de Nami- San avant l'éternelle séparation, son refus d'accepter les fleurs envoyées par la famille Kawashima pour les funé- railles, tout ce drame s'est déroulé vraiment. « Ce qu'il y a d'insipide dans ce roman, dit Tokutomi Kenjirô, cela tient à mon incapacité, et s'il y a une note qui empoigne le lecteur, eh bien ! cette note, je l'ai recueil- lie de la bouche d'une femme, un soir d'été ». Et certes, il prend là une précaution inutile qui témoigne d'une OCTOBRE. — LES ROMANS 305 excessive modestie : le livre est palpitant, d'un art étrange, fruste et prenant; il évoque, avec des procédés littéraires tout à fait modernes et de chez nous, des mœurs très lointaines et très archaïques, et c'est tout à fait ingénu, subtil et profond. PIERRE LHANDE Luis. Ce roman se divise en deux parties : la première, « A l'école des domestiques », s'orne de cette épigraphe empruntée à Paul Bourget : « On demeure étonné de Teffrayante facilité avec laquelle, et depuis toujours, les gens des plus beaux noms abandonnent leurs enfants à des influences douteuses; la seconde, « L'ineffaçable empreinte », est commentée par la parole de Musset : « ... Lorsque la première eau qu'on y verse est impure... » Ces deux titres, ces deux épigraphes résument toute l'histoire de Luis, fils du comte T..., ambassadeur de France à Madrid, que ses parents confièrent impru- demment aux soins des domestiques; ses jeux de plein air se déroulent avec les pires vauriens dans les fau- bourgs populeux de Cuarenta Fanegas, et, quand il rentre au palais paternel de la Calle Mayor, c'est pour y rejoindre bien vite l'office... De telles fréquentations produisent l'effet qu'on en peut attendre : l'âme fière que Luis doit à ses origines se pervertit lamentable- ment. Certain jour, il découvre les amours coupables de sa mère; il en éprouve un vif chargin, une grande indigna- tion, et s'en va tout conter à son père qui comprend, un peu tard, la nécessité de le soustraire à son détestable milieu. Il l'envoie chez les Johannites, où il rencontre un éducateur admirable, le Père O'Leary, qui fera tout 306 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE au monde pour effacer l'ineffaçable empreinte. Efforts superflus; Luis a le cœur fermé et flétri, il déteste sa mère et quand, son père étant mort dans un tragique accident, il apprend que sa mère va épouser son amant, il s'enfuit, il veut tuer l'intrus; une scène affreuse éclate entre le fils et la mère qui, impitoyable, envoie son enfant dans un pénitentier de Capucins. Ce dramatique roman se déroule dans les décors prestigieux de la ville madrilène et de la campagne andalouse brillamment évoqués. ANDRÉ GEIGER Fors l'honneur. Le « roman d'un lieutenant de vaisseau » que nous conte M. André Geiger, est une histoire considérable où s'accumulent et s'enchevêtrent, pendant quatre cents pages d'un texte serré, les plus dramatiques péri- péties. C'est excellent pour les lecteurs de romans, mais c'est terrible pour le chroniqueur qui a lu ces quatre cents pages et qui doit vous en parler en quinze lignes. Comment vous donner une idée de ces aventures du lieutenant de vaisseau Armand de la Joussière, épris de M°^6 Marcelle Bruce Simon, éperdument aimé de M^^ de Courseulles, poursuivi d'une haine farouche par le soldat Seré, et qui, pris entre ces deux amours de femmes et cette haine d'homme, est amené inconsciem- ment jusque sur le bord de la trahison. Heureusement, tout s'arrange avant que la catastro- phe définitive soit accomplie, grâce à l'intervention de M"^e de Courseulles, repentante, qui après avoir tout fait, — jusques et y compris l'abandon de sa personne, — pour perdre celui qu'elle aimait, se décide à tenter OCTOBRE. — LES ROMANS 307 pour le sauver un effort désespéré qui va jusqu'au même abandon en faveur d'un autre bénéficiaire. Mais je m'arrête : je trahirais, sans doute, en insis- tant, ce roman qui est fort bien construit et où l'on retrouve ces qualités littéraires que nous avions aimées dans la Reine amoureuse où les circonstances les met- taient mieux en lumière. HAN RYNER Les Paraboles cyniques. Il y a bien longtemps déjà que je vous ai parlé pour la première fois de H an Ryner et Ton ne songeait guère alors à en faire le prince des conteurs. Cette élection qui n'ajoute rien à son talent ni à notre estime est un heureux prélude à la publication de son livre : les Paraboles cyniques, auquel les lecteurs de contes, avides de connaître bur nouveau prince, viendront sans doute en grand nombre. Ils ne seront pas déçus : M. Han Ry- ner leur raconte dans ce livre cinquante histoires où des vérités se drapent dans les nobles voiles des para- boles, « action précise comme un beau corps de femme dont, sous un voile, les traits s'estompent, les yeux bril- lent et le sourire s'indéfmise ». Pour peu que le lecteur ne craigne point de gagner son plaisir, il se divertira beaucoup à ces belles histoires dont M. Han Ryner reporte le mérite aux philosophes cyniques; il goûtera ces allégories avec lesquelles l'auteur a, tout à la fois, exprimé et voilé la vérité, avec des voiles parfois bien épais; mais leur prestige ne fait qu'y gagner : quand on comprend, c'est tout à fait intéressant; quand on ne comprend pas, c'est encore bien plus beau et impres- sionnant... 308 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE RENÉ PERROUT Marins Pilgrin « Idées de Province ». M. René Perrout publiait, il y a quelques mois, un livre dont, je Tespère, mes lecteurs n'ont pas perdu le souvenir et qui, j'en suis sûr, restera parmi ceux qui défendront devant l'avenir la cause de la littérature contemporaine. Goëry Coquart bourgeois d'Epinal, est, en effet, une œuvre d'une rare perfection littéraire et d'une bien vive séduction. Le nouveau livre que M. René Perrout publie sous le titre : Marins Pilgrin, « Idées de province », est plein, lui aussi, de belles qualités, et s'il ne m'inspire pas le même enthousiasme, ce n'est cer- tainement point la faute de son auteur. D'abord, il ne m'apporte plus l'heureuse surprise du nom tout neuf qu'on a la joie de découvrir, et puis son sujet m'appa- raît moins séduisant : ce sont toujours de belles et tendres images d'Epinal — entendez des images spina- liennes, — mais, au lieu d'évoquer les grands bourgeois de jadis, les derniers temps de l'indépendance d'Epinal au xvii^ siècle, elles nous disent l'histoire de jeunes gens qui sont tout à fait de notre temps. Le roman de Marins Pilgrin et de son ami Pierre Auger commence en 1887, au soir d'un banquet présidé par Jules Ferry pour se terminer, je pense, aux environs de 1900. Et l'on a beau ne point mépriser son temps, il faut avouer que les choses d'autrefois avaient plus de grâce et plus de prestige. J'ai parlé du « roman » de Marins Pilgrin et de Pierre Auger; ce n'est point en réalité un roman; c'est, ainsi que nous en avertit M. René Perrout, une suite d'ima- ges. « Elles représentent, sous ses divers aspects, la vie de province, sa tranquillité, sa douceur, son silence, qui apaise ou qui^écrase ». OCTOBRE. — LES ROMANS 309 îl « apaise » Pierre Auger qui vit heureux dans Texer- cice honnête de sa profession d'avocat, au milieu des meubles rares et des belles statues, auprès d'une épouse paisible et d'un bel enfant; qui marche avec calme en déroulant sa rêverie dont il aime la douceur. L'amour ne le déchire pas: il sait l'erreur des amants et leurs souffrances cruelles; il dédaigne les opinions des hommes qu'il sait dénuées de sens, de justice et de sin- cérité; les victoires populaires lui sont indifférentes : il poursuit l'estime des gens de bien et l'approbation de son cœur. C'est un enraciné, il demeurera à Epinal. Ce silence, au contraire, « écrase » Marins Pilgrin, qui n'est point comme son ami, glorieux d'une vieille souche spinalienne. Fils d'un Spinalien déraciné et d'une Provençale, il sera un déraciné; il a connu les amours violentes et tendres, aux lendemains doulou- reux, et les ivresses de l'avocat épris des triomphes d'é- loquence, acharné à défendre une cause, qu'il sait mau- vaise, devant des jurés dont il veut forcer la pitié. Il a vécu les émotions de la politique, il a voulu dominer avec sa parole une foule populaire qui l'a rejeté, et, de tous ces échecs, de toutes ces déceptions, il en veut à sa ville, il en veut à la province. «La vie provinciale est lourde, enveloppante comme la nuit qui descend; la province, c'est la solitude, c'est le silence »; et sa réso- lution est prise: il va s'enfuir vers Paris, malgré les conseils de son ami qui voudrait le retenir : « en pro- vince comme ailleurs, on peut étudier, regarder la nature, penser avec élégance, couler une vie artiste. Cela vaut bien tous tes mirages et tes bâtons flottants ». Mais Marins, déjà, ne l'entend plus: c'est un déraciné. 310 LE MOÙVËMENt LITTÉRAIRE FRANZ TOUSSAINT Gina Laura. L'histoire de Gina Laura est fort émouvante : Gina Laura est la fille charmante d'un vieux joueur de harpe qui s'appelait jadis Pages et qui, sur la route de Bayonne à Biarritz où il erre mélancolique, a été surnommé Papa Praline à cause d'un inépuisable sac de bonbons qu'il distribue aux enfants. Une aventure pénible sur- venue à la petite Gina, un soir que ses parents avaient commis l'imprudence de la laisser seule, a flétri la jeu- nesse de cette enfant et troublé la raison de son père. Pourtant, elle a grandi en beauté et en talent, et elle est devenue une danseuse et une musicienne aujour- d'hui célèbre. Elle s'éprend pour Gerberoy, le héros et le narrateur de cette histoire, d'une tendresse ardente, exclusive, qu'elle lui déclare ; mais Gerberoy est un scep- tique qui accueille en souriant cette déclaration, et la pauvre Gina meurt de n'avoir pas été comprise. Il y a, dans ce roman un peu décousu, de l'émotion, de la sin- cérité et un certain désordre qui est parfois un effet de Fart. JEAN RENAUD Les Errants. Ce « roman colonial » a l'âpre saveur, l'intérêt poi- gnant, des histoires vraies. Sans doute, les lieutenants Paul Dambre et Georges Lancret, de l'artillerie colo- niale, le lieutenant de vaisseau de Brémond et cette touchante Glarita de Robert, sont des héros de roman et leurs aventures sont d'émouvantes fictions imaginées OCTOBRE, — LES ROMANS 311 par récrivain ; mais, on le sent, leurs traits sont emprun- tés à la réalité; ces angoisses, ces espérances, ces émo- tions ont été ressenties par l'auteur, ou autour de lui; ces périls, il les a courus; cette vie, il l'a vécue. Ainsi, la vérité palpite sans cesse sous la fiction et donne à ce livre une portée plus haute que celle d'un simple roman; c'est un hommage émouvant aux errants, « à ces héros souvent obscurs qui s'en vont, derniers conquérants emballés après les dernières chimères». Leur triste roman moderne, M. Jean Renaud l'offre en hommage à M. Albert Sarraut, gouverneur général de l'Indo-Chine, qui « a vu leurs gestes, qui les a rencontrés dans la brousse avec leur figure hâve, avec leurs yeux qui regardent bien droit », et qui sait com- ment ils tombent pour la Patrie plus grande. SIMONE BODÈVE La petite Lotte. La Petite Lotte! Trois cents pages d'un texte serré, touffu, ont été nécessaires pour évoquer la destinée si courte de cette enfant qui, à vingt ans à peine, s'est évadée de la vie. C'est que M^^® Simone Bodève est soucieuse de vérité et de précision ; non seulement elle nous raconte en détail la vie de son héroïne, mais, che- min faisant, elle nous communique ses réflexions à elle, qui nous permettront de mieux comprendre l'âme émouvante et complexe de Charlotte Bugeot. Et c'est ainsi qu'à propos de la distribution des prix à l'école où fréquente Lotte, nous sommes informés des sentiments qu'inspirent ces cérémonies à l'auteur; c'est ainsi encore que, les Bugeot exploitant un com- merce de fleurs artificielles, nous sommes mis au cou- rant de la technique de ce commerce. Le roman est 312 tfi HOÛVEMBNÏ' LtÏTéRAlftË d'ailleurs, avec toutes ces digressions, fort intéressant ; seulement il est, pour cette raison — et pour d'autres encore — assez malaisé à raconter. L'essentiel, c'est le drame qui dévasta l'existence de la petite Lotte certain jour où elle s'en alla toute seule avec son père à la campagne. L'affreux mystère de terreur pour la petite, de honte pour le père, a, pour toujours, empoisonné l'âme de Lotte. Malgré les ordres de sa mère, le séjour dans la maison paternelle lui est devenu insupportable; elle s'est sauvée, et puis, elle a rencontré un être d'élection qui l'a aimée et qui fut son idole. Elle a cru un instant qu'elle pourrait être heureuse, mais le douloureux secret l'oppressait affreusement; elle a compris, la pauvre innocente, qu'elle ne serait jamais digne de son ami et elle s'est sauvée dans la mort. Cette pâle petite figure faubourienne est évoquée par M^^ Simone Bodève avec beaucoup d'émotion et de sincérité. Les étapes de la déchéance du père, qui aurait pu ne pas devenir un mauvais homme, mais que l'austérité d'une femme épousée par amour a décou- ragé et dévoyé, les mille incidents de cette humble existence sont observés avec beaucoup de vérité, cette « vérité une et infinie, insaisissable et changeante » qu'invoque l'auteur au seuil de son roman. PIERRE LASERRE Le Crime de Biodos. Le livre de M. Pierre Lasserre pourrait être un roman policier; il en a tous les éléments : assassinat mystérieux, testament dissimulé, magistrats acharnés contre un innocent, que, d'ailleurs, tout accuse, et découverte finale du vrai coupable par une personne I OCTOBÏIË. — tES ROMANS 313 qui n^appartient ni à la police ni à la justice, mais à qui son amour pour l'innocent soupçonné donne une belle clairvoyance et une merveilleuse énergie. Et avec tout cela, il serait inexact de dire que ce livre est un roman policier : M. Pierre Lasserre ne s'est point laissé, en effet, absorber par le récit de ces péri- péties dramatiques. Il a, en des pages colorées et pit- toresques, évoqué les décors béarnais où se déroule l'action; il a observé les mœurs, analysé les âmes de ses héros. Ce ne sont pas des fantoches de police qui s'agitent dans son livre, ce sont des hommes qui vivent, qui aiment et qui souffrent. CHARLES FOLEY Pernette en escapade. L'histoire de Pernette en escapade est tout à fait gentille; elle pourrait être fort scabreuse si l'auteur n'avait eu la ferme résolution d'être moral. Voici : Mlle Saugier, une riche et jolie orpheline à laquelle le prénom de Pernette, avec son petit air xviii^ siècle, va fort bien, est une personne très indépendante et qui fait ce qui lui plaît dans la vie. Il lui plaît notamment d'accepter dans une comédie de salon un rôle de jeune garçon, qu'elle prétend piocher avec beaucoup de conscience en s'affublant pour toute la durée de ses vacances d'un costume de cycliste masculin. Au cours d'une de ses randonnées, Pernette — qui est devenue Pernet comme il convient — fait la ren- contre d'un beau jeune homme, Gérard de Bucière; une grande sympathie s'établit tout de suite entre les deux garçons qui deviennent très bons amis. Au cours d'une promenade ils sont tous deux victimes d'un accident. Gérard, moins grièvement blessé que son 314 LE MOUVEMENT LÎTTéRAlftË camarade, vient s'installer à son chevet, et le pauvre Pernet est quelquefois bien gêné de cette sollicitude; mais il n'est qu'au commencement de ses peines, car, une fois guéri, il est forcé de se mettre tour à tour à l'escrime, à l'équitation, et d'assister même, en frac, à une soirée que donne la tante de Gérard. - Au cours de cette soirée Gérard fera la connaissance d'une personne qu'on lui destine en mariage; et cela, c'est trop pour les nerfs de Pernet dont la sympathie a grandi et s'est muée en amour : il dit des choses désa- gérables à la fiancée, gifle son frère et, redevenue Per- nette il s'évanouit très gentiment. Je gagerais que vous avez deviné déjà l'épilogue de cette aventure et que vous savez que Pernette, remise en possession de son sexe, épousera Gérard, sera très heureuse, et renon- cera pour l'avenir aux manières et au costume des hommes. Tout cela est raconté par M. Charles Foley avec de l'agrément, de l'esprit et une gentille pointe d'émo- tion. HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES DIVERS. BARON DE BATZ Vers l'Echafaud. « Germinal, Floréal, Prairial, An n. » Le baron de Batz, dont les prodigieuses aventures nous ont été racontées avec tant de verve par son petit- fils, est un héros tout à fait sympathique. Nous lisons avec infiniment de plaisir le récit de ses exploits et, comble de popularité, ce conspirateur, tant noirci par les historiens de la Révolution, a fait récemment, avec M. J.-J. Frappa, son entrée triomphale au théâtre, où on l'acclame de Torchestre au poulailler. Sommes-nous donc devenus si réactionnaires? Je ne suis pas sûr que ce soit là l'unique, ni même la prin- cipale raison de notre enthousiasme : si le baron de Batz nous enchante, c'est qu'il est la vivante image de la crânerie et de la révolte, en un temps où régnèrent universellement l'épouvante et la résignation. A cent vingt ans de distance, ces victimes qui, sans esquisser un geste de résistance, se laissèrent juger, condamner, exécuter, nous déconcertent. Elles ne manquaient point cependant, pour la plupart, de courage et d'héroïsme; leur attitude pendant les pro- cès, en prison et devant l'échafaud le démontre élo- quemment. Elles en avaient plus, en tout cas, que les 316 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE bourreaux qui les envoyaient au supplice et dont Técœurante lâcheté se manifesta au lendemain même de la tourmente. Comment ces bourreaux, sans courage personnel, abrités derrière une parodie de légalité, purent-ils ter- roriser la foule muette et glacée d'épouvante et suppri- mer parmi leurs victimes toute tentative de résistance? Le baron de Ratz nous l'explique à Taide d'un exemple émouvant qu'il a trouvé dans sa famille : celui de son grand-père, le conseiller au Parlement de Toulouse, Jean-François de Montégut. Ainsi, par une singulière fortune, le même historien a trouvé dans des documents de famille ces deux exemples si contradictoires : celui du baron Jean de Batz, qui n'eut pas peur et qui montra impunément une si incroyable audace devant les périls incessants de la Terreur; et celui, bien plus répandu, d'une de ces victimes qui témoignèrent, en face d'une pareille tyrannie, de tant de soumission, d'abattement, de résignation, et parfois, chose étrange, de complaisance. C'est l'histoire émouvante et terrible des Parlemen- taires toulousains qui allèrent, par petites étapes, s'offrir au couperet de la guillotine, que le baron de Batz nous raconte et ces documents historiques nous font comprendre comment ces hommes si braves, si géné- reux, si résolus se laissèrent exécuter par la volonté sanguinaire de ces hommes de tribune et de clubs qui eussent, individuellement, tremblé devant eux. Il y a là un cas de psychologie et de psychiatrie bien curieux : « une sorte de langueur et d'atonie envahit alors tout un peuple, tandis qu'à la frontière ce même peuple, tou j ours sous une influence psychiatrique, faisait des prodiges, grâce à une surexcitation différente, mais émanée aussi de l'ambiance"' dans laquelle il se trouvait placé. » OCTOBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 317 PAUL GAULOT Les Petites Victimes de la Terreur. Le Tribunal révolutionnaire, ses juges, ses jurés et ses magistrats sont depuis longtemps, devant l'histoire et devant l'opinion, en posture d'accusés : il semble bien que leur condamnation soit aujourd'hui définitive et sans appel. Chaque jour un historien nous apporte une preuve nouvelle de leur ignominie, et leurs défenseurs eux-mêmes ont perdu leur superbe : ils n'osent plus nous parler de la « sainte «Terreur qui a sauvé la France, ils plaident timidement pour ces bourreaux les circonstances atténuantes. De circons- tances atténuantes, il n'y en a qu'une, si l'on peut son- ger à l'admettre, c'est la peur, la peur ignoble qui fai- sait trembler ces hideux justic leurs et leur dictait leurs impitoyables sentences. Des procès comme ceux de Marie-Antoinette, de Vergniaud, de Danton, et de tant d'autres victimes illustres nous ont édifiés sur leur compte, et pourtant, ce n'est là qu'une faible partie de leur histoire : pour les apprécier vraiment, il faut connaître les Petites Victimes de la Terreur, cette foule, longtemps anonyme et ignorée, des humbles qu'ils envoyèrent à l'échafaud. Notre ami Paul Gaulot est allé chercher dans les dossiers du Tribunal révolutionnaire les noms et les histoires de quelques-unes de ces victimes, choisies parmi tant d'autres, et il nous raconte leurs aventures sinistres en des pages palpitantes de vie et d'émotion. Et c'est un modèle d'histoire anecdotique écrite en une langue excellente et simple, et c'est un document décisif contre la bande qui confisqua et déshonora la Révolution. 18. 318 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ANDRÉ DELAROGHE-VERNET 1870-1871 : Une Famille pendant la guerre et la Commune. Les hommes de ma génération s'intéressent pas- sionnément aux « histoires » racontées par les survi- vants de l'Année terrible, par ceux qui vécurent ces angoisses, ces douleurs et ces colères. Cette année que nous n'avons pas connue et qui pèse d'un poids si lourd sur la destinée de notre pays, et sur notre propre sort présent et à venir, excite en nous une curiosité insatiable où il y a, tout à la fois, un puéril désir de souffrir et de trembler rétrospectivement avec les enfants de ce temps-là et un sentiment plus mâle et plus noble de souvenir douloureux, d'espérance obsti- née. Le livre publié par M. André Delaroche-Vernet nous offre une précieuse moisson de ces histoires. Ce sont les lettres écrites pendant la guerre et la Com- mune par M. Philippe-Grégoire Delaroche-Vernet et par sa femme, née Marie Talbot; elles racontent sim- plement, presque au jour le jour, ce qui a été vu, ce qui a été ressenti dans une famille de Parisiens placés, par les circonstances et par leur situation, dans des condi- tions leur permettant de voir quelquefois un peu plus loin que d'autres. Et vous éprouverez, en les lisant, ce sentiment dont je parlais tout à l'heure; il n'y a là aucune révélation historique, mais ce qui est raconté « a été vécu, senti, souffert, par ceux qui ont écrit sous l'impression des malheurs qui étreignaient alors la France ». OCTOBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 319 EMILE BERGERAT iSonvenirs d'un enfant de Paris. (5me volume : 1879-1884.) Voici le volume de ces charmants Souvenirs d'un enfant de Paris. A petits pas nous nous rapprochons du temps présent, ce sont déjà les années 1879 à 1884. Ces années-là, nous les avons connues, et leur prestige s'en trouve un tantinet diminué; petit enfant, nous avons regardé les images de Daniel Vierge et feuilleté la Vie Moderne, nous avons entendu parler des obsè- gues de Gustave Flaubert et regardé celles de Gam- betta; même le Voltaire et son feuilleton fameux furent familiers à nos yeux d'écolier curieux. Ce ne sont plus dès lors les « belles histoires » de jadis qu'on écoutait bouche bée à la table de famille, mais ce sont de belles histoires tout de même qu'Emile Bergerat évoque avec infiniment de talent, de grâce et de verve. Je voudrais bien vous parler longuement de ce joli volume, mais j'ai épuisé toutes mes épithètes en l'hon- neur des deux qui l'ont précédé; je me contenterai de vous dire le plaisir qu'il m'a causé, un plaisir où il y a un brin de mélancolie, une mélancolie qui ira sans doute en s'accentuant à mesure que les années passeront et que les Mémoires d'Emile Bergerat avanceront, se rapprocheront de nous et viendront me prouver que le temps dont je suis est d'âge à avoir son histoire. Ce petit accès de mélancolie fera bien rire d'ailleurs l'auteur des Souvenirs d'un Enfant de Paris, qui remercie, dans sa préface, le public d'optimistes qui leur fit un accueil si favorable. « Il n'est pas à douter, ajoute-t-il, que j'en doive le bénéfice à la bonne humeur où je m'efîorce de les maintenir, sans peine d'ailleurs, car elle est innée en moi, j'ai honte à mon âge de le 320 LE MOUVEMENT LITléRAIRE dire, et la vie me Ta laissée, avec les cheveux, sa flo- raison peut-être. » DUGUÉ DE LA FAUCONNERIE Souvenirs d'un Vieil homme. Dans ces Souvenirs d'un Vieil Homme, M. Dugué de la Fauconnerie nous raconte, avec un grand luxe de détails personnels, treize ans de l'histoire politique française, de 1866 à 1879. J'ai lu, avec cette émotion dont je vous parlais l'autre jour, les pages palpitantes de M. Dugué de la Fauconnerie sur la guerre de 1870 ; les jours qui la précédèrent : la constitution du ministère du 2 janvier; ceux qui la suivirent : de 18,71 à la mort du Prince Impérial. Il y a là une foule de renseigne- ments pris sur le vif qui m'ont prodigieusement inté- ressé et qui seront utiles, je pense, aux historiens. Il y a aussi une explication de la vie politique de M. Dugué de la Fauconnerie, une sorte de plaidoyer pro domo, une affirmation de la doctrine à laquelle il resta im- muablement fidèle. Enfin, M. Frédéric Masson, saluant le retour de l'enfant prodigue, a donné au livre de M. Dugué de la Fauconnerie une préface tout à fait remarquable; vaste profession de foi politique où il n'a pas négligé de dire leur fait au Parlementarisme et aux Parle- mentaires. « A quoi une nation ne survit point, c'est au règne des Parlementaires, à la mise en oubli de tous les principes sur lesquels repose une société, à l'abolition de toute autorité légitime. Le Parlementa- risme est oppresseur au profit de la classe qui donne mandat aux parlementaires : habitués des loges et des comités, populace de petits bourgeois, marchands de vin ou tenanciers retirés, épiciers ou vétérinaires en exercice, instituteurs, usuriers de campagne, petits OCTOBRE. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 32t propriétaires, gens sans instruction, sans imagination, sans générosité, qui se sont mis à être athées entre deux absinthes, et à être républicains parce qu'ils ont absorbé la République ». Ce parlementarisme qui est oppresseur est nécessairement corrupteur : « le but du parlementaire, son but unique est d'être réélu, pour quoi il ne néglige rien : il se fait des créatures, n'im- porte comment, n'importe avec quoi, pourvu qu'ils votent; il se forme une clientèle qui ne puisse pas lui échapper. » Tout cela est bien sévère, mais avouons que des ora- teurs comme ceux du congrès de Tours font bien tout ce qu'ils peuvent pour justifier une telle opinion... ERNEST DAUDET La Chronique de nos jours. M. Ernest Daudet, historien éminent à qui nous devons tant de belles pages sur les hommes et les hoses du passé, travaille aujourd'hui pour les histo- I iens de l'avenir. Sous le titre : La Chronique de nos jours, il a réuni, des « Notes et souvenirs pour servir à l'histoire ». Ce sont des récits du temps présent publiés à l'époque même où s'accomplirent les événements qu'ils rappellent. « Ecrits, nous dit M. Ernest Daudet, sous l'influence qu'exercent sur nous les péripéties publiques, si fréquentes et si diverses dans les temps où nous sommes, et à l'aide d'informations puisées aux sources les plus sûres, ils n'ont guère d'autre mérite que celui de l'exactitude. » Ils ont, en effet, ce mérite, mais n'en déplaise à M. Ernest Daudet, ils ils en ont d'autres : ils sont très vivants, merveilleuse- ment documentés, écrits en un beau langage; une foule de personnages de la vie politique, artistique, litté- 322 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE raire contemporaine y sont campés en des traits déci- sifs, et c*est Casimir-Périer, Ismaïl Pacha, la reine de Portugal, le général Saussier, Timpératrice d'Autriche, la maréchale de Mac-Mahon, le duc de Broglie, Thiers, Gambetta, Bismarck, le cardinal Perraud, Montalem- bert, Guillaume II, tant d'autres encore. Ce sont des pages captivantes, toutes pleines de renseignements précieux qui seront consultées plus tard avec profit par ceux qui aiment à pénétrer dans les dessous des événements et dans les coulisses de la vie contempo- raine. VICTOR GIRAUD Maîtres d'Autrefois et d'Aujourd'hui. M. Victor Giraud publie sous le titre: Maîtres d'Au- trefois et d/ Aujourd'hui une série d'essais d'histoire morale et littéraire sur Montaigne, Chateaubriand, Saint-Beuve, Taine et sur Brunetière; sur Sully- Prud- homme et Angellier et sur Gabriel Hanotaux. Dans une brillante préface, l'écrivain revendique ce titre d' « essais » et il précise le sens de ce vieux mot que Montaigne a rendu célèbre et qui, quoi qu'on en pense généralement, est très modeste; « l'auteur qui l'emploie n'a pas la prétention d'épuiser un sujet ou une ques- tion. Un livre vient de paraître qui traite un sujet sur lequel on croit avoir certaines clartés : on essaie le livre; on essaie l'auteur; on essaie après lui, le sujet qu'il traite ; on essaie les idées que le livre suggère ; on s'essaie soi-même au contact d'une personnalité étran- gère ». Et si l'on sait s'y prendre, ces essais successifs ou simultanés peuvent « fort bien servir à l'instruction, au divertissement, à la rêverie des honnêtes gens ». M. Victor Giraud a très bien « su s'y prendre ?> : il nous a donné sur ces maîtres une série d'études d'une ÔCtOBRË. — HtSTOÎRË, LÎTTéRAtURÈ, EÏC. 323 belle tenue littéraire tout à la fois avenantes et pro- fondes, intermédiaires entre les brillantes improvisa- tions du journalisme et les gros volumes écrits par des spécialistes et pour des spécialistes, qui s'adressent à ceux qui veulent s'instruire sans trop d'efforts et qui pourtant ont gardé le goût du recueillement intellec- tuel. AUGUSTIN HAMON Le Molière du Vingtième Ifiècle : Bernard Shaw. Bernard Shaw est un auteur dramatique dont le nom est très fameux et l'œuvre fort peu connue chez nous : les quelques représentations qui nous furent offertes sur des scènes parisiennes ne peuvent, avec les meilleurs intentions du monde, donner qu'une idée assez lointaine de ce talent si complexe, si particulier. En attendant que nous puissions lire ces œuvres dans ' leur texte et les voir représenter tout à fait dans leur esprit, voici un très solide ouvrage où M. Augustin Hamon entreprend de nous expliquer Le Molière du Vingtième Siècle : Bernard Shaw. Le Molière du ving- tième siècle ! c'est un bien gros mot et un bien grand nom. Contentons-nous de constater qu'une bien intéres- sante et remarquable figure se dessine dans l'œuvre de M. Hamon et qu'après l'avoir lue nous avons une fière envie de connaître vraiment cette œuvre. C'est le souhait que forme l'auteur : « Je souhaite, dit-il, dans son épitre dédicatoire à Shaw, créer parmi ceux qui le liront le désir et de lire et de voir jouer vos comédies. Je souhaite faciliter le travail des critiques appelés à juger des pièces bâties avec la technique classique, qu'ils ont oubliée. Je souhaite susciter parmi la jeunesse littéraire de langue française, des admira- 324 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE teurs de votre théâtre et des disciples. Il en résultera pour les lettres françaises et Tart dramatique un grand service, car la renaissance du classicisme, nécessaire à la rénovation théâtrale, ne pourra se faire que lorsque des écrivains de langue française suivront la voie que vous avez rouverte. » GUSTAVE LANSON Trois mois d'enseignement aux États-Unis. M. Gustave Lanson, qui est allé parler récemment de la France et des lettres françaises aux Américains, réunit ses observations en un volume intitulé Trois mois d'enseignement aux États- Unis. Ce livre écrit en un fort beau langage, Tauteur Toffre aux Américains plus encore qu'aux Français : « Je ne puis me flatter, après trois mois de séjour, d'apprendre l'Amérique aux Fran- çais; mais je puis montrer aux Américains comment a réagi ma nature française en présence de lem' civili- sation. J'ai confiance, dit-il à ses amis de New-York, de Boston et des autres villes, que si vous jetez les yeux sur ces pages, vous saurez découvrir ma sympathie dans ma sincérité. Il était fatal que certaines choses étonnassent un esprit façonné par une éducation fran- çaise, choquassent des habitudes formées par la vie française. J'ai dit tout comme je l'ai vu, comme je l'ai senti, sans déguisement, et sans prétendre d'ailleurs avoir raison dans mes étonnements et mes malaises. » Vous voyez que ce livre, écrit pour les Américains, intéressera vivement les Français, dont la curiosité des choses d'Amérique a été mise en éveil par notre ami Jules Huret et par tant d'autres après lui. MÉMENTO DU MOIS d'OCTOBRE 325 MÉMENTO DU MOIS D'OCTOBRE ROMANS Broquetona (Jean des). — L'Amour meurt. Delavelle (Henri). — L'Ile enchantée. Gill (Mary). — Les Légendes slaves. Le Mière (Marie). — Roman d'âmes. Magog (H.-J.). — L'Enigme de la Malle rov^e. Maryan. — Aviour d'un testament. Meunier (M™e Stanislas). — La Princesse ennuyée. Moneœur (Eveline). — L' Incomparahle. Puy busqué (Berthe de). — Les lointains s'éclairent. Roubaud (Louis). — Le Rose et le Chris, recueil de nouvelles précédé d'une préface d'Henry Bataille. Sales (Pierre). — Le Docteur Miracle. Zaidan (G.). — La Sœur du Calife, roman traduit de l'arabe par MM. Bitâr et Monlié et précédé d'une préface de M. Claude Farrère. HISTOIRE. — LITTERATURE THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS Alexinsky (Grégoire). — La Russie moderne. Bœttcher (M™^ F.), — La Femme dans le Théâtre d'Ibsen. Bonnal (Ed.). — Wellington général en chef (1808-1814). Burke (Edmond). — Réflexions sur la Révolution Française (traduction de M. Jacques d'Anglejan). Cheffaud (P.-H.). — George Peele (1558-1596). Chuquet (Arthur). — Quatre généraux de la Révolution, « Hoche, Desaix, Kleber, Marceau » (Suite). Clerc (Charles). — Les Oasis, des poésies que couronnèrent cette année le prix de Sully-Prudhomme. Combette (Dominique). — Les Pèlerins d'Emmaûs, poèmes. Daoremont (Henri). — Poèmes Ardennais. Dante. — La Divine Comédie, une très intéressante traduction de M. Ernest' de Laminne. Davis (Le Révérend E. W. L.). — Chasses aux loups et autres chasses en Basse- Bretagne (traduction du comte René do Beaumont). Duboscq (André). • — Budapest et les Hongrois : le pays, les mœurs, la politique. M. René Millet nous dit, dans une 19 326 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE préface, l'intérêt et l'importance de ce petit livre. Les Hongrois valent la peine d'être étudiés, ils sont infiniment séduisants, braves et généreux, et pour tout dire, leur tem- pérament rappelle beaucoup le nôtre et « cependant, nos institutions démocratiques ne cesseront pas de leur ins- pirer une antipathie instinctive, et, d'autre part, l'alliée de la Russie leur sera toujours suspecte ». Escalle (Lieutenant C.-P.). — Les Marches dans les armées de Napoléon, volume préfacé par le Général Niox. Eudel (Paul). — De tout un peu, « derniers mélanges ». Faguet (Emile). — Fontenelle, « textes choisis et commentés ». Goudeau (Emile). — Poèmes à dire, nouvelle édition publiée par M. Jacques Ferny. Gourmont (Kemy de). — Promenades littéraires (quatrième série), « Souvenirs du Symbolisme et autres études ». Gros (Gabriel- Joseph). — La Beauté du Ciel, poèmes. Hauterive (Ernest d'). — La Police secrète du Premier Empire. Henriot (Philippe). — La Clairière aux Sources, poésies. Kipling (Rudyard). — Parmi les Cheminots de Vlnde (traduc- tion de M. Albert Savine). Lacaze-Duthiers (Gérard de). — La Liberté de la Pensée. Le libéralisme, le modernisme, le féminisme, le pragmatisme, les conflits de classes et le syndicalisme, l'action directe et l'action légale, le parlementarisme et le socialisme, la phi- losophie de l'inconscient, la littérature d'idées, tel est l'ob- jet, le vaste, l'immense objet des méditations de M. Lacaze- Duthiers, qui a étudié ces problèmes avec beaucoup de science, de conscience et de hauteur. « Envisageons, conclut-il, l'avenir avec sérénité. Vivons le présent avec sagesse. Réfugions-nous dans le travail. Le remède qui nous préserve de la mort, c'est de nous efforcer de créer le plus d'art possible pour nous-même et pour les autres. C'est de nous absorber dans une œuvre hautaine et désin- Lafontaine (Capitaine Claude). — A travers Vlnde. Laloy. — La Solution de trois énigmes : « le Masque de fer, Jacques Stuart de la Cloche, l'abbé Pregnani » avec un appendice sur « Raoul de Marsilly, sa conspiration, son procès et son supplice ». Laugel (Anselme). — La Culture française en Alsace. Laurent (Gustave). — Notes et Souvenirs inédits de Prieur de la Marne. Le Senne (Camille) et Guillot de Saix. — UEtoile de Seville, la version française et intégrale que les auteurs ont fait représenter du chef-d'œuvre de Lope de Vega. Lindenberg (Paul). — Charles I^^, roi de Roumanie. Luppé (Comte Mayol de). — La Captivité de Pie VII, d'après des documents inédits. Masson (P.). — Marseille et la Colonisation française. Matienzo (J.-N.). — Le Gouvernement représentatif dans la République Argentine. Maurel (André). — Paysages d'Italie. M. A. Maurel qui s'est fait de l'Italie une fort enviable spécialité, et dont les MÉMENTO DU MOIS d'oCTOBRE 32l « Petites Villes d'Italie » ont été considérées par beaucoup comme une révélation, entreprend aujourd'hui une pro- menade de Florence à Naples en passant par Volterra, Sienne, Montepulciano, Pienza, Ostie, Palestrina, Gaëte, etc., etc., paysages racontés en des tableaux dont l'ensem- ble constitue un guide tout à fait original. Noailles (Vicomte de). — Episodes de la Guerre de Trente ans : le Maréchal de Guebriant (1602-1653). Ollivier (Emile). — Histoire de VEmpire libéral (suite) : « Les derniers Moments ». Le Suicide : « Wœrth, Forbach, Ren- versement du Ministère ». Pellisson (Maurice). — Atta Troll. L'écrivain à qui nous devons une si intéressante traduction des « Chansons et poèmes » et du « Romancero » de Henri Heine, tente aujourd'hui la transcription en rimes françaises de cette œuvre exquise, profonde, et si intensément significative, poèmes fantasti- ques où l'on respire la vie intime de la mystérieuse Alle- magne. Bien difficiles à traduire, quoique le génie de Henri Heine y apparaisse si près de nous ! M. Maurice Pel- lisson s'en tire avec beaucoup d'adresse, de grâce et une science merveilleuse de la langue allemande. Pilon (Edmond). — La Fontaine, « textes choisis et commen- tés ». Pimodan (Comte de). — Les Fiançailles de Madame Royale, fille de Louis XVI, et la première année de son séjour à Vienne. L'auteiu* consacre à Marie-Thérèse-Charlotte, Ma- dame, fille du Roi, ce touchant et joli volume dont il a trouvé les éléments dans les Archives impériales et royales de Vienne, copies prises à la poste par les soins de la police autrichienne, et qui semblent d'une absolue fidélité. Ce volume met en lumière la figure mélancolique de la mal- heureuse captive du Temple, et « donne d'heureuses pré- cisions sur son caractère, ses rapports délicats avec la Cour de Vienne, qui aurait voulu lui taire épouser un archiduc, et avec son oncle Louis XVIII, qui se montrait jaloux d'af- firmer, aux yeux de tous, amis comme ennemis, ses titres de chef de la Maison de France ». Chaste roman d'une exilée qui força le respect dans les situations difficiles où le sort la promena, et dont la destinée fut peut-être infé- rieure à son rêve secret. Plantet (Eugène). — Mouley Ismxiël, empereur du Maroc, et la princesse de Conti. Rebillot (Général Baron). — Souvenirs de Révolution et de Guerre, Révolution de 1848, guerre de Crimée, guerre de 1870-1871. Reinach (Salomon). — Cornélie ou le latin sans pleurs. En un ravissant petit volume qui, avec sa couverture de maro- quin rouge écussonnée d or, a tout à fait l'air d'un prix de Concours général en miniature, M. Salomon Reinach nous offre la plus gentille et la plus avenante des leçons de latin. Comme nos grammaires latines do jadis font piètre figure à côté de ce gracieux volume et comme j'envie les jeunes gens qui apprendront le latin sous une telle férule 1 Qu'ils 328 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE en profitent au moins : aucune éducation esthétique ni littéraire ne tient lieu de celle que donne la sagesse romaine. M. Salomon Reinach n'a pas enseigné seulement dans ces deux cents petites pages les rudiments de la langue latine « il a tenté, en choisissant ses exemples, d'insinuer dans l'âme de la jeunesse studieuse quelque chose de la plus grande école de vertu qui fût jamais ». Rocheblave (S.). — Agrippa d'Aubigné. L'auteur a naguère publié un fort attrayant volume sur l'œuvre d' Agrippa d'Aubigné. Mais Agrippa d'Aubigné ne fut pas seulement un grand écrivain français, ce fut un héros; mieux: un héros de roman; et son historio^aphe nous raconte aujourd'hui la vie de ce héros. Ce livre où il n'est pas un trait qui ne soit pris dans la réalité, pas une anecdote qui ne soit rigoureusement vérifiée, est palpitant comme un roman de cape et d'épée; les événements s'y précipitent avec rapidité, car le livre est ramassé et concis, mais « l'a- brégé d une grande vie est peut-être d'autant plus saisis- sant qu'il est plus sommaire. Son caractère en prend d'au- tant plus de relief. Et la leçon d'héroïsme y apparaît écrite en plus gros caractères ». Rousseau (Henri). — Guillaume- Joseph Chaminade, fondateur des Marianistes, volume préfacé par Mgr Baudrillart, rec- te\ir de l'Institut catholique de Paris, où l'auteur étudie « le Réveil religieux au lendemain du Concordat » (1761- 1850). Saix (Guillot de). — Voir Camille le Senne. Séché (Léon). — Le Cénacle de Joseph Delorme : « Victor Hugo et les poètes » (de Gromwell à Hernani), « Victor Hugo et les artistes ». Seitier (Joseph). — Visions ensoleillées, croquis pris de la frontière marocaine au sud algérien. Soc (Pierre). — L'Arbre, poème. Soulié (Gre orges). — Essai sur la littérature chinoise. Stendhal. — Vie d'Henri Brulard, une belle édition publiée par M. Casimir Stryienski de cette autobiographie de Stendhal dont il nous apporta, voici quelque vingt ans, la révélation, chef-d'œuvre devenu aujourd'hui à peu près introuvable. Strowski (F.). — Montesquieu, « textes choisis et commen- tés ». Tessan (François de). — Promenades au Far- V/ est. « Il n'est pas entré dans mon dessein, dit l'auteur, de synthétiser en un seul volume l'ardente et mobile beauté des provinces du Pacifique, non plus que de décrire cette ample comédie en cent actes divers qu'offre la vie dans le Far- West. Au hasard de longs vagabondages, j'ai seulement brossé une série de tableaux qui m'ont paru typiques et j'ai noté quel- ques-uns des traits significatifs des jeunes populations qui sont marquées d'une originalité particulière dans le monde américain ». Et il ajoute qu'il sera particulièrement charmé d'avoir attiré vers le Far- West quelques regards français. « Ils n'y trouveront pas seulement, dit-il, l'exemple des vertus étrangères, mais aussi de l'énergie de nos compa- MÉMENTO DU MOIS d'oCTOBRE 329 triotes qui défendent là-bas nos traditions et notre dra- peau ». Tessandier (Aimée). — Souvenirs (recueillis et rédigés par M. Henri Fescourt). Tschudi (C. de). — L'Impératrice douloureuse, un, livre, traduit de l'allemand par M. H. Heinecke, où l'auteur évoque l'image émouvante et la vie dramatique d'Elisabeth, impératrice-reine d'Autriche-Hongrie, si grande par ses malheurs, par sa beauté, par son intelhgence et par sa fin tragique. Turquan (Joseph). — Madame Récamier (nouvelle édition). Wilde (Oscar). — Nouveaux essais de Littérature et d'Esthétique (1886-juin 1887) (traduction de M. Albert Savine). Willey (Pierre). — Les Sources d'idées au XVI^ siècle. Zurlinden (Général). — Souvenirs depuis la guerre (1870-1901). NOVEMBRE LES ROMANS ROMAIN ROLLAND « Jean Christophe ». La Nouvelle Journée La Nouvelle Journée est le dixième et dernier volume de « Jean Christophe ». Voilà donc achevée cette œuvre magistrale si souvent admirable, et universellement admirée : c'est une date importante dans l'histoire de la littérature contemporaine. Au moment où toute la cri- tique salue ce monument littéraire, je ne puis résister au désir de rappeler que sa naissance — cette « aube » si émouvante et si belle — ne fut célébrée que dans le premier volume de cet ouvrage? où l'on n'hésita pas devant le mot de chef-d'œuvre, un mot que l'avenir ratifiera sans nul doute, mais qui, à l'époque, ne fut guère répété, à peine entendu. Il fallut, en effet, des années pour que l'œuvre patiemment poursuivie, escortée d'admirations étrangères, s'imposât au public et à la critique. Ce dernier volume est l'un des plus beaux ; il appro- che — sans l'égaler — la perfection émouvante du pre- mier qui reste le chef-d'œuvre d'une série admirable. C'est le soir apaisé d'une journée si tumultueuse, si âpre, si douloureuse; Jean Christophe ne juge plus la NOVEMBRE. — LES ROMANS 331 société, et c'est heureux, car ses jugements furent sou- vent injustes; les orages sont passés, il a pardonné à ses ennemis, et même, ce qui est plus louable encore — et plus difficile — à ses amis. Il retrouve en Italie, dans cette Italie qu'il découvre en des pages lumineuses, une femme, Grazia, que nous avions déjà entrevue et dont nous apprenons à mieux connaître le fin visage, le cœur délicat et profond. Il la retrouve avec joie : une amitié très tendre les unit qui, imperceptiblement, devient un profond amour; mais la vie de nouveau les sépare. Grazia meurt loin de son ami, et Jean Chris- tophe passe une fois de plus à côté du bonheur. 11 se résigne doucement, contemple avec une indulgence apaisée la vie autour de lui, "et s'emploie avec ferveur à une dernière bonne action : Tunion du fils de son ami Olivier et de la fille de son amie Grazia. Et puis, il meurt très doucement dans la joie, dans la sérénité, dans la foi retrouvée. « Oh ! joie de se voir disparaître dans la paix souveraine du Dieu qu'on s'est efforcé de servir toute sa vie ». C'est l'étape finale, ce n'est pas la fin. « Seigneur, dit-il, n'es-tu pas trop mécontent de ton serviteur : j'ai fait si peu ! Je ne pou- vais faire davantage. J'ai lutté, j'ai souffert, j'ai erré, j'ai crié. Laisse-moi prendre haleine dans tes bras pater- nels. Un jour, je renaîtrai pour de nouveaux combats ». Et le grondement du fleuve et de la mer bruissante chantèrent avec lui : « Tu renaîtras. Repose. Tout n'est plus qu'un seul cœur. Sourire de la nuit et du jour enlacés ». C'est le final de la symphonie, final apaisé, plein d'espoir et de sérénité. « Musique qui berças mon âme endolorie, musique qui me l'as rendue ferme, calme et joyeuse — mon amour et mon bien, — je baise ta bouche pure, je cache mon visage dans tes cheveux de miol, j'appuie mes paupières qui brûlent sur la paume douco de tes mains..., et I)lotti sur ton cœur, j'écoute Je b.'it I crridif de ]i\ vif éf <'rfH'll<' », 332 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE JULIEN BENDA L'Ordination. Vous vous souvenez de VOrdination, ce beau livre, ce mince cahier si gros de pensées, où M. Julien Benda nous conta l'histoire de Félix qui avait lutté désespé- rément contre cette pitié envahissante qui est la mort et qui, enfin, avait remporté la grande victoire, sacri- fiant douloureusement son amie Madeleine, immolée à sa pensée. Il a longuement pleuré, mais il a vaincu; la vie intellectuelle qu'il a découverte, la vraie vie, il pourra se donner à elle tout entier; il connaîtra l'é- treinte passionnée, permanente, exclusive, les semaines entières passées à creuser un concept sans penser à autre chose, l'action fiévreuse de ce creusement, les transes de l'échec et les joies du triomphe, et la féconda- tion haletante de l'idée par l'idée. Cette pleine ivresse de la vie intellectuelle, il la con- naît d'autant mieux qu'il a réglé la question de l'amour, qu'il en a fini avec l'aventure, car il a compris que l'es- prit exigeait l'inattention de la chair et que le mariage s'imposait. Il s'est marié. Des années ont passé : il vit, auprès de Clémence, sa femme, et de sa petite fille Suzanne, la vie qu'il a rêvée; assuré par cette double présence du calme et de la paix nécessaires au travail de sa pensée qu'il poursuit, la nuit, dans sa chambre, loin, très loin, des deux êtres qui vivent sous son toit. Et voilà qu'un jour, un mal soudain ayant atteint sa petite fille, il s'est aperçu qu'il aimait; il a lutté contre ce sentiment qui l'arrachait au monde de ses pensées : en vain ! Il a connu « l'amour » qui nous ramène aux bêtes, l'amour qui nous dégrade. Toutes ses vastes pen- sées, toutes ses théories profondes se sont écroulées devant cela ; l'inquiétude d'un père qui voit souffrir une NOVEMBRE. — LES ROMANS 333 petite fille. Il a tenté encore de se replonger dans ses livres, dans ses pensées. Mais, c'est fini, il est perdu, il a sombré dans la chair, il a aimé son enfant comme les êtres qui rampent, comme les êtres qui broutent; demain, il ne sera plus qu'une chose qui aime; il est chassé du ciel des élus, du ciel des grands solitaires qui scrutaient la nature du Nombre et du Mouvement, du grand penseur romain qui méditait dans la nuit sur la nature des choses, des grands moines vraiment morts à tout amour créé et dont la foi non informée en charité cherchait le sens de Dieu et non pas son amour. C'est « la chute »... Ai-je su, en ces quelques lignes, — où j'ai d'ailleurs assez souvent passé la parole à l'auteur, — vous don- ner une idée de la grandeur, de la beauté de ce drame pathétique? Je n'en suis pas très sûr, mais si j'ai pu du moins vous faire soupçonner qu'il y avait là une œuvre très belle, d'une pensée vaste et profonde, exprimée en un noble langage, je me tiendrai pour satisfait. CHARLES-HENRY HIRSCH Le Sang de Paris. Le Sang de Paris est un livre considérable : l'écri- vain a voulu qu'il marquât une étape décisive dans la carrière que jalonnent Eva Tumarche et ses amis, cette manière de chef-d'œuvre, la Demoiselle de Comédie^ et Nini Godache pour ne citer que ces trois beaux livres entre tant d'autres. H a cette fois haussé le ton, élargi sa manière : ce n'est plus une de ces images à l'eau- forte dont nous avons dit souvent la puissance et l'âpreté, c'est une vaste fresque, et pour employer le familier langage des rapins « une grande machine » où palpite et grouille le peuple de Paris. 19. 334 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE La maison de La Villette où se déroule le drame est évoquée avec tous ses locataires et sur tous ses paliers comme celle de Pot-Bouille, et les sombres jésuites qui le traversent nous font penser au Juif-Errant, avec l'as- sentiment de l'auteur qui a baptisé Ronin certain pape- tier affilié à la Compagnie de Jésus. Est-ce à dire que Le Sang de Paris doive quelque chose à Zola ou à Eugène Sue? Non, certes, et M. Char- les-Henry Hirsch ne fut jamais plus puissamment ori- ginal et personnel, mais ces noms cités vous donneront une idée de l'importance, de la complexité de ce roman, — et aussi de l'embarras du chroniqueur qui a lu ces six cents pages, qui a vécu ces drames, qui a connu ces héros et qui doit maintenant vous parler de tout cela en quarante lignes. Comment me débrouillerai-je au milieu de tous ces gens qui habitent les misérables logements de la maison où la pauvre M"^^ Lebain vient de mourir, laissant ses six enfants à son mari désespéré et à son aînée la petite Alice; où M"^^ Gibet, la sage-femme, exerce une dou- teuse industrie; où Gratien Jaclaude, le poète génial et alcoolique, agonise lentement ; où Mitoux, le jésuite laïc, pratique dans sa chambre, asile abstrait battu des vagues mystiques, les utiles pénitences; où potinent, caquettent, et voisinent dans la fraternité hostile des cités de faubourg, tous les autres locataires et aussi la concierge; — comment sans les trahir, vous dirai-je les aventures de tant d'autres gens mêlés au drame, de la sœur de M^^ Lebain, devenue sous le nom de Denyse de Ligneux une courtisane de grande allure, et de ses amis le vicomte de Forcerie « camelot du roi », et Gha- nus, l'illustre professeur... Heureusement, au milieu de tant d'aventures, entre tant de personnages, une figure apparaît qui domine tout le drame, et qui nous permettra de dégager la pen- sée du romancier; c'est celle d'Alice Lebain, une petite bonne femme de treize ans dont la mort de M^^ Lebain NOVEMBRE. LES ROMANS 335 a fait une maman. Cette gamine a deviné la mission grave pour quoi elle a la première dormi dans le berceau où, après les trois garçons qui s'y étendirent successive- ment, couche à son tour la petite Berthe avec sa poupée de bois; et elle accepte cette mission comme une petite héroïne. Pour défendre, pour élever les cinq enfants qui lui furent confiés, elle déploie toute seule, contre tous, contre le père lui-même, que la mort de sa femme a dévoyé, des trésors de vaillance, de volonté, d'intelli- gence; elle est admirable cette « enfant héroïque en qui coule le sang de Paris », et l'histoire de ses trois ans de lutte, de travail, d'humble courage est vraiment pathé- tique et belle et ressemble fort à un chef-d'œuvre. Elle suffirait à placer très haut le livre tout entier où M. Charles-Henry Hirsch a « voulu glorifier cet héroïsme quotidien des humbles d'où naît l'universel rayonne- ment de la cité ». GEORGES COURTELINE Les Linottes. Après un long silence, M. Georges Courteline nous revient avec un livre tout neuf, paré d'une jolie couver- ture et d'un gracieux titre : Les Linottes. C'est un vérita- ble événement que cette rentrée en scène d'une grande vedette de l'esprit parisien et de l'esprit français, un événement attendu avec impatience, avec anxiété aussi. Comment allions-nous retrouver notre Courte- line après un si long temps passé sans le lire? Un peu changé? Envahi par la sagesse morose? Nos craintes se sont vite dissipées : c'est bien le Courteline de Boubouroche qui nous raconte « les Linottes », ces oiseaux étourdis et dépourvus de juge- ment qui, sur la couverture, s'ébattent en un vol éperdu 336 LE MOUVEMENT t,ITTÉRAIRE autour des ailes des moulins de Montmartre ou qui, mués en une Parisienne aux pieds menus et cambrés, descendent la butte d'un pas désinvolte. Tête de linotte, Robert Gozal, le poète qui aime éper- dument Marthe Hamiet et la trompe sans vergogne avec Anita, la blanchisseuse, et se désespère de cette « erreur »; tête de linotte, Hour, le musicien, prix de Rome, s'il vous plaît, dont la carrière se résume en deux mornes chutes : Servage, épopée tragique, repré- sentée à rOpéra, et intentionnellement traitée en opé- rette; la Main chaude, opérette bouffe, jouée aux Fo- lies-Dramatiques, et débordante d'âpre érudition et d'insipide solennité; ce musicien est complété par une amie, la jeune Hélène, voyou enjuponné de dix-sept à dix-huit ans qui lui fait endurer les pires tourments et qu'il répudie définitivement au moins trois ou quatre fois par mois. Tête de linotte encore, Hamiet, ce gros homme toujours à l'affût de quelque trouvaille abra- cadabrante : « de même la mission d'un arbre fruitier est de porter des noix, des cerises ou des pêches, de même la mission d'Hamiet était de porter des idées, toujours inappliquables, il est vrai, mais toujours ori- ginales, puisées aux sources, aux seules sources d'une imagination délicieusement absurde ». Linotte toujours, Gûtlight, bailleur de fonds de Hamiet, qui présente à l'observateur « l'image d'un homme qui joindrait la passion du jeu de tonneau à l'art de toujours mettre à côté de la grenouille. Né et grandi à même les lingots paternels, il marche vers la noire purée d'un pas tranquille et sûr de soi, par un chemin que borde, main tendue, une double haie d'es- crocs, de faiseurs, de rêveurs ». Linottes, tous ces per- sonnages, tous ces rêveurs, tous ces amoureux et toutes leurs victimes. Hs s'ébattent dans le livre de Courte- line et nous donnent la plus spirituelle, la plus invrai- semblable et la plus vraie des comédies; nous nous amusons follement, nous sourions, parfois nous rions NOVEMBRE. — LES ROMANS 337 aux éclats, et puis nous nous prenons à penser, nous trouvons entre ces fantoches et nous des traits de res- semblance : nous sommes tous peu ou prou des linottes, et Georges Courteline est un bien sagace, bien profond et bien spirituel observateur. LÉON DAUDET Le Lit de Procuste. Ce « roman contemporain » est une œuvre curieuse et forte qui n*a qu'un grave défaut pour le chroniqueur c'est d'être tout à fait rebelle à l'analyse. Si je vous contais l'aventure amoureuse de Jean Langlade et d'Eliane; celle de Tavel, le célèbre écrivain idolâtre de la forme verbale, et d'Epervant, le vieux philosophe millionnaire et libertaire; si j'évoquais sous vos yeux le phalanstère anarchiste de Comberouge, et l'attentat perpétré par deux de ses pensionnaires contre la Bourse; si je vous disais enfin l'anecdote de ce roman tumultueux, je parviendrais — peut-être, et ce n'est pas très sûr ! — à vous donner une idée de son intérêt, de la vie ardente qui l'anime, mais je trahirais sûrement la pensée de l'écrivain. Le vrai drame, en effet, que ce livre veut évoquer, c'est un drame intellectuel, philosophique, social; c'est la lutte entre deux théories également décevantes : celle de l'art pour l'art, et celle de l'art pour le peuple ; le vrai drame, c'est l'évasion de deux êtres sains un instant ligotés, altérés dans ces théories, et sauvés par l'amour. Jean Langlade s'est échappé de ce lit de Procuste où l'avait couché son maître Tavel, « lit de la grammaire, de la syntaxe, du dictionnaire », où il l'étendait tour à tour et le réséquait pour lui donner la taille qui con- vient, la seule bonne à sa guise ; Eliane, de son côté, a .'Î38 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE compris rinanité des conceptions de son généreux père, Martial Epervant, conceptions périmées, bâtar- des, qui prêtent le flanc aux critiques imbéciles et ne peuvent faire le bonlieur de personne, pas même de leur inventeur. Libérés tous deux, rentrés dans la norme et dans la tradition, Eliane et Jean se sont mariés devant M. le Curé et devant M. le Maire, ce qui est beaucoup plus simple, plus sûr et moins vieux jeu que l'union libre ! Ils vivront désormais; si Langlade écrit, ce sera pour donner une voix à l'inexprimé, ce sera surtout pour défendre la race par le langage. Ni matérialiste, ni réa- liste, ni spiritualiste ; vivant, telle sera sa devise; ils vivront, et quand l'inquiétude les prendra devant tout ce qui disparaît, ils se ressaisiront en songeant à ceux qui naîtront... LOUIS PERGAUD La Guerre des Boutons (( Roman de ma douzième année ». M. Louis Pergaud, à qui ses « histoires de bêtes », De Goupil à Margot, valurent naguère le prix Goncourt, nous raconte en un nouveau livre, « Roman de ma douzième année », la Guerre des Boutons. Les héros de cette aventure sont des garnements de douze ans, petits paysans natifs de deux villages limitrophes de Lon- geverne et de Velran. Comme il convient entre voisins si proches, une grande hostilité divise les Longevernes et les Velrans qui se sont déclaré une guerre sans merci et vont, chaque soir après la classe, se livrer des batailles homériques au cours desquelles on échange des injures et des coups de pierres. Sous l'impulsion d'un général de douze ans, Lebrac, NOVEMBRE. — LES ROMANS 339 chef des soldats de Longeverne, la guerre prend, cer- f ain jour, une tournure nouvelle : non contents d'échan- „^or des injures et des coups, les combattants décident de soumettre les prisonniers que le sort des armes fera tomber entre leurs mains à un traitement particulier <(ui consistera à les dépouiller systématiquement de tous les boutons qui garnissent leur chemise, leur tricot, leur veste, leur culotte; — de tous les crochets qui retiennent leurs pattes de pantalons, des agrafes de leur blouse, des cordons de leurs souliers, de l'élastique de leurs jarretières. Ainsi dépenaillé, le pauvre garçon ;iux trois quarts dévêtu, s'enfuira sous les huées de ses nnemis et trouvera, par surcroit, en rentrant à la mai- son, une raclée vengeresse de la mère indignée. Telle est la guerre des boutons. Elle se déroule en trente épisodes tragi-comiques, narrées en une langue d'une rare verdeur, car M. Louis Pergaud, qui faisait parler ses bêtes avec quelque retenue, n'a pas eu les mêmes scrupules pour ses jeunes héros. Aussi bien, il met son livre sous l'invocation de François Rabelais qui en garde le seuil avec cette épi- graphe : « Cy n'entrez pas, hypocrites, bigotz, vieulx matagots, marmiteux, borsoufïez ». La précaution n'est point inutile : les hypocrites, les bigotzs, et les marmi- teux feront bien de s'enfuir et d'emmener avec eux les personnes à l'oreille délicate que les gros mots, trop souvent répétés, risquent d'offenser un peu. M. Louis Pergaud ne se soucie guère de leurs pudeurs qui sous leur hypocrite manteau ne fleurent trop souvent que I névrose et le poison ». « Foin des purs latins, nous dit-il, — et l'on sait de reste que la culture latine le laisse assez froid ! — je suis un Celte. C'est pourquoi j'ai voulu écrire un livre sain, qui fût à la fois gaulois, (•pique et rabelaisien; un livre où coulât la sève, la vie, I enthousiasme; et ce rire, ce grand rire joyeux qui devait secouer les tripes de nos pères : buveurs très illustres ou goutteux très précieux ». Et de fait, il y a 340 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE dans cette évocation d'enfants, poussés en pleine nature, à peine touchés par la discipline incertaine de récole primaire, une vie, une intensité, une vigueur extraordinaires; j'aurais tout de même mieux aimé ces pages si je n'avais été gêné par tant de vilains mots souillant des bouches enfantines. ALFRED MACHARD Les Cent Grosses « Épopée au Faubourg ». C'est à Louis Pergaud, déjà nommé, que M.Alfred Machard offre les Cent Gosses, relation de « l'Épopée au Faubourg», qu'il dédie également « à la vraie marmaille de Paris, celle des sales mômes, des mal-mouchés, etc. » Et voici, campés en face de leurs petits camarades des campagnes, les mioches de nos faubourgs parisiens. Je les préfère, sans doute parce que je les comprends mieux, les ayant vus de plus près. Ils sont, d'ailleurs, aussi mal embouchés que les garçons du village et aussi batailleurs; seulement, la guerre ici se complique de politique, de religion. Et c'est, dans deux rues voisines, les élèves de la laïque et ceux de Saint-Pamphile, l'école des frères, qu'elle met aux prises. Guerre épique, guerre féroce, avec des épisodes de sauvagerie, comme le martyre d'un petit chien, commandé par un nommé Trique, chef reconnu des mômes de la laïque. Ce Trique est le gavroche de notre temps : au risque de paraître un peu pompier, j'avoue que j'aimais mieux l'autre, celui qui mourait sur les barricades, tanjlis que Bastouille, un autre gavroche, victime de l'épopée des Cent Gosses, trouve la mort au fond des fortifs, le soir d'une bataille acharnée, entre les mômes de Saint-Pamphile et ceux de la laïque. Les garçons et les filles qui passent dans cette épopée, I NOVEMBRE. — LES ROMANS 341 OU dans les petites histoires qui la suivent, n*ont pas beaucoup de cœur; ils sont cruels, ils sont sournois, ils >ont lâches parfois, presque autant que des hommes. Et pourtant, on ne peut se défendre pour eux d'une grande tendresse : ils ont la grâce invincible et souveraine de l'enfance, ces gosses de Poulbot, aux joues creuses, au teint pâle, mal vêtus, mal lavés, et qui savent déjà tant de vilains mots et tant de vilaines choses, nous avons tout de même un grand désir de les embrasser, nous sommes pour eux tout remplis d'une pitié attendrie; mais M. Machard, lui, ne s'attendrit pas : il n'a pas, en face de ces gosses, l'émotion profonde de M. Léon Fra- pié et nous lui en voulons un peu de ne pas partager ce sentiment que son art si poignant, si humain, si vrai, su faire naître en nous. FÉLICIEN GHAMPSAUR La Caravane en folie. C'est l'histoire tumultueuse et frénétique de Guy de Lavor, intrépide explorateur qui a emmené sa jeune femme, Ariette de Rocheneuve, dans la périlleuse expé- dition qu'il commande au delà de Tombouctou-la- Mystérieuse. Digne femme d*un tel héros, Ariette a mérité le surnom de Freïa, la valkyrie impétueuse, que lui a donné son mari. Et tous deux s'aiment avec une frénésie abondante et passionnée, qu'exaltent sans resse le danger, l'aventure, le désert. Cette frénésie a gagné la petite troupe dont Guy de Lavor est le chef; Freïa, toute seule à la tête de tous ces hommes primitifs, est environnée de désirs, et c'est « la caravane en folie », derrière la valkyrie qu'aime aussi éperdument, désespé- rément, un ami d'enfance, l'enseigne de vaisseau, Jean 342 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Prcvot qui, par une autre route, rejoindra tout à Theurc la caravane. M. Félicien Champsaur a évoqué ce drame intime, ri cette épopée passionnelle, avec un luxe extraordinaire de vives couleurs, une débauche d'images chatoyantes, en un livre qui semble, lui aussi, parfois affolé, dont les chapitres vont en avant, reviennent en arriére, chantent le soleil, proclament Tamour, rêvent sur les tombes, et finissent tout de même, comme la caravane, par courir vers le but, « comme un torrent franchit les monts et les plaines pour gagner l'Océan, en dépit des embûches, des dangers, des morts, des lâchetés, des crimes, des ruts et des sacrifices ». GEORGES OHNET Le Revenant. Dans ce nouveau roman, M. Georges Ohnet nous raconte une de ces « bataille de la vie » que sa féconde imagination a tant de fois déjà évoquées sans lasser jamais l'émotion et l'intérêt d'un public palpitant et fidèle, dont l'avant-garde est formée par les lecteurs mêmes du Figaro, auxquels fut réservé, il y a quelque trente ans la primeur du fameux Maître de Forges, et qui, cet automne, attendaient chaque matin la suite du Rei^enant. Entre ces deux romans, que de « batailles » livrées,, que de victoires remportées dont la dernière ne sera pas la moins brillante. Ce succès persistant s'explique par les raisons les plus légitimes et les plus solides. M. Georges Ohnet reste un romancier de la vieille école, de la bonne, celle qui exige avant tout un lièvre dans le civet, un sujet dans le roman; les écrivains à court d'idées qui, en des livres de trois cents pages, s'efforcent, èous prétexte do roman, NOVEMBRE. — LES ROMANS 343 i nous donner des leçons de style ou de philosophie, iQurront railler la familiarité de sa prose et de sa pensée ; Is ne convaincront pas le lecteur, qui va tout bonne- ment à qui sait le distraire ou l'émouvoir; le véritable Amphitryon reste pour lui l'Amphitryon où l'on dîne, et le bon romancier celui qui a vraiment une histoire à raconter. Celle de la duchesse de La Tour d'Avon et de son mari, revenant inattendu après seize ans d'absence, et qui rentre à la maison en maître pour sauver sa fille et par surcroît sa femme, est très attachante, très meublée, fertile en incidents émouvants et dramatiques. Elle a pas- sionné les lecteurs du feuilleton du Figaro, elle passion- nera aussi ceux du livre qui seront séduits par la figure d'Elise, vierge forte et tendre, acharnée à la défense de I tn bonheur et de sa dignité. Reposante image d'honneur l d'énergie, à côté de la honteuse faiblesse d'une mère itnoureuse, et de l'ignominie d'un Don Juan prêt aux plus vilaines combinaisons. Tous ces héros, et les per- sonnages qui gravitent autour d'eux : le Père de Postel, f Louis Courcyer, et le vieux duc de La Tour d'Avon .-ont vivants, évoqués par M. Georges Ohnet avec une conviction, une sincérité, une émotion très communi- atives. GEORGES BEAUME C3a>rien Galissart, lauréat du Conservatoire. Ce Cyprien dont M. Georges Beaume nous conte les iventures est ^un garçon roussâtre et mince, d'assez haute taille, qui possède une fine moustache dorée, des yeux de demoiselle, bleus et sensuels, il est né natif de Coulobres, en Languedoc, et le Conseil municipal de sa ville a découvert en lui un gi'and musicien dont il ' onvient de soigner le génie en l'envoyant, nanti d'une 344 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE somptueuse pension de douze cents francs, vers ]a grand'ville et son Conservatoire. Des déboires artisti- ques et une victoire amoureuse l'y attendent : il ne remportera que de maigres succès dans sa classe, mais il conquerra le cœur d'une jeune personne qui s'appell* Marguerite Sablier; il conquerra même sa main, mais non sans de grandes difficultés et il lui faudra aller jusqu'à l'enlèvement pour vaincre la résistance de son père. Tout s'arrange enfin: les deux époux retournent, sous la conduite de la vieille maman de Cyprien, à Coulobres et ils emmènent le père reconcilié de Marguerite dans l'humble petite ville languedocienne; ils mèneront là une vie paisible et heureuse, ayant dit adieu aux rêves de gloire. Tout cela est très bien, non dénué d'une phi- losophie facile et souriante. M. Georges Beaume s'est amusé en écrivant son histoire, et nous faisons comme lui en la lisant. GASTON RAGEOT A l'Affût. Œuvre fouillée, âpre, dramatique, où l'auteur de la Renommée a mis tout son talent d'observation dans l'étude d'une âme paysanne sombre, rancunière, sim- pliste et complexe tout à la fois. Louveau est un garde- chasse, il vit dans son pavillon, niché au milieu de la forêt d-e Perseigne, sur les confins de la Normandie et du Maine, auprès de sa femme Catherine. Louveau, qui a dépassé la quarantaine, est en extase devant cette jolie fille de vingt-cinq ans, si douce, si travailleuse, si jolie à voir; il est ensorcelé, enivré d'amour. Mais Catherine, elle aussi, vient de connaître la'dou- ceur d'aimer qu'elle ne soupçonnait pas auprès de son NOVEMBRE. — LES ROMANS 345 mai'i : elle a écouté les propos galants de M. Landelle, le patron de Louveau, elle s'est donnée à lui émue et respectueuse, comme au seigneur. Louveau tout de ^uite a soupçonné son malheur et lorsqu'un enfant est venu au monde, il a été certain, et il a arraché l'aveu à sa femme. A partir de ce moment le garde-chasse, toujours res- pectueux devant le maître, s'est mis « à l'affût »; il a longuement, patiemment, médité sa vengeance, et quand l'enfant, adoré par sa mère, protégé par son paiTain — car Landelle est son parrain — est devenu un homme, il lui a fait, sournoisement, cruellement, comprendre le secret de sa naissance. Le jeune garçon abuse de ce secret : il multiplie les exigences, il accumule les fautes, et il finit par se rendre coupable dans la mai- son de commerce de Landelle, où il fut pris comme employé, d'un vol de cinq mille francs. Landelle, excédé, ne veut plus réparer; il se refuse à pardonner cette nouvelle faute; mais sa femme, malade et dolente, qui a tout compris depuis des années, l'oblige au pardon. Mais au moment où il apporte la nouvelle de ce par- don, un coup de feu retentit, le cadavre du jeune homme, est rapporté sanglant* et, devant la mère qui hurle sa douleur, et qui dit en sanglotant : « Mon petit i^^ars, mon petit gars qui s'est tué !... » Louveau sort des broussailles profondes, son fusil en bandoullière et dit posément : « C'est point lui qui s'est tué. C'est moi qui l'ai tué. » Cette sombre histoire, que mon analyse rend nécessairement un peu sommaire, est tout à fait dra- matique, et M. Rageot en a ménagé les effets avec beau- coup d'art et de talent. 346 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ROBERT DE TRAZ Les désirs du Cœur. Ce roman pourrait se résumer en quelques lignes : Philippe Marandon au cours d'un séjour en Italie a connu la belle comtesse Narnia; son imagination s'est enflammée, il l'a aimée, — ou il a cru l'aimer, ce qui revient au même, — il a obtenu d'elle les suprêmes faveurs et puis il s'est aperçu que les désirs de son cœur n'étaient point satisfaits : la comtesse est partie pour une lointaine croisière, et Philippe est allé rêver mélan- coliquement dans la paix harmonieuse de l'église basse de San-Francesco-d'Assise. Après avoir lu ce résumé, vous connaîtrez vaguement l'histoire, vous ne saurez rien ni du drame, ni de son véritable sujet qui est une curieuse analyse d'âme éten- due en trois cents pages toutes remplies de recoins, d'ombre et de contradictions. L'aventure de Philippe était fatale : c'est un garçon dont les désirs ne peuvent mener qu'à des déceptions; dans son âme « il y avait un élan continuel, une curio- sité pressante, un désir sentimental toujours éveillé, et un effort constant pour s'imposer la croyance à ce qu'il imaginait. Mais il avait beau y croire, il savait que c'était un mirage. Il en souffrait à certains moments. Il aurait tant voulu que ce fût vrai. Et voulant éteindre sa soif avec des eaux vaines, son gosier sec le brûlait toujours ». Et vous voyez que ce garçon, abstracteur de quintessence, pourrait être fort à plaindre s'il n'était pas insupportable avec le culte constant, atten- dri, éperdu de son moi. Il nous est bien difficile de nous passionner pour les amours d'un héros de ce genre qui n'aime vraiment bien — ou plutôt mal — que lui-même. M. Robert de Traz nous conte cette aventure, analyse NOVEMBRE. — LES ROMANS 34? .'tte âme, évoque des décors de beauté, en des pages élégantes, raffinées qu'il « offre à M. Jean-Louis Vau- doyer ». JEAN BERTHEROY Les Chanteurs florentins. Avec les Chanteurs florentins, M"ie je^n Bertheroy nous offre une de ces histoires romanesques où elle excelle à faire revivre avec tant de gi'âce un passé loin- tain. C'est dans la Florence du xv^ siècle, celle de la Re- naissance et des Médicis, que se déroule la touchante liistoire du pauvre Benozzo, élève du vieux maître Da- vid, et qui ayant étérecueilli jadis par charité aux Inno- onti montre un front rasé au milieu de ses camarades aux longues boucles. Benozzo, heureusement pour lui, a trouvé, dans le cloître voisin, un grand ami, le moine Fra Giovanni, si doux et si tendre qu'on l'a surnommé Va Angelico »; il va le voir souvent, il s'extasie devant ses chefs-d'œuvre, et il décide qu'il sera un peintre célèbre, car seul un grand artiste peut être digne du cœur de Lucrezia, dont Benozzo est devenu éperdument amoureux. Et, contre toute espérance, malgré la riva- lité de Sandro, le fils du riche banquier, Lucrezia, la petite vierge florentine aux cheveux d'or, aux yeux étroits, où brille une flamme avivée sans cesse, Lu- crezia aux lèvres minces, aux joues en fleur, lui appar- tiendra. Comme pour attester l'étonnante souplesse de son talent d'évocation, M™e Jean Bertheroy fait suivre cette aventure florentine du xv^ siècle d'une belle his- toire qui se déroule trois cents ans plus tard, en 1814, dans le port d'Antibes : c'est celle de l'Enfant Septen- trion. Jean-Antoine Moscodi, touchant et gracieux 348 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE éphèbc qui fait penser au jeune danseur antique sur la tombe duquel s'inscrivit cette épitaplie : Bidiio saltavit et plaçait. Jean- Antoine qui est amoureux veut mon- trer qu'il est un homme et il s'enrôla dans l'armée de Napoléon au retour triomphal de l'île d'Elbe, et quel- ques mois plus tard, Elisabeth sa fiancée reçoit le sou- venir de Jean-Antoine tombé à Waterloo... GEORGES POURGEL Un Bohémien passa. Le roman de M. Georges Pourcel est une œuvre bien curieuse, attachante, inégale, toute pleine de qualités précieuses et contradictoires et dont les défauts souvent semblent être voulus, et sont dans la note. Truculente, romanesque, parée d'oripeaux trop voyants, elle est en même temps d'une observation morne, profonde, méti- culeuse; elle tient des origines de son héros, fils hasar- deux d'un bohémien et d'une paysanne, cette allure si curieuse, un peu déconcertante, où il y a de la diablerie et de l'humanité. Un bohémien passa, certain jour, dans le village de Pruny, il y séduisit une fille et l'abandonna. La fille quitta son village et mourut à Rodez en donnant le jour à un enfant qui fut élevé par l'Assistance publique. Cet enfant c'est Amédée Lestang, notre héros. Il pré- sente dès son enfance un singulier mélange de dou- ceur et de brutalité, d'humilité et d'orgueil; son humeur aventureuse l'entraîne à ia fuite, et il s'en va aux mines de Cransac ; à Paris, où il est tour à tour apprenti pâtis- sier, télégraphiste, groom d'hôtel et garçon coiffeur; à Marseille, à Naples, à Palerme, en Egypte, en Tripoli- taine, en Algérie, où il fait cent métiers divers. Ayant ainsi obéi aux impulsions irrésistibles de ses origines NOVEMBRE. — LES ROMANS 349 bohémiennes, il éprouve le besoin de se reposer enfin : il a vingt ans ! Et c'est maintenant sa mère qui « rêve en lui » : elle rêve le port de doux refuge, le petit coin de terre, l'humble village perdu, les joies calmes des foyers unis, l'église et le cimetière. Et Amédée rentre au village maternel, il épouse une belle jeune fille du pays, Rose, la Rouzou, et il installe sur la place du village un caba- ret qui sera en même temps un salon de coiffure. Les affaires prospèrent, Rouzou est en extase devant son mari, le village tout entier subit Tascendant de sa faconde de beau parleur et de sa vive intelligence; il est en passe de devenir un paysan bourgeois, maître et maire de son village. Mais le bohémien veille en lui et Je lance dans des aventures. Une fois, c'est une brune bohémienne aperçue à la fête qu'il enlève et avec la- quelle il disparaît trois ans durant; puis il revient au bercail, accueilli par la Rouzou toujours en extase et toujours amoureuse. Quelques années après, c'est une fille du village qu'il séduit. Nouvelle disparition de dix-huit mois, nouveau retour au foyer. Il a maintenant quarante ans; il est resté très jeune, très séduisant; il règne dans sa boutique où sa femme, vieillie avant l'âge, le regarde toujours avec admira- tion; sur le village où toutes les femmes sont subju- guées, tous les maris résignés. La Rouzou attend avec angoisse une nouvelle escapade; elle ne tarde pas à se I)roduire : le bel Amédée enlève l'institutrice du village, Mlle Rival. Il disparaît une fois encore et c'en est fait de la joie de Pruny ; « le meilleur charme, la plus claire joie se sont envolés, les hommes sont mornes et les femmes, dès qu'elles n'injurient plus, muettes ». Aussi quelle fête lorsque Amédée, une fois encore, revient au village, seul, ayant abandonné sa pauvre petite amie qui s'est suicidée ! On l'acclame, on le porte en triomphe, et il goûte tout entière l'ivresse de la domination, ce don Juan de village qui a déjà deux 20 350 LE MOUVEMENT LITTERAIRE cadavres dans sa vie, et « pourtant, il n'était ni plus égoïste ni plus méchant que les autres hommes, sim- plement une fatalité pesait sur lui, supérieure à sa volonté, et seulement parce qu'un soir un bohémien était passé au fond d'un village perdu ». MARC ELDER Marthe Rouchard, fille du peuple. Marthe Rouchard, fille du peuple, est une gracieuse jeune fille de dix-sept ans, à la blonde beauté, fille affinée, instruite, d'un brave ouvrier, Francis Rouchard et de sa femme, jadis gracieuse midinette, aujourd'hui grasse ménagère occupée aux soins de son logis et à la lecture des romans feuilletons. Le père et la mère sont en extase devant la jeune fille qu'ils ont voulu instruire, élever; elle fréquente une pension presque élégante, elle a son brevet élémentaire et prépare son brevet supérieur. Francis Rouchard dépense sans compter le salaire honorable que lui vaut sa situation de chef monteur à l'usine pour embellir et parer Marthe ; sa mère, en admiration, elle aussi, est la servante de cette petite bourgeoise, lorsqu'une catas- trophe vient bouleverser ce paisible ménage : au cours d'une grève qu'il n'approuvait pas, Francis Rouchard a été pris dans une charge de cavalerie, écrasé sous les sabots des chevaux. Tout de suite le parti ouvrier s'empare de son cada- vre, ses obsèques sont l'occasion d'une grande mani- festation socialiste, et Marthe, impressionnée par les déclamations de Marcel Bargeois, l'organisateur de la grève, sent s'éveiller en elle la haine irraisonnée du patronat, du capital, le désir des vengeances. Elle est à merveille servie par les événements. NOVEMBRE. — LES ROMANS 351 Charves, le patron, est un brave homme, jeune encore, qui décide de donner à la jeune fille la seule aide que puisse accepter sa dignité hostile : il lui offre une place, lui confie l'instruction de son fils Hubert, un petit gar- çon de dix ans dont la mère est morte. Et voilà Marthe dans la place ; peu à peu elle se rend compte de l'impres- sion profonde produite sur le maître par &a beauté; elle se sait aimée, et, confusément, elle comprend qu'elle va pouvoir faire souffrir le riche, l'ennemi. Elle quitte sa maison et accorde sa main à Marcel Bar- geois. Mais Charves, éperdument épris, ne peut se faire à l'idée de cette séparation, il offre à Marthe de l'épou- ser, et celle-ci reprenant sa parole à son fiancé, épouse l'industriel. C'est la victoire; elle fait souffrir à son mari mille tourments de la jalousie, s'ingénie à le ruiner en de folles dépenses, et s'allie à Bargeois devenu un grand chef du parti ouvrier pour fomenter une grève qui sera fatale dans l'usine de son mari. Entre temps elle a été séduite par le charme juvénile d'Hubert, son élève d'autrefois, et le malheureux Charves la surprend certain soir tragique dans les bras de son fils; il s'enfuit, court à son usine en pleine révolte et se laisse assassiner par ses ouvriers. Hubert s'enfuit lui aussi, et disparaît. Et Marthe veuve, à peu près ruinée, ne songe plus ni I la fortune perdue, ni à ses haines sociales, elle pense obstinément, désespérément à l'adolescent disparu, et lui crie son amour dans des lettres passionnées qui ne lui parviendront pas. Telle est cette histoire, dramatique, émouvante, où vous pouvez découvrir sans effort un sens philosophi- que et social. 352 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE MAURICE OLIVAINT Les derniers Oiseaux. M. Maurice Olivaint, poète harmonieux et inspiré, dont je vous ai signalé déjà les Poèmes de France et de Bourbon, les Poèmes de France et d'Algérie publie aujour- d'hui, sous le titre : les Derniers Oiseaux, un livre qui est, je crois bien, son premier roman. C'est encore l'œu- vre d'un poète épris de belles couleurs, d'horizons pit- toresques, habile à les évoquer dans le scintillement des mots artistement rangés. Et c'est Tahiti, l'île aux oiseaux de rubis, d'émeraude et de saphir, avec ses guerriers armés de dents de requins, au visage peint en rouge et noir, aux casques d'osiers ornés de plume de paille-en-queue; avec ses adolescents couronnés de feuillages, ses belles jeunes filles en robes roses, et son jeune roi Otou dont on célèbre l'avènement dans un grand déploiement de fêtes et de rites cependant que les perruches, les cardinaux et les bengalis, emportés par la joie populaire, caquettent, sifflent, et gazouillent sur les tamanous, s'enfuient en un fifrelis de feuilles et de plumes, égayent l'azur d'un éblouissement de pierreries. Dans ce cadre prestigieux de couleurs et de soleil, une idylle charmante se déroule entre le jeune guerrier Hinoto et Tévaoura, la gracieuse maoria de Mooréa, l'île voisine. Idylle, hélas ! interrompue par les tristesses de la guerre : les deux îles entrent en lutte et les Tahitiens vainqueurs débarquent à Mooréa. Pour sauver sa bien- aimée, Hinoto la fait prisonnière, mais une loi a décidé la mort des prisonniers et Hinito connaît l'horreur d'avoir à sacrifier lui-même son plus cher trésor. Il ne voudrait plus maintenant que mourir, mais on l'appelle sur le rivage : une prophétie terrible faite par un vieillard lors de l'avènement du roi Otou est en train NOVEMBRE. — LES ROMANS 353 de s'accomplir : le vieillard a prédit qu'un jour vien- drait où une pirogue maudite apparaîtrait et où pour jamais les oiseaux s'envoleraient emportant loin de Tahiti Tâme tahitienne. Voici, en effet, une pirogue d'une grandeur prodigieuse qui s'avance sous de larges voiles, les maories la contemplent avec épouvante et les bengalis éblouissants, les perruches- admirables, les cardinaux de pourpre, les maucodes à gorge d'or cou- vrent la surface d'azur, emportés par une force incon- nue. Tout le peuple aérien s'éloigne vers l'Occident en faisant courir sur la mer une ombre immense. Et Hinoto regarde l'âme maorie s'évanouir avec la fuite des der- niers oiseaux. Et c'est une belle histoire, mélancolique et pioignante, un étrange roman qui ne pouvait être écrit que par un poète. MARCEL BATILLIAT La Liberté. La Liberté ! C'est un bien beau mot que celui-là : il sonne à nos oreilles la plus joyeuse, la plus enivrante des fanfares, il évoque à notre esprit enchanté l'image d'une vie sans entraves, sans restrictions, avec ses larges routes et ses petits sentiers suivis à notre gré, à notre heure. La Liberté ! Mot délicieux vraiment, mais ce n'est qu'un mot. Telle est la conclusion qui s'impose à nous après la lecture du roman de M. Marcel Batilliat placé sous cette décevante invocation. Ce n'est sans doute pas tout à fait le dessein qu'il formait; il n'a d'ailleurs pas songé à soutenir une thèse, il a voulu seulement montrer dans une histoire très vivante et humaine des êtres épris de liberté, d'indé- pendance, acharnés à la conquête de leur affranchisse- ment. Et c'est Félicienne, la femme du riche industriel 354 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Heurteloup qui brise ses chaînes d'or pour suivre Robert Sizeran dont elle est passionnément éprise, et c'est Josiane Si7,eran, étudiante en médecine, puis doc- toresse, qui vivra aussi sa vie et, sans souci des contin- gences et des convenances, aimera « librement » l'homme qu'elle a choisi, et c'est encore Régine de Terbes, la belle et riche affranchie qui ne veut point connaître les entraves sociales. Et de toutes ces libres amours deux enfants naissent, Stéphane et Huguette, qui devenus grands s'aiment à leur tour; après tant d'entraves brisées dans Texalta- tion, dans les drames, et dans les larmes, voici que pieu- sement ils vont renouer des liens... Et cet épilogue de sagesse et de philosophie, nous l'a- vions prévu dès le début quand, avec cet illogisme suprême qui est la logique des femmes... et des hommes, Félicienne se réjouissait de sa liberté si chèrement conquise parce qu'elle allait pouvoir enfin l'immoler de ses propres mains, la sacrifier à celui qu'elle aimait. « Cette liberté, je la désire je l'appelle pour me donner tout à toi, dit-elle à son ami. Je n'aurai d'autre volonté que la tienne, ta force sera ma force... » COMTESSE DE BAILLEHACHE Les Ombres passent. La comtesse de Baillehache, dont j'avais apprécié les précédents livres : Estelle et le Remorqueur, romans très « meublés » et très vivants, d'une heureuse et riche imagination, vient de publier un nouveau livre : Les Ombres passent, qui, nous en sommes avisés des le début, doit nous offrir une démonstration. A la première page, en effet, au cours d'un dialogue entre le héros Willem van Ameringen et son ami, l'oncle Jasper, nous NOVEMBRE. LES ROMANS 355 lisons cette phrase : « Notre vie est comme une grotte profonde à l'entrée de laquelle nous sommes debout, le dos tourné à la lumière. Au dehors est la vérité, et dans ce royaume passent des cortèges merveilleux. Ces cortèges, nous ne pouvons les voir, et leurs ombres seules se découpent à nos yeux sur le fond de la grotte. C'est la suite de ces images déformées que nous appe- lons la vie... » Et c'est l'histoire de Willem si merveilleusement doué pour la peinture, qui, sous l'égide du grand artiste français Rondat, quitte sa Hollande et s'en va étu- dier son art à Paris. Des déboires sans nombre l'y attendent : misères de cœur et misères d'argent; il est renié par sa famille, abandonné par sa fiancée, humi- lié affreusement par une jeune fille qu'il aime; il doit, pour vivre, composer dans l'ombre des chefs-d'œuvre que d'autres signeront, et il comprend enfin combien cette lutte est vaine, il dit adieu à la vie menteuse et à ses « ombres », il retourne vers la lumière : il entre au cloître et se fait moine. JEAN MELIA Le Triomphe de l'argent. Le Triomphe de l'argent ! M. Jean Melia nous démontre, dans son roman, que rien ne saurait l'em- pêcher, et qu'avec un nombre suffisant de millions, on est armé contre les plus effroyables circonstances. Ce n'est pas très moral. Je ne crois pas non plus que ce soit très exact, et j'espère que M. Jean Melia n'en est pas lui-même bien convaincu. L'histoire qu'il nous conte est cependant une très persuasive illustration de cette thèse fâcheuse. Voici : Justin Bécard est un richissime filateur, il possède 356 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE trente millions et il estime que tout doit plier devant lui. Il n'a qu'une faiblesse, sa fille Marguerite qu'il adore et qu'il a su d'ailleurs former à son image. Or, certain jour, Marguerite se laisse aller avec Emile Planquet, un employé de l'usine, à une irrépa- rable faiblesse, cependant que son père commet sur Adrienne Joret, la fille d'un vieil ouvrier, le plus odieux des attentats. La fille a connu le crime du père, le père a surpris la faute de sa fille : ils ne s'attardent pas en reproches superflus; n'ont-ils pas l'argent, ultima ratio, qui répare toutes les fautes et couvre tous les crimes. Pouf la fille, tout s'arrange à merveille : Emile Plan- quet est expédié au loin, et elle épouse René Jalat, un avocat plein d'ambition et de talent qui a connu sa faute et qui l'excuse. Pour le père, c'est plus difficile : Adrienne a un fiancé à qui elle a dit l'affreux malheur dont elle fut la victime, et ce dernier, après avoir — à peu près — renouvelé le crime du maître, veut se ven- ger : il tente de le poignarder, manque son coup et va se noyer. Justin Bécard, bon prince, offre alors beaucoup d'argent à Adrienne mais cette dernière, fièrement, refuse. La destinée arrange, d'ailleurs, les choses le mieux du monde, en faisant broyer l'infortunée Adrienne sous les roues d'une automobile qui ramène de leur voyage de noces Marguerite et son mari enivrés de puissance, d'argent et d'espoir. Et après un mo- ment de regret et d'attendrissement, ce digne père et sa fille conviennent que tout est bien. Tant que ce monde sera le monde, il y aura des écraseurs et des écrasés. Ils restent délibérément dans le camp des premiers : ils n'ont pas voulu se laisser aller, « ils ont résisté, repris le dessus : ils ont tout, puisqu'ils ont des millions et des millions. ».. NOVEMBRE. — LES ROMANS 357 MAURICE GUILLEMOT La Misère d'une Femme. La Misère d'une Femme,M. Maurice Guillemot a été bien discret en employant ce singulier, car les misères qui marquent l'existence de Reine Mahaut sont à la vérité innombrables et, au moment de vous raconter son histoire, je recule devant ce calvaire. Comment Reine Mahaut qui était, en 1869, une jeune fille riche, choyée, heureuse, meurt-elle quelques années après surveillante dans un asile d'aliénés, étranglée par une démente, Giselle, qui fut jadis son amie? Par quel concours de circonstances cette femme victime sans cesse de sa bonté et de sa générosité descend-elle tous les degrés de l'échelle sociale, en restant d'ailleurs tou- jours parfaitement honnête et pure? Il n'y a que M. Maurice Guillemot qui puisse vous expliquer cela, car il se meut avec une merveilleuse aisance au milieu de tant de péripéties généreusement accumulées par lui et qui auraient pu fournir à un auteur moins pro- digue la matière de deux ou trois romans feuilletons. HISTOIRE, LITTÉRATURE, SCIENCE, DIVERS. PAUL FRÉMEAUX Souvenirs d'une petite amie de Napoléon. M. Paul Frémeaux qui connaît admirablement les détails du séjour de Napoléon à Sainte-Hélène et qui nous a fait naguère un si poignant récit de ces derniers Jours de l'Aigle, ajoute à cette belle et tragique his- toire un chapitre bien touchant et bien joli : il publie les Souvenirs d'une petite amie de Napoléon. Ces sou- venirs, vous les connaissez, ce sont ceux de Betsy Bal- comb : ils furent publiés, dès 1843, en Angleterre où leur succès fut très grand, et plusieurs rééditions les ont répandus dans le monde, mais M. Paul Frémeaux les a très ingénieusement arrangés. Sans prendre avec leur texte aucune liberté, il y a mis un peu d'ordre et de précision, rectifié des inexactitudes et des erreurs de dates flagrantes. En outre, il les a fait précéder d'un vivant portrait de cette petite fille de quatorze ans, aux cheveux d'or blond et qui tremblait si fort lorsque Togre vaincu pénétra dans la demeure de son père, au début de son affreux séjour à Sainte-Hélène. Terreur passagère, car le grand Empereur et la petite fille furent bientôt les meilleurs amis du monde ; les espiègleries, les taqui» NOVEMBRE. ■ — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 359 neries de Tenfant firent parfois refleurir un sourire sur les lèvres du vaincu, et même il semble que Betsy, ayant grandi en taille et en beauté, un sentiment plus tendre ait fait battre pour elle le cœur de Napoléon. Gela doit suffire à faire vivre le souvenir de Betsy. Ses réflexions, ses souvenirs, ses remarques qui sont d'ailleurs souvent amusantes, primesautières, émou- vantes, appartiennent à l'histoire; et nous avons pour elle de l'attendrissement et de la piété parce que le grand Empereur durant sa captivité « daigna lui accor- der quelque attention, lui permit des familiarités, plai- santa et joua avec elle, parce qu'elle fut là-bas, dans l'île atroce, une fleurette qui charma un instant son regard sur le chemin du calvaire ». ETIENNE SALLIARD La Terreur à Poitiers. Dans un de ces livres d'histoire locale et d'histoire vraie qui apportent à la grande histoire une si précieuse et si vivante contribution, M. Etienne Salliard évoque, d'après des documents inédits ou peu connus, la Ter- reur à Poitiers. Et c'est un tableau horrible et palpitant des atrocités commises par les utilités de la Révolution. Pendant que les premiers rôles travaillaient à Paris, ces jacobins des départements n'eurent pas autant d'al- lure et ne conquirent pas une égale célébrité; ils méritent cependant d'être cloués au même pilori. Grâce à M. Etienne Salliard, nous connaissons désormais ceux de Poitiers : leurs faits et gestes nous sont racontés en des pages palpitantes, en des docu- ments incontestables; nous n'ignorons plus rien de ce beau politique qui disait plaisamment qu'il « ne suf- fisait pas de répandre le sang par pintes, qu'il fallait 360 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE en remplir des tonneaux »; ni de ce Chénevière qui estimait que tous « ces messieurs qui avaient de la fortune et des talents devaient être guillotinés et qu'il fallait réduire le nombre des habitants à huit millions ». Ce sont là des évocations nécessaires : les affreux jaco- bins des petites villes méritent leur part de célébrité et d'horreur, et, ainsi que le dit M. Funck-Brentano, dans sa vibrante préface, « puisque pour les punir, nous ne ' pouvons plus avoir recours qu'à la voix de l'histoire, que l'histoire tout au moins les flétrisse, de toute la force de son indignation ». VICOMTE DE GUICHEN La France morale et religieuse. M. le vicomte de Guichen poursuit son histoire si captivante de : La France morale et religieuse pendant la Restauration. J'ai dit déjà, lors de l'apparition du premier volume relatif au début de la Restauration, combien le point de vue de M. le vicomte de Guichen était nouveau. Celui qui vient de paraître et qui nous raconte la fm de la Restauration nous apporte bien d'autres surprises encore. Il en résulte que, sous le gouvernement de Charles X, considéré par l'immense majorité des historiens comme le plus clérical des régimes, l'Église a connu au contraire les plus grandes vicissitudes et subi les plus durs assauts. M. de Guichen porte sur le régime de la Restauration un jugement qui ressemble étrangement à ceux qu'ins- pire actuellement la politique religieuse de notre troi- sième République. « De 1815 à 1830, dit-il, une guerre perfide n'a respecté ni le Pape, ni l'Ëpiscopat, ni ces milliers de prêtres sans autres ressources que les quel- ques centaines de francs que l'État leur adjuge avec NOVEMBRE. — HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 361 parcimonie, ni même ces humbles religieuses, dont la vie s'écoule au chevet des malades ou des pauvres et qui, le soir, dans le silence de l'oratoire ou de leur cel- lule, suppliaient Dieu de pardonner à leurs ennemis. » Et ce ne sont pas les assertions d'un polémiste mais les inclusions d'un historien qui a longuement, sérieu- • ment, étudié les textes et qui — sans que nous puis- sions conserver le moindre doute sur ses opinions — s'est constamment efforcé à l'impartialité. LUCIEN ROURE Figures franciscaines. Le prestige du Poverello d'Assise est immense; à sa suite, les poètes, les artistes, les historiens, se sont pressés, avides de le contempler et de le peindre; pour M. Roure, son dessein n'a point été de refaire une fois de plus la vie de saint François d'Assise, il a voulu . seulement chercher comment le saint s'est formé et % s'est fait. Sa conversion, le caractère de sa sainteté, ? double sujet qui lui donne l'occasion « de pénétrer un des types les plus étonnants et les plus authentiques i' la sainteté catholique et en même temps de se demander si la psychologie contemporaine peut l'expli- quer en dehors du surnaturel ». Puis, après avoir étudié la réalité et le cadre du prodige qui marque saint François d'un caractère à part, le prodige des stigmates, il interroge avec la même préoccupation psychologique la douce et forte figure de sainte Claire. De saint Antoine de Padoue, il se demande quelle conception il convient de se faire dans l'état actuel de la critique historique. Il montre enfin, dans son épilogue, par un exemple tout à fait 21 362 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE impressionnant : les Stigmatines de Galluzzo, que Tes- prit franciscain est toujours vivant. PAUL HAMELLE La Querelle des Communes et des Lords. Les événements politiques qui depuis trois ans se sont déroulés outre-Manche ont une importance consi- dérable, et leur relation constituera quelque jour une page décisive de l'histoire d'Angleterre. Cette page, M. Paul Hamelle n'a pas jugé qu'il fût trop tôt pour tenter de l'écrire. En un volume sur la couverture duquel il a inscrit cette épigraphe : Quo vadis, Britan- nial il nous raconte : La Querelle des Communes et des Lords. M. Augustin Filon, dans sa préface, juge l'œuvre en ces termes : « Sous une forme dont la libre et familière ironie ne fait rien perdre à la sévère précision du récit ni à la pénétrante gravité des jugements, ces pages racontent la crise constitutionnelle dont l'Angleterre vient d'être le théâtre. M. Hamelle a-t-il fait œuvre d'historien en écrivant ce volume? A-t-il simplement recueilli les impressions d'un spectateur, très curieux et très amusé? J'ose dire, au risque de blesser sa modes- tie, que son livre participe de ces deux natures et réunit deux mérites très différents. On y trouvera l'im- partialité, l'exactitude documentaire, les larges vues de l'histoire ; on y trouvera aussi l'émotion d'un spec- tacle dont l'issue se fait attendre et ne se laisse pas prévoir. » Je n'ai pas cru pouvoir mieux faire que de copier ces quelques lignes : elles expriment très exacte- ment l'impression que m'a laissée le livre de M. Paul Hamelle et elles l'expriment beaucoup mieux que je n'eusse fait moi-même. ft NOVEMBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 363 PAUL D'ARISTE ET ARRIVETZ Les Champs-Elysées. J'aime beaucoup ces histoires si pittoresques, si instructives de rues et de quartiers parisiens : il n'est rien qui apprenne mieux, et de façon plus amusante, la grande histoire. Les plus humbles rues ont leur attrait, leur émotion, leur intérêt particulier, mais que dire des Champs-Elysées? Toute rhistoire de Paris passe par cette large avenue triomphale depuis les temps, pas si lointains, où elle s'appelait la forêt de Rouvray et où nos ancêtres y poursuivaient les animaux sauvages dont ils rappor- taient la dépouille dans leurs huttes sur pilotis de la rue de la Grange-Batelière. C'est au xvii™^ siècle que Marie de Médicis amorce la grande promenade en fai- sant planter le Cours-la-Reine... Et voici, à travers les temps, la place de la Concorde, témoin de tous les grands événements populaires, depuis les joyeuses foires Saint-Ovide jusqu'aux sanglantes hécatombes de la Révolution; le jardin des Champs- Elysées; le Cirque d'été; les Folies-Marigny ; la rue Boissy-d'Anglas où régnèrent les Grimod de la Rey- nière; l'avenue Gabriel avec ses hôtels historiques et ses : jardins somptueux; l'avenue d'Antin où languit la Dame aux Camélias; l'avenue Montaigne où M«^e t^I- lien régna dans la maison pompéienne; Mabille où dansèrent Pomaré et Céleste Mogador; le Rond-Point avec son Colisée; l'hôtel Le Hon et la Niche à Fidèle; et la longue avenue avec tous ses hôtels princiers; Chaillot avec le souvenir de la Vallière et de Sainte- Périne; le Château des Fleurs, et, enfin, l'Arc de Triom- phe, évocateur de tant de victoires, témoin aussi par trois fois de l'invasion. 364 h-R MOUVEMENT LITTÉRAIRE ANDRE BEAUNIER Chateaubriand. La Bibliothèque Française, instituée pour notre agrément, notre instruction et notre commodité, et qui met les œuvres compactes des grands écrivains à la portée de notre hâte et de notre paresse, s'enrichit de deux précieux volumes sur Chateaubriand, dont les textes ont été choisis et commentés par M. André Beaunier. Ce nom seul me dispense... et vous savez d'avance que ces deux volumes contiennent l'essen- tiel de l'œuvre de Chateaubriand, pieusement recueilli ' et choisi, commenté avec infiniment d'esprit, de science et de grâce. Les dévots de Chateaubriand, — qui sont rarement ses lecteurs, — trouveront sans doute que parmi tant de pages magnifiques, il y avait d'autres choses encore à citer, mais il fallait bien se borner pour que le présent recueil fût commode et agréable. Il est incontestable que nos contemporains, lorsqu'ils sont sincères, trouvent un peu nombreux les cinquante volumes de René, et c'est bien servir sa gloire que d'abréger pour eux cette « œuvre admirable, éloquente, bien colorée et, souvent, frivole à souhait ». « Il est pos- sible, ajoute M. André Beaunier, que nos neveux réduisent à un seul les deux tomes que voici. Nous avons de la peine à prévoir nos neveux. En tous cas, les connaisseurs s'attendent que la renommée de Cha- teaubriand soit, parmi celles du précédent siècle, l'une des mieux durables. » Le commentaire de M. André Beaunier est tout à fait captivant : il compose chemin faisant une biographie de ce grand homme, chose néces- saire, car « Chateaubriand n'est jamais absent de ses écrits, et il faut, après Rousseau, le considérer comme NOVEMBRE. HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 365 l'inventeur^de l'égoïsme littéraire qui a si remarqua- blement flori^depuis lors ». JEAN RICHEPIN De l'Olympe à l'Agora. M. Jean Richepin qui, en des conférences d*une élo- quence et d'un art merveilleux, a évoqué r« âme athé- nienne » devant les jeunes filles des Annales, réunit ses li^çons en un volume qu'il intitule : De l'Olympe à l'Agora. Et nous retrouvons là ces pages sur l'Olympe, sur les mystères d'Eleusis, sur les Oracles, sur V Iliade et y Odyssée, sur l'Agora, sur le bouillant Achille, sur Socrate, sur Platon, dont la lecture, ou plutôt l'impro- \ isation souleva l'enthousiasme de tant d'auditeurs enchantés. On pourrait croire qu'elles ont perdu un peu de leur prestige, privées de la voix si chaude et si prenante de l'orateur, de l'atmosphère d'enthousiasme créée autour d'elles; l'auteur lui-même n'est pas rassuré : il « n'a pas espéré que les pages du linceul en papier noirci con- serveront au verbe mort tous les frissons dont il palpite à l'air libre, par les inflexions et les timbres de la voix, le ballet volubile des gestes, le feu d'artifice des regards ». Ses craintes sont vaines : le livre a gardé toute la |)uissance et tout le charme du discours; c'est que ces pages si brillantes sont en même temps des pages solides, d'une érudition profonde, d'une forte pensée; elles ont gardé, en outre, une vie intense, car l'auteur n'a pas voulu y opérer la moindre correc- tion, en quoi il a eu bien raison; « elles n'ont pas été reprises ni reprisées, ces gueuses de plein air; elles ont, sans dout(;, des trous à leurs maillots de gymnastes et 366 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE de danseuses; elles gardent ainsi leur sincérité d'ini provisation, leur allure de parole animée. » CÉLESTIN DEMBLON Lord Rutland est Shakespeare. On vous avait dit déjà que Shakespeare n'était pour rien dans les chefs-d'œuvre qui ont immortalisé son nom; de très doctes démonstrations ont établi que l'auteur d'Hamlet, de Richard III et de tant d'autres chefs-d'œuvre n'était autre que Bacon. Cette révéla- tion était bien suffisante pour la satisfaction de nos curiosités, elle n'empêchait d'ailleurs ni le culte des Anglais à Stratford-sur-Avon ni l'érection de statues de Shakespeare sur les places publiques. Mais que va devenir tout cela, « maintenant que le grand mystère est dévoilé w.et que M. Célestin Demblon démontre en un gros volume. que Lord Rutland est Shakespeare. Et non content de l'établir en quatre cents pages, il démolit défmitivement le pauvre Shakespeare, auquel il ne laisse même plus son nom, car il l'appelle « Shax- per )) ou « Shagsbere ». Il nous trace de ce fils du culti- vateur ruiné de Stratford-sur-Avon le plus lamentable portrait : c'était un illettré qui ne savait même pas écrire son nom, très débauché, fort ivrogne, vaguement usurier et voleur. Pendant que Shaxper traînait ainsi son nom dans la boue. Lord Rutland composait, pa- raît-il, les chefs-d'œuvre qui immortalisèrent celui de Shakespeare... NOVEMBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 367 C. RAUCOURT Le Livre de Raison d'Elisabeth Renaut. Avec le Lii^re de Raison d' Elisabeth RenautM. G. Rau- court offre à une jeune écolière de ses amies et par extension à tout un public de jeunes gens et de jeunes filles une fort aimable et attrayante leçon d'histoire. La Révolution française nous fait l'effet d'une grande catastrophe qui bouleversa la France tout entière et pénétra avec ses désordres, ses excès et ses drames, dans toutes les villes, dans toutes les maisons. Ce n'est pas tout à fait exact : il y a une foule de petits bour- geois qui, tel Sieyès, « vécurent » pendant la tour- mente, et même menèrent une vie presque normale. Quelle pouvait bien être cette vie? Comment fut- elle influencée par les événements du dehors? C'est ce que tente de nous raconter le Livre de Raison, ce joli petit registre relié en veau avec de jolies tranches jas- pées et un fermoir d'argent que les parents d'Elisa- beth Renaut eurent l'heureuse inspiration de lui offrir au mois d'avril 1789, pour ses quinze ans. « Nous sou- haitons, lui dirent-ils, que ce petit registre soit le livre de raison de ta vie de jeune fille; tu prendras l'habitude de ne pas le remplir d'enfantillages et de puérilités; tu sauras choisir les événements qui méritent d'y être marqués. » Et voilà comment, du mois d'avril 1789 au mois de mai 1795, une jeune personne de quinze à vingt ans, habitant un paisible appartement de Saint-Germain, nous raconte la Révolution française. Vous pensez que pour entrer dans un tel cadre elle doit singulièrement se rapetisser, et que le récit — mêlé d'aventures per- sonnelles, d'un tendre sentiment pour un volontaire de l'armée du Rhin — est un peu sommaire, mais il 368 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE est gentil, agréable : c'est celui d'un témoin véridiqu» pleinement d'accord avec ce que révèlent les Archives locales et les Correspondances contemporaines, et il nous offre une image de ce que pensait, de ce qu< disait, de la vie que menait toute la masse des citoyens la foule anonyme qui, « elle aussi », nous dit l'auteur ~~ je crois bien : elle surtout ! — « constitue la Nation et dont l'influence obscure modifie l'allure des événe- ments, » PAUL ACKER Le Beau Jardin. Le Beau Jardin qu'évoque M. Paul Acker c'est l'Alsace, sa petite patrie dont la grande doit cultiver le charmant et cruel souvenir, l'Alsace inoubliable que Louis XIV salua en 1681, au moment où la monarchie venait de l'ajouter à la France, en criant : « Quel beau jardin ! ». En des pages poignantes, M. Paul Acker chante pour nous ses vertes prairies, ses champs de blé, ses hou- blonnières, ses vignes, ses forêts, ses routes plantées de quetschiers et de cerisiers et, ramassés dans la verdure, ses villages aux toits rougeâtres : toute sa magnificence et toute sa douceur. Avec une érudition qui se fait pieuse et attendrie, il étudie la question d'Alsace et nous enseigne notre double devoir de Français qui est, par notre tenue individuelle dans la province asservie, d'y faire aimer la France; et, rentrés en France de parler de l'Alsace, d'inspirer le désir de la connaître, de la faire aimer, de lutter pour elle. En bon Alsacien et en bon Français, il remplit ce devoir pour son compte : il nous dit Colmar, la ville alsacienne, digne, charmante, glorieuse, toute pleine d'un noble passé, brillante aussi d'art et de poésie; et NOVEMBRE, — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 369 Mulhouse, la grande ville industrielle d'Alsace, peuplée d'hommes véritablement dignes de ce nom, qui ont porté à un si haut degré les rares qualités de labeur opiniâtre, d'intelligence entreprenante, d'initiative originale, en qui se rassemblaient toutes les vertus des trois races, l'allemande, la suisse et la française, qui constituent ainsi ce caractère si spécial, le caractère inulhousien; et Metz la captive, fidèle au souvenir, sous la lourde armure d'acier dont l'a revêtue le vain- queur. Il nous dit encore le théâtre alsacien, ce théâtre de Strasbourg et de Colmar qui nous offre l'expression oncrète du désir ardent d'un petit peuple qui sent 11 lui-même une âme indépendante et veut conserver a littérature, sa tradition et sa nationalité; et c'est iifin la leçon de ce pèlerinage à Bitche, où nos jeunes uons peuvent et doivent aller chercher l'exemple de discipline et d'héroïsme des morts qui ont lutté jus- qu'au bout, puis sont tombés en ensanglantant la terre qu'ils défendaient — l'exemple de discipline et d'héroïsme des vivants qui, dans une lutte quoti- dienne, résistent aux vainqueurs et gardent le patri- moine de leurs pères, patrimoine d'honneur, de tra- vail et de gloire ». ALFRED GAPUS Mœurs du Temps. Ce livre d'Alfred Gapus est une œuvre délicieuse de grâce et d'esprit, une œuvre profonde aussi et qui restera Tune des plus captivantes, une des plus flat- teuses manifestations de l'esprit français de notre temps. Mais pourquoi m'ingénier en une vaine recherche 21. 370 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE d'épithètes : ce livre, vous Tavez lu, et tout Paris avec vous, page par page, dans ces délicieux « Courriers de Paris », que le Figaro a l'heureux privilège de vous apporter chaque lundi. Ces pages hebdomadaires, qui sont d'un grand journaliste, sont aussi. d'un bel écri- vain; en les discutant dans la fièvre des événements autour desquels elles sont nées, on se disait qu'elles valaient mieux que l'éphémère destinée d'un article de journal, on pensait au beau livre ainsi dispersé. Ce beau livre, le voici. Je viens de le lire, ou plutôt d'en relire chaque page, et je suis sous le charme : on ne saurait, en vérité, parer le bon sens de plus d'attrait et de séduction, on ne sau- rait avoir raison avec plus de grâce et d'esprit. Ces pages si spirituelles, si alertes, si vives, où les mots partent en fusée, où chaque trait porte à coup sûr, où les nuances sont ménagées avec un art extrême, sont divertissantes; mais elles ne sont pas que divertis- santes : elles sont aussi merveilleusement expressives de l'esprit français, un peu las des paradoxes, des équi- voques cultivées et des dangereuses chimères pour- suivies depuis des années en art, en littérature, en politique, épris de vérité et de santé, qui veut être Français et qui n'a pas honte de le proclamer... Mais, je m'arrête; je sens que, pour un peu, je tom- berais dans la « réaction ». Je m'y trouverais, d'ailleurs, en bonne et nombreuse compagnie, puisque c'est être réactionnaire de considérer avec Alfred Capus que le suffrage universel n'est peut-être pas l'origine de tout droit et de toute justice; de se méfier des gens qui réclament avec insistance une morale nouvelle et à qui l'ancienne ne suffît plus; de mépriser tout ce qui est criard, de n'être ni impressionniste, ni « temps nou- veaux », ni « droit au bonheur ». J^ vous le dis en vérité, la France tout entière sombre dans la réaction... NOVEMBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 371 ALBERT DAUZAT La Défense de la Langue française. M. Albert Dauzat prend la Défense de la langue fran- çaise. Elle a grand besoin d'être défendue, la pauvre ! Les réformateurs des programmes universitaires l'ont dépouillée de ses armes, et l'ont livrée sans défense à une multitude d'ennemis souvent inconscients, qui lui font subir les plus cruels outrages et risquent de trans- former cette belle, vénérable, et charmante personne, en une demoiselle en haillons, digne de son vilain nom : l'argot. Les temps ont bien changé depuis - le manifeste fameux où, il y a quatre siècles, Joachim du Bellay s'occupait déjà lui aussi, de la « defîense et illustration de la langue française ». Alors c'était contre l'omnipo- tence du latin, que la pléiade prétendait protéger le français; aujourd'hui, c'est contre l'abandon de ce même latin, de ses enseignements nécessaires qu'il faut protester, et contre le jargon envahissant. M. Albert Dauzat s'y emploie avec une énergique éloquence : il plaide la cause de la grande culture fran- çaise, il s'élève contre l'argot, celui des hommes de sport qui ont l'excuse de chercher pour des choses nou- velles des mots nouveaux, celui des gens du monde qui sont sans excuse. Il proteste enfm contre la tentative dangereuse des espéranto et autres langues univer- selles qui ignorent, ou veulent ignorer, que cette langue universelle existe et qu'elle s'appelle le français. 372 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE DOCTEUR GRASSET Idées paramédicales et médico-sociales. Le livre que le docteur Grasset intitule : Idées para- médicales et médico-sociales est l'ouvrage d'un savant qui s'adresse au grand public et lui parle en un langage accessible de questions qui le passionnent. C'est l'ap- plication des idées médicales et biologiques aux pro- blèmes sociaux, à la sociologie. Les profanes liront avec le plus vif intérêt et le plus grand profit cette étude de la question médico-sociale, du mode de recrutement du corps enseignant médical, et de la querelle du concours d'agrégation. Ils s'intéresseront passionnément à cet exposé de la lutte contre le grand fléau de la société contemporaine : l'alcoolisme; de l'organisation de la défense sociale contre les maladies nerveuses, des droits et des devoirs de la société vis-à-vis des névropathes dont M. le docteur Grasset étudie un illustre spécimen dans la personne d'Auguste Comte. Ils suivront enfin le docteur Grasset lorsque, s'éle- vant au-dessus de son sujet, il envisage les bases essen- tielles de l'hygiène sociale, les trouve dans la science et dans la morale et « arrive à exposer ce qu'il croit la vérité sur la morale scientifique et la morale de l'Évan- gile, devant la sociologie montrant que, l'Évangile est aussi le meilleur et le seul terrain possible d'union et d'action sociales ». ETIENNE ROZE Un Officier. Le lieutenant Jacques Roze, qui fut frappé en pleine charge le 24 novembre 1907 au combat d'Oued-Sefrou MÉMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 373 et qui, blessé à mort, perdant à flots un sang généreux, marchait encore à la tête de ses troupes, est un de ces héros qui plaident devant l'histoire la cause de notre siècle et démontrent qu'en France les temps héroïques ne sont pas révolus. Son histoire si noble, si harmo- nieuse, si courte, est désormais fixée dans ce petit livre qui s'appelle très simplement : Un Officier, et qui a pour auteur le frère du héros, M. Etienne Roze, lequel a voulu dire lui-môme, en quelques pages, ce que furent la vie et la mort de son frère : « Il n'a pas pu se résoudre à laisser à un autre l'honneur d'une telle besogne, et il est venu lui-même apporter au lieutenant Roze un dernier témoignage d'infinie tendresse et un dernier hommage d'admiration passionnée ». Ainsi, nous apprenons à connaître Jacques Roze enfant, collégien, à Saint-Cyr, officier à Melun, à Epi- nal, à Saumur, puis en Afrique, au Maroc, au camp d'Oudja; nous avons la relation émouvante de son premier combat suivi, à si peu de distance, de celui qui devait être le dernier, et c'est le plus beau des exemples, et la plus émouvante des leçons, l'histoire de cette vie si courte et si noblement remplie, qui commença le 9 octobre 1876, pour finir, au champ d'honneur, trente et un an après... MÉMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE ROMANS Adam (Paul), — Le Trust (édition définitive). Audibert (Marcel). — Pilleraud. Binet-Valmer. — Le Cœur en désordre. Cathlin (Léon). — Leur Petit Garçon, « histoires plus vraies qu'il ne faudrait », Christmas (Walter). — Camarades de bord. 374 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Diraison-Seylor. — V Amour en croupe, « roman de demain ». Dor (Prosper). — La Ouirlande d'amour. Flambart des Bords. — Jean du B&juet. Foley (Charles). — La Dame aux millions. Fontainas (André). — Les Etangs noirs. Le Febvre (Yves). — Le Sang des Emeutes. Maizeroy (René). — L'Amour perdu. Maryan. — Roman d'automne. — L'Echo du Passé. Maudru (Pierre). — Suzanne Leclasnier. Mirande (Henry). — Les Baisers de Lesbie « amours antiques ». Oe sont les amours de Catulle et de Cynthia que le roman- cier évoque à nos yeux en des pages vivantes, délicates et jolies. Le doux poète latin lui a laissé pour ce récit une foule de documents ; M. Henry Mirande a choisi parmi eux avec beaucoup de tact et de discernement, et il a réussi à composer un roman où sont évoquées avec infiniment d'a- grément, de vérité — et toute la réserve nécessaire — les suprêmes amours du plus amoureux des poètes et la vie romaine au temps de César. Orna-Galatz (Adolphe). — La Fange. Pacheu (Abbé Jules). — Alceste au Couvent. Penin (Auguste). — Cœur d'Apôtre. Place (Sidney). — Les Fréquentations de Maurice, mœurs de Londres. Regismanset (Charles). — Le Bienfaiteur de la Ville. Riche (Daniel). — Je vous aime. Roger (Noëlle). — Le Docteur Germaine. Sales (Pierre). — Le Secret du Fakir. Savignon (André). — Les Filles de la Pluie. Schefîer (Robert). — Les Taciturnes. Sinclair (May). — L'Immortel Moment (adaptation de l'anglais par M. Clément Mottot). Ténars (Louis). — Guerin fonctionnaire, « caricatures sociales ». Tessandier (Gustave). — Les Vrais Pauvres. Tolstoï (Léon). — Contes et Romans posthumes, traduits du russe par M. Téodor de Wyzewa. Vildrac (Charles). — Les Découvertes, un recueil de nouvelles très littéraires, très curieusement observées. HISTOIRE. — LITTERATURE THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS Allorge (Henri). — La Splendeur douloureuse, poèmes offerts par l'autear à « ses ancêtres laboiu-eurs ». Angellier (Auguste). — Œuvres posthumes (Premier volimae). L'auteur, poète harmonieux et profond, avait laissé quel- ques manuscrits entièrement achevés dont il avait, en ses MÉMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 375 derniers jours, souhaité la publication. Ce vœu s'accom- plit aujourd'hui : ces pièces de la « Lumière antique » et ces « Poèmes modernes » devaient, en effet, être mis au jour ; ils sont exquis et consacreront la renommée du poète. Apollinaire (Guillaume). — Chroniques des Grands Siècles de la France : l'entrevue du Camp du drap d'or, l'assassinat d'Henri IV, François I", protecteur des arts, racontés d'après des documents inédits, etc. Arnould (Louis). — Nos Amis les Canadiens (histoire, psy- chologie, littérature, colonisation). Bapst (Edmond). — Les Origines de la Guerre de Crimée, « La France et la Russie de 1838 à 1854. » Baudin (Pierre). — Sur VArt contemporain. Dans ces analyses des rapports de l'Art et de l'État, dans ces études de nos métiers d'art, dans ces évocations de Paris, universel mar- ché de l'art, des musées des villes, etc., on retrouve les belles qualités d'éloqvience et de clarté que M. Pierre Bau- din apporte à l'étude des questions les plus diverses : qu'il s'agisse de guerre, de politique extérieure, de commerce ou d'art, cet homme d'Etat éminent ne prend la parole ou la plume que lorsqu'il a complètement approfondi, épuisé son sujet. Bel exemple qu'il donne là à ses collègues du Parlement, et trop rarement suivi. Benzart (Paul). — Les Hérésies pendant le Moyen Age et la Réforme jusqu'à la mort de Philippe II — 1598 — dans la région de Douai, d'Arras et au pays de l'Alleu. Bernard (A.). — Le Maroc. Bemstein (Henry). — Théâtre. (Premier volume). Trois pièces figurent dans ce premier volume, trois étapes du plus puissant talent dramatique de ce temps : le Marche, la Griffe et cet émouvant Détour dont dix ans passés n'ont pas affaibli l'émotion et qui triomphe plus brillamment encore qu'au premier jour sur la scène du Gymnase. Un tel succès, accueillant dix ans après la reprise d'une oeuvre dramatique est un critérium infaillible; le Détour est tme belle œu\Te : nous en étions sûrs déjà il y a dix ans; c'est une œuvre qui restera : on peut aujourd'hui l'afïirmer. Berthet (Marguerite). — La Fée aux Oiseaux, féerie en vers, en cinq actes et huit tableaux. ^ Bertrand (Louis). — Gustave Flaubert, un livre bien remarqua- ble où l'auteur étudie un Gustave Haubert peu connu, un Flaubert lyrique, romantique, un esthéticien très cons- cient de ce qu'il exigeait de son art, un voyageiu- épris de l'Orient et de l'antiquité gréco-latine un érudit grisé par la poxissière des bibliothèques — voire un bourgeois qui s'échauffait à la lecture des journaux — un Français enfin qui aimait passionnément son pays. Bidou (Henry). — V Année dramatique 1911-1912. Les feuille- tons des Débats si remarquables, si ingénieux et si profonds tjui'ont valu au critique selon M. Emile Faguet, trois grands succès : l'estime et l'admiration des gens de goût et de culture, une certaine crainte respectueuee de la part 376 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE des auteurs, l'indifférence des imbéciles. Et vous compren- drez après cela que j'aie plaisir à vous redire mon estime et mon goût pour ces feuilletons. Boiilenger (Jacques) et Emile Henriot. — Animaux de sport, « Coursing-Corridas ». C'est M. Jacques Boulenger qui nous parle du coursing; M. Emile Henriot évoque les courses de taureaux depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Bourée (Lieutenant de vaisseau). — De la Surface aux Abîmes. Bourotte. — Pour coloniser au Maroc, la Chouia agricole. Boussenard (Louis). — La Terreur en Macédoine, « récit vrai ». Brisson (Aldophe). — Le Théâtre, 1912. L'éminent critique publie la septième série de ses feuilletons hebdomadaires. C'est l'histoire du théâtre contemporain racontée au jour le jour par un spectateur d'une merveilleuse assiduité, à qui aucune manifestation théâtrale ne saurait échapper; et ces pages écrites au jour le jour, dans la fièvre de l'actua- lité, restent dans le livre, aussi vivantes, aussi alertes qu'elles furent dans le journal. Elles acquièrent, en outre, — après tant d'autres pages et tant d'autres séries : celles de Larroumet et celles de Francisque Sarcey, auxquelles elles se rattachent sans interruption depuis un demi-siècle, — la valeur d'un très précieux document pour l'histoire du théâtre pendant ces cinquante dernières années, de 1860 à 1911. Cagnat (R.). — A travers le Monde romain, de savantes et jolies conférences où l'auteur a évoqué des figiu-es d'impératrices romaines, racontant la vie de garnison et la religion des soldats dans l'Empire romain, la sorcellerie et les sorciers, le commerce et la propagation des religions en des pages où une grande érudition se dissimule sous la plus agréable parure. Cantacuzène (Charles- Adolphe). — Apothéoses de Météores, poésies étranges, audacieuses, souvent harmonieuses et profondes, et ce sont des fragilités « suaves », des « paren- thèses liliales », et le a mois' douloureux », et le « début floréal ». Cappati (Louis). — Pourquoi? poèmes. Carton de Wiart. — Vertus bourgeoises, un volume d'une bien sobre typographie où l'auteur aurait voulu faire revivre les vertus bourgeoises du vieux Bruxelles avec tout ce qu'elles eurent de bon, d'excellent et de pire. Chantavoine (Henri). — La Vie : « Pierre et Jeanne ». C'est toute une vie que l'auteur nous raconte en ses poésies, depuis la naissance, les fiançailles, jusqu'à la mort, au deuil, au souvenir, en passant par les rêves et les joies, le travail, les inquiétudes. Il a composé ce livre avec sagesse et ferveur, ému par le grave souci. De dire ce qu'il tient de douceur ou de peine Dans ce rêve d'un jour qu'est une vie humaine... Chapman (W.). — Fleurs de Givre, poésies. Corbin (Pierre). — Histoire de la Politique économique de la MÉMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 377 France. « Les origines et la période anslaise jusqu'en 1483 )). Costel (Paul). — Sensations (2*^ série). Poèmes delà ville. Daudet (Ernest). — Madame Royale, fille de Louis XVI et de Marie- Antoinette. « Sa jeunesse, son mariage ». Derème (Tristan). — Le Poème de la Pipe et de V Escargot, d'une fantaisie souvent heureuse : J'' avais un air mélancolique et des gants jaunes nous dit l'auteur qui aime à plaisanter avec une émotion parfois réelle et sincère. Dierx (Léon). — Poésies posthumes, de beaux vers où le prince des poètes chantait Alfred de Vigny et Paul Verlaine et Cr.tulle Mondes. Doléris (D'' J.-A.). — Le Nil Argentin, une étude économique et agricole siu* le& régions du Sud-Argentin. Drouet (Joseph). — L'Abbé de Saint-Pierre, « l'homme et l'œuvre. » Duboit (Charles). — Prométhée enchaîné, une bonne traduc- tion en vers de la tragédie d'Eschyle. Duquet (Alfred). — Chôlons et Bcaumont, un livre remarquable où l'auteur consacre tout près de cinq cents pages à l'étude de vingt-trois jours de la guerre de 1870-1871, du 7 août au 30 août 1870. C'est d'un intérêt émouvant, et une leçon douloureuse ressort de ces pages, leçon que les victoires balkaniques viennent de mettre en lumière et en action avec un singulier éclat, à savoir, que le secret de la vic- toire c'est le haut commandement libre des influences politiciennes, l'esprit militaire, l'intendance bien orga- nisée et toujours d'accord avec le général en chef, le secret des opérations à exécuter, la discipline des troupes et le bon armement. Leçon vitile et qu'il faut méditer... Exteens (Maurice). — La Préhistoire à la portée de tous. Fargue (Léon-Paul). — Poèmes en prose. Il y a dans ces pages bien du talent, un sens merveilleux du rj'thme et de la couleur, une pensée profonde, riche et généreuse; il y a aussi souvent un grand mépris de nos cerveaux de bour- geois. Au moment où l'écrivain nous a séduits par un beau tableau, une évocation émouvante, où nous sommes dis- posés à le suivre enivrés, tandis que « le poème des âges s'amuse et sonne, et se presse par toutes les mains des Ic'gendes »; à ce moment, il s'amuse, semble-t-il, à s'éva- der dans des brumes opaques et nous nous prenons la tête entre les mains. Nous voudrions le suivre dans ce beau voyage et nous ne le comprenons plus. Je soupçonne M.' Léon-Paul Fargue de se divertir à ce sujet et de s'amu- ser de nos étonnemen^ts. Ne protestons pas : son réel talent lui donne tous les droits, même celui d'employer les images les plus imprévues, telle celle-ci : « La rue est triste comme ime porteuse de pain congédiée, et toutes les maisons ont leur tablier gris »... Febtiro (Lucien). — Histoire de la Franche- Comté, (Jaffre (L.-A.). — Visions du Brésil. 378 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Goethe. — Lettres choisies (1765-1832) (traduction de M»e A. Fan ta), « On voit dans cet ouvrage, dit M. Arthiir Chuquet, qui le présente, un Goethe nouveau ou du moins peu connu. Son caractère s'y montre dans toutes ses nuances, l'homme entier y apparaît et non l'être plus ou moins artificiel qu'on appelle un auteur », Harry (Myriam), — V Indo-Chine. Ce livre tout pimpant de belles images et de vives couleurs, l'écrivain l'offre « à ses trois petits-neveux carthaginois : Robert, Henry, Coquo- line Cirier, futurs explorateurs, soldats, colons pour leur faire connaître une nouvelle France plus lointaine encore que la leur ». Ecrit pour un jeune public en une langue familière, en des chapitres rapides, où les choses d' Indo- Chine avec ses rizières et ses arroyos, ses dieux et ses dia blés, ses congays, son théâtre, ses contes et ses légendes, défilent comme au cinématographe, — le volume a toute la grâce et toute la profondeur qu'il faut pour plaire à des lecteurs plus âgés, plus blasés, j'en ai fait l'heureuse expé- rience : il est digne du talent si souple, si original, si puis- sant, et de l'œuvre passée de M"™^ Myriam Harry. Havard de la Montagne (Robert). — Madame de Maintenon. Dans une étude approfondie, l'auteur conclut que son héroïne est tout à fait digne d'estime, et aussi d'admira- tion, et même, vraiment, de sympathie. Il n'y a pas lieu, selon lui, de s'arrêter aux griefs des esprits romanesques qui lui en veulent surtout d'avoir fait deux mariages dont aucun ne fut un mariage d'amour. Si c'est vraiment le seul grief qu'on ait contre M.^^ de M& intenon, il convient, en effet, de lui pardonner : elles sont trop, dans l'histoire des temps passés, et des temps présents, qui commirent la môme faute, et il faudrait en vouloir à trop de femmes... Henriot (Emile). — Voir Jacques Boulenger. Hustin (A.). — Les Allemands à Vest de Paris, du Canal de rOurcq à la Marne (1870-1871). Jardet (Abbé). — La Femme Catholique « son apostolat, son action religieuse et sociale ! » Laforest (Edmond). — Cendres et Flammes, poésies. Lapauze (Henry), — Jean Briant, paysagiste, m,aître de Ingres, une solide étude ornée de magnifiques images. Le peintre qui eut l'honneur d'enseigner Ingres bénéficie de la piété et de l'enthousiasme de M. Henry Lapauze pour tout ce qui touche à son héros ; et novis apprenons de lui que « Jean Briant ne fut pas un paysagiste en chambre, et qu'il n'est pas vrai que Ingres, peintre d'histoire, ait été dégoûté de la nature agreste par les études faites chez son maître ». Leclerc (Jules). — Aux Sources du Nil par le Chemin de fer de V Ouganda. Leclerc du Sablon. — Les Incertitudes de la Biologie. Le Dantec (Félix). — La Science de la Vie. Lepointe (E,-L.). — Correspondance de Carlyle et Emerson (1834-1872). Le Pointe (Henri), — Souvenirs de guerre et de garnison, « trente récits contemporains inédits ». MÉMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 379 Lévi (André). — Souvenirs du général Vionnet, vicomte de Maringoné. Machuel (L.). — Auteurs arabes, «. pages choisies des grands écrivains ». Maspéro (G.). — L'Egypte. Maurras (Charles). — Anthinea, « d'Athènes à Florence ». « J'ai fait, dit l'auteur, le voyage d'Athènes au moment des Jeux olympiques, et, les Jeux terminés, j'ai respiré, aussi longtemps que je l'ai pu, la violette divine entre l'Acro- pole, Eleusis, l'Hymette et les champs de Colonne. Je passai peu après en Corse, reconnaître une petite ville fondée par des Grecs fugitifs et fidèle à son origine... Un séjour à Florence m'avait appris la ressemblance de la Grèce et de la Toscane en ce qu'elles ont de meilleur. Plus je les comparais l'une à l'autre, mieux je voyais en quoi elles se distinguent du reste ». Mignon (D"" A.). — De Paris à Benarès et Kandy. Milosz (O.-W.). — Les Chefs-d'œuvre lyriques du Nord. « Angle- ierre, Allemagne » (traduction poétique). Mistral (Frédéric). — Les Olivades, un livre tout plein de soleil, d'émotion et de joie, dont je ne puis, hélas ! déguster la beauté que dans la traduction littéraire mise en regard du texte provençal : Le temps qui devient froid et la mer qui déferle, — Tout me dit que Vhiver est arrivé pour moi — Et qu'il faut, sans retard, amassant mes olives, En offrir Vhuile vierge à Vautel du bon Dieu. Mourey (Fernand). — Histoire générale de l'Eglise. Tome VII. « L'Eglise et la Révolution ». Muzet (Alphonse). — Au:c Pays Balkaniques : « Monténégro, Serbie, Bulgarie ». Normand (Jacques). — En regardant la vie... Ces réflexions sur quelques modes et usages du jour, ces silhoviettes et por- traits, ces excursions à Paris et ailleurs sont d'une note tout à fait agréable : malicieuses sans méchanceté, opti- mistes sans complaisance. L'auteur prie gentiment ceux qui lui feront l'honneur de parcourir ces pages « de n'y cnercher rien de profond ni de définitif »; il supplie aussi qu'on ne l'accuse pasu d'avoir joué au moraliste ». Il n'en a ni l'ambition ni le droit. Il a souhaité seulement « faire sourire quelques-uns de ses contemporains, sans se pré- tendre exempt lui-même des petits travers qu'il leur signale ». Patry (H.). — Les Débuts de la Réforme protestante en Guyenne (1523-1559). un livre préfacé par M. Camille JuUian. Persy (D"" Paul). — Les Sonnets de VOr. Petit (Edouard). — Eugène Pelletan, « sa vie, son œuvre ». Pétrie (Flinders). — Les Arts et les Métiers de l'ancienne Egypte (traduit de l'anglais par M. Jean Capart). Pierron (Sander). — Les Mostaert « Jean Mostaert, dit le maître d'Oui trament, Jules et François Mostaert, Michel Mostaert 380 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Poléjaieff (Pierre). — Six années. La Russie de 1900 « 1912 (adaptation de M. Gaston Dru). Remond (G.). — Aitx Camps turco-arahes ; « notes de route et de guerre en Tripolitaine et en Cyrénaïque ». I/auteur est un de ces correspondants de guerre qui font si grand honneur à la presse contemporaine, qui ne craignent ni les fatigues, ni les privations, ni les dangers, et qui s'ex- posent souvent aux mômes périls que les combattants dont ils relatent les hauts faits, dont ils gardent le souvenir, dont ils partagent les misères et non la gloire. Ils sont par- fois récompensés par la renommée, et c'est le cas de M. Re- mond, dont les récits publiés à l' Illustration attestent tout à la fois le coiirage et le talent, et qui, en travaillant pour la gloire des autres, a réussi à composer \m très beau livre qui lui fait grand honneur. Reymond (Marcel). — De Michel-Ange â Tiepolo. Ribaux (Adolphe). — Capri. Robiquet (Jacques). — Gouthière — « sa vie, son œuvre ». Rodocanachi. — Etudes et Fantaisies historiques. L'auteur réunit sous ce titre une série de très captivantes promena- des aux jardins de l'histoire. Et c'est le récit du séjour de Pie VII à Paris raconté par l'abbé Cancellieri qui avait accompagné le pape pour la cérémonie du sacre et qui contemplant Paris du haut du Panthéon, avait découvert « un chaos de richesses et de misères, de scélératesse et d'innocence, de puissance et de faiblesse, d'oisiveté et d'in- dustrie, de plaisirs et de tourments »; la recherche de l'ori- gine du nom de Napoléon; les aventures d'une courtisane vénitienne à l'époque de la Renaissance ; l'histoire du sifïlet au théâtre ; tant d'autres choses encore, pages palpitantes d'histoire à côté, où M. Rodocanachi a mis infiniment de grâce, d'agrément et d'érudition. Saint-Maurice (Marquis de). — Lettres sur la Cour de Louis XIV 1671-1673 (publiées par M. Jean Lemoine). Savine (Albert). — Dans les fers du Moghreh, « récits de chré- tiens esclaves au Maroc aux xvii^ et xvin® siècles ». Shelley (P.-B.). — Prométhée délivré {tTa.àvictiondie M«ie TolaDo- rian). Simon (Charles). — Iai Flûte enguirlandée, poèmes. Spetz (Georges). — Légendes d'Alsace (nouvelle édition). Stirling (André). — Ode à Vaile frissonnante, vers d'une belle envolée offerts au maître Edmond Rostand. Teramond (Guy de). — La Guerre sur Mer : « Corsaires, pira- tes, etc. ». Thomas (Romain). — La Route du Retour, poèmes. Toussaint (Marcel). — Vers écrits sur Veau. Valclair (J.). — Consolations, « poèmes en prose » offerts k à vos larmes, à vos sourires tristes, à vos découragements, à vous, pour qui ce tout petit livre fut écrit ». Wagner (Charles). — A travers le Prisme du Temps. Ainsi que l'indique ce titre, c'est l'idée du temps qui relie entre elles ces nouvelles causeries présentées en un triptyque dont le premier panneau est consacré à la tradition, le deuxième MÉMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 381 aux relations entre contemporains, le troisième à la préoc- cupation de l'avenir. L'auteur a pu faire tenir dans ce cadre un noble idéal de vie pénétrée par la loi universelle de cohésion à travers les âges. Toute éducation, qui ne se rattache à rien avant nous et ne se soucie pas de ce qui viendra après nous., enferme l'homme dans un cercle dont l'étroitesse l'étouffé. Nous sommes les enfants de ce qui a été; par notre fidélité à gérer dans le présent le patri- moine reçu, nous avons à préparer ce qui sera. DECEMBRE LES ROMANS MARCELLE TINAYRE Madeleine au Miroir. Madeleine au Miroir est une œuvre très particulière qui tient du roman, de la chronique, de l'étude de mœurs; œuvre charmante, grave et jolie où Tauteur nous restitue le journal de Madeleine Mirande, une femme de trente ans — c'est-à-dire qu'elle en a un peu plus de trente-cinq ! — restée veuve avec deux jeunes enfants, très femme tout à la fois et mère parfaite, dont la vie est très suffisamment remplie par « ses enfants, quelques amis, quelques livres, la musique, des souve- nirs, un peu de bien qu'elle essaie de faire, le plaisir de curiosité qu'elle prend au spectacle du monde, à la comédie humaine ». Tout de même, elle voudrait dire ses impressions, ses opinions, ses sentiments; et comme ses enfants sont trop jeunes, comme elle n'a pas de partenaire, elle prend le parti de tenir ce journal, qui ne sera pas un journal sentimental, et où elle n'a pas la prétention de faire de la littérature. Non : elle fixera les reflets de la vie qui passe au miroir de sa pensée de femme; elle collection- nera des impressions, des opinions, des images; — DÉCEMBRE. — LES ROMANS 383 n'est-ce pas un remède excellent à l'ennui, une diver- sion au chagrin, une façon détournée de faire à propos de tout, un utile examen de conscience ? Et voilà comment, sur cette trame légère, à la faveur d'une histoire dont l'héroïne nous intéresse et nous séduit, l'auteur nous fait connaître sans nous infliger de conférence, les sentiments d'une femme honnête, sensible et sage, sur la maternité, sur la mode, sur les appartements modernes, sur le Salon d'automne, sur la littérature et les femmes, sur l'amour avec un grand A, et l'amourette avec un tout petit ; sur le patriotisme des enfants, et les terreurs des mères; sur mille choses. Et c'est un recueil d'impressions, de souvenirs, de son- geries où l'imaginaire se mêle au réel. « C'est un miroir aux mains d'une femme qui se plaît à regarder passer dans le disque étroit les reflets de son visage pensif et de son âme attentive, les clartés et les ombres du senti- ment, les images fuyantes de la vie »... ABEL HERMANT Ck)utras voyage. Dans ces charmants et terribles Mémoires pour ser- vir à l'histoire de la société que M. Abel Hermant déco- che à notre temps, il n'est sans doute pas de figure plus signiflcative que celle du Cadet de Coutras; ce jeune homme nous enchante par je ne sais quel air d'ingé- nuité et ce sont, semble-t-il, les événements qui se chargent d'être cyniques pour lui; par exemple, ils s'en chargent bien, et Gosseline, le camarade précepteur, que vous vous êtes gardés d'oublier, est là pour les commenter. Donc, Coutras dont nous avons connu la savou- reuse adolescence, et que nous avons vu ensuite sous 384 LE MOUVEMENT LITTERAIRE l'habit militaire, Contras i^oyage; il entreprend, en com- pagnie de Gosseline, le tour du monde; le tour du monde, c'est une façon de parler, car les deux voyageurs ont trop d'esprit pour vouloir boucler la planète et couper les méridiens sans en excepter un seul, non ! Ils feront un tour du monde de philosophes, c'est-à-dire qu'ils feront le tour des choses en réduisant au mini- mum leur déplacement : les Balkans, la Grèce, Constan- tinople et l'Italie suffiront très bien à leur ambition, et au retour Maximilien de Coutras se souviendra d'avoir vu les plus beaux décors et les plus beaux spectacles du monde. Cet itinéraire suffît à merveille aussi à notre plaisir car, dans ces décors, les deux voyageurs vivent les plus divertissantes aventures : ils enlèvent une prin- cesse royale dans le jeune royaume d'Albanie, ils rêvent d'aventures amoureuses à Gorinthe et à Constantinople, ils connaissent à Venise la fatale passion et, en fm de compte, le Cadet de Coutras, servi à souhait par les événements, remplit consciencieusement sa mission qui est, comme chacun sait, d' « exercer des reprises sur la branche aînée », en s'appropriant la femme de son cousin, la richissime et belle Lili Hodgson qu'il épousera lorsque l'Église aura rompu sa première union. Et je compte bien que nous verrons quelque jour. « Coutras marié » dans le somptueux palais restauré sur les plans du mari répudié... Ce récit de voyage est le plus divertissant du monde, il affecte souvent les allures d'une opérette dont il a toute la folie cordiale et pimpante, mais d'une opérette qui serait pensée par un conteur philosophique, écrite par un virtuose merveilleux de la langue française. DÉCEMBRE. — LES ROMANS 385 MICHEL PROVINS L'Art de rompre. Quand on élira le « prince du dialogue », je pense qu'il n'y aura pas de longues contestations et que la couronne sera tout de suite, et d'un consentement unanime, décernée à Michel Provins : il excelle vraiment dans ces drames rapides, dans ces brèves comédies nouées et dénouées avec tant de bonne grâce et d'adresse, et ses dialogues sont des modèles du genre. UArt de rompre ne déparera 'pas la collection. Les dialogues groupés sous ce titre sont tout à fait divertissants, et ils ont du mérite à l'être, car M. Michel Provins a choisi un sujet qui pourrait être très facilement pénible et déplaisant; il a joué la difficulté et il a gagné brillamment. Le héros dont nous vivons les aventures, Maurice Durèze, est en effet un Don Juan qui tient essentielle- ment à ne point s'attarder dans les bonnes fortunes et qui, par un malheureux hasard, excite des passions d'une qualité éternelle. Comme, d'autre part, il déteste les scènes, les histoires, les rancunes, son art consiste, lorsqu'il en a assez, à faire prendre par son amie la fatale détermination; elle s'en va désespérée et recon- naissante à l'homme qui a eu la grandeur d'âme de la laisser partir. Pour arriver à un tel résultat, il convient parfois de n'être pas très scrupuleux, et Maurice Durèze ne craint pas d'avoir recours à des moyens assez déplaisants qui vont de la police à l'hygiène, en passant par l'hypno- tisme; tranchons le mot : ce don Juan, ingénieux à garder le beau rôle, est un simple mufle; seulement, Tart de Michel Provins a réussi à le rendre bien amusant. 22 386 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE MARCEL BERGER L'Homme enchaîné. Voitô vous souvenez de ce rêve que formait Alexandre Dumas : le mariage de l'homme très jeune et très chaste avec la vierge très pure et de divine ignorance. Ainsi assorti, ce couple où chacun aurait fait en même temps les mêmes découvertes, connu les mêmes joies, éprouvé les mêmes souffrances, réaliserait le miracle de Theu- reuse et indissoluble union. Ce rêve séduisant est la plus dangereuse des chimères : beaucoup de psychologues l'ont affirmé, et M. Marcel Berger prétend nous le démontrer une fois de plus avec son roman de V Homme enchaîné. C'est l'histoire de François Portrieux qui, dès l'âge de vingt et un ans, s'est marié avec Jeanne, une jeune fille de Moulins où il est professeur. François est un universitaire de profonde culture, de haute intelli- gence, de grand avenir; sa femme fort intelligente elle aussi, est douce, sensible, aimante; elle s'appuie avec une confiance absolue au bras de son mari qui l'aime infiniment, et la route, devant eux, s'ouvre large et belle, fleurie d'espérance. François a obtenu une bourse de doctorat : les voici à Paris où ils retrouveront quelques anciens amis, Pres- tal notamment, le romancier célèbre et un peu cynique. François d'abord travaille avec acharnement à sa thèse sur Chateaubriand, mais, certain jour, l'obligeante intervention de Prestal lui ayant ouvert l'accès d'un journal, il devient — poste dangereux entre tous — critique dramatique. Ainsi lancé dans le tourbillon, cet homme supérieur aperçoit autour de lui les mille plaisirs factices et charmants qu'il ne connut jamais. Insensi- blement, la tentation s'empare de lui, il se détache de sa femme; il lui en fait honnêtement, doucement, cruel- DÉCEMBRE. — LES ROMANS 387 lement Taveu. Une épreuve s'impose : cette vie de plaisir et de liberté qu'il n'a jamais connue, il faut qu'il en fasse l'expérience et, paisiblement, il offre à Jeanne de se séparer d'elle, séparation temporaire, car il lui fixe pour dans un an, un rendez-vous à une date précise, à Moulins, où ils ont commencé de connaître le bonheur. Jeanne accepte, donne sa parole, et, à la date fixée, François se trouve fidèle au rendez-vous. Il a dans cette année épuisé toutes les joies de la liberté, il pense à peine à sa déception, tant sa joie est grande de repren- dre auprès de la seule femme qu'il aime, auprès de sa femme, la route interrompue. Mais Jeanne n'est pas au rendez-vous; seule, une lettre est là, très douce, très raisonnable, qui lui apprend que, pendant cette année d'épreuve, elle a refait sa vie définitivement; elle est très loin, à Buenos- Aires, aux côtés d'un honnête homme qui l'aime et dont bientôt elle va avoir un enfant. « Notre aventure était fatale, lui dit-elle, tu m'avais épousée trop jeune, tout a découlé de là. Puisque vous autres hommes vous êtes ainsi faits, puisqu'il faut que vous l'émoussiez, cet instinct, ce désir à cent faces, que la nature a mis en vous, épuisez donc votre fougue, soyez fervents et volages avant de vous être unis à la femme qui, elle, se confie toute à vous ». Cette thèse, qui n'est pas nouvelle, M. Marcel Ber- ger l'a développée en un roman tout à fait remarquable, vivant, humain, d'une observation minutieuse, un peu trop parfois, quand elle retarde par des descriptions la marche d'une action à laquelle l'auteur a su nous pas- sionner. 388 hE MOUVEMENT LITTÉRAIRE LOUIS DELZONS Le Maître des Foules. Ce pourrait être un livre à thèse, mais l'auteur de l'Affaire Nell est trop romancier pour s'attarder dans une démonstration; c'est le lecteur lui-même qui, après avoir fermé le livre, est tenté d'en tirer une conclusion que l'écrivain n'a pas songé, semble-t-il, à lui imposer, mais que les faits eux-mêmes ont mise en lumière. C'est, à mon sens, la bonne formule; en dehors d'elle, un roman ne saurait être vivant. Et l'essentielle qualité du livre de M. Delzons est pré- cisément une vie intense, ardente, une action ramassée qui vous empoigne et ne vous laisse pas, pendant tout le temps qu'elle se déroule, le loisir de la réflexion. C'est l'histoire de Germaine Grandier, une ravissante jeune fille de vingt-cinq ans, orpheline, qu'une jeunesse mal- heureuse a fortement armée pour la vie. Elle a voulu, par le travail et l'étude, conquérir son indépendance matérielle et morale ; elle est devenue licenciée es lettres, et a obtenu à Rouen une chaire de professeur. Elle a rencontré là, Manès, un jeune professeur de philosophie, d'une vaste intelligente, d'une éloquence entraînante qui connut, lui aussi, une jeunesse douloureuse. Une vive inclination les a l'un vers l'autre attirés; ils se sont promis un mutuel amour. Mais les vacances sont venues, et tandis que Manès se jetait à corps perdu dans une affaire fameuse qui déchi- rait alors la France, et menait une fougueuse campagne en faveur du droit, tout en gardant fidèlement dans son cœur le doux secret de son amour ; Germaine se laissait conquérir par la vie heureuse et large que lui offrait — avec sa main — le quinquagénaire Vambard. père d'une de ses élèves. DECEMBRE, LES ROMANS 389 A la rentrée, elle signifie à Manès son irrévocable décision, et le pauvre professeur, soutenu dans son désespoir par quelques amitiés fidèles, se donne tout entier aux luttes politiques et sociales, où son élo- quence entraînante lui assure de magnifiques victoires, et où, prolétaire exaspéré, il pourra assouvir son ressen- timent contre le capitalisme, dont un représentant lui a ravi son bonheur. Le succès dépasse ses espérances; il est entraîné lui- même plus loin qu'il ne voulait : il conquiert la foule, déchaîne des grèves et s'empare du pouvoir. Cependant, Germaine a compris un peu tard la faute commise contre elle-même et contre son cœur; elle voudrait tout abandonner : sa situation, sa fortune, son mari, pour revenir à Manès, que sans doute elle n'a jamais cessé d'aimer, et celui-ci, toujours meurtri, toujours aimant, est sur le point de céder, mais il sent que c'est impossi- ble, il se doit à sa tâche, à la mission que les événements lui ont confiée. Ce maître des foules est leur prisonnier, et il a perdu son droit au bonheur sentimental : il est trop tard... GASTON LEROUX Balaoo Vous vous souvenez de cette surprenante affirma- tion placardée l'an dernier sur tous les murs de Paris : « Il y a des pas au plafond ». Ces pas qui nous intriguè- rent si violemment, ce sont ceux de Balaoo, le héros d'un roman où M. Gaston Leroux a trouvé le moyen d'être mystérieux d'une façon tout à fait nouvelle. Balaoo est, nous l'apprenons dès la centième page du livre, un anthropopithèque que le savant M. Corio- lis a ramené de Java. Il ne lui manquait, comme on dit, que la parole, et M. Coriolis en « tranchant un nerf et 22. 390 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE en rapprochant un autre nerf sous la langue » a su la lui donner. Ainsi, il a avancé de cent mille ans Tceuvre de transformation de Tespèce, mais Balaoo, devenu M. Noël, comme vous et moi, n'a pas pris les cent mille ans de conscience nécessaires pour pouvoir, sans danger, se promener parmi les hommes. Et c'est en vérité un terrible compagnon que ce Balaoo : il pénètre la nuit dans les maisons, par le toit, et, caché au-dessus de la tête du propriétaire, deux de ses mains appuyées sur un meuble, les deux autres touchant le plafond, il étrangle le dormeur : voilà pour- quoi il y a des pas au plafond et pourquoi aussi tant de gens sont étranglés mystérieusement dans les maisons de Saint-Martin-des-Bois. Pour comble, Balaoo s'est lié d'amitié avec les trois frères Vautrin, qui sont de terribles bandits, et il leur apporte dans leurs expéditions le plus précieux et le plus meurtrier des concours; même, il trouve moyen de les délivrer lorsque les bandits se sont laissés pincer. On envoie contre eux un régiment d'infanterie et un escadron de cavalerie qu'à lui seul il met en déroute. Et le voici à Paris, où M. Goriolis l'a amené pour faire son droit. Balaoo est un étudiant sentimental : il connaît les souffrances de l'amour, car il est épris de Madeleine, lef fille de Goriolis, et le mariage de cette dernière avec Patrice le désespère. Après avoir eu un instant le des- sein d'étrangler Patrice, il se résigne et même il emploie sa force herculéenne à sauver Madeleine, enlevée par les bandits Vautrin, qu'il tue tous les trois avec la plus grande aisance. Mais il est difficile de garder avec soi un tel compagnon et Goriolis se décide à le ramener dans la forêt de Bandani où il est né. Il y vit un peu consolé, et dit que si jamais les enfants de Madeleine ont besoin de lui, il seVa là. Telle est l'histoire. Je ne sais si mon analyse la fait bien comprendre; elle est, dans le livre, très claire, amusante et dramatique, et ce n'est pas seulement un DÉCEMBRE. — LES ROMANS 391 roman d'aventures; même, M. Gaston Leroux a renoncé dès la centième page, au prestige du mystère, en nous renseignant de façon précise sur M. Noël; il a cru, à juste titre, qu'il pourrait nous intéresser au spectacle du petit d'animaux parmi les hommes, comme Kipling nous avait passionnés à celui du petit d'hommes parmi les animaux, et il s'est donné la peine de nous démontrer par des notes très scientifiques, mises au bas des pages, que son personnage n'était point du tout impossible ni même complètement invraisemblable. JACQUES DES GACHONS La Vallée Bleue. Le roman que M. Jacques des Gâchons a publié sous le titre : La Vallée Bleue, est, à mon sens, le meilleur livre, et de beaucoup, que nous ait donné jusqu'à pré- sent cet écrivain. C'est un livre très complet, très har- monieux, écrit dans une langue d'une gracieuse et ferme élégance, un livre où l'auteur a réussi à être original en plaidant la bonne cause, si souvent plaidée en notre temps, du retour à la terre, « à la terre qu'on cultive et qui sent si bon ». Il la plaide discrètement, d'ailleurs, sans étalage de thèse et sans vain prosélytisme; c'est nous qui, au récit des aventures de Jérôme Baroney, l'architecte parisien exténué de travail pour la satisfaction des frivoles désirs de sa femme, de sa fille, la belle et coquette Rolande, et de son fils, le cynique et léger Maxime, souhaitons le voir s'évader de cette geôle où il s'épuise, où bientôt il perdra la vue, pour répondre à l'appel de son frère Gabriel qui vit à la campagne, à côté de sa femme et de ses sept enfants, la belle vie saine et large de la nature. 392 LE MOUVEMENT LITTERAIRE Et notre vœu se réalise définitivement après les plus émouvantes péripéties. Jérôme, parvenu à une indiffé- rence nécessaire à l'égard de sa femme et de ses indi- gnes enfants qui bouleversèrent la paisible région où il les avait amenés, restera auprès des braves gens qui l'accueillirent, occupé à des travaux qu'il aime, gardant les dernières forces de ses yeux fatigués pour contem- pler éperdument la belle nature qui l'environne, ce Berry charmant que George Sand appelait la « vallée noire » et que M. Jacques des Gâchons a bravement débaptisée parce qu'il la voit lui perpétuellement bleue, même alors que ses arbres sont dépouillés. Il s'est excusé de cette liberté : « George Sand ne m'en voudra pas, a-t-il dit, si mon roman est bon ». Elle ne lui en voudra pas... JEANNE MARAIS Nicole Courtisane. Nicole Courtisane, est une ravissante personne, intel- ligente, fine, cultivée; elle relève singulièrement le prestige de ce titre de courtisane et lui restitue le rang officiel que les Grecs lui reconnaissaient publiquement et que nous mettons un peu plus d'hypocrisie à lui consentir. Nicole est d'ailleurs une courtisane d'un ordre tout à fait particulier; elle ressemble énormé- ment à une honnête femme. Son ami, le richissime ban- quier Bernard, est le premier homme qui ait passé dans sa vie, ou presque, — Nicole n'a, en effet, connu avant lui qu'une très sentimentale et très blanche déception, — il est certainement le seul, et Nicole serait une femme du meilleur monde si, par malheur, Bernard n'était marié ailleurs. A cette nuance près, la vie de Nicole est la plus régulière qui soit; elle s'écoule dans le cadre d'un hôtel somptueux où fréquentent des r DÉCEMBRE. — LES ROMANS 393 ministres d'hier et de demain, de grands banquiers, des artistes, et de simples mondains prêts à Tamour, avides de se brûler les ailes à cette flamme éblouissante. Dans ce palais, Nicole amusée, intéressée, un peu écœurée, assiste et préside à des événements de la vie parisienne où la comédie voisine avec le drame et qui ne sont pas sans influence sur la chose publique. Ces événements, que M^^^ Jeanne Marais nous raconte d'une plume alerte et familière, je ne puis songer à vous les retracer ; ils meublent tout au long ce roman très vivant, très palpitant et qui se dénoue le mieux du monde, par la rentrée définitive dans la vie normale de Nicole, qui épouse Bernard devenu veuf. Elle a trouvé, entre temps, le moyen de faire décorer son ami, de sauver d'une aventure fâcheuse le banquier Landry Colin, associé de Bernard, d'attacher à son char le ministre Brochard par le seul prestige de son intelligence et de sa grâce sans que sa vertu ait subi la moindre atteinte. Elle a sur la conscience une seule victime: Julien Dan- iel, le jeune papillon amoureux qui n'a su faire croire ;i sa sincérité qu'en se suicidant, comme Werther. Il y a dans ce roman, écrit sans recherche, de bien jolies qualités d'observation et d'intérêt, et puis, il a la vertu suprême : une vie intense, débordante. ROBERT CHAUVELOT Parvati <( Mœurs hindoues contemporaines ». L'histoire douloureuse de Parvati, la petite princesse, que nous raconte M. Robert Chauvelot, est un roman de « mœurs hindoues contemporaines ». Mœurs hindoues f'onteraporaines : le rapprochement de ces deux épi- thètcs nous frappe, tout d'abord, comme un contraste : • 'Mtre ces mœurs de mystère et de féerie, et celles cjo 394 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE notre temps, il n'y a pas seulement la barrière des océans qu'on franchit en quelques semaines, il y a des milliers d'années. Ce contraste, vous le retrouvez dans le livre de M. Chauvelot, qu'on sent vécu, sincère et vrai, où l'émotion est très humaine, très près de nous, et qui, cependant, évoque le drame le plus extraordinaire, dans des décors prestigieux de richesse, de splendeur et d'angoisse. C'est, au centre, la figure de Parvati, la Maharani, l'épouse du puissant Maharajah de Jeypore, svelte fille de rajahs aux grands yeux noirs ombrés de mystère, aux longues tresses séparées en bandeaux sur un front pur et blanc d'Aryenne. Avant d'épouser, sans amour, son puissant mari, la petite princesse fut élevée en Europe, à l'européenne, la civilisation occidentale la marqua de son empreinte, et ce fut un déchirement pour elle, lorsque, l'échéance arrivée, devenue femme et reine, il lui fallut dire adieu à la joie d'être libre et à l'espoir d'aimer. L'amour, dans la vaste et somptueuse prison des palais de l'Inde, est une chose terriblement dangereuse; la pauvre petite Parvati en fait la cruelle expérience lorsqu'elle se laisse aller à la douceur d'écouter Gilbert, le peintre parisien venu pour faire son portrait. L'idylle ébauchée se termine dans la plus affreuse des tragédies. Environnée de haine, de jalousie et de fanatisme, Par- vati paye dans les supplices la douceur d'une minute. Autour de cette jolie et douloureuse histoire d'amour, le romancier a évoqué avec de riches couleurs les hommes et les choses de l'Inde, âmes sombres, mysté- rieuses et fanatiques, décors magiques de ruines et de splendeur où scintillent les gemmes, où s'agitent les voiles de soie pourpre, les palmes, les festons, avec une foule ardente et fanatique qui hurle et grouille, et tue, cependant que dans l'ombre passe Civâ, l'Invisible,., DÉCEMBRE. — LES ROMANS 396 PIERRE CUSTOT Traits galants et Aventures du Sieur Pierre Deîleurville. Le sieur Pierre Defleurville est un jeune homme de dix-neuf ans que la bienveillance du ciel a fait naître en plein xviii^ siècle, en un temps qui sut comme aucun autre être libertin et aventureux avec grâce : le sieur Defleurville sut se rendre digne d'une telle faveur. Entre ce matin du l^r mai 1767 où, sans sou ni maille, riche seulement de ses dix-neuf printemps, il s'élança dans Paris et dans le monde avec sa perruque à queue, son habit puce, sa tabatière et sa canne, entre cet hum- ble départ et cette arrivée victorieuse dans le château du duc de Montcornet dont il épouse officiellement la jolie nièce Sylvie, que d'aventures, que d'histoires, que de traits galants, à Paris, à Londres, à Madrid ! Au cours de ces histoires le sieur Defleurville ne fut pas toujours d'une parfaite délicatesse et même il ris- querait en notre temps d'être pai'fois assez mal jugé; mais par bonheur, tout cela se passe au xviii® siècle et nous avons des trésors d'indulgence pour des hommes qui surent êtres immoraux avec tant de grâce, de bran- che, et d'allure. HENRY SOULIÉ La Route s'éclaire. Le roman de M. Henry Soulié est un bien émouvant petit livre tout imprégné d'idéalisme, de confiance et de foi. L'anecdote en est très simple : c'est l'histoire d'André Waller, le fils du riche banquier et son succès- 396 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE seur; il a mené jusqu'alors — il a trente-huit ans — ce qu'on appelle la vie de plaisir. Et puis, brusquement, il a senti le néant de cette existence; confusément d'abord, il a compris qu'il devait s'en évader, il a quitté Paris et s'en est allé sur les bords du Léman. Là, dans la belle nature, aidé par la présence d'un très pur et très vibrant amour, il a peu à peu compris : la route s'est éclairée devant lui et lorsque après des épreuves douloureuses, un accident mortel est venu le frapper, il était prêt pour la grâce suprême : « il avait retrouvé une âme d'enfant et il savourait la paix reçue, cette paix de Noël qui, trouvée dans la certitude de l'amour du Père, surpasse toute intelligence ». Il y a dans cette très simple histoire un élan, une vérité admirables; son auteur n'est point un écrivain ni un romancier de métier, on s'en rend compte tout de suite, et c'est le plus beau compliment qu'on lui puisse faire. Son œuvre est en efïet toute spontanée, il n'y a là, ainsi qu'il dit quelque part en parlant de son héros, ni artifice littéraire, ni plaidoyer conventionnel. « Pour écrire un tel livre, le talent, le génie même ne suffisaient pas, ce qu'il y fallait c'était surtout, c'était uniquement une ardente sincérité », et la sincérité de M. Henry Sou- lié illumine ces pages, où il chante « la part de beauté dont son âme a été imprégnée ». CAPITAINE FABIEN MOUGENOT Un Sabre. En nous contant l'histoire d'un Sabre, le capitaine Fabien Mougenot n'a pas eu le dessein d'écrire un roman; sans doute, l'aventure de Charles Franc, l'insti- tuteur provençal devenu officier de cuirassiers, est une fiction romanesque avec une foule d'incidents émou- DÉCEMBRE. — LES ROMANS 397 vants qui se succèdent et s'enchaînent jusqu'au dénoue- ment dramatique, mais chacune de ces péripéties répond à une préoccupation de l'heure actuelle : le capitaine Fabien Mougenot a voulu réfuter point par point les déclamations de « l'Armée contre la Nation » en nous montrant, par une aventure particulière, que l'armée, que le corps de ses officiers peuvent et doivent être en communion avec la nation. Il faut seulement dissiper le malentendu qui s'est élevé, c'est le devoir des officiers qui ont enfin le droit de parler et d'écrire. Le capitaine Mougenot remplit ce devoir pour sa part, et c'est d'une très bonne intention et d'un excellent esprit. CLAUDE LEMAITRE Lina. « Histoire d'amour sous le second Empire. » Dans l'histoire de Lina — histoire d'amour sous le second Empire — Claude Lemaitre évoque, sous une forme nouvelle, le douloureux problème d'un amour et d'un mariage franco-allemands traversé par le grand drame de 1870. Nous avons vu déjà, dans plusieurs romans, des Françaises mariées à des Allemands avant ou peu après la guerre; avec Lina nous connaissons l'aventure pathétique de l'Allemande épouse d'un Français. Lina Lherbey, veuve d'un ingénieur français et qui, en 1869, a épousé le lieutenant des guides Gaston De- camps n'est qu'une femme très simple, très douce, qui aime tendrement son mari et ses enfants; elle n'est pas, comme les héroïnes françaises^^des romans dont je parlais, troublée par des problèmes de nationalité, mais elle est tout de même leur victime. La douleur de la défaite a tué en Gaston tout amour 23 398 LE MOUVEMtNT LlTTéRAIHË pour sa femme, il ne voit plus en elle que TAllemande, Tennemie, et il lui fait endurer les pires tourments jusqu'au jour où sa propre souffrance ayant égaré sa raison, il s'élance et se tue en une charge frénétique contre Tennemi imaginaire. Alors, Lina, désemparée, retourne en Allemagne avec ses enfants et, ces fils du sang français, deviendront, par Tinéluctable force des choses, des Allemands. Claude Lemaître a trouvé pour conter cette histoire des accents très émouvants et très sincères; elle n'a pas songé à discuter les problèmes soulevés, elle a voulu simplement, avec sa simplicité de femme, exprimer de l'amour et de la souffrance. HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS, ALPHONSE DUNOYER Fougmer-Tinville accusateur public du Tribunal Révolutionnaire. (1746-1795). M. Alphonse Dunoyer consacre à Fouquier-Tinville un remarquable ouvrage qu'il a composé d'après les documents des Archives nationales. C'est l'œuvre définitive d'un historien qui a tout regardé, tout écouté, et qui raconte sans haine et sans colère. Il a du mérite; il faut, en effet, une bien grande égalité d'âme pour pouvoir travailler si longtemps en compagnie de l'odieux homme dont la vilaine figure apparaît à la première page de ce livre, sans lui jeter l'anathème. M. Alphonse Dunoyer sait se garder de tels excès, mais je ne crois pas qu'il parvienne à en préserver son lecteur. L'outrage dont il s'abstient, c'est nous qui le jetterons à la mémoire de Fou quier-Tin ville après avoir, grâce à l'historien, connu toutes les pièces du procès; et la défense de Fouquier-Tinville lui-même lorsqu'il eut à répondre de ses crimes, accusé à son tour devant un tribunal, ne nous égarera pas. Il aura beau provoquer audacieusement et imperturbable- ment les témoignages, ceux surtout de ses ennemis mortels, les commis du greffe; son cas pourra devenir, en dépit de l'œuvre horrible, « très curieux et très inté- ressant », il n'en restera pas moins abominable et son habileté même à se défendre nous fera prendre plus 400 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE encore en horreur toutes les servilités les plus basses, « les plus criminelles, les plus déshonorantes », toutes les forfaitures dont il se rendit coupable pour garder sa place et le traitement avantageux qu'elle représentait pour lui. Dr HENRI PERRAUDEAU Saint-Ouen pendant la [Révolution. Dans une de ces histoires locales qui se multiplient depuis quelque temps avec un si grand profit pour la grande histoire, M. le docteur Henri Perraudeau nous raconte, d'après des documents originaux, Saint- Ouen pendant la Révolution. L'auteur, en ces pages d'histoire audonienne, esquisse, tout d'abord, une brève histoire du village au début de l'époque révolu- tionnaire, puis il nous montre les premiers désordres locaux qui suivirent la convocation des États Géné- raux et nécessitèrent la création d'une police locale; il évoque les conseillers municipaux qui, après avoir rédigé avec les habitants leurs cahiers de doléances, s'occupèrent de l'exécution des décrets de l'Assemblée Nationale, dressèrent un état des biens du clergé, des biens des émigrés, et bientôt présidèrent à leur vente et en devinrent acquéreurs. Le curé constitutionnel et le maire se détachent sur ce tableau en de vives silhouettes, et c'est bien intéres- sant, très dramatique aussi. J'ajoute que l'auteur, à la différence de certains autres historiens, n'a entendu clouer personne au pilori, mais a voulu raconter sim- plement, en historien, tout ce qu'il a pu savoir en explorant des documents dispersés et que pour la plupart on croyait anéantis. DÉCEMBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 401 FRÉDÉRIC MASSON L'Académie Française (1629-1793). Rien ne saurait atteindre le prestige de Thabit vert et je crois bien que sa vogue est éternelle; ceux-là seuls le vilipendent avec amertume qui le trouvent « trop vert », et c'est encore une manière d'hommage. Un hommage aussi, des malices comme celles que lui décochent nos amis de Fiers et Gaillavet, malices dont le souvenir ne saurait les gêner le jour où ils seront conviés à leur tour à le revêtir, en une séance où ils pourront se féliciter d'avoir fait triompher, pendant tant de soirs, l'Académie aux Variétés. Les usages de l'illustre compagnie, qu'ils se sont amusés à parodier avec tant d'esprit sont parfois assez pittoresques, mais ils ont toujours une raison d'être et leur origine vaut la peine d'être étudiée ; c'est à quoi M. Frédéric Masson s'est employé. Dans ce livre, se trouvent rassemblés et mis en ordre, « pour la première fois, des détails sur l'institu- tion académique qui permettent de comprendre quan- tité d'usages, de règlements et de traditions essentiels à l'existence de la Compagnie ; ces lois, elles ne furent point tracées par une humeur momentanée ou un subit enthousiasme et c'est à leur stricte observation que la doyenne de l'Institut doit d'avoir atteint ce degré d'honneur et de renommée. » Et ce sont des chapitres merveilleusement docu- mentés et palpitants d'intérêt sur les « officiers », les- quels sont : le directeur, le chancelier, le secrétaire perpétuel, le libraire; sur les élections, le serment des académiciens, le scrutin; sur les réceptions; sur les destitutions; sur les travaux de l'Académie réglés par 402 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE les statuts du Cardinal : le dictionnaire, les prix de littérature et de vertu. C'est encore l'Académie et les princes étrangers; les académies de province; l'Aca- démie et l'Église; et enfin, pendant la Révolution française, la dramatique agonie et la mort de l'Aca- démie que Celui-là fera renaître qui fit tout renaître en France, — et c'est ainsi qu'après Richelieu et Louis XIV, ses fondateurs, elle revendiquera comme son rénova- teur, Bonaparte, premier consul... RENÉ DESCHARMES ET RENÉ DUMESNIL Autour de Flaubert. Les deux volumes d'études historiques et documen- taires que MM. René Descharmes et René Dumesnil viennent de publier, Autour de Flaubert, sont tout à fait remarquables. Les auteurs n'ont eu qu'un dessein modeste, celui de passer en revue les à-côtés de la vie et de l'œuvre de Gustave Flaubert; ils ont été amenés ainsi à laisser de côté presque entièrement l'Éducation sentimentale et la Tentation de Saint- Antoine pour s'at- tacher à Madame Bovary, Salammbô, le Candidat, Bou- vard et Pécuchet, autant de centres où convergent leurs divers chapitres. Ils se sont gardés de tout essai de critique; ils n'ont point prétendu analyser les œuvres elles-mêmes, en dégager les beautés ou les défauts; ils se sont contentés, ainsi qu'ils le disent excellemment, de tourner, pour ainsi dire, autour de quelques-unes, pour en décrire l'origine, la genèse ou les conséquences. Ils ont partout rattaché l'œuvre à l'homme, vivifié l'œuvre en rappe- lant quelques aspects des temps où elle a été composée; et ce dessein précis, ils l'ont rempli d'une façon si par- DÉCEMBRE. — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 403 faite que leur étude apparaît comme la plus compré- hensive et la plus complète qui ait été publiée sur Flau- bert, sur sa pensée et sur son œuvre. CAMILLE MAUCLAIR De r Amour physique. Le livre de M. Camille Mauclair me plonge dans un grand embarras; cet écrivain très distingué auquel nous devons des œuvres si émouvantes et si remar- quables aborde, en effet, dans ce nouveau livre des questions très délicates et très scabreuses avec une audace qui ne saurait être permise au chroniqueur du Figaro. Il nous le dit dans sa préface : « J*ai touché ici à quelques préjugés que la plupart des hommes et des femmes éludent en secret, mais dont leur hypocrisie ne souffre guère qu'on parle librement et sans respect ni circonspection. » Mettons, si vous voulez, que je suis un hypocrite, mais je garde un profond respect pour quelques-uns des préjugés bousculés par l'écrivain, et je persiste à croire qu'il convient d'en parler avec beaucoup de cir- conspection. Il y a d'ailleurs, dans le livre de M. Camille Mauclair, une très belle dépense de talent, d'étude et de réflexion, mais il n'aurait pas dû, ni dans son titre, ni dans son livre, employer le mot « Amour ». Ce mot vénérable et charmant qui n'a rien à voir en cette affaire; ce mot, il convient de le laisser à la seule humanité lorsqu'elle reste vraiment humaine et de l'écarter soigneusement lorsqu'on étudie l'homme dans ses ressemblances trop fréquentes avec ses frères inférieurs. M. Camille Mau- clair le sait mieux que moi-même, lui qui évoqua l'amour tragique en de si belles nouvelles, lui qui se 404 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE propose d'écrire quelque jour un livre où seront pré- sentées toutes les radieuses communions de l'homme et de la femme, où sera exaltée la qualité morale de Tamour, où s'affirmera une fervente croyance en l'idéa- lité ineffable de l'amour. Ce livre-là, il pourra s'inti- tuler l'Amour avec un grand A, et sans épithète, et j'éprouverai, cette fois, un plaisir sans mélange à en parler. GÉRARD HARRY Le Miracle des Hommes. Dans ce très beau livre qui mériterait une longue analyse et qui, sans doute, soulèvera de graves discus- sions, M. Gérard Harry exalte le Miracle des Hommes, à propos de la magnifique histoire d'Hélène Keller. Cette histoire vous la connaissez : elle est fameuse dans le monde, c'est celle de cette jeune fille améri- caine, sourde, muette et aveugle, qui grâce à l'aide d'une géniale éducatrice, Miss Sullivan, grâce aussi à des dons inouïs et à une prodigieuse force de volonté, est parvenue à sortir de la triple prison où la nature l'avait emmurée. Cette sourde a compris la grâce des sons, cette aveugle a vu la splendeur des cou- leurs, elle a lu les chefs-d'œuvre de la littérature, elle a pénétré les mystères de la science; cette muette, enfin, a communiqué sa pensée magnifique et profonde à des auditeurs confondus. Il y a là une histoire émouvante et sublime, une des plus belles et des plus pathétiques que nous ait offertes l'humanité. Cette histoire, M. Gérard Harry nous la raconte en des pages très belles de sobriété, d'intensité et de vérité, et cette partie de son livre sera sans nul doute universellement admirée. MÉMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE 405 Il y a en effet une seconde partie : — M. Gérard Harry ne s'est pas contenté de retracer l'histoire d'Hélène Rel- ier, et celle de Marie Heurtin, qui lui ressemble de loin; il a voulu tirer de ces aventures une leçon philosophi- que. Cette conclusion qui s'exprime avec une grande autorité, en un langage très noble, ne rencontrera pas un assentiment aussi unanime : elle risque, en effet, de blesser certains sentiments et certaines convictions très respectables. Mais ceux mêmes qui protesteront contre les théories de M. Gérard Harry ne pourront contester ni sa sincérité ni la noblesse qu'il y a dans cette exalta- tion de l'homme indéfiniment perfectible et capable de réaliser des miracles, « Iç miracle des hommes, celui qui transparaît si particulièrement et si radieusement dans la régénération d'êtres tels qu'Hélène Keller, ce miracle fait pour inspirer à l'homme une foi immense et le guider hardiment vers des devoirs de plus en plus hauts et des réalisations de plus en plus complètes ». Mme Georgette Leblanc-Maeterlinck, qui a connu l'admirable Hélène Keller, a fait précéder ce livre de quelques pages éloquentes où elle exalte cette femme « dont l'existence tenace comme la nature, comme la goutte d'eau qui use le roc, comme le lierre dont la force infatigable couvre les ruines d'un éternel printemps, symbolise l'effort de l'humanité, qui, surmontant les ignorances, va droit vers la lumière. » MÉMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE ROMANS Bouchor (Maurice). — Contes, racontés d'après la traduction populaire des divers pays d'Europe. Brad!a. — La Voix qui accuse. 33. 406 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Hullet (Marie- Anne). — Celle qui manqua. Maël (Pierre). — Les Deux Tigr esses. Nouvel (E.). — La Bonne Idée de V oncle Mathieu. Pêne (Annie de). — C'étaient deux petites filles... Regismanset (Charles). — Le Bienfaiteur de la Ville. Simon-Muller (Marie). — U Autre Werther. HISTOIRE. — LITTERATURE THEATRE. — POESIE. — POLITIQUE. — DIVERS Angot (E.). — Pour toutes les Françaises, pages éloquentes et sages sur l'éducation de l'enfance, l'enseignement secon- daire féminin, le féminisme, le rôle social des femmes, où l'auteur plaide la bonne cause du retour au sens français, où il adjure les mères, les femmes, les éducatrices de com- prendre tout entier leur rôle de Française et de rester fidèles à ce devoir primordial qui est de ne rien répudier de l'histoire de notre pays. Arnaud (Maxime-Emile). — Voir Jean Pelissier. Autin (Albert). — Le Père Gratry. « Les grands hommes de l'Eglise au xix« siècle ». Bellay (Joachim du). — Divers jeux rustiques et autres œuvres poétiques, des pages curieuses et intéressantes publiées par M. Ad. Van Bever sur l'édition originale de 1558 et aug- mentées de lettres de l'auteur avec une notice de Guillaïune Colletet. Bergeret (Stephen). — Plans de réalisation de la société future, un livre sur lequel on lit cette épigraphe pleine de pro- messes : « La Révolution dans l'ordre, dans la paix, par la loi ». Bord (Gustave). — Autour du Temple, des études sur la ques- tion Louis XVII. Bossert (A.). — Histoire de la littérature allemande (nouvelle édition mise à jour). Botrel (Théodore). — Les Chansons des Clochers à jour. Bourdeau (Colonel E.). — Campagnes modernes (premier volume). « U Epopée républicaine, 1792-1804 ». Braunschvig (M. et M^^e Q.). — Notre Enfant, le touchant et instructif journal d'un père et d'une mère, hymne joyeux et grave, que deux voix, tantôt séparées, tantôt confon- dues, entonnent à la beauté souriante de l'enfant, à la fraîche naïveté de son cœur, et à l'éveil de son intelligence qui laisse pressentir les floraisons futures. Brieux (Eugène). — La Tunisie, un très charmant et très solide ouvrage sur cette Tunisie où il y a toujours de la terre à prendre, et qui « se donnera d'elle-même à celui qui l'ai- mera courageusement ». Burnand (Robert). — U Hôtel royal des Invalides (1670-1789). un volume très émouvant, très documenté, orné de nom- MÉMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE 407 breuses images. Pour cette étude, de patientes recherches, de longs dépouillements ont été faits dans les dépôts d'ar- chives et nous possédons, grâce à l'auteur, une histoire définitive de ce monument que Montesquieu appelait « le plus respectable de la terre ». Calvocoressi. — Schumann, un très intéressant volume de la collection « Les écrits et la vie anecdotique et pittoresque des grands artistes ». Cureau (Dr Ad.). — Les Sociétés primitives de V Afrique équato- riale. Defrance (Eugène). — La Conversion d'un sans-culotte. « Ga- briel Bouquier. peintre, poète, et conventionnel ». Desaymard (Joseph). — //a Pensée d'Henri Bergson. Doedalus (Théo). — Israël chez John Bull, des études sur l'his- toire et la progressive influence des fîls d'Israël dans la société, le négoce, 1 1 politique, l'armée, les lettres, les finan- ces et les mœurs britanniques. Dorlan (A.). — Histoire architecturale et anecdotique de Schles- tadt « les transformations d'une place forte alsacienne des origines à nos jours ». Drouët (Marcel). — U Ombre qui tourne, poèmes. Dufay (Pierre). — Journaux inédits de Jean Desnovers, chi- rurgien de l'Hôtel-Dieu de Blois (1689-1728) et d'Isaac Girard, pensionnaire à l'hôpital de Blois (1722-1725), et c'est une vivante évocation de « Blois à la fin du xvn® siè- cle et au commencement du xviii« siècle ». Dumet (Louis). — Honoré de Balzac, critique littéraire. Emerson (R.-W.). — Essais politiques et sociaux (traduction de M. M. Dugard). Il y a là pour beavicoup une sorte de révé- lation, car Emerson, maître universellement célèbre de la vie intérieure, est beaucoup moins connu comme génie positif ; il fut cependant pénétré au plus haut point du res- pect des réalités. Guerre, propriété, éducation, gouver- nement, rôle de l'écrivain, lutte des partis et des classes, il n'est pas une question que son idéalisme pratique n'ait approfondie, en des pages souvent admirables, et ce sont ses écrits sur l'aristocratie, l'éducation, la guerre, la des- tinée de la République, etc., que M. Dugard a traduits Four notre plus grand profit. (Paul). — Histoire politique du XIX^ siècle. Fourest (Georges). — La négresse blonde, une édition définitive de ce livre étonnant d'un écrivain qui gagna à une récente élection le titre imprévu d' « anti-prince >> des poètes, œuvre d'un irrésistible pmce-sans-rire dont l'outrancière fantai- sie va souvent un peu loin, mais monte parfois très haut. Foville ( J. de) et A. Le Sourd. — Les Châteaux de France, Fragin (Maurice). — Le Cœur qui vibre, des vers offerts à la mémoire de François Coppée. Gaffre (Le P. L.-C). — Le Christ et l'Eglise dans la question sociale, les conférences que l'auteur donna au Brésil et dont le retentissement fut si considérable; ce sont ses réflexions sui* « la vraie démocratie, fille de l'Eglise catho- lique et qui, dévoyée, est le socialisme », sur le « rôle de la 408 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE femme, sur la paix universelle par l'éducation ». Ce ne sont ni des notes documentaires, ni des décovivertes sensation- nelles, mais des notes personnelles que l'auteur s'est dédié à soi-même. L'archevêque de Saint- Sébastien de Rio-de- Janeiro a aimé ces conférences; il approuve le livre qui demeurera « comme lui doux souvenir du passage du Père Gafîre dans cette cité et parmi ce peuple qui a applaudi et qui demeurera d'autant plus lié à sa mémoire qu'il aura en ses mains ces fruits bien assaisonnés de sa robuste intel- ligence y>. Garzon (Eugénie). — L'Amérique Latine « République Argen- tine », un remarquable ouvrage où les progrès admirables de ce pays sont exaltés avec éloquence, non pas par des paroles mais par des chiffres, des docimaents, des tableaux, des graphiques. « Nous ne sommes pas partisans, dit l'au- teur, de développements lyriques, nous avons tenu à remplacer les louanges purement verbales par dès données précises, en sorte que le lecteur puisse se faire \ine idée exacte de la situation actuelle et de l'avenir de la Répu- blique Argentine ». Gautier (Judith). — L'Inde éblouie, le « récit d'iuie aventure coloniale, au xviii^ siècle », où l'éminente femme de lettres évoque le souvenir de Dupleix, de de Bussy, de La Touche. M'"^ Judith Gautier ne peut point admettre que l'ingrate Histoire mentionne à peine les héros qui, à cette époque, se sont prodigués pour la gloire de leur pays, ont versé tant de leur sang dans des luttes prodigieuses, dans des combats invraisemblables. Elle répare, pour ce qui est en elle, cette injustice, en faisant revivre l'histoire de cette grande aven- ture française, dans ce pays plein de merveilles et de crimes, où Musulmans, Hindous et Européens sont aux prises; histoire tellement mouvementée, dramatique et brillante, qu'elle n'a eu qu'à la prendre toute vive pour former le plus romanesque des romans. Gignoux (Regio). — Voir Charles Muller. Gourmont (Remy de). — Le Chat de Misère, « des idées et des images ». Guy (Teofilo). — Histoire des Vaudois (nouvelle édition). Hauptmann (Gerhardt). — Michaèl Èramer (traduction de M. Sébastien Voirol). Henriot (Emile). — A quoi rêvent les jeunes gens? L'auteur a voulu se renseigner et nous instruire sur cette question pal- pitante pour notre avenir. Il a interrogé les jeunes — après avoir judicieusement établi ce qu'était un « jeune » — il les a interrogés en se tournant vers tous les partis, car il y a parmi les jeunes une gauche, luie droite et des indépen- dants; il a demandé leur avis aux néo-symbolistes, aux loups, aux paroxystes, aux imanimistes.auxspiritualistes, et ses interlocuteiu-s rangés ainsi sous des vocables, qui res- remblent assez à des étiquettes d'écoles, lui ont répondu avec une quasi-unanimité qu'il n'y avait plus d'école et qu'ils ne voyaient aucune utilité à en former une nouvelle. Laurentie (Frwiçois). — Louis XVII. MÉMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE 409 Lebesgue (Philéas). — Six lais d'amour, des vers modernisés en regard de l'original de l'exquis poète qui s'appela Marie de France. Lenôtre (G.)- — Bleus, Blancs et Rouges, une nouvelle série de « récits d'histoire révolutionnaire >». Le Boux (Hugues). — Un homme qui comprend les femmes... Quel est l'homme en question? Est-ce un maître? Est-ce un sportsman ? Est-ce l'homme poli ? Est-ce im roué ou un naïf? Est-ce l'amoiu-eux platonique, un chérubin, l'homme qui a vécu, le confesseiu*, le médecin, le camarade ? Avec beaucoup de peine l'auteur arrive enfin à conclure : « L'honmie qui comprend les femmes est un homme qui tout d'abord ne les désire pas, c'est un homme pour lequel les femmes éprouvent tantôt de l'amitié, tantôt de l'indif- férence, jamais de l'amour ». Après cela, je connais quel- ques-uns de mes concitoyens qui se résigneront à ne pas comprendre les femmes... Le Soiu-d (A.). — Voir J. de Fo ville. Lugnier (Antonin). — Histoire de la Société lyrique : les Enfants du Caveau. Malherbe (Henry). — PaulHerviçu. Malo (Henri). — Les Corsaires dunkerquois et Jeun Bart, des origines à 1662. Marx (Claude R.). — Georges de Porto Riche. Maurras (Charles). — La Politique religieuse. Cette politique offre trois avantages. « En prenant une vue aussi exacte que possible de l'unité catholique, elle tient compte de la division des consciences françaises. Elle tend à rallier toutes ces consciences catholiques ou non, pourvu qu'elles veuillent maintenir la Patrie. Elle rallie les catholiques, non seulement sans leur demander l'atténuation d'aucune sévérité dogmatique ni morale, mais à proportion qu'ils se montrent plus fidèles à l'unité du dogme romain ». C'est un livTe très remarquable, très fort, d'une sincérité ardente, mais je connais quelques bons Français qui regretteront de n'y trouver nul part ce mot très français : l'apaise- ment. Michaud (Edouard). — La Terre limousine, poésies. Modiano (Léon). — Films d'Orient, des études sur les mœurs orientales, que M. Emile Faguet a goûtées : « Ce voyage en Orient, nous dit-il, car c'en est un, est aussi loin que pos- sible d'être déclamatoire, ce qui nous change. Il me rap- pelle souvent le Voyage en Orient, de Gérard de Nerval, qui est d'un si aimable homme et d'un si bon enfant, sans lais- ser d'être d'un poète, mais d'un poète qui a replié ses ailes, mais encore les a repliées de telle sorte qu'on sent qu'il en a ». Montmorency (Pierre). — Après V Aurore, poèmes. Montpensier (Duc de). — Notre France d'Extrême-Orient. Millier (Charles) et Régis Gignoux. — Mil neuf cent douze. Au théâtre, plusieurs scènes de cette revue m'avaient fran- chement diverti, d'autres m'avaient fait penser, mais je ne la connaissais pas, et c'est en la lisant que j'ai découvert 410 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE là une œuvre délicieuse où une pimpante philosophie, une sagesse amère se dissimulent à peine sous les voiles char- mants de la fantaisie et de la gaieté. Je ne sais pas si ma remarque est très flatteuse pour les revuistes, mais je suis bien sûr qu'elle constitue un rude compliment pour les écrivains. Ils n'ont pas eu, sans doute, la gloire des défilés somptueux et des innombrables représentations, mais ils ont écrit un livre exquis, que nous garderons. Si j'étais revuiste à succès, il me semble que les envierais un peu... Noily (Emile). — Gens de guerre au Maroc. Racontées par un homme qui les vécut, en des pages très sobres, très simples, et cependant pittoresques et dramatiques, ces aventures qui nous conduisent sur les quais de Casablanca et sous les murs de Meknès, chez les Zemmours, au pays Zaer, et à Rabat, nous montrent les soldats français à l'œuvre. L'auteur nous y confie ses émotions, ses espoirs, ses regrets aussi, et c'est le plus bel hommage qu'il puisse apporter à « ses camarades de toutes armes et de tous grades de l'ar- mée d'Afrique qui combattent au Maroc pour la plus grande France, en témoignage d'enthousiaste admiration et d'affection profonde », Payen (Emile). — Vaines Etreintes, poésies. Pelissier (Jean) efc Maxime-Emile Arnaud. — La Morale inter- nationale. La tendance de l'œuvre publiée sous les auspices de l'Institut international de la paix est excellente, ses conclusions sont infiniment louables : « Peuple, tu ne tue- ras point un autre peuple. Peuple, tu respecteras le bien des autres peuples. Peuples, aidez-vous les luis les autres. Peu- ples, aimez-vous les uns les autres ». Tout cela est, en efïet, très beau et c'est un idéal qu'il faut appeler de tous ses vœux; mais qu'il est loin ! Ce n'est pas l'avis de MM. Jean Pelissier et Maxime-Emile Arnaud, aux yeux de qui « l'or- gueilleux édifice des vieilles traditions immorales, injustes et guerrières, oscille déjà sur un sol incertain, cependant que, grâce aux agitateurs populaires, aux philosophes, aux pacifistes, le nuage des aspirations morales s élève de terre ». Si c'est cela que les écrivains ont vu en étudiant l'état actuel de l'Europe, ils ont vraiment de la chance ! Pottet (E.). — La Sainte- Chapelle de Paris. (1246-1912). Rambaud (Alfred). — Etudes sur VHistoire byzantine (publiées par M. Charles Diehl). Rava (Aldo). — Lettres de Femmes à Casanova. M. Edouard May- nial, qui a publié sur Casanova un ouvrage si attrayant, nous ofïre aujourd'hui la traduction d'une série de docu- ments bien remarquables et qui projettent sur la figure de l'illustre aventurier une vive hmiière. Ce sont ces lettres recueillies et publiées en Italie par Aldo Rava. Je voudrais vous raconter toutes ces lettres mais outre que je serais parfois un peu gêné, la place me manque ici pour une complète analyse ; je dois me contenter de vous signaler en bloc cette volumineuse correspondance où vingt belles dames du xviii^ siècle vienennt, sans l'avoir le moins du monde prémédité, prendre la défense de ce don Juan de MÉMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE 4H détestable réputation et nous démontrer qu'il possédait quelque chose de plus et de mieux que la prestance et « l'habileté séductrice élevée à la hauteur d'une carrière » Ah ! qu'en termes galants... Régnier (Henri de). — Images Vénitiennes. Reinach (Joseph). — La Réforme électorale, un volume où l'au- teur a réuni les beaux discours qu'il prononça au Parle- ment et dans le pays pour cette réforme nécessaire. Il les fait précéder d'une préface au cours de laquelle il s'est amusé, en une page, à expliq^uer, selon la méthode socra- tique, le principe, prétendu si difficile, de la réforme élec- torale. J'ai lu cette page et je vous assure que j'ai parfaite- ment compris, bien que je ne sois pas particulièrement doué pour les raisonnements mathématiques et que je n'aie aucune chance, sans doute, de pénétrer jamais à l'Académie des sciences. Reiset (Vicomte de). — Joséphine de Savoie, Comtesse de Pro- vence (1753-1810). Retté (Adolphe). — Au Pays des Lys noirs, des souvenirs de jeu- nesse et d'âge mûr, où l'écrivain affirme avec l'ardente autorité d'un néophyte que, « pour se bien porter la France doit être catholique et monarchiste ». Reynier (Gustave). — Les Origines du Roman réaliste, origines que l'auteur s'en va chercher jusqu'au moyen âge dans le roman de Renart et même jusque dans le Satiricon, de Pétrone, et VAne d'or, d'Apulée. Il explique tout d'abord, dans une très utile préface, le sens qu'il convient de donner au mot de réalisme, pris souvent, et fort inexactement dans une acception défavo- rable. « Il arrive à l'art réaliste de représenter des scènes assez laides et de s'intéresser à des personnages assez bas; mais il n'est nullement condamné à la vulgarité et à la grossièreté, et même il est clair que les peintures les plus libres ou les plus crues ne sont plus de son domaine si elles manquent de vérité ». Richepin (Jean). — D'Eschyle à Aristophane, le deuxième volume des éloquentes et tiimultueuses conférences sur « l'Ame Athénienne «. Et c'est la tragédie, Eschyle, Sophocle, Euripide; le drame satirique, la comédie, Aris- tophane. Rimbaud (Arthur). — Œuvres, Vers et Prose, présentées par M. Paul Claudel, mises en ordre et annotées par Paterne Berrichon. Robine (René). — Le Jardin qui s'éveille, poésies. Steer (André Pétrovitch). — Le Novik. M. le comte de Balin- court nous restitue le très intéressant journal posthume du lieutenant de vaisseau André Pétrovitch Steer, histoire de cet émouvant vaisseau qui défendit les couleiu-s russes et que son douloureux destin a conduit à battre aujourd'hui pavillon japonais, ayant abdiqué jusqu'à son nom pour f)rendre celui de « Sutsuya ». lig (Edmond). — Les Annales du Théâtre et de la Musique. La trente-septième année nous est offerte avec la parure 412 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE d'une bien jolie préface où M. Robert de Fiers plaide le plus spirituellement du monde la cause des critiques auteurs en des pages éblouissantes de verve, de malice et de grâce, où je cueille cette définition de la tâche du critique ; laquelle est « de mener ses lecteurs dans les bois sacrés, près des fontaines des Muses, de mettre des bancs rustiques aux beaux endroits, et de dire, à l'exemple d'Anyte de Tégée : « Qui que tu sois, viens t'asseoir à l'ombre de' ce « beau laurier, afin d'y célébrer les dieux immortels » ! Svetlow (V.). — Le Ballet contemporain (traduction de M. Cal- vocoressi). Témoin (Un). — Histoire de la Guerre italo-turque, 1911-1912. Tolstoï (Léon). — La Pensée et VHumanité (traduction de M. Halpérine-Kaminsky). Cette œuvre commande le res- pect et l'émotion par ce fait &e^A qu'elle est la dernière; que le grand penseur, l'écrivain surhumain s'est tu pour toujours après l'avoir écrite; mais elle intéressera et pas- sionnera pour d'autres causes encore : elle résume en effet la pensée exprimée par les sages universellement reconnus et par les fondateurs des religions les plus répandues de tous les temps et de tous les pays. Ce résumé de tout ce qui avait été dit et écrit avant lui sur l'étemel problème, Tols- toï l'avait longuement médité pour sa propre éducation, pour celle des autres ensuite, et c'est bien « la pensée de l'humanité réfléchie par l'âme de Tolstoï ». Turquan (Joseph). — Les Femmes de Vémigration. C'est le tableau palpitant de l'émigration en Angleterre, et rien n'est plus dramatique sans doute que le spectacle de ces femmes aux blanches mains, aux noms fameux, aux illus- tres origines qui pendant un si long temps luttèrent péni- blement pour le pain quotidien, travaillant tout le jour pour un maigre salaire, et, le soir, reprenant les traditions et les manières des temps heureux pour se recevoir entre elles dans leurs mansardes de Londres. Belles figures vrai- ment, auxquelles M. Joseph Turquan, qui n'est pas de leur bord et qui ne partage pas la religion de l'ancienne monar- chie, rend un émouvant hommage; ces femmes se mon- trèrent fortes dans l'adversité, et, chose plus admirable encore, une fois rentrées dans leur Patrie, elles surent être bonnes, douces et compatissantes. Walle (Paul). — U Argentine telle qu'elle est. Waltz (René). — Lamartine. Willeay (E.). — La Solution de la Question sociale. Witt-Guizot (F. de). — Pour la Foi et pour la, Pairie, L'auteur est assuré qu'on trouvera au milieu du désordre apparent et des sujets divers le fil conducteur qui assure l'unité de l'œuvre en relisant ces mots qu'il répète dans sa préface, après les avoir inscrits sur son livre : « Dieu et Patrie ». QUELQUES DISPARUS QUELQUES DISPARUS HENRI BOUVELET Mort le 7 octobre 1912. Il était né vingt-deux ans avant, en 1890, et cette image quine fit que passer restera vraimentcelledupoète aimé des Dieux. Il y a deux ans un grand poète l'avait révélé au monde : Jean Richepin, dans une page admi- rable de ferveur et d'enthousiasme, avait chanté le premier livre — l'unique — de ce jeune poète : « Le Royaume de la Terre ». Il y avait dans ce recueil, selon un bon juge, une abondance d'idées et d'images, un don de l'harmonie, une musique nombreuse et variée, une fantaisie, un charme, qui signalaient le grand poète. Nous n'aurons pas, hélas ! connu la suite. C'est le prin- temps magnifique d'un été qui n'est pas venu. 416 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE LÉON DIERX Mort le 11 juin 1912. Il était né en 1838. C'était presque le doyen; c'était le prince élu des poètes français. Ce grand vieillard aimable, souriant et grave tout à la fois, et qui chaque jour, depuis si longtemps, sor- tait de sa modeste chambrette pour s'en aller dans un petit café parler avec des amis, de poésie, d'art et de beauté, fut un grand poète. ( Il avait débuté en 1864, voilà près de cinquante ans, par un recueil de poèmes et poésies où l'on s'était plu à saluer les promesses d'un beau talent et qui était anté- rieur de deux ans aux débuts de François Coppée et de Paul Verlaine. Trois ans plus tard, il donnait Les Lèvres closes ^ un livre qui est considéré comme son chef-d'œuvre et qui est en réalité un chef-d'œuvre. Ce furent ensuite Les Amants et ces nobles Paroles d'un Vaincu y qui constituent bien une œuvre digne de défendre ce beau nom contre l'oubli. Il n'avait donné qu'une pièce au théâtre, La Ren- contre j qui fut jouée en 1875 à TOdéon. QUELQUES DISPARUS 417 GABRIEL MONOD Mort le 10 avril 1912. Il était né en 1844. Toute sa vie fut vouée à l'étude, soit qu'il professât, soit qu'il écrivît : Directeur de l'École des Hautes Études, maître de conférences à l'École Normale Supé- rieure, professeur d'histoire de la civilisation du moyen âge de l'Université^de Paris, professeur au Collège de France, il a exercé ^une influence considérable sur un grand nombre d'élèves qui sont devenus des maîtres et auxquels il sut inculquer sa passion pour la recherche pure. Ce fut, ainsi qu'a dit un très bon juge : « le maître de la méthode ». Dans la foule des écrits qu'il donna à la Revue des Deux Mondes, à la Revue de Paris, à la Revue Internationale de V Enseignement, à la Revue, à la Revue universitaire, à la Revue Bleue, et dont l'ensemble constitue un œuvre imposante et magistrale, deux livres se détachent plus particulièrement, ce sont ceux qui ont porté son nom apprécié des érudits jus- qu'au grand public : Les Maîtres de l'histoire : Renan, Taine, Michelet et « Jules Michelet, études sur sa vie et sur ses œuvres », livre définitif sur le grand historien. Il faut citer aussi ses études critiques sur les Sources de l'Histoire Mérovingienne et la Bibliographie de l' His- toire de France. CONCOURS & PRIX LITTÉRAIRES CONCOURS ET PRIX LITTÉRAIRES LE PRIX CONCOURT Le 4 décembre 1912 TAcadémie Concourt, composée de M. Léon Hennique, président, M.^^ Judith Cautier, MM. Elémir Bourges, Lucien Descaves, Léon Daudet, Custave Ceffroy, Paul Margueritte, Octave Mirbeau, Rosny frères, a attribué son prix annuel de cinq mille francs à M. André Savignon pour son livre Filles de la plaie « Scènes de la vie ouessantine ». Le prix fut attribué à M. Savignon par cinq voix, dont la voix prépondérante du Président, M. Léon Hen- nique, contre cinq à M. Julien Benda, auteur de L'Ordi- nation dont il est question dans une autre partie de cet ouvrage. Il y a du talent, un âpre talent, dans ces scènes de la vie ouessantine évoquées par M. André Savignon, images hautes en couleur, violentes et rudes, qui se dessinent en des mots rangés avec un art brutal, non parfois sans quelque affectation, mais toujours intensé- ment personnels. L'auteur, qui aperçut Tile pour la première fois du haut de la Pointe Saint-Mathieu, est sans bienveillance pour ce coin de terre qui Taccueillit, et pour ses habi- tants, pour ses habitantes surtout, ces filles de la pluie, 24 422 tfi MOuVBltBIfï LlTTÉRAlttË femmes naïves et sans défense, qui furent corrompues par ce contingent de soldats coloniaux lâchés au milieu d'elles a qui abâtardissent la race par l'exemple d'une dépravation détestable, par Talcool et pire». CONCOURS ET PRIX LITTÉRAIRES 423 LE GRAND PRIX DE LITTÉRATURE Le Grand Prix de littérature, fondé sur Tinitiative de M. Thureau-Dangin pour récompenser une œuvre d'imagination d'un caractère élevé, a été décerné le 2 mai 1912 à M. André Lafon pour son roman L'Elève Gilles. La Commission chargée par l'Académie de choisir le lauréat préposé, lequel n'a point à faire œuvre de can- didat, était composée de MM. le Comte d'Haussonville, Ernest Lavisse, Jules Claretie, Paul Bourget, Paul Her- vieu, Pierre Loti, René Bazin, Maurice Barrés et Mar- cel Prévost. Les conclusions de cette Commission ont été adoptées par une forte majorité qui a consacré ainsi un jeune écrivain actuellement maître d'études. M. André Lafon était connu déjà et apprécié comme poète, ses débuts de romancier l'ont placé au premier rang; son roman, qui évoque avec une douce et doulou- reuse vérité un petit lycéen, adroitement emprunté à David Copperfield, quoique si différent, a été apprécié dans les termes suivantes par M. Jules Claretie : « Cet Elève Gilles est une œuvre d'une sensibilité profonde et d'un talent rare. L'auteur, qui sera célèbre demain, nous donne là, sur la pensée de la génération nouvelle, un document tout à fait précieux. Ce n'est plus la poussée vers l'action farouche, c'est l'aspiration idéale de labeur et de devoir ». A la première page de son roman M. André Lafon a écrit ces lignes qui précisent sa pensée et indiquent assez bien sa manière : « Vous qui vous pencherez sur ces pages avec l'envie d'y revoir, parmi tant de choses morales, des figures jadis connues, ne soyez point 424 J,B HOUVEMENT LITTÉRAIAE étonné de trouver Tenfant qui se raconte si peu sem- blable à votre souvenir. Mais rappelez-vous ses silences et sachez ce que vous dérobèrent un masque pâlot et des regards qui fuyaient l'interrogation du vôtre ». CONCOURS ET PRIX LITTÉRAIRES 425 LE PRIX SULLY-PRUDHOMMF Le 10 juillet 1912 le Prix Sully-Prudhomme a été décerné par les héritiers littéraires du maître, à M. Char- les Clerc pour Les Oasis dont il est question dans une autre partie de ce volume. 24. 426 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE LE PRIX NATIONAL DE LITTÉRATURE (Prix de Rome.) Le Prix national de Littérature (Prix de Rome) était cette année attribué à la poésie. Il a été décerné à M. Emile Ripert pour son recueil la Terre des lauriers. M. Emile Ripert avait déjà publié quelques recueils très appréciés, tels « le Chemin blanc » et « le Golfe d'amour ». C'est un très jeune professeur de lettres, ori- ginaire de Provence et qui, dans ses poèmes, chante la gloire de cette terre bénie et de ce beau ciel. Il la chante à travers les âges, évoque ses éternelles splendeurs et sa mouvante histoire, sa mer si bleue, sa lumière écla- tante, sa grâce brillante et souveraine : les soldats d'Annibal et l'amour du Sarrasin, la ville des Papes et l'ombre du roi René, le temps des guerres et l'espoir d'aujourd'hui. Sa poésie est d'une tradition très classique, d'une forme très sage et d'une somptueuse harmonie. Le Jury était composé de : MM. Emile Blémont, pré- sident; Victor Margueritte, Henri de Régnier, R. de Saint-Arroman, Jules Bois, Alcanter de Brahm, Léon Riotor, Victor-Emile Michelet, Maurice Barrés, Char- les Beauquier, Charles Couyba, Lucien Descaves, Mau- rice Donnay, Auguste Dorchain, Ernest Dupuy, Mau- rice Faure, A. Foulon de Vaulx, Gustave Khan, Georges Lecomte ; Maxime Lecomte, Gustave Rivet, J.-H. Rosny aîné, Marcel Sembat, Vervœst, chef de bureau de l'enseignement supérieur à l'instruction publique. CONCOURS ET PRIX LITTÉRAIRES 427 LE PRIX « VIE HEUREUSE » Les femmes de lettres qui composent le Jury du Prix « Vie Heureuse » ont, dans leur séance du 6 décem- bre 1912, décerné le grand prix de cinq mille francs à M "^6 Jacques Morel pour son roman Feuilles Mortes. Le nom de M^^ Jacques Morel n'était guère connu du grand public. Son roman, d'une excellente tenue litté- raire, est une œuvre agréable et d'une jolie émotion. Les Feuilles Mortes, que remue Geneviève, dans sa dramatique confession de femme innocente, exhalent un rare parfum d'honnêteté. Car Geneviève, aujourd'hui Agée de quarante ans et résignée aux fils d'argent de sa hevelure, ce qui n'est pas très parisien, fut jadis, il y a quelque quinze ans, sur l'extrême bord du précipice. Elle est restée fidèle au devoir, elle n'a pas voulu faire le désespoir d'un brave homme qui l'aimait, et qui l'aime tendrement, elle s'est sacrifiée et elle a envoyé au sacrifice l'homme qu'elle adorait. Tout cela pourrait être assez banal, mais M^^^ Jacques Morel esquive ce péril par sa simplicité même qui, écartant toute idée de prétention, donne à son roman une émotion pénétrante et mélancolique, et vraie. Le Jury était composé de M^^^s Juliette Adam, Bar- ratin, G. de Broutelles, Alphonse Daudet, Dieulafoy, Jean Dornis, Duclaux, Claude Ferval, Judith Gautier, Félix-Faure-Goyau, Fernand Gregh, Myriam Harry, Delarue-Mardrus, Catulle Mendès, de Peyrebrune, Poradowska, la duchesse de Rohan, Marcelle Tinavre. INDEX ALPHABÉTIQUE Abbas(Pa\il) 157 Abd el Aziz (Mouley) 212 Abd el Hafld (Mouley) 212 Acker (Paul) 103, 215, 368 Ackermann (M ™e) 76 Adam (Juliette) 427 Adam (Paul) 92, 373 Aderer (Adolphe) 225 Agés (Robert d') 50 Aghion (Max) 288 A. H. (Commandant) 251 Aicard (Jacques) 127 Aicard (Jean). .. 126, 292, 294 Aiguillon (Duchesse d') 88 Alanic (Mathilde) 126, 289 Albin (Pierre) 127 Alcanter de Brahm ... 215, 426' Alexandre (Arsène) 87 Alexandre Jer 91 Alexandre VI 70 Alexinsky (Grégoire) 325 Allais (Alphonse) 101 Allem (Maurice) 175 Allorge (Henri) 374 Aimeras 86 Alphonse XIII 47 Amie (Henri) 109 Amiel (Denys) 87 Anaximandre 128 André (Paul) 250 Angel 216 Angelico (Fra) 180 Angellier (Auguste) 322, 374 Anglejan (Jacques d') 325 Angot(E.) 406 Anne d'Autriche 240 Annunzio (Gabriele d') 87 Antioche (Comte d') 216 Anytée de Tegée 412 Apollinaire (Guillaume) 375 Applin 50 Apulée 411 Aramitz (Henri d') 42 Ardouin (M™e Suzanne) 290 Arène (Paul) 14 Argenson (Marquis d') 40 Ariste (Paul d') 363 Aristophane 411 Aristote 46 Arnaud (Maxime - Emi- le 406,410 Arnelle 214 Arnould (Louis) 375 Arnoux (Alexandre) 8 Arrivetz 363 Artois (Armand d') 216 Aubernon de Neuville (M "»«) 7g Aubert (Marcel) 290 Aubert(D'P.) 127 Aubigné (Agrippa d') 328 Aubry (Octave) 2 Auburtin (J. -Francis) 293 430 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Audibert (Marcel) 373 Audigler (Georges) 290 Augé-Laribé -(Michel) 175 Aumale (M"e d') 76 Aumale (Duc d') 220 Auscher (René) 128 Autevielle (Armand de Sil- lègue d'Athos d') 42 Autin (Albert) 406 Avancourt (Comtesse Jean d') 18 Avèze (André) 216 Avril (René d') 127 Aynard (Raymond) 176 Ayrolles (Le R. P.) 294 Babeuf 181 Babin (Gustave) 211 Bac (Ferdinand) 81 Bach(J.-S.) 130 Bacon 366 Bacot (Jacques) 290 Baillehache (Comtesse de).. 354 Bailly (Auguste) 296 Bailly (Ferdinand) 216 Balcomb (Betsy) 358 Baldensperger (F.) 51 Baldy (Robert) 216 Balincourt (Comte de) 411 Balsac (Pierre) 174 Balzac (Arcis de) 168 Balzac (Honoré de) 79, 170, 407 Banville (Théodore de). 18, 292 Baour-Lormian 245 Bapst (Edmond) 375 Baranger (Léon) 214 Baratier (Lieut.-Colonel).. . 127 Barbey d'Aurevilly.. . 129, 216 Baraude (Henry) 86 Baraudon (Alfred) 290 Barodet 167 Barratin (M^^e) 427 Barraute du Plessis (M ™e). . 289 Barre (André) 18 Barreaux (Théophile des). . 207 Barrés (Maurice). 43, 88, 90, 119, 128, 180, 188, 216, 217, 423, 426 Barrière (Maurice) 17 Barrière (Théodore) 242 Barrot (Odilon) 167 Barry (Léon) 131 Bart(Jean) 409 Baschet (Jacques) 51 Bastide (Ch.) 176 Bataille (Frédéric) 51 Bataille (Henry). . 87,292, 325 Bathilde (Reine) 128 Batilliat (Marcel) 353 Batz (Baron Jean de) 315 Batz (Baron de) 315 Batz - Castelmore (Charles- de) 42 Baucarcé (J.-D. de) 290 Baudelaire 54, 243 Baudin (Pierre) 375 Baudrillard (Mgr) 176, 328 Baudry(Paul) 216 Baumann (Emile) 216 Baye (Baron de) 51 Bazile (Georges) 21 Bazin (René) 58,423 Béarn (André) 17 Beaucoudrey (R.-G. de) 290 Beaume (Georges) 50, 343 Beaumont (Comte René de) 325 Beaunier (André) 83, 364 Beauquier (Charles) 426 Belgrand d'Arbaumont 237 Bellanger (Justin) 176 Bellay ( Joachim du). . 371, 406 Bellet 51 Bellune (Duc de) 278 Benda (Julien).. . 285, 332, 421 Bénédite (Léonce) 290 Benoît XIV 89 Benson (E.-F.) 299 Benson (Robert-Hugh) .... 214 Benzart (Paul) 375 Béranger 79, 167 INDEX ALPHABÉTIQUE 431 Berger (Lya) 214 Berger (Marcel) 386 Bergerat (Emile) 13, 319 Bergeret (Stephen) 406 Berget (Alphonse).. . 176, 251, 290, 386 Bergson (Henri) 128, 248, 285, 407 Bernard (A.) 375 Bernard (Abbé G.) 176 Bernard (Jean) 127 Bernard (Tristan) 101, 289 Bernard-Arnous (Jeanne). . 251 Bernet (Edmond) 216 Bernos 251,252 Bernstein (Henry) 375 Bersaucourt (Albert de) 245 Bertaut (Jules) 251 Berteval (W.) 51 Bertheroy (Jean). 63,174,347 Berthet (Marguerite) 375 Bertrand (Comtesse) 71 Bertrand (Louis) 265, 375 Bessières 111 Bidou (Henry) 143,375 Bienstock 149 Binet-Sanglé (D') 51 Binet-Valmer 138, 373 Binot (Df Jean) 20 Bismarck 72,178,322 Bitâr 325 Blaison (Louis) 251 Blanc (Louis) 79 Blanc (Yves) 17 Blanchon (Pierre) 87 Blanguernon (Edmond). .. 290 Blay de Gaïx (Baron de) 51, 290 Blech (Aimée) 17 Blémont (Emile) 426 Bloch (Jean Richard) 126 Blondel (Georges) 280 Bloy (Léon) 51,86 Blum (René) 103 Bodève (Simone) 311 Bœttcher (M">» F.) 325 Bois (Jules) 87,127,426 Boisey (Maurice de) 216 Boisseau (Marius) 87 Boissière (Albert) 28 Boissy (Maurice de) 127 Boissy d'Anglas 251 Bolivar 219 Bonand(R. de) 127 Bonaparte (Caroline) 111 Bonaparte (Élisa) 111 Bonaparte (Jérôme) 111 Bonaparte (Joseph) 251 Bonaparte (Pauline) 111 Boncour (Paul) 121, 290 Bonmariage (Sylvain) 17 Bonnal (Ed.) 325 Bonnal (Général) 87 Bonnamour (Georges) 127 Bonnat 53 Bonnefon (Jean de) 51 Bonnet (Batisto) 44 Bord (Gustave) 406 Bordeaux (Henry). 27, 88, 216, 251 Bordeu (Charles) 193 Bordier (Henri) 250 Borgia (César) 70, 116 Bornecque (Henri) 176 Borrey (Capitaine Francis). 220 Bory(Dr) 125 Borys (Daniel) 176 Boscq de Beaumont (G. du) 252 Bossert(A.) 406 Bossuet..- 301 Botrel (Théodore) 176, 406 Boucaru 87 Bouchaud (Pierre de) 51 Bouchaud {W^^ Pierre de, « Cardeline ») 68 Boucher (Dr) 17 Bouchor (Maurice) 18, 405 Bouguereau 171 Boulenger (Jacques).. . 65, 376 Boulenger (Marcel) ... 197, 283 Bouquier (Gabriel) 407 Bourbon (Duc de) 19 432 LE MOUVEMKNT LITTÉRAIRE Bourdeau (Colonel E.) 406 Bourdelle (E. Antoine) 293 Bourée (Lieutenant de vais- seau H.) 376 Bourgeois (Léon) 178 Bourges (Élémir) 421 Bourget (Paul). 15, 19, 169, 178, 251, 287, 292, 305, 423 Bourgin (Georges et Hu - bert) 88 Bourotte 376 Bouscatel (Jean) 127 Boussenard (Louis) 376 Boutet de Monvel 118 Boutroux (Mme Emile) 123 Bouvelet (Henri) 415 Bouvery (André) 277 Bouyer-Karr (M^e) 30 Bouyn ( Jean) 219 Boyer (Pierre) 100 Boyer d'Agen 18 Boylesve (René) 185, 251 Brada 405 Brancas (Duchesse de) 40 Branywyn (Franck) 181 Braun (Thomas) 216 Braunschvig (M. et M^^ G.) 406 Brégand (Georges) 51 Briand 179 Briant (Jean) 378 Brienne (Loménie de) 219 Brieux (Eugène). 130, 290, 406 Brillant (Maurice) 176 Brillat-Savarin 41 Bringer (Rodolphe). . 174, 250, 289 Brisson (Adolphe) 376 Brissot (Jacques-Pierre) ... 218 Brissot 183 Brizeux (Auguste) 176 Broglie (Duc de) 322 Broquelet (A.) 217 Broquetons (Jean des) 325 Broussan-Gaubert (Jean- ne) 236 Broutelles (M^e de) 427 Brouwet (Emile) 161 Bruchard (Henry de) 252 Bruneau (Général) 88 Brunet (Marcel) 176 Bninetière (Ferdinand) 170,217^ 291, 322 Brydon (Joseph) 17 Bugeaud (Commandant)... 178 Bunyan 253 Burke (Edmond) 325 Burnand (Robert) 406 Burnat - Provins (Margue- rite) 82 Bussy (de) 40^^ Bussy d'Amboise 4è Buxy(B. de) 17,214 Cabanes (D^) Cadoudal Cagnat (R.) Gagliostro Caillaux Caillavet (G. de) Gain (Georges) Callet (A.) Calvocoressi 407 Camille (Colonel) Camus (Théodore) Candia (Mario de) Cantacuzène (Charles- Adol- phe) 52 Capart (Jean) Capet (Hugues) Capillery (Louis) Cappati (Louis) Capperon (Louis) Capus (Alfred) 87 Carco (Francis) Cardonne (Pierre de) Garlyle Carol (Jean) 88 26 37«- 213. 179 i 40i- 21s SB , 412 160 176 28i , 376f 379; 89» 174* 376 217 , 369 291 214 378 289 ♦ INDEX ALPHABÉTIQUE 433 Caron (Pierre) 217,252 Carré (Henri) 176 Garret (D' Jules) 127 Carton de Wiart 376 Cartwright(M™Ady-Julia). 176 Casanova 410 Cassot (Cécile) 50 Castanié(F.) 39,162 Castellani (Ch.) 85 Castex (Lieut. de vaisseau). 127 Castier (Jules) 291 Castiglione (Comtesse de). . 278 Cathelineau 206 Catherine II 41, 91 Cathlin (Léon) 17,373 Caudwell(W.) 176 1 lauzons (Th. de) 18,176 i iaussy (Fernand) 128 (iaylus (M°»e de) 76 Cazin (Paul) 180 Césanne (Jacques) 88 Cestre (Charles) 176 Cézanne 54 ChamboUe (Michel - Augus- te) 166 <^hambord (Comte de) 178 ( Ihaminade (Guillaume - Jo- seph) 328 I ihamplain 177 t ihampsaur (Félicien). . 33, 341 Chantavoine (Henri) ... 52, 376 Chapelain (Jean) 18 Chaplin 53 Chapman (W.) 376 Charbonneau (Jean) 252 Charles 1'=' 326 Charles X 360 Charmont (Joseph) 217 Chateaubriand. 19, 20, 46, 52, 54, 55, 74, 114, 168, 179, 216, 322, 364 Chaucer 128 Ghaudey (Gustave) 92 Ghauvelot (Robert) 393 Ghauvigny (Louis de) 217 Ghebrac (Henri de) 126 Gheffaud (P.-H.) 325 Ghenevière 360 Ghenevières (Marquis de). . 171 Ghénier (André) 20 Cheradame (André) 176 Ghéret 53 Chesterton (K.-G.) 50 Ghevignard de Ghavigny (Théodore) 19 Ghevreul 291 Gheylack (Auguste) 291 Christine de Suède 19 Choderlos de Laclos 217 Chopin 52, 78 Choppin (Capitaine Henri). 291 Christmas (Walter) 373 Chuquet (Arthur) 88,176, 217, 325 Gim (Albert) 86 Gladel (Judith) 114 Gladel (Paul) 54 Clairon (M^e) 76 aaretie(Léo) 88,174,252 Glaretie (Jules) 226,423 Clary ( Joachim) 250 Claudel (Paul) 90, 217, 411 Clauzel (Raymond) 301 Clerc (Charles) 325, 425 Glouzet (Gabriel) 252 Cochin (Henri) 167 Goëhorn (Général Baron de) 219 Goignet (Capitaine) 163 Goleridge 128 Golet (Louise) 130 Collas -(Georges) 18 Golletet (Guillaume) 406 Colomb (Félix) 52 Colonna (Vittoria) 51 Golson (G.) 176 Combette (Dominique) 325 Gomert (Marguerite) 86 Gommaille (J.) 176 Gompain (Louise) 145 Comte (Auguste) 372 Gonan Doyle 250 Conrad (Joseph) 174 25 434 LE MOUVEMENT LITTERAIRE Constant (Max) 289 Constant Scribe (Druy de).. 252 Conti (Prince de) 219 Conti (Princesse de) 327 Coppée (François) 407, 416 Coquiot (Gustave) 88 Corbin (Pierre) 376 Cornaz (Roger) 18 Cornu (Paul) 291 Corot 53 Corréa (José-Augusto) 252 Costel(Paul) 291,377 Cottet (Charles) 293 Cottu (Baronne) 76 Coulomb (Jeanne de) 214 Coulon (Marcel) 88 Coupey (Auguste). 50 Courboin 118 Courteline (Georges) 335 Cousin (Victor) 167 Couyba (Charles) 426 Crémieux (Albert) 88 Crémieux(MnieMathildeP.) 52 Créqui (Duc de) 219 Cros (Guy-Charles) 217 Croze (Austin de) 52 Croze-Lemercier (Comte P. de) 73 Cruck (Eugène) 52 Gruppi (Louise) 217 Cruyplants (Major Eugène). 176 Cureau (D' Ad.) 407 Curel (François de) 294 Curzon (Henri de) 177,181 Curwood (James-Olivier). . 214 Gustot (Pierre) 395 Cuttoli (Lieutenant H.)... 177 Cuvillier-Fleury 220 Dacre (Ferdinand) 17 Dacremont (Henri) 325 Dagan (Henri) 46 Daireaux (Geoffroy) i11 Dalby (Joseph) 88 Dalou 242 Damad (Marianne) 214 Damas (Comte Roger de). . 180 Danan (Alexis) 18 Danrit (Capitaine) 50, 174 Dante 70,253,325 Danton 317 Darros(J,-M.) 86,214,289 Darvillé(W.) 52 Daubret (Victor) 86 Daudet (Alphonse) 44 Daudet (M^e Alphonse) 427 Daudet (Ernest) 113,164, 321, 377 Daudet (Léon) 57,170, 337, 421 Dauzat (Albert) 88,371 Davray (Henry D.). .. 50, 174, 215 Davis (Le R. E. W. L.) 325 Davy 49 Delïand (Mme du) 223 Defrance (Eugène) 407 Dehérain (Henri) 291 Dekobra (Maurice) 272 Delaborde (Comte Henri). . 171 Delacroix 79 Delafarge 217 Delahache (Georges) 52 Delaroche-Vernet (André).. 318 Delaroche-Vernet (Philippe- Grégoire) 318 Delarue-Mardrus (Lucie).. 2 5, 259,427 Delastre 118 Delattre 52 Delavelle (Henri) 325 Deledda (Grazia) 175 Delille (Abbé) 253 Delines (Michel) 177 Delmont 215 Deloche (Maximin) 38 Delorme- Jules-Simon (M'^e J.) 66 tî^DEX ALPfiABéTIQC» 4â5 Delza (André) 128 Delzons (Louis) 388 Demandolx (Madeleine de). 279 Démange (Charles) 291 Demblon (Célestin) 366 Denys Cochin ." 291 Depagnat (Roger) 128 Deperrois (Marie-Louise).. 18 Derème (Tristan) 377 Derennes (Charles) 270 Derieux (Florent) 52 Dérieux (Henry) 252 Derosne (Bernard) 299 Deroxe (Myriam) 250 Dervieu (Robert) 18 Derys (Gaston) 291 Derzac (André) 177 Desaix 325 Desaymard (Joseph) 407 Desbordes-Valmore (Marce- line) 18, 128 Desbruyères (Marie) 18 Descaves (Lucien) 421, 426 Deschanel (Paul) 53,179 Descharmes (René) 402 Deschaumes (Edmond) 105 Deslinières (Lucien) 128 Desnoyers (Jean) 407 Dessoubre (Henry) 250 Détaille 53 Dhanys (Marcel) 222 Diehl (Charles) 410 Dierx (Léon) 377,416 Dietrich(A.) 181 Dieulafoy (M^e) 427 Dillon (Arthur) 72 Diplomate (Un) 177 Diraison-Seylor 86, 374 Divoire (Fernand) 177 Dmitnev (Valentine) 106 Doedaïus (Théo.) 407 Doenniges (Hélène de) 216 Doléris(D'-J.-A.) 377 Donnadieu (Général) 114 Donnay (Maurice) 88, 426 Dor(Prosper) 374 Dorchain (Auguste).. . 176, 426 Doré (Gustave) 53 Dorian (M^^e Tola) 380 Dorlan (A.) 407 Dornis (Jean) 244,427 Dortzal (Jeanne) 88 Douady (Jules) 128 Doublet (Georges) 19 Doumic (René) ... 44, 217, 291 Dours (Général Joseph- François) 292 Doysié (Abel) 128 Drault (Jean) 175 Dreyfous (Maurice) 241 Dromart (Marie-Louise) ... 19 Drouët (Marcel) 128, 407 Drouet (Joseph) 377 Dru (Gaston) 380 Dubois (Paul) 171 Duboit (Charles) 377 Duboscq (André) 325 Dubroca (Maxime) 214 Duclaux (M^ne) 427 Duchesne (Gaston) 88 Ducos (Gabriel) 291 Dufay (Pierre) 407 Dufour (Marcel) 48 Dufour (Philippe) 88 Dugard (M.) 407 Dugué de la Fauconnerie.. . 320 Duhamel (Georges) 177 Dulac (A.) 252 Dumas (Charles) 9 Dumas (Alexandre, père).. 42, 79, 213, 242, 258 Dumas (Alexandre, fils), 79, 180 Dumesnil (René) 402 Dumet (Louis) 407 Dumont (Victor) 19 Dumont-Vilden (L.) 88 Dumouriez 176 Duncan (M"e Ethel) 281 Dunoyer (Alphonse) 399 Dupin (aîné) 167 Dupleix 408 Dupont (Etienne) 88 436 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Dupuis (Commandant V.).. 177 Dupuy (Ernest) 426 Duquet (Alfred) 377 Duraciné Vaval 291 Durand (Yvonne) 214 Duranty (Marquis de) 128 Duras (Duchesse de) 54, 76 Dureng (Jean) 19 Durer (Albert) 54 Durkheim 129 Dutil(Léon) 19 Duval (Alexandre) 245 Duvernois (Henri) 141, 266 Dybowski (Jean) 217 Echegaray (José) 177 Edouard VII 47 Edwards (Alfred) 177 Edwards (Emile) 97 Elder (Marc) 350 Élisa (Grande-Duchesse)... 19 Elisabeth d'Autriche.. 47, 329 Emerson (R.-W.). 128,378,407 Encausse (D', « Papus »)... 217 Enghien (Duc d') 27 Epry (Gh.) 291 Epuy (Michel) 214 Escalle (Lieutenant G. -P.).. 326 Escars (Duc d') 293 Eschyle 377,411 Esnault-Pelterie (Robert)... 291 Este (Isabelle d') 176 Estrée (Paul d') 88 État-Major de l'Armée 19 Etchebarne (Sébastian G.). 252 Eude (Robert) 250 Eudel (Paul) 326 Eugène (Prince) 54, 252 Eugénie (Impératrice) 12 Euripide.. 411 Evie (Henry) 50 Evrard (Laurent) 214 Exteens (Maurice) 377 Eyris (Marcelle) 19 Faber(Léona) 196 Fabié (François) 218 Fabulet (Louis) 192 Faguet (Emile).. 52, 128, 326, 375, 409 Faivre (Abel) 289 Fanta (M"e a.) 378 Faraday 49 Fargue (Léon-Paul) 377 Farrère (Glaude) 251, 325 Faur 177 Faure (Gabriel) 177 Faure (Maurice) 426 Faure-Goyau (Lucie -Félix). 252, 427 Faure-Biguet (J,-N.) 88 Favart (M^^e) i80 Favras 41 Favre (Jules) 253 Febure (Lucien) 377 Febray (Isabelle) 88 Fegdal (Gharles) 252 Fegel (Paul)...^. 407 Félix (Gapitaine Pierre) 52 Félix (Commandant) 291 Fendrich 128 Fénelon 301 Ferchat (Joseph) 88 Ferdinand-Philippe d'Or - léans 19 Ferny (Jacques) 326 Ferode 289 Ferreti (Hortense A.-M. de). 214 Fersen-Adelsward (Jacques de) 214 Ferval (Glaude) 427 Fescourt (Henri) 329 Feuillet (Octave) 170 Filon (Augustin) 252, 362 Fischer (Max et Alex). ..... 233 Fisquet (Louise) 126, 17^ INDEX ALPHABÉTIQUE 437 Flamant (Paul) 289 Flambart des Bords 374 Flammarion (Camille).. 19,130 Flaubert (Gustave) 319, 375, 402 Flavacourt (M «e de) 40 Fleischmann (Hector). 128, 251 Fiers (Marquis de) 401, 412 Fleury (Cardinal) 39 Fleury (D"^ Maurice de) 124 Floquet (D' André) 247 Florence (Jean) 50 Florian 294 Foley (Charles) 128,215, 313, 374 Fontainas (André) 374 Fontenelle 326 Forbin 214 Forgeau (Choderlos de La- clos (Etienne) 217 Formont (Maxime) 70, 227 Fouché 27,219 Fouchet (Maurice) 215 Fougères (Gustave) 291 Foulon de Vaulx (A.) 426 Fouquet 42 Fouquier (Marcel) 218 Fouquières (André de) 177 Fouquier-Tinville 399 Fourest (Georges) 407 Fournier (Marc) 78 Foville (Jean de) 407 Fragin (Maurice) 407 France (Anatole).. 14, 90, 182, 241, 251 Franck (Henri) 218 Franc-Nohain 50 François I^' 375 Franklin (Alfred) 19 Frapié (Léon) 190, 341 Frappa (J.-J.) 315 Fraysse (Antonin) 128 Frémeaux (Paul).. . 52, 71, 358 Fresnay (Guy de) 19,271 Fresnois (André du) 177 Friedrichs (Otto) 252 Fromentin (Eugène).... 85,87 Funck-Breniano (Frantz). . 89, 261, 360 Fus tel de Goulanges 170 Gabrielle (La belle) 75 Gâchons (Jacques des). 50, 391 Gachot (Edouard) 89, 112 Gaffarel (Paul) 128 Gaffre (Le P. L. C.). .. 377,407 Gaignard (Hilaire) 86 Gaillard (E.) 86 Gaillard (Vincent) 219 Gaix (Coralie de) 290 Galli-Valerio (B.) 177 Gallo (Charles) 86 Galopin (Arnould) 126 Galzy(J.) 157 Gamain 41 Gambetta 319,322 Garcia-Caldéron (F.) 218 Garçot (Maurice) 289 Garzon (Eugénio) 408 Gaubert (Ernest) 220, 292 Gaubert (Léo) 50 Gaubert - Saint - Martial (Raoul) 19 Gaufridy (Abbé) 279 Gaulot (Paul) \ 317 Gauthiez (Pierre) 126 Gautier (Judith). 281, 408, 421, 427 Gautier (Théophile), 90, 170, 242 Gavarni ;. .178 Gavault (Paul) 177 Gebhardt (Emile) 1 30 Geffroy (Gustave) 19, 421 Geiger (André) 306 Gélis(F. de) 177 Géniaux (Charles) 4, 60, 88 Genlis (M«ne de) 19 GeofTrin'(M"»«) 78,117 George (M "«) 27 Georges ler m 47 Gérard (Rosemonde) "'^292 438 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Gérard -Wegimont (Pierre). 215 Gerhardt 49 Gerôme 171 Gide (André) 54 Gignoux (Régis) 408, 409 Gilbert des Voisins 96 Gill (Mary) 325 Gillouin (René) 128 Ginisty (Paul) 89 Gir 177 Girard (Isaac). 407 Girardin (J.) 215 Girardin (Marquis de) 219 Giraud (Albert) 89 Giraud (Jean) 253 Giraud (Victor) 19, 322 Girod(J.-B.) 52,89 Gisors (Paul de) 50 Glatigny 14 Goblet d'Aviella (Félix).. .. 177 Godard (André) 177 Godeau (Mgr) 19 Gœthe 91,378 Goetz-Bernstein 218 Gojon (Edmond) 218 Goldsmidt (D' D.) 165 Goncourt 130 Gontaut-Biron (Roger de). . 89 Gosse (Edmond) 215 Gounod 181 Goudeau (Emile) 326 Gourdon (Pierre) 29 Gourmont(Rémyde). 249,326, 408 Gouthière 380 Goyau (Georges) 177 Gozzi 91 Grandier (Urbain) 279 Grandsaigne (H. de) 89 Grappe (Georges) 89 Grasset (Dr) 372 Gratry (Le P.) 406 Gréard 43,76 Gréco 119 Gréen (A.-K.) 50,289 Gregh (M»* Fernand) 427 Grimm 92 Grimod de la Reyniêre 363 Grisi'(Giulia) 281 Griveau (Lucien) 177 Gros (Gabriel- Joseph) 326 Gros (Léopold) 230 Grouchy 111 Guébriant (Maréchal de) ... 327 Guénégaud (de) 2l9 Guérin (Eugénie de) 290 Guerlin (Henri) 89 Guichen (Vicomte de) 360 Guignet (Manuel) 19 Guillaume 1er 178 Guillaume II 322 Guillaume (Eugène) 171 Guillaumin (Emile) 139 Guillemot (Maurice) 357 Guillot de Saix. 89,90,326,328 Guinot (Henri) ... . 19, 52, 292 Guitet-Vauquelin (Pierre).. 62 Guizot 167 Gustave III 164 Guy(Téofilo) 408 Guyon (M^e) 130,301 Guyot (Maurice) 292 Gyp ; 6,263,264 Hachet-Souplet (P.) 52 Halévy (Daniel) 1 39 Halévy (Élie) 276 Halévy (Ludovic) 171 Hallays (André) ... 52, 91, 129 Halpérine-Kaminsky 412 Hamelle (Paul) 362 Hammar(T.) 86 Hamon (Augustin) 323 Hamp (Pierre) 175, 289 Hanotaux (Gabriel). 75, 88, 177 180, 322 Han Ryner 307 Haraucourt (Edmond) 95 Hardy (Thomas) 36,92 Harmel (Françoise) 129 INDEX ALPHABÉTIQUE 439 Harrisse (Henri) 92 Harry (Gérard) 404 Harry (Myriam)... 93, 378, 427 Haugmard (Louis) 218 llauptmann (Gerhard t).. .. 408 Hauser (Fernand) 129 Haussonville (Comte d'). 76, 423 Hauterive (Ernest d') 326 Havard (Oscar) 19 Havard de la Montagne (Robert) 378 Ilaven (D' Marc) 213 Hearn (Lafcadio) 215 Hébert (Ernest) 171 Heeckeren (Emile de) 89 Heine (Henri) 79,170,327 Heinecke (H.) 329 HelIens(Fr.) 126 Helmholtz 49 Hélys (Marc) 20,175 Hémard (J.) 101 Hennequin (Albert) 177 Hennique (Léon) 421 Henri IV 74,375 Henriot (Emile) 52, 64, 378, 408 Henriot (Philippe) 326 Heraclite 128 Hérédia ( José-Maria de). .. 251 Hérelle 86, 87 Hermant (Abel) 258,383 Héros (Eugène) 177 Herrera (Luis-Alberto de). 252 Herrick (Robert) 52 Hersen (Alexandre) 177 Hervieu (Paul) 409,423 Hesse (Raymond) 52 Heurtin (Marie) 405 Heymann (Général) 93 Heywood 50 Hinzelin (Emile) 177 Hippocrate 247 Hirsch (Charles- Henry) ... 187, 251, 333 Hoche 325 Hoche (Jules) 250 Holmes (Augusta) 242 Homère 246,247 Hoppenot (Henri) 218 Hornung (E.-W.) 50 Hortense (Reine) 111 Houssaye (Henry) 202 Huard (C.-L.) 129 Hudson Lowe 1 61 Hue (Gustave) 178 Hugo (Victor). . 128, 178, 245, 253, 292, 328 HuUet (Marie-Anne) 406 Hulot (Capitaine G.) 129 Hulot de Collart (Jean-Gas- pard) 20 Humbert de Gallier 115 Humphry Ward (M ™e) 92 Huret (Jules) 324 Hustin (A.) 378 Huyghens 207 Huysmans (J.-K.). 88, 177, 253 Ibanez (Vicente Blasco) 86, 175 Ibrahim Pacha 216 Ibsen (Henrik) ... 51,251,325 Imbert-Vier (Joé) 129 Ingres 54, 378 Ismaïl (Mouley) 212 Ismail Pacha 322 Isné(Y. d') 19 IvoifPauld') 250,289 Jablonski (Pierre -Charles). 89 Jackson (Lieutenant-Colo- nel Basil) 161 Jacques II 252 Jacquet (René) 218 Jakob (Gustave) 89 Jammes (Francis) 178,193 Jardet(Abbé) 378 Jary (Jacques) 90 Jaubert (E.) 106 440 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Jayne Hill (David) 123 Jean (Albert) 90 Jeandet (Charles) 215 Jeanne d'Arc 293 Jelinek 90 Jérusalem (Eisa) 149 Johnston (Mlle K.) 128 Joliclerc (Eugène) 215 Jonnart 176 Joret (Charles) 290 Joséphine de Savoie 411 Joubin(D'L.) 129 Jouglet (René) 129 Joussain (André) 53, 90 Juhellé (Albert) 108 Juigné (Marquis de) 219 Jullian (Camille) 379 Kaiser (Isabelle) 129 Kant 288 Karénine (Wladimir) 78 Keller (Hélène) 404 Kellermann 111 Kenjirô (Tokutomi) 303 Kerlecq (Jean de) 212 Kervillio (René de) 178 Khan (Gustave) 426 Kipling (Rudyard). 92, 126, 128, 292, 326 Kléber 325 Klein (Abbé Félix) 173 Koszul 252 Kozakiewicz 50 Kutusof 277 Labat (Louis) 250 Labeur (François) 18 Labitte (Charles) 55 La Brète (Jean de) 152 Labruyère (Raymond) 289 Lacaze - Duthiers (Gérard de) 326 La Châtre 207 Lachèse (Marthe) 175 Lacordaire 216 Lacour (Léopold) 178 Lacour(Paul) 215 Ladurelle (Paul) 53 Laënnec 180 Laf âge (Léon) 18 Lafayette 183 Lafïon-Ladebat 293 Laf on (André) 50, 423 Lafont (Renée) 175 La Fontaine.- 246,327 Lafontaine (Capitaine Clau- de) 326 Laforest (Edmond) ... 378 Lagerlof (Selma) 86 Lagonde (Julien de) 289 La Gorce (Pierre de) 205 La Grillière (Raphaël de).. . 126 La Houlette (René) 289 Lair (Jules) 114 Lallemand (Léon) 90 Lalo (Charles) 218 Laloy 326 Lamartine.. 167,252,292,412 Lamballe (Princesse de). .. 128 Lamennais 76, 79 Laminne (Ernest de) 325 Landre (Jeanne) 178 Lang(E.-B.) 18 Langlois (Marc) 289 Langlois 129 Lannes 202 Lanson 129,324 Lapaire (Hugues) 148, 178 Lapauze (Henri) 378 Lara (Isidore de) 127 Lara (René) 48 Lardeur (F.-J.) 178 Larguier (Léo) 90 Larmandie (Léonce de) 273 La Roche-sur- Yon (Prin- cesse de) 219 Larreguy de Civrieux. 178 Larroumet (Gustave). 171, 376 INDEX ALPHABETIQUE 441 Lasalle 202 Lassalle (Ferdinand) 216 Lasserre (Pierre) 312 La Touche 408 Latour (François) 53 La Tour (Commandant J. de) 169 La Tour du Pin la Charce (Lieutenant-Colonel, mar- quis de) 90 Latreille (Capitaine Albert). 90 Laugel (Auguste) 219 Laugel (Anselme) 326 Laurent (Charles) 18 Laurent (Gustave) 326 Laurent (Hélène) 175 Laurentie (François). 129,178, 252, 408 Lautrec (Vicomtesse de). .. 53 Lauvrière (Emile) 90 Lauzun 219 Laval (Dr Victorien) 292 La Vallière (M"e de). . 114, 363 Lavedan (Henri) 33,172 Lavisse (Ernest). 19,118,129, 165 Lebas (Georges) 292 Le Berquier (Edmond) 178 Lebesgue (Philéas) 90, 409 Leblanc-Maeterlinck (Geor- gette) 405 Le Bon (D' Gustave).. 182, 203 Le Brun (A.).. 86 Le Cardonnel (Louis) 178 Leclerc (Jules) 378 Leclerc du Sablon 378 Leclercq (Jules) 53 Le Cœur (René) 137 Lecomte (Georges) 426 Lecomte (L. Henry) 129 Lecourbe (Général) 11 Lécussan (Jean de) 90 Lecuyer (René) 175 Le Dantec (Félix) 378 Le Febvre (Yves) 374 Lefebvre ; 111 Legendre (Mary- Anne) 175 Legrand (Commandant). .. 251 Leguay (Pierre) 90, 129 Lehaucourt (Pierre, « géné- ral Palat .) 90 Lejeune (Marguerite) 9 Lejeune (Louis) 219 Lemaître (Claude) 107, 397 Lemaître (Jules).. 52, 168, 169, 251,290 Lemarchand (Victor) 292 Lemercier d'Erm (Camille). 90 Le Mière (Marie) 325 Lémonon (Ernest).. 19, 53, 178 Le Moyne (Yves) 292 Lenclos (Ninon de) 206 Léneru (Marie), 179 Lenôtre (G.) 409 Léonard (Fr.) 129 Léopoldll 47 Le Paladin (Olivier) 303 Lepelletier (Edmond) 129 Lepoînte (E.-L.) 378 Le Pointe (Henri) 378 Le Révérand (Gaston) 179 Leroux (Gaston) 389 Le Roux (Hugues) 409 Leroux (Pierre) 78 Leroux Cesbron 129 Le Roy (Edouard) 248 Le Roy (Eugène) 126,153 Le Senne (Camille). 90, 180, 326, 328 Lesoc (F.) 289 Le Sourd (A.) ... ; 409 Lesueur (Daniel) 154 Letalle (Abel) 53 Létang (Louis) 250 Lévi (André)... 379 Levilier (Robert) 219 Lhande (Pierre) 305 Lichtenberger (André). 61,219 Lichtenberger (Henri).. 90, 129 Liébig 49 Lieutier (Paul) 19 Limet (Charles) 252 25. 442 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Lindenberg (Paul) 326 Lisle (Henri de) 90 Liszt 52,79,243 Litta (Paolo) 292 Loisel (Gustave) 253 L'Olagne (Jean) 250 Loliée (Frédéric) 278 Londres (Albert) 179 Longnon (Auguste) 253 LopedeVega 90,326 Lorand(D'A.) 125 Lordo (André de) 151,261 Lordereau (Raymonde) 228 Lorédan (Jean) 279 Lorenzi di Bradi 179 Lorrain (Jean) 127 Lorrey (Claude) 220 Loti (Pierre).. 79, 88, 251, 423 Loubet (Joseph) 44 Louis II 81 Louis XIII 136, 240 Louis XIV 115,368,402 Louis XV 39,88,220 Louis XVI. 41,115,206,327,377 Louis XVII 251,406,408 Louis XVIII 327 Louis (Paul) 179 Lourdelet (Ernest) 53, 179 Loynes (Comtesse de) 77 Lubac (Jean) 53 Lucas (Wilfrid) 19 Lucina 179 Lugnier (Antonin) 409 Luguet (Pierre) 289 Lumet (Louis) 116 Luppé (Comte Mayol de).. . 326 Luynes (Duc de) 40 Macchiati (S.) 50 Machard (Alfred) 340 Machiavel 46 Machiels (Robert de) 110 Machuel (L.) 379 Mac-Mahon 12 Mac-Mahon La maréchale de) 322 Mac-Orlan (Pierre) 302 Madame Royale 327,377 Madelin (Louis) 202 Madières (Paul) 90 Maël (Pierre) 406 Magdelaine (A.) 86 Magne (Emile) 53, 206 Magog(H.-J.) 215,325 Magon 164 Mailly (Comtesse de) 40 Maindron (Maurice)... 136, 257 Maine (Duc et Duchesse du). 261 Maintenon(M'nede). 76, 222, 378 Maitland (Capitaine) 72 Maître (Henri) 292 Maizeroy (René) 262, 374 Malatesta 140 Malherbe (Henry) 409 Mallarmé (Camille) 175 Mallarmé (Stéphane) 218 Malo (Henri) 409 Mamet (Emile) 179 Mancini (Jules) 219 Mandin (Louis) 90 Marais (Jeanne) 392 Marbot 111 Marcaggi (V.) 179 Marceau 325 Mareil (Maurice) 18 Margel (Claude) 149 Margueritte (Paul). 22,255,421 Margueritte (Lucie-Paul). . 270 Margueritte (Victor).. . 22, 426 Marichal (Jean) 53 Maricourt (André de) 175 Marie (Charles) 53, 90 Marie- Antoinette 317, 377 Marie de France 409 Marie-Louise (Impératrice). 112 Marmotan (Paul) 19 Marni (Jeanne) 35 Marsan (Jules) 253 Marsilly (Raoul de) 326 Marsolleau 261 INDEX ALPHABÉTIQUE 443 Martin (Gabriel) 50 Martin (Henri) 294 Martin-Decaen (André). 90, 219 Martin-Valdour 86 l Marx (Claude-R.) 409 \ Maryan 325,374 ^ Maseras (Alfons) 274 [ Maspéro (G.) 379 Masque de Fer (Le) 326 Massacré (Comtesse de) 86 Massenet (Jules) 282 Masson (Frédéric). 10, 71, 160, 175, 251, 252, 293, 320, 401 Masson (Kermoël) 179 Masson (P.) ". 326 Mathieu (Cardinal) 219 Mathilde (Princesse) 242 Mathilde (Reine) 181 Matienzo (J.-N.) 326 Matte (Louis) 53 Maubreuil 160 Mauclair (Camille). ... 176, 403 Maudru (Pierre) 374 Maugras (Gaston) 73 Maupassant 109 Maurel (André) 53, 326 Maurette (F.) 219 Maurras (Charles) 179, 216, 287, 379, 409 Maury (François) 179 Maury (Lucien) 253 Mautouchet (Paul) 90 Maxwell (W.-B.) 192 Mayer 49 Maynial (Edouard) 410 Mazarin 46,219,240 Mazarin (Duchesse de) 219 Médicis (Marie de) 75, 363 Meirs(G.) 86,215,289 Mélia(Jean) 54,355 Ménagé (Victor) 129 Mendès (Catulle) 377 Mendès (M"»e Catulle) 427 Meneval (Baron de).. . 219, 251 Mercereau (Alexandre) .... 90 Meredith (George) 92 Merld (Charles) 74 Merlet (Louis) 293 Mermeix 179 Merriclc (Léonard) 215 Metternich 113,243 Meunier (M™e Stanislas). .. 325 Meyer (Arthur) 77 Meyer-Forster (W.) 215 Michaud (Edouard) 409 Michaut (Gustave) 90 Michel (André) 20,293 Michel (Df Evariste) 54 Michel (Georges) 50 Michel (Louise) 179 Michel- Ange 51 Michelet 167,179,294 Michelet (Victor-Emile)... 426 Migeon (Gaston) 293 Mignard ( Johannès) 289 Mignon (D'A.) 379 Miheur(D'H.) 90 Milhaud 202 Millaud (Polydore) 242 Mille (Pierre) 142 Milosz (O.-W.) 379 Mimande (Paul) 18 Mirabeau 116,183 Mirande (Henry) 374 Mirbeau (Octave) 421 Mistral (Frédéric) 45, 379 Mitraud (Abbé) 216 Mocquillon (Abbé H.) 219 Modiano (Léon) 409 MojBller (Charles) 129 Mogador (Céleste) 363 Molière 141,246 Moll (Lieutenant-Colonel). . 180 Mollat (G.) 180 Monaldeschi 19 Moncœur (Éveline) 325 Mondonville (M™« de) 19 Monlié 325 Monnet (A.) 251 Monod (Auguste) 215 Monod (Gabriel) 417 Monselet 14 444 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Montaigne 1 69, 207, 322 Montalembert 17,167,322 Montebello (Duchesse de). . 112 Montégut (Jean-François de) 316 Montégut (Maurice) 69 Montesquieu 46, 328, 407 Montholon 161 Montmorency (Pierre) 409 Montmorillon (Marquis de). 215 Montpensier (Duc de) 409 Montsoreau (M™« de) 43 Moreau 27 Moreau (Lieutenant) 293 Moreau (Edouard) 92 Moreau (Emile) 293 Morel (Jacques) 175,427 Moraux (Abbé) 219 Morian (Jacques) 126 Mornet (Daniel).. 176, 180, 219 Morny (Duc de) 278 Moro (Henri) 289 Morrison (Arthur). 50, 175, 215 Mortier (Raoul) 293 Moselly (Emile) 188 Mostaert (Jean) 379 Mostaert (Jules et François) 379 Mostaert (Michel) 379 Motey (Vicomte du) 20 Mo ttot (Clément) 374 Mouchy 114 Mougenot (Capitaine Fa- bien) 396 Mourey (Fernand) 379 Mouton (Léo) 43,219 Mozart (W.- A.) 21 Muller (Charles) 409 Mun (Comte de) 15,208 Murât (Amélie) 220 Murât (Joachim) 111 Mursol (André) 253 Musset (Alfred de) .... 253,305 Muzet (Alphonse) 379 N Nadaillac (Colonel Marquis de) 293 Nadaillac (Marquise de) 293 Nansouty (Max de) 54, 129 Napoléon Ie^. 46,71,111,112 129, 160, 180, 202, 277, 293, 326 Napoléon III 279 Narfon (Julien de) 16 Nau (John- Antoine) 134 Naundorff., 11, 92 Neipperg 113 Nerval (Gérard de) 409 Nesselrode (A. de) 54 Newman 120 Niccomedi (Dario) 220 Nicolas II 47 Niel (Maréchal) 163 Niepce (Gaston) 175 Nigond (Gabriel) 220 Niox (Général) 22,326 Noailles (Vicomte de 327 Noailles (M'ûe de) 218 Noche (Pierre) 180 Noday (Vicomte du) 253 Noël (G.) 12 Noël (Gabriel) 12 Noël (Carlos M.) 180 Nolly (Emile) 410 Normand (Jacques) 379 Noussanne (Henri de) 293 Nouvel (E.) 406 Novalis 90 Nuchter (D"" Friedrich) 54 Oechsli (Wilhem) 220 Ohnet (Georges) 26, 342 Olivaint (Maurice) 352 Olivier (Mario) 98 Ollivier (Emile) 243, 327 O'Monroy (Richard) 235 INDEX ALPHABÉTIQUE 445 Orczy(E.) 50 Orléans et Bragance (Prince Louis d') 293 Orliac (Jehanne d') 158 Ormesson (Wladimir d'). .. 253' Orna-Galatz (Adolphe) 374 Ossau (Jean d') 86 Ossip -Lourié 249 Ostwald 48 Oulmont (Ch.) 220 Ozanam (Frédéric) 176 Pacheu (Abbé Jules). . 253, 374 Pailhès (G.) 54 Palan te (Georges) 129 Palatine (Princesse) 40 Palissot 217 Paoli (Xavier) 47 Parr (Thomas) 125 Pasolini (Pier-Desiderio)... 20 Pasteur 20,291 Paterne Berrichon 411 Patmore (Coventry) 90 Patry(H.) ^ 379 Paul I" 41, 91 Pavie (André) 147 Payen (Emile) 410 Payoud (Jean) 289 Paysan (Achille) 129 Pearse (Mn>e G.) 281 Peele (George) 325 Peladan 91,175,215 Pelissier (Jean) 410 Pelle tan (Eugène).... 216,379 Pellico (Silvio) 220 Pellissier (Georges) 20, 54 Pellisson (Maurice) 327 Pêne (Annie de) 406 Penin (Auguste) 374 Perceval (Ch.) 54 Pereire (Alfred) 54 Pergaud (Louis) 338 Perier (Casimir) 322 Perier (Joseph) 54 Perraud (Cardinal) 322 Perraudeau (D^ Henri) 400 Perrault 251 Perrault (Pierre) 18 Perréoux (Roger) 54 Perret (Emile) 293 Perret (J. -P.) 215 Perrin (Jules) 194 Perrout (René) 31, 308 Persy (Df Paul) 379 Pervinquière (Léon) 253 Petion 183 Petit (Edouard) 379 Petitclerc (Martin) 292 Pétrie (Flinders) 379 Pétrone 411 Peyrebrune (M «e de) 427 Peyrefort (Emile) 253 Philippe II 375 Philippe (Charles-Louis) ... 20 Pic des Cèdres 91 Picard (Ernest) 253 Picard (Lieutenant-Colonel 1 Ernest) 11,23,180,293 Picard (Lieutenant F.) 180 Pichegru 27 Pichon (Alfred). .'. 180 Pie VII 326,380 Pieriing (Le P.) 91 Pierron (Sander) 379 Pilant (Paul) '. 180 Pilon (Edmond) 91,180 246, 327 Pimienta (Robert) 91 Pimodan (Comte de) 327 Piquet (Victor) 91 Piton (Camille) 220 Place (Sidney) 374 Plan (Pierre-Paul) 180 Planté (Louis) 232 Plantet (Eugène) 327 Platon 46,365 Plieux de Diusse 289 Poë (Edgar) 90 Poincaré (Raymond). . 54, 179 Poiteau (Emile) 251 446 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Poléjaïeff (Pierre) 380 Polti (Georges) 91,172 Pomairols (Charles de) 34 Pomaré 363 Pompadour (Marquise de). 40, 128 Poradowska (M'"«) 427 Porret (Max E.) 175 Portalès (Jean) 215 Portau (Isaac de) 42 Porto (Luigi da) 129 Porto-Riche (Georges de).. 409 Pottet (Eugène) 91, 410 Pougin (Arthur) 180 Pourcel (Georges) 348 Pourra (Henri) 250,251 Pourrat(M™e) 217 Pourtalès 243 Pouvourville (Albert de f « Matgioi ») 220 Pradel de Lamase (Paul).. 180 Praviel (Armand) 290 Prax (Mario) 91 Pregnari (Abbé) 326 Prévost (Marcel). 132, 209, 220, 423 Prévost-Paradol 76 Prie (Mme de) i28 Prieur de la Marne 326 Provins (Michel) 385 Puech (Aimé) 253 Puech (Jules -L.) 289 Puvis de Chavannes 53 Puybusque (Berthe de). .. 325 Pylkkanen (Hilma) 215 Quatrelle l'Espine 89, 91 Quentin -Bauchart 20 Quinet (Edgar) 167 Rabelais (François).. .^246, 339 Rabusson (Henry) 104 Racan 292 Rachilde 224 Racine (Jean) 88,218 Raffaëlli (J.-F.) 88 Rageot (Gaston) 1,344 Rainaldy (Henri) 86 Rambaud (Alfred) 410 Rambaud (Jacques) 180 Rameau (Jean) 200 Ramel (Général Baron). .. 252 Ramond 253 Raucourt (C.) 367 Rava (Aldo) 410 Raynaud (M«>e Camille) ... 293 Rebillot (Général Baron).. 327 Reboul (Jacques) 253 Reboul (Lieut.-Col. F.)... 54 Récamier (M'^e) 114,329 Reclus (Elisée) 140, 291 Reclus (Maurice) 253 Régis (Regina) 199 Regis-Lamotte (Roger). 86, 289 Regismanset (Charles) 129, 374, 406 Régnier (Henri de).. 251, 292, 411, 426 Reichlen (J.-L.) 293 Reinach (Joseph) 411 Reinach (Salomon) 54,327 Reiset (Vicomte de) 411 Rémond (G.) 380 Remusat 167 Rémy (Lient. -Aviateur). .. 293 Renan 32,88,216 Renard (G.) 253 Renard (Jules) 292 Renard (Comm. Paul) 20 Renaud (Jean) 310 Renaud (J .-Joseph) 50 Renault .(Louis) 123 Renaut (Elisabeth) 367 Reschal (Antonin) 215 Retté (Adolphe) 253, 411 Rey (Etienne) 208 Rey (Pierre) 5 Reyer 171 INDEX ALPHABÉTIQUE 447 Reymond (Marcel) Reymont (Ladislas -Stanis - las) Reynard (F.) Reynaud (Jean) Reynès-Montlaur (Mi»«).. . Reynier (Gustave) Ribaux (Adolphe) Ribot Richault (Gabriel) Riche (Daniel) Richelieu (Cardinal de). 38 Richement (de) Richepin (Jean). 292, 365, Ricqueboui^ (Jean) Rimbaud (Arthur) Riotor (Léon) Rip Ripert (Emile) 54 Rives (Pierre) Rivet (Fernand) Rivet (Gustave) Rivière (Jacques) Rivière (Blanche de) Robine (René) Robiquet (Jacques) Robiquet (Paul) Rocheblave (S.) Rod (Edouard) Rodocanachi Rodin Rod Reuss Roger (Noëlle) Rohan (Cardinal de) Rohan (Duchesse de) Rolland (Général) Rolland ( Joachim) Rolland (Romain) .. 180, llollin (Lieutenant) Rondet-Saint (Maurice). .. Rops Rosny aîné (J.-H.). 56, 298, Rosny (J.-H.) 380 180 220 2ir, 86 411 380 179 180 374 , 40, 402 293 411, 415 91 411 426 288 , 426 54 87 426 54 251 411 380 240 328 251 380 177 253 374 52 427 88 286 251, 330 180 220 14 426 421 Rostand (Edmond).. . 292, 380 Rostand (Maurice) 294 Rostopchine 277 Roubaud (Louis) 325 Roujon (Henry) 170 Roure (Lucien) 361 Rousseau (D»^ Alfred) 180 Rousseau (J.-J.) 1^0,209, 219, 254, 364 Rousseau (Henri) 328 Rouveyre (Edouard) 84 Rouziers (Paul de) 91 Roz (Firmin) 92 Roze (Etienne) 372 Roze (Lieutenant Jacques). 372 Rutland (Lord) 366 S Sabatier (Paul) 20 Sabran (Delphine de, mar- quise de Custine) 73 Saillard (G.) 294 Saint- Antoine de Padoue.. 361 Saint-Arroman (R. de) 426 Saint-Cyr (Charles de) 294 Saint-Cyr (Maréchal) 278 Sainte-Beuve. 55, 169, 179, 322 Sainte-Claire 361 Saint-Edme (Georges et Reine) 50 Saint-Evremond : 207 Saint- Foix (de) 20, 21 Saint -François d'Assise. 81,361 Saint -Georges de Boudhé- lier 294 Saint-Germain (Addy de). . 175 Saint-Grégoire de Naziance. 19 Saint-Maurice (Marquis de). 380 Saint-Maurice (Comte de). 54,294 Saint-Pavin 207 Saint-Pierre (abbé de) 377 Saint-Point (Valentine de). 253 Saint-Simon 54 Saisset 216 448 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE Salaun (Louis) 220 Sales (Pierre) 50, 325, 374 Salliard (Etienne) 359 Salvat (Gabriel) 251 Samain (Albert) 254 Samaran (Charles) 42 Sand (George). 53,78,130,392 Sangnier (Georges) 55 Santerre (Camille) 180 Santerre (H.-J.) 87 Sarcey (Francisque) 376 Sardou (Victorien) 293 Sarraut (Albert) 311 Sarrou (A.) 92 Saunier (Charles) 181 Saussay (Victorien du) 215 Saussier (Général) 322 Sauzey de la Sabretache (Lieutenant-Colonel) 129 Savignon (André) 126, 374, 421 Savine (Albert).. . 50, 92, 126, 215, 326, 329, 380 Savitch (G.) 106 Schayé (Paul- Adrien) 189 Schefîer (Robert) 374 Schewœbel (Joseph) 175 Scherer 77 SclyUer 20,91 Schlumberger (M°ie Emma- HJnuel) 176 Schneider (Anna) 126 Schneider (Edmond) 294 Schopenhauer 92, 181 Schumann (Robert). 52,130,407 Schurman 129 Scribe (Eugène) 286 Sebille (Henri) 250,251 Séché (Alphonse). 180, 181, 220 Séché (Léon) 328 Sée (M'oe Ida R.) • 87 Sègre (Adrien) 87 Ségur (Comtesse de) 292 Ségur (Marquis de) 129 Seillièref (Ernest) 92 Seitier (Joseph) 328 Sem 289 Sembat (Marcel-) 426 Sencier (Georges) 181 Serao (Matilde) 60 Sévigné (M^ne de) 215 Sforza (Catherine) 20 Shakespeare 128, 129, 366 Shaw (Bernard) 176,323 Shelley(P.-B.) 128,253, 380 Sicard (abbé Augustin) 220 Sicard (Emile) 181 Sieyés 367 Sigall (Renée) 294 Silve (Claude) 150 Silvestre (Armand) 14 Simon (Charles) 380 Simon-Muller (Marie) ..... 406 Sinclair (May) 374 Skouffo (Alex) 20 Smet (Joseph de) 215 Soc (Pierre) 328 Socrate 292,365 Solon 46 Sonol«t (Louis) 87 Sophie-Madeleine (Reine de Suède) 164 Sophocle 297,411 Sormiou (Pierre) 215 Soubies (Albert) 181, 254 Souguenet (Léon) 92 Soulavie 40 Soulié (Georges) 67, 328 Soulié (Henry) 395 Soulier (Gustave) 181 Spencer 128,253 Spetz (Georges) 380 Spinoza 170 Staël (Baron de) 76 Staël (Mme de) 76,132 Stalïe (Baronne) 55 Star (Maria) 175 Steele (Jack) 50 Steer (André Petrovitch). . 411 Stein (Henri) 181 Stendhal ^54, 220, 328 Stenger (Gilbert) 145 ÎNDÉX ALPHABéTlQUË 449 Stevens 53 Stirling (André) 380 StouUig (Edmond) 411 Stradiot (Jean) 294 Strarbach (Gaston) 290 Strarbach-Baudenne 290 Stratz (Rodolphe) 18 Strowski (F.) 328 Stryienski (Casimir) 328 Stuart (Marie) 128 Stuart de la Cloche (Jac- ques) 326 Suarès (André) 254 Sue (Eugène) 334 Sullivan (Miss) 404 Sully 75 Sully Prudhomme. ... 292, 322 Svetlow(V.) 412 Sylviac 35 Tailhade (Laurent) 220 Taine 170,246,322 Talbot (Marie) 318 Tallien (Mn»e) 363 Tardieu (André) 181 Tarente (Duc de) 278 Taris (Etienne) 130 Tauber-Rossignol (M»ne) ... 54 Témoin (Un) 412 Ténars (Louis) 374 Tencin (Cardinal de) 89 Tencin {M^^ de) 117 Teramond (Guy de) 380 Tessan (François de) 328 Tessandier (Aimée) 328 Tessandier (Gustave) 374 Thalasso (Adolphe) 181 Tharaud (Jérôme et Jean). 267 Thévenin (Léon) 6 Thierry (Gilbert- Augustin). 201 Thiers 167, 322 Thogorma (Jean) 181 Thomas 20 Thomas (Romain) 380 Thureau-Dangin (Paul) 120, 423 Tiersot (Julien) 254 Tinayre (Marcelle). ... 382, 427 Tinseau (Léon de) 37 TocqueviUe 167 Tolstoï (Léon). . 170, 374, 412 Tonnelat (Ernest) 92 Tort (Jean-Paul) 20 Toudouze (Gustave) ' 175 Toussaint (Franz) 310 Toussaint (Marcel) 380 Traz (Robert de) 346 Trévières (Pierre de) 68 Trilby 50 Truc (Gonzague) 87 Tschirch (D') 92 Tschudi (C. de) 328 Tuetey (Louis).. 180, 181, 295 Turgis (Suzanne) 181 Turquan (Joseph) 328, 412 U Ulraès (Tony d') 126 Ulrich (Albert) 20 Ussel (Vicomte Jean d'). .. 130 Uzanne (Octave) 117, 248 Vaillat (Léandre) 130 Val (Charles) 50 Valbert (Léon) 87, 290 Valclair(J.) 380 Valdagne (Pierre) 223 Valery-Larbaud 90 Vallery-Radot (René)... 20, 220 Vallès 14 Valmore (Hippolyte) 18 Van Bever (Ad.) 295,406 Vandal (Albert) 130,291 Vandeputte (Henri) 20 Vandérem (Fernand) 243 Vandières (de) 171 450 LÉ MOUVEMENT LITTÉRAIRE Varaynes (Francis) 215 Vaucaire (Maurice) 254 Vaudoyer (Jean-Louis) 229,347 Veber (Pierre) 238 Ventura (Le P.) 216 Véra (André) 92 Verdi 171 Vergniaud 317 Verhaeren (Emile) 181 Verlaine (Paul). 43, 253, 377, 416 Verneuil (Marquise de) 74 Vervœst 426 Vesme (Gemma de) 130 Veuillot (Louis) 130 Victoria (Reine) 47 Vielé-Griffin (Francis) 92 Viennet 245 Vierge (Daniel) 319 Vignaud (Henri) 92 Vigny (Alfred de). 51, 292, 377 Vildrac (Charles) 374 Villebois-Mareuil (Colonel). 178 Villemagne (Alix de) 175 Villon 292 Vinci (Léonard de) 292 Vionnet (Général) 379 Vismes (Henriette de) 156 Vogué (Vicomte Eugène Melchior de). .. . 15,77,251 Voirol (Sebastien) 408 Voltaire 46,128,207,222, 246, 252, 292 Voos de Ghistelles (Georges) 126 Vuillaume (Maxime) 92 w Wagner (Charles) 380 Wagner (Richard) 242 Waliszewski (K.) 41 Walle(Paul) 412 Waltz(René) 412 Ward (Wilfrid) 120 Warnod (André) 92 Warrington (Dawson) 92 Watteau 180 Week (René de) 295 Weill (Pierre) 92 Wellington 162,325 Wells (H. -G.) 50,56,92 Welschinger (Henri) 72 Welwert (Eugène) 40 Wilde (Oscar) 21,329 Wilhelmine (Reine) 47 Willeay (E.) 412 Willey (Pierre) 329 Willy 50,292 Willy (Colette) 50 Wimpfîen (Général) 12 Witt (Cornélis de) 45 Witt-Guizot (F. de) 412 Wolff (Pierre) 181 Woollett (Henry) 130 Wyzewa (T. de) 21, 55, 214, 374 Y ver (Colette). 292 87 Zaïdan (G.) 325 Zamacoïs (Miguel) 292 Zidler (Gustave) 254 Ziem 53 Zola 334 Zurlinden (Général) 329 TABLE Préface v Janvier l Février 22 Mars 66 Avril 93 Mai 131 Juin 182 Juillet 222 Août- Septembre 255 Octobre. 296 Novembre 330 Décembre 382 Quelques disparus 413 Concours et Prix littéraires 419 Index alphabétique 429 Chartres. — Imprimerie Ed. Garnikr. \^ ^. ' 7\ bi '1 KrJ¥ Glaser, Ph. Emmanuel (A^^ 12 Le mouvement littéraire #^ G5 kL t. 9 {f \ PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR aiPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
Full text of “Le mouvement littéraire; petit chronique des lettres, 1904-1912”
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